CA Versailles, ch. civ. 1-3, 26 juin 2025, n° 23/03686
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Enedis (SA)
Défendeur :
Bpce Assurances (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perret
Conseillers :
M. Maumont, Mme Girault
Avocats :
Me Beaumont, Me Cornelie-Weil
FAITS ET PROCEDURE
Mme [X] [G] est propriétaire non-occupante d'un pavillon situé [Adresse 1], à [Localité 12], qu'elle a donné à bail à usage d'habitation à M. [K] et sa famille et pour lequel elle a souscrit une assurance auprès de la société BPCE Assurances (ci-après, « la société BPCE»).
Dans la nuit du vendredi 9 juin au 10 juin 2017, un incendie est survenu dans ce pavillon.
Le 26 juillet 2018, une expertise contradictoire a eu lieu, aboutissant à la signature de deux procès-verbaux : l'un concernant les constatations sur les causes et circonstances de l'incendie, l'autre portant sur l'évaluation des dommages.
Cet incendie a entrainé des dommages importants à la maison de Mme [G] et aux biens mobiliers appartenant à la famille [K].
Une recherche de cause a été effectuée par la société IC2000. Les experts se sont accordés pour conclure que : « selon toute vraisemblance, la cause de l'incendie est un échauffement par effet joule dû à une mauvaise qualité d'une connexion sur la bretelle de neutre. »
Par exploit d'huissier du 9 juillet 2021, Mme [G] et la société BPCE ont assigné la société Enedis devant le tribunal judiciaire de Nanterre, aux fins de la voir condamnée prendre en charge les conséquences du sinistre.
La société Enedis a soulevé un incident arguant que la société BPCE serait dépourvue de qualité à agir et que l'action introduite à son encontre serait prescrite.
Par ordonnance du 22 mai 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre a :
- déclaré les demandes de la société BPCE et de Mme [G] à l'encontre de la société Enedis recevables,
- condamné la société Enedis aux dépens de l'incident en application de l'article 696 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit,
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 21 septembre 2023 à 9h30 pour éventuelle jonction avec le dossier RG22/10199.
Par acte du 13 juin 2023, la société Enedis a interjeté appel et prie la cour, par dernières écritures du 5 mars 2025, d'infirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
Et, statuant à nouveau,
- déclarer que la société BPCE ne rapporte pas la preuve de sa qualité de subrogée dans les droits et actions de Mme [G],
- déclarer prescrite l'action de la société BPCE et de Mme [G],
En conséquence,
- déclarer irrecevable l'action de la société BPCE et Mme [G],
- débouter la société BPCE et Mme [G] de leurs demandes fins et conclusions telles que dirigées à son encontre,
- condamner la société BPCE à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Maître Brigitte Beaumont, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, elle fait valoir que :
- la société BPCE ne peut prétendre agir au titre de la subrogation légale dès lors qu'elle ne produit pas les conditions générales de la police et que les conditions particulières communiquées ne sont pas signées par Mme [G] ; ce faisant, il n'est pas permis de savoir si la société BPCE aurait indemnisé Mme [G] sur la base d'une garantie régulièrement souscrite par cette dernière ;
- l'action de la société BPCE est prescrite dans la mesure où elle a été introduite le 9 juillet 2021 après l'expiration du délai de trois ans pour agir sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, le point de départ du délai devant être fixé au 23 janvier 2018 date à laquelle les résultats des investigations ont été présentés ; à défaut, il conviendrait de retenir la date du 14 mai 2018, soit la date à laquelle un procès-verbal sur les causes et circonstances des dommages a été signé; - la société BPCE ne peut pas invoquer à titre subsidiaire le fondement de la responsabilité du fait des choses et prétendre que cette action ne serait pas prescrite, étant donné que la responsabilité du fait des produits défectueux est un régime exclusif de tout autre régime, sauf à alléguer une faute distincte du défaut électrique, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Par dernières conclusions du 16 août 2023, Mme [G] et la société BPCE prient la cour de :
A titre principal,
- juger la société BPCE régulièrement et valablement subrogée dans les droits et actions de Mme [G],
- juger leur action à l'encontre de la société Enedis recevable et non prescrite au visa de l'article 1245 et suivants du code civil,
A titre subsidiaire,
- juger leur action à l'encontre de la société Enedis recevable et non prescrite au visa de l'article 1242 et suivants du code civil,
En tout état de cause,
- condamner la société Enedis à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile 5 000 euros à Mme [G] et 4 000 euros à la société BPCE,
- condamner la société Enedis aux entiers dépens,
- ordonner la distraction des dépens au profit de Maître Marie Cornelie-Weil, avocat aux offres de droit, dans les termes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
A cet effet, elle fait valoir que :
- les documents qu'elle verse aux débats suffisent à justifier de sa qualité de subrogée dans les droits de Mme [G] (attestations d'assurance, conditions particulières, quittance subrogative, justificatifs des virements et règlements) ;
- ce n'est qu'à partir du procès-verbal signé le 26 juillet 2018 qui constitue le rapport amiable définitif, que Mme [G] et la société BPCE ont eu connaissance du dommage et de l'identité du responsable à l'égard duquel elles pouvaient agir sur le fondement de l'action en responsabilité du fait des produits défectueux ;
- à titre subsidiaire, il ressort du rapport d'expertise qu'outre sa nature électrique (échauffement par effet joule), ce sinistre a également pour origine une mauvaise qualité de branchement du compteur de la maison avec le réseau général, de sorte que Mme [G] et la société BPCE subrogée dans les droits de son assurée sont à tout le moins recevables à rechercher la responsabilité de la société Enedis sur le fondement de la responsabilité du fait des choses qui appelle l'application de la prescription décennale.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 mars 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la qualité à agir de la société BPCE Assurances
Aux termes de l'article 32 du code de procédure civile « est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir ».
L'article L. 121-12, alinéa 1er du code des assurances précise que « l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur ».
Ainsi, pour justifier de sa qualité à agir au titre de la subrogation légale, l'assureur doit rapporter la preuve des paiements effectués au profit de l'assuré et du fait qu'il s'agit d'indemnités d'assurance, au sens du texte précité, et donc de sommes versées en exécution d'une garantie régulièrement souscrite.
En l'espèce, la société Enedis ne conteste pas la réalité des paiements effectués par la société BPCE à son assurée. Elle reproche cependant à cette dernière de ne pas produire les conditions générales ainsi que des conditions particulières signées par Mme [G]. Elle estime qu'en conséquence elle n'est pas mise en position de savoir si la société BPCE Assurances a indemnisé Mme [G] sur la base d'une garantie régulièrement souscrite par cette dernière.
La société BPCE produit une « attestation d'assurance propriétaire bailleur » correspondant au numéro de contrat mentionné dans les conditions particulières versées aux débats.
Dans la mesure où le contrat d'assurance est un contrat consensuel (Civ. 2e, 14 juin 2018, n° 17-10.097), le fait que les conditions particulières ne comportent pas la signature de l'assuré n'est pas en soi un obstacle dirimant à la reconnaissance d'une garantie régulièrement souscrite par Mme [G]. De fait, le document mentionne les noms et adresse de Mme [G] à laquelle manifestement ces conditions particulières concernant ont été adressées.
Par ailleurs, les dates et sinistres couverts mentionnés dans le document permettent d'établir que Mme [G] était effectivement couverte contre le risque incendie le 10 juin 2017, date de l'incendie.
Si ce document renvoie à des conditions générales qui ne sont pas produites, même à hauteur d'appel, force est de constater que la société Enedis ne fait pas état d'un doute quelconque quant à l'existence d'une clause d'exclusion de garantie de nature à exclure que l'indemnité d'assurance ait été payée en exécution d'une garantie qui était due.
Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les indemnités versées à Mme [G] l'ont été en vertu d'une garantie régulièrement souscrite, et que la société BPCE Assurances qui a procédé au règlement peut valablement prétendre agir au titre de la subrogation légale.
Au surplus, l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance dispose contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage indemnisé par l'assureur, non seulement de la subrogation légale de l'article L. 121-12 du code des assurances, mais aussi du droit d'invoquer la subrogation conventionnelle dans les droits de son assuré, prévue par l'article 1250 du code civil, résultant de la volonté expresse de ce dernier, manifestée concomitamment ou antérieurement au paiement reçu de l'assureur, sans avoir à établir que ce règlement a été fait en exécution de son obligation contractuelle de garantie (cf. Civ. 2e, 17 nov. 2016, n° 15-25.409).
En l'espèce, la société BPCE se prévaut outre de la subrogation légale, d'une quittance subrogative consentie par son assurée. Ce document intitulé « quittance de règlement sinistres » n'est pas remis en cause quant à sa validité et à son efficacité par la société Enedis qui se borne à critiquer la recevabilité du recours de la société BPCE sur le fondement de la subrogation légale.
Ce document qui comporte une signature dont il n'est pas contesté qu'il s'agit de celle de Mme [G], mentionne la date du 10 juin 2017 comme correspondant au sinistre indemnisé ainsi que le numéro de contrat visé dans les conditions particulières adressée à Mme [G]. Aux termes de cet acte, Mme [G] indique, d'une part, avoir reçu de BPCE Assurances la somme de 182 184, 48 euros en règlement total, définitif et sans réserve de l'accident survenu le 10 juin 2017 et, d'autre part, subroger l'assureur dans tous ses droits et actions contre tout responsable à concurrence de la somme indiquée.
Le document intitulé « justificatifs des virements et règlements par la BPCE » (pièce n° 7 des intimées) démontre le versement d'indemnités à Mme [G] entre le 19 novembre 2018 et le 27 novembre 2019, soit antérieurement à la quittance subrogative, qui est datée du 15 août 2020.
Cependant, compte tenu de la nature du sinistre, la créance globale ne pouvant être immédiatement estimée, ces règlements doivent s'analyser en des paiements provisoires ou partiels. Ainsi, la subrogation conventionnelle est intervenue non à l'occasion de chacun des règlements, mais lors du règlement du solde, ce qui suffit à satisfaire à l'exigence de concomitance posée par l'article 1250 du code civil.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que la société BPCE justifie de sa qualité d'assureur subrogé dans les droits de son assurée, à hauteur des sommes réclamées, aussi bien au titre de la subrogation légale qu'au titre de la subrogation conventionnelle.
Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur la prescription de l'action de la société BPCE
Il résulte des articles 1245, 1245-2 et 1245-3 du code civil que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, que l'électricité est considérée comme un produit et qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Selon l'article 1245-16 du code civil, l'action en réparation fondée sur les règles de la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.
Etant rappelé que l'assureur subrogé dans les droits de la victime d'un dommage ne dispose que des actions bénéficiant à celle-ci, de sorte que son action contre le tiers responsable est soumise aux règles de prescription applicables à l'action directe de la victime, qui lui sont opposables (Civ. 1ère, 2 févr. 2022, n° 20-10.855), il importe de déterminer à quelle date Mme [G] a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.
La société Enedis indique que la date du 26 juillet 2018 retenue comme point de départ de la prescription par le premier juge correspond seulement à la date de la dernière réunion d'expertise, alors que cette réunion avait pour seul objet de chiffrer les préjudices, et que la cause du sinistre était déjà identifiée depuis plusieurs mois.
La société Enedis avance tout d'abord la date du 23 janvier 2018 qui correspond à la date à laquelle le laboratoire IC2000 a présenté ses résultats d'analyse. Toutefois, comme relevé par le premier juge, il n'est produit aucun procès-verbal à cette date, ce qui ne permet pas de déterminer quelles étaient les personnes présentes lors de ce rendez-vous qui a eu lieu dans les locaux du laboratoire.
Aux termes du procès-verbal produit par les intimées (pièce n° 1 « Procès-verbal de constatations relatives aux causes et circonstances et à l'évaluation du dommage »), dont l'intitulé démontre qu'il ne se borne pas à l'évaluation des dommages, ce n'est que lors de la réunion d'expertise contradictoire du 26 juillet 2018, à laquelle a assisté Mme [G], que tous les experts présents ont pris acte des résultats d'analyse du laboratoire (« Tous les experts présents constatent que : une recherche de cause a été effectuée par la société IC2000 ['] [Localité 9]-ci a présenté les résultats d'analyse par l'intermédiaire de Monsieur [P] lors d'un RDV dans leurs locaux en date du 23 janvier 2018 »).
La société Enedis produit par ailleurs le procès-verbal d'une réunion d'expertise contradictoire qui s'est tenue le 14 mai 2018 en présence de différents experts, et notamment le cabinet Polyexpert présenté dans l'acte comme « expert désigné par BPCE pour M. [G] ». Or, outre qu'il n'est pas précisé que ce cabinet est intervenu « pour Mme [G] », dont il est constant qu'elle est pourtant la seule subrogeante, rien ne permet d'indiquer que cette dernière ait été informée à cette date, par l'expert de son assurance, aussi bien des résultats d'analyse du laboratoire que de l'origine électrique du sinistre indiqué dans le procès-verbal (« selon toute vraisemblance, la cause de l'incendie est un échauffement par effet joule dû à une mauvaise qualité d'une connexion sur la bretelle de neutre »).
C'est donc à juste titre que le premier juge a retenu comme point de départ de la prescription la date du 26 juillet 2018, en ce qu'elle correspond à la date d'une réunion d'expertise contradictoire à laquelle Mme [G] était présente ; date à laquelle elle ne pouvait ignorer l'origine électrique de l'incendie et partant le défaut du produit « électricité » comme l'identité du producteur, Enedis, dûment représenté dans le cadre des opérations d'expertise.
L'ordonnance entreprise sera en conséquence confirmée, sans qu'il y ait lieu d'examiner le second fondement invoqué par la société BPCE Assurances au soutien de son action.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Compte tenu de l'issue du litige, les dispositions de l'ordonnance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens sont confirmées.
La société Enedis succombant, supportera les dépens d'appel, dont distraction, en application des articles 696 et 699 du code de procédure civile.
L'équité commande, à hauteur d'appel, d'indemniser les intimés des frais irrépétibles qu'ils ont dû exposer pour assurer leur défense. Il sera alloué la somme de 2 000 euros à la société BPCE Assurances et la somme de 3 000 euros à Mme [G] en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, par arrêt contradictoire, mis à disposition,
Confirme l'ordonnance en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Condamne la société Enedis aux dépens de l'appel,
Dit que Me Marie Cornelie-Weil est autorisée à recouvrer ceux dont il a été fait l'avance, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société Enedis à verser à la société BPCE Assurances la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Enedis à verser à Mme [X] [G] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Florence PERRET, Présidente et par Madame FOULON, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.