CA Amiens, 1re ch. référés, 26 juin 2025, n° 25/00067
AMIENS
Ordonnance
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mantion
Avocats :
Me Tondriaux-Gautier, Me Garnier, SCP Lequillerier - Garnier, SELAS Dorean Avocats
Vu le jugement réputé contradictoire du tribunal de commerce de Compiègne en date du 26 février 2025 qui a:
- condamné M. [S] [E] à supporter l'insuffisance d'actif à hauteur de la somme de 600.000 euros et à payer à Maître [P] [D] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société [12] cette somme assortie d'une peine de faillite personnelle pour une durée de 10 années ;
- ordonné que cette condamnation produise intérêts de droit à compter de l'assignation ;
- ordonné la capitalisation des intérêts ;
- rappelé que les sommes recouvrées en application de cette condamnation seront réparties au marc le franc entre tous les créanciers ;
- condamné M. [S] [E] en tous les dépens outre une somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Vu l'appel formé par M. [S] [E] par déclaration reçue le 22 avril 2025 au greffe de la cour ;
Par acte de commissaire de justice en date du 28 avril 2025, M. [S] [E] a fait assigner la SCP [8] représentée par Maître [P] [D] en présence de M. le Procureur Général à comparaître devant le Premier Président statuant en référé et demande, au visa de l'article 514-3 du code de procédure civile, de :
- dire qu'il existe des causes sérieuses d'infirmation et que l'exécution du jugement risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives ;
En conséquence,
- arrêter purement et simplement l'exécution provisoire du jugement rendu par le tribunal de commerce de Compiègne en date du 26 février 2025 jusqu'à la décision statuant en appel dudit jugement.
Aux termes de son assignation complétée par des conclusions transmises le 10 juin 2025, M. [S] [E] fait valoir qu'il existe des moyens sérieux d'annulation du jugement en ce que la signification n'est pas conforme et ne précise pas les modalités de relèvement des sanctions prononcées tel qu'indiqué aux articles articles L653-11 et R653-4 du code de commerce, le principe du contradictoire n'ayant pas été respecté dès lors qu'il ne ressort pas de la procédure que le tribunal s'est assuré de la communication au défendeur non comparant de l'avis du procureur et du rapport établi par le liquidateur judiciaire sur le fondement de l'article R.653-1 du code de commerce.
Au fond, il indique que le liquidateur judiciaire a demandé la condamnation de M. [S] [E] en comblement du passif fixé à la somme de 837.419,55 euros, ce montant ayant été repris par le tribunal, sans aucune distinction selon que les créances étaient antérieures ou postérieures au jugement d'ouverture, l'infirmation du jugement étant encourue de ce chef.
Enfin, M. [S] [E] estime que le jugement confond les motifs relatifs à l'action en comblement du passif et ceux relatifs à la sanction de la faillite personnelle et qu'il n'a pas été tenu compte des difficultés apparues en 2020 et 2021 dans le suite de la crise sanitaire liée au Covid 19.
Ainsi, M. [S] [E] entend qu'il soit fait droit à sa demande tendant à la suspension de l'exécution provisoire du jugement dont appel.
En réponse, la SCP [8] représentée par Maître [P] [D] réplique que M. [S] [E] ne justifie pas de la nullité de la signification du jugement par le greffe de tribunal de commerce qui ne peut résulter de l'absence de mention relative aux modalités de la procédure de relèvement visées aux articles L653-11 et R653-4 du code de commerce et que le moyen de nullité tenant au non respect du principe du contradictoire ne peut être retenu dès lors que l'action a été diligentée sur assignation et que le procureur n'a pas à communiquer son avis pris oralement à l'audience, l'indication figurant au jugement concernant le rapport de l'article R653-1 du code de commerce étant une ' erreur de frappe' du tribunal.
Il indique en outre que M. [S] [E] ne peut contester la composition du passif social alors que la liste des créances antérieures est revêtue de l'autorité de la chose jugée à la suite du dépôt de l'état des créances et du défaut de recours dans le délai imparti, le tribunal n'étant pas tenu de déterminer la part de la faute dans le quantum retenu de l'insuffisance d'actif mis à la charge du dirigeant responsable sur le fondement de l'article L651-2 du code de commerce, même si la faute qu'il a commise n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif.
Ainsi, la SCP [8] représentée par Maître [P] [D] demande de débouter M. [S] [E] de toutes ses prétentions et de le condamner au paiement de la somme de 1800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Ministère Public auquel le dossier a été communiqué s'en rapporte à la décision à intervenir, cet avis ayant été porté à la connaissance des parties à l'audience, lors de laquelle les conseils se sont référés à leurs précédentes écritures auxquelles il est renvoyé pour l'exposé exhaustif des moyens de faits et de droit invoqués au soutien de leurs prétentions.
SUR CE
Sur la demande de suspension de l'exécution provisoire:
L'article R661-1du code de commerce dispose : ' Les jugements et ordonnances rendus en matière de mandat ad hoc, de conciliation, de sauvegarde, de redressement judiciaire, de rétablissement professionnel et de liquidation judiciaire sont exécutoires de plein droit à titre provisoire.
Toutefois, ne sont pas exécutoires de plein droit à titre provisoire les jugements et ordonnances rendus en application des articles L. 622-8, L. 626-22, du premier alinéa de l'article L. 642-20-1, de l'article L. 651-2, des articles L. 663-1 à L. 663-4 ainsi que les décisions prises sur le fondement de l'article L. 663-1-1 et les jugements qui prononcent la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8.
Les dispositions des articles 514-1 et 514-2 du code de procédure civile ne sont pas applicables.
Par dérogation aux dispositions de l'article 514-3 du code de procédure civile, le premier président de la cour d'appel, statuant en référé, ne peut arrêter l'exécution provisoire des décisions mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article que lorsque les moyens à l'appui de l'appel paraissent sérieux. L'exécution provisoire des décisions prises sur le fondement de l'article L. 663-1-1 peut être arrêtée, en outre, lorsque l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives. Dès le prononcé de la décision du premier président arrêtant l'exécution provisoire, le greffier de la cour d'appel en informe le greffier du tribunal.'
Par jugement en date du 7 juin 2023, le tribunal de commerce de Compiègne a ouvert la procédure de liquidation judiciaire de la société [9] dite [12] exerçant une activité de chauffage, plomberie, ventilation au lieu de son siège social situé [Adresse 2] à Lamorlaye (60260).
Ce même jugement a fixé la date de cessation des paiements au 1er septembre 2022 et désigné la SCP [8] en la personne de Maître [P] [D] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte en date du 8 octobre 2024, Maître [D] ès qualité de liquidateur judiciaire de la Sarl [12], a saisi le tribunal de commerce en vue de voir condamner M. [S] [E] au paiement de la somme de 837.419,55 euros sur le fondement de l'article L651-2 du code de commerce et prononcer à son encontre une mesure de faillite personnelle ou subsidiairement une interdiction de gérer.
M. [S] [E] n'était ni présent ni représenté de telle sorte que l'audience qui a donné lieu au jugement s'est tenu en son absence, le jugement du 26 février 2025 étant réputé contradictoire.
La SCP [8] prise en la personne de Maître [P] [D], souligne que le jugement a été notifié par le greffe le 5 mars 2025 et que M. [S] [E] a formé appel par déclaration en date du 22 avril 2025, alors que le délai d'appel et de 10 jours.
Or, la notification du jugement ne figure pas aux pièces produites étant rappelé que le premier président n'est pas juge de la recevabilité de l'appel, M. [S] [E] faisant observer que le liquidateur n'ignore pas qu'il existe une difficulté relativement à la notification du jugement par le greffe alors qu'il a lui même fait signifier le jugement du 26 février 2025 par acte de commissaire de justice en date du 14 avril 2025, l'appel ayant été reçu le 22 avril suivant au greffe de la cour.
L'article R662-1 du code de commerce prévoit qu'à moins qu'il n'en soit disposé autrement, les règles du code de procédure civile sont applicables dans les matières régies par le Livre VI du code de commerce et notamment l'article 15 qui dispose que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.
M. [S] [E] indique que n'ayant pas comparu devant le tribunal, ce dernier devait s'assurer du respect du principe du contradictoire et notamment de la communication préalable:
- de l'avis du procureur,
- du rapport établi en application de l'article R653-1 du code de commerce par la SCP [8] en la personne de Maître [P] [D].
Or, le procureur n'étant pas à l'initiative de la saisine du tribunal de commerce, son avis a été reçu oralement à l'audience à laquelle M. [S] [E] a été assigné dans les formes de l'article 656 et 658 du code de procédure civile, comme indiqué au jugement, M. [S] [E] n'invoquant pas la nullité de l'assignation dont il a normalement eu connaissance.
Par ailleurs, l'article R653-1 du code de commerce relatif à l'information donnée par les mandataires judiciaires au Ministère Public ou au juge commissaires relativement aux faits dont ils ont connaissance, ne peut justifier la nullité invoquée par M. [S] [E].
En effet, ce n'est que dans le cadre d'une mesure d'instruction facultative ordonnée par le tribunal en application de l'article L651-4 du code de commerce que l'article R651-15 impose que le rapport soit communiqué au parquet et déposé au greffe, ce dont le dirigeant mis en cause doit être informé au moins un mois avant l'audience afin de pouvoir le consulter.
En l'espèce, il ne ressort ni des pièces produites, ni de la procédure relatée au jugement qu'une telle mesure d'instuction a été ordonnée.
Ainsi, les moyens de nullité invoqués par M. [S] [E] ne sont pas sérieux.
Aux termes de l'article L651-2 du code de commerce: 'Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.'
Ainsi, le tribunal doit dire s'il existe une faute du dirigeant et démontrer qu'elle a contribué à l'insuffisance d'actif.
Le tribunal a relevé que M. [S] [E] a poursuivi une activité déficitaire tel que cela résulte des bilans des exercices clos les 31 décembre 2020, 31 décembre 2021 et 31 décembre 2022 et que l'administration fiscale a constaté le défaut de déclaration de TVA collectée et reversée pour un montant de 137.152 euros en 2020, 50.720 euros en 2021 et 52.780 euros en 2022, une majoration de 40% ayant été appliquée, la créance totale ayant été admise à titre définitif pour un montant de 357.684 euros, la société n'ayant pas en outre acquitté les charges dues à l'Urssaf pour un montant complémentaire de 62.196 euros.
Toutefois, M. [S] [E] fait justement observer que les éléments de la comptabilité qui ont permis au tribunal de statuer sont réguliers aucune faute n'étant caractérisée s'agissant de la tenue de ladit comptabilité par un expert comptable et que la période de poursuite de l'activité déficitaire s'inscrit dans les suites de la crise du Covid 19 avec une baisse drastique de chiffre d'affaire en 2021 et 2022.
Enfin, la sanction de la faillite personnelle est une possibilité pour le tribunal dans les cas prévus aux articles L653-3 et L653-5 du code de commerce notamment dans le cas de la poursuite d'une activité ne pouvant conduire qu'à la cessation des paiements, un intérêt personnel étant exigé dans ce cas s'agissant du dirigant d'une personne morale.
Or, en l'absence d'élément produit par la SCP [8] relativement au patrimoine de M. [S] [E], les conditions de mise en oeuvre de la faillite personnelle sont sérieusement contestées, M. [S] [E] faisant observer que les retraits qui lui sont reprochés en 2023 de l'ordre de 6000 euros, sont sans commune mesure avec les fonds qu'il a injectés dans la société en 2021 soit 103.490 euros.
Ainsi, les moyens de réformation du jugement sont établis qui justifient de faire droit à la demande de suspension de l'exécution provisoire.
Sur les frais et dépens
L'équité ne commande pas qu'il soit fait application en l'espèce de l'article 700 du code de procédure civile.
La demande ayant été formée dans l'intérêt de M. [S] [E], il y a lieu de dire qu'il supportera la charge des dépens de la présente instance en référé.
Par ces motifs,
Ordonnons la suspension de l'exécution provisoire du jugement du tribunal de commerce de Compiègne en date du 26 février 2025,
Disons n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile,
Disons que M. [S] [E] supportera la charge des dépens de la présente instance en référé.
A l'audience du 26 Juin 2025, l'ordonnance a été rendue par mise à disposition au Greffe et la minute a été signée par Mme Chantal MANTION, Présidente et Mme Diane VIDECOQ-TYRAN, Greffier.