CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 26 juin 2025, n° 25/00644
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Orpia Innovation (SAS)
Défendeur :
Gemmj (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidente :
Mollat
Conseillère :
Pelier-Tetreau, Tabourot
Avocats :
Dutreuilh, Akdar
Exposé des faits et de la procédure
La société par actions simplifiées Orpia Innovation, créée en 2018, exerce une activité de conception et intégration de nouvelles solutions de production et de distribution dans les produits biosourcés à travers le recyclage et la valorisation des coproduits de la noix de cajou, à destination principalement de la cosmétique, l'alimentation animale et la chimie.
Son président est M. [L] [O].
Elle est intégralement détenue par la société par actions simplifiées Orpia Group.
Sur assignation du 21 octobre 2024, délivrée selon les modalités prescrites à l'article 659 du code de procédure civile à la société débitrice, l'Urssaf a saisi le tribunal de commerce de Paris aux fins d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire et, subsidiairement, d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Orpia Innovation faisant valoir une créance de 134 810 14 euros dont 23 604 euros de parts ouvrières correspondant à des cotisations sociales, des majorations de retard, des pénalités et frais de justice au titre de la période courant du 1er mai 2022 au 30 juin 2024.
Par jugement réputé contradictoire du 12 décembre 2024, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Orpia Innovation, fixé la date de cessation des paiements au 26 septembre 2023, désigné la SAS GEMMJ, prise en la personne de Me [I] [G] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par déclaration du 19 décembre 2024, la société Orpia Innovation a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 11 mars 2025, Mme . la Délégataire du premier président de la cour d'appel de Paris a ordonné la suspension de l'exécution provisoire du jugement dont appel.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 juin 2025, la société Orpia Innovation demande à la cour d'appel de Paris de :
- Déclarer la société Orpia Innovation recevable en son appel, ses demandes, fins et conclusion ;
Et la disant bien fondée :
- Constater que le redressement de la société Orpia Innovation n'est pas manifestement impossible, et en conséquence ;
- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris, aujourd'hui dénommé tribunal des activités économiques, en date du 12 décembre 2024 ayant ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Orpia Innovation ;
Statuant à nouveau :
- Prononcer l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ;
En tout état de cause :
- Condamner l'Urssaf à payer à la société Orpia Innovation la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance et ses suites.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 2 mai 2025, la SAS GEMMJ ès-qualités demande à la cour d'appel de Paris de :
- Juger que la SAS GEMMJ, prise en la personne de Me [I] [G], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Orpia Innovation, recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Constater que la SAS GEMMJ, prise en la personne de Me [I] [G], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Orpia Innovation, s'en remet à justice sur la demande d'infirmation du jugement rendu par le tribunal des activités économiques (anciennement tribunal de commerce) de Paris le 12 décembre 2024, ainsi que sur la demande subséquente d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au profit de la société Orpia Innovation ;
- Condamner solidairement la SAS Orpia Innovation et l'Urssaf à régler à la SAS GEMMJ, prise en la personne de Me [I] [G], ès-qualités, la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
L'Urssaf, régulièrement touchée n'a pas constitué avocat.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 5 juin 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
La société Orpia Innovation demande que la procédure de liquidation soit convertie en redressement judiciaire. Au soutien de sa demande, elle fait valoir qu'elle sera en mesure de dégager, sur l'exercice 2025, un chiffre d'affaires prévisionnel de 118 917 euros ainsi qu'un résultat net positif de 218 240 euros en s'appuyant sur des comptes de résultat prévisionnels et le budget de trésorerie certifiés par son expert-comptable. De plus, elle affirme détenir des brevets évalués à la somme de 250 000 euros et que d'autres solutions brevetées sont en cours de développement et devraient pouvoir être commercialisées au cours de l'exercice 2025. Elle soutient disposer d'une somme de 31 826 73 euros sur son compte ouvert à la Caisse des dépôts et consignations et qu'elle attend différents versements d'une somme totale de 205 609 54 euros (solde du crédit impôt recherche : 132 975 54 euros ; solde du crédit d'impôt en faveur de la recherche collaborative 2023 et : 19 561 euros et 22 434 euros ; crédit de TVA : 30 639 euros) au cours des 6 prochains mois. Elle affirme qu'au 31 mai 2025, elle a réalisé un chiffre d'affaires de 26 520 euros et que, malgré un résultat comptable déficitaire, sa capacité d'autofinancement est positive et ressort à 12 449 euros. Elle dit avoir une lettre d'intention signée par la société Clover Energy et adressée le 5 février 2025 par laquelle cette dernière s'engage à acquérir une certaine quantité de produits auprès du groupe Orpia sur l'exercice 2025. De plus, elle prévoit la signature d'un contrat de licence qui lui permettra de percevoir des redevances mensuelles de sa société mère pour l'exploitation des brevets dont elle dispose.
S'agissant de son passif, la société Orpia Innovation opère une distinction. D'une part, elle soutient que son passif évalué et transmis au liquidateur s'élève à hauteur de 1 513 305 euros et inclut des créances obligataires et financières non exigibles au jour du prononcé de la liquidation judiciaire. D'autre part, elle considère que le passif déclaré, non vérifié à date et pour partie contesté s'élève à la somme de 1 845 790, 84 euros. Elle conteste notamment la créance détenue par l'Urssaf estimant qu'une erreur dans le calcul des cotisations dues aurait été commise si bien qu'aucune part salariale ne restait due de sorte que l'Urssaf aurait pu consentir des délais de paiement et éviter ainsi le préjudice d'une procédure collective.
La société GMMJ, ès-qualités, soutient que le résultat net positif de 218 000 euros anticipé par l'appelante sur 2025 ne reflète pas son activité réelle puisqu'il s'explique uniquement par l'enregistrement d'un crédit impôt de recherche de 216 000 euros venant en diminution de la charge d'impôts sur les bénéfices. Le résultat d'exploitation réel en 2025 serait en réalité de 2240 euros. De plus, la débitrice n'apporte pas la preuve que son prévisionnel de trésorerie fait apparaître une trésorerie positive de 97 000 euros au mois d'avril et 104 000 euros au mois de mai. À ce titre, elle n'a eu connaissance que d'un solde de préfinancement du crédit impôt de recherche 2023 de 61 866 73 euros contrairement à ce que le prévisionnel fait état à savoir un encaissement de 85 000 euros en février 2025 correspondant au solde crédit impôt recherche 2023 et de 18 000 en mars 2025 correspondant à un remboursement de TVA.
Le liquidateur souligne que le solde créditeur apparaissant sur son compte Caisse des dépôts et consignations est de 31 831 53 euros ne saurait être considéré comme des fonds disponibles pour financer l'éventuelle période d'observation. Elle affirme que ces fonds doivent être affectés au remboursement des créances bénéficiant du super privilège, dont le montant est de 26 591 56 euros, ainsi qu'au règlement des frais de justice.
S'agissant des sommes en attente de recouvrement, le liquidateur retient un montant total différent de celui retenu par l'appelante (234 000 euros contre 205 609 54 euros). En effet, l'intimée retient un crédit TVA différent de 59 000 contre 30 639 euros pour l'appelante. À ce propos, elle explique que l'appelante n'indique pas de date d'encaissement prévisionnel. De plus, le liquidateur souligne qu'aucune pièce permettant de s'assurer de la reprise de son activité n'est versée aux débats comme le protocole d'entente conclu avec la société Clover Energy ou encore des solutions brevetées en cours de développement, et donc, de sa pleine capacité à se redresser. Ainsi, il émet des réserves quant au bien-fondé des demandes de l'appelante et s'en remet à justice aussi bien sur la demande d'infirmation du jugement dont appel que sur la demande subséquente d'ouverture d'un redressement judiciaire.
Sur ce,
Selon l'article L. 640-1 du code de commerce, il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Orpia Innovation est en état de cessation des paiements.
Le passif déclaré au 28 avril 2025 auprès du mandataire judiciaire est de 2 004 111,56 euros, dont :
- 26 591,56 euros à titre superprivilégié (créance CGEA IDF Ouest) ;
- 372 037,13 euros à titre privilégié ;
- 1 503 001,94 euros à titre chirographaire.
Les opérations de passif n'ont pas encore été réalisées mais la société reconnaît en tout état de cause devoir la somme de 1 513 503 euros.
Son actif disponible constitué d'un solde créditeur sur le compte caisse des dépôts et consignations est de 31 831,53 euros.
Il en résulte que son état de cessation des paiements est manifeste.
S'agissant des perspectives de redressement judiciaire, le prévisionnel d'exploitation produit est décorrélé de la réalité puisqu'il fait ressortir pour la première fois de l'existence de la société un résultat net positif de 218 000 euros. Or, comme le souligne le liquidateur judiciaire, ce résultat net positif de 218 000 euros anticipé par la société ne reflète pas l'activité réelle, puisqu'il s'explique par l'enregistrement d'un crédit impôt recherche de 216 000 euros qui vient en diminution de la charge d'impôts sur les bénéfices. Il en résulte que le résultat d'exploitation réel pour 2025 serait de 2 240 euros et non de 218 000 euros.
Par ailleurs, le prévisionnel de trésorerie s'appuie sur une trésorerie positive de 97 000 euros au mois d'avril et à 104 000 euros au mois de mai 2025 sans que la société apporte la preuve de la disponibilité de ces fonds. Quant aux fonds sur le compte de la Caisse des dépôts, ils ne peuvent être utilisés pour financer une éventuelle période d'observation, puisqu'ils doivent être affectés en priorité au remboursement des créances bénéficiant du superprivilège. La société débitrice n'indique pas non plus de date d'encaissement prévisionnel s'agissant des créances à recouvrer pour 234 000 euros, ce qui affecte sa capacité d'autofinancement.
La cour relève également que la société indique recevoir ses premières commandes, avoir signé un protocole d'entente avec un important distributeur mondial, ou encore que d'autres solutions brevetées seraient en cours de développement et devraient pouvoir être commercialisées au cours de l'exercice 2025, sans néanmoins verser la moindre pièce pour justifier ses affirmations.
Par conséquent, au vu des seuls éléments produits, la société débitrice n'a pas la capacité de présenter un plan de redressement destiné à apurer le passif, dont le montant s'élève à plus de 2 millions d' euros. L'état de cessation des paiements étant caractérisé et aucune perspective de redressement n'étant démontrée, le jugement sera confirmé.
Sur les frais de procédure
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens.
Les dépens d'appel seront également passés en frais privilégiés de procédure collective.
L'équité commande à ce qu'aucune condamnation ne soit prononcée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, par arrêt contradictoire
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Paris du 12 décembre 2024 ;
Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ordonne l'emploi de dépens d'appel en frais privilégiés de la procédure collective