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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 26 juin 2025, n° 25/00689

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Garage (SARL)

Défendeur :

Asteren (SELARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mollat

Conseillers :

Pelier-Tetreau, Tabourot

Avocats :

SCP Brodu - Cicurel - Meynard - Gauthier - Marie, SCP Hyest et Associes

T. com. Bobigny, du 11 déc. 2024, n° 202…

11 décembre 2024

Exposé des faits et de la procédure

La société à responsabilité limitée Garage [C], créée le 8 avril 2016 et gérée par Mme [U] [F] épouse [O], exploite un fonds de commerce de réparation automobile, peinture ainsi que vente de véhicules neufs et d'occasion.

Le 21 mai 2024, la société a fait l'objet d'une inscription de privilège du Trésor Public pour un montant de 117 112 euros, ainsi qu'il ressort de l'état des privilèges et inscriptions arrêté le 3 juillet 2024.

Par acte du 14 novembre 2024 signifié par un procès-verbal délivré selon l'article 658 du code de procédure civile et convoqué par lettre simple à l'adresse de la gérante, le président du tribunal de commerce de Bobigny, à la requête de M. le procureur de la République, a fait citer à l'audience de chambre du conseil du 3 décembre 2024 la société Garage [C] afin de vérifier s'il y avait lieu d'ouvrir à son égard une procédure de redressement judiciaire ou, à titre subsidiaire, de liquidation judiciaire.

Lors de cette audience, la société Garage [C] n'était ni présente, ni représentée.

Par jugement réputé contradictoire du 11 décembre 2024, le tribunal a ouvert une procédure de liquidation judiciaire sans maintien de l'activité à l'égard de la société Garage [C], fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 13 mai 2024, nommé la SELARL Asteren, prise en la personne de Me [P] [G], en qualité de liquidateur judiciaire, et a dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire et les liquide.

Par déclaration du 19 décembre 2024, la société Garage [C] a interjeté appel de ce jugement, intimant ainsi la SELARL Asteren ès-qualités et M. le procureur général.

Par ordonnance du 1er avril 2025, Mme la délégataire du premier président de la cour d'appel de Paris a ordonné la suspension de l'exécution provisoire du jugement dont appel.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 juin 2025, la société Garage [C] demande à la cour d'appel de Paris de :

À titre principal,

Infirmer le jugement du 11 décembre 2024 en ce qu'il a :

Ouvert une procédure de liquidation judiciaire immédiate sans maintien de l'activité à l'égard de la société Garage [C] ;

Fixé au 11 décembre 2026 le délai au terme duquel le tribunal examinera la clôture de la procédure ;

Dit que la notification du présent jugement vaut convocation en vue de la clôture et a invité le greffier à aviser en lettre simple le débiteur de la date et heure de l'audience à cette fin ;

Nommé en qualité de mandataire liquidateur la SELARL Asteren prise en la personne de Me [P] [G] ;

Confié au liquidateur la mission de réaliser l'inventaire dans cette procédure ;

Fixé provisoirement au 13 mai 2024 la date de cessation des paiements motivée par date d'échéance du privilège du Trésor ;

Dit que la liste des créances devra être établie dans le délai de 15 mois à compter de la publication du présent jugement ;

Imparti aux créanciers pour la déclaration de leurs créances un délai de 2 mois à compter de la publication du présent jugement au BODACC ;

Dit que la publicité du présent jugement sera effectuée sans délai nonobstant toute voie de recours ;

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire et les liquide.

Statuant à nouveau,

Juger que la société Garage [C] n'est pas en état de cessation des paiements ;

Débouter le ministère public de sa requête tendant au prononcé de l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Garage [C] ;

A titre subsidiaire,

Ordonner l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Garage [C] ;

En tout état de cause,

Débouter la SELARL Asteren de l'ensemble de ses moyens, fins et prétentions ;

Réserver les dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 mai 2025, la SELARL Asteren, ès-qualités, demande à la cour d'appel de Paris de :

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Par avis notifié par voie électronique le 22 avril 2025, le ministère public sollicite l'infirmation de la décision et l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Garage [C] avec renvoi au tribunal de commerce pour désignation des organes de la procédure.

***

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 5 juin 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'état de cessation des paiements

La société Garage [C], conteste être en état de cessation de paiement. Elle soutient, s'agissant de son actif disponible, qu'elle réalisait un chiffre d'affaires s'élevant à 208 161 euros en 2021, 260 507 euros en 2022 et 327 203 euros en 2023, traduisant ainsi une croissance stable. S'agissant de l'année 2024, elle affirme que malgré la procédure de liquidation judiciaire et l'incapacité pour elle de fonctionner en fin d'année, son chiffre d'affaires s'élève à 308 650 euros avec un bénéfice de 5 387 euros. Par ailleurs, elle relève que le bilan du mois d'avril 2025 fait apparaître un bénéfice avant impôts de 4 749 euros témoignant d'une exploitation à nouveau rentable, et ce, malgré les frais fixes du premier trimestre 2025. S'agissant de son passif exigible, elle considère que la gestion de ses dettes démontre une tendance positive, et que les « emprunts et dettes financières » ont diminué de manière continue passant de 27 616 euros en 2021 à 18 716 euros en 2022 et 6 331 euros en 2023. S'agissant de l'année 2024, elle expose que le pré-bilan 2024 faisait état d'une dette quasiment réduite à néant et que le bilan révèle des « dettes fournisseurs et comptes rattachées » d'un montant de 58 133 euros qui sont principalement des dettes non échues.

La SELARL Asteren, ès-qualités, réplique que le passif exigible de la société Garage [C] antérieurement à l'ouverture de la procédure collective s'établit à la somme de 111 131 euros (Direction Générale des Finances Publiques : 3 158 euros, Pôle Recouvrement Spécialisé Seine Saint Denis : 103 191 66 euros, Autodistribution Bassin Parisien Nord : 4 569 72 euros, RRG : 211 62 euros) et que la société Garage [C] ne justifie pas détenir un actif disponible au moins égal à son passif exigible. Elle conclut que la société est en état de cessation des paiements.

Le ministère public considère qu'il ressort des éléments fournis par le liquidateur que le passif déclaré s'élève à 118 316 16 euros dont une créance fiscale de 103 191 66 euros déclarée à titre échu mais que la société Garage [C] reconnaît à tout le moins une créance exigible de minimum 75 000 euros. Dès lors, il avance que le passif exigible est d'un minimum de 75 000 euros. Il ajoute que la société Garage [C] ne fait état d'aucun actif disponible pour faire face au passif exigible, de sorte qu'elle se trouve en état de cessation des paiements.

Sur ce,

Aux termes de l'article L. 631-1 du code de commerce, la cessation des paiements est définie comme l'impossibilité pour le débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, cet état étant apprécié au jour où la juridiction statue.

En l'espèce, la société Garage [C] produit notamment, à l'appui de sa contestation s'agissant de l'état de cessation des paiements retenu par le tribunal, les liasses fiscales des exercices 2021, 2022, 2023 et 2024, sa situation financière au 30 avril 2025.

Il est observé à la lecture de ces pièces et des éléments produits par le liquidateur que le passif exigible de la société Garage [C] antérieurement à l'ouverture de la procédure collective s'établit à la somme de 106 561 euros (Direction Générale des Finances Publiques : 3 158 euros, Pôle Recouvrement Spécialisé Seine Saint Denis : 103 191 66 euros, RRG : 211 62 euros), tenant compte du paiement de la somme de 4 569,72 euros.

En contrepoint, la société Garage [C] ne justifie d'aucun actif disponible.

Il s'ensuit que l'état de cessation des paiements est caractérisé.

Sur l'impossibilité manifeste de redressement

La société Garage [C] soutient que l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à son égard est réaliste sur un plan comptable et financier, que le bilan comptable de l'exercice 2024 fait apparaître un excédent de 5 387 euros et un chiffre d'affaires de 308 650 euros, qu'elle a toujours honoré ses obligations sociales, à l'exception des échéances d'octobre et novembre 2024, dont le prélèvement a été suspendu en raison de l'ouverture de la liquidation judiciaire et reprend les moyens précédemment soulevés relatifs au montant de sa dette fiscale et à sa volonté de la régulariser, ajoutant s'agissant du dégrèvement que s'il lui était accordé pour les années 2020 à 2023, cela permettrait de ramener la durée d'un plan de remboursement à 18 mois au lieu de 24 ce qui renforce la crédibilité de la perspective d'un redressement. Elle conclut que le redressement n'est pas manifestement impossible et que l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire représenterait pour elle une réelle opportunité.

La SELARL Asteren, ès-qualités, soutient que lors des débats devant Mme la délégataire du premier président de la cour, la gérante a indiqué être en capacité de débloquer sous dix jours une somme de 10 000 à 15 000 euros pour financer la période d'observation mais qu'elle ne justifie pas détenir une telle somme. Elle conclut que la société Garage [C] ne produit aucun élément comptable ou financier de nature à démontrer que son redressement n'est pas manifestement impossible.

Le ministère public considère que les bilans produits par la société Garage [C], pour les exercices des années 2021 (209 975 euros de chiffres d'affaires, 32 704 euros de résultats d'exploitation et 7 222 euros de bénéfices) 2022 (268 934 euros de chiffres d'affaires, 12 263 euros de résultat d'exploitation et une perte de 2 391 euros) 2023 (317 464 euros de chiffres d'affaires, 12 689 euros de résultats d'exploitation et 7 278 euros de bénéfices) et 2024 ([pré-bilan] 317 464 euros de chiffres d'affaires, 868 euros de résultats d'exploitation et 877 euros de bénéfices) témoignent de la réalité de son activité et d'une amélioration de son chiffre d'affaires ainsi que de son résultat. Il énonce que le passif reste modéré et fait état de l'engagement, lors de la procédure de suspension de l'exécution provisoire, de débloquer une somme de 10 à 15 000 euros pour financer la période d'observation. Il conclut que le redressement n'est pas manifestement impossible.

Sur ce,

Selon l'article L. 640-1 du code de commerce, il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.

En l'espèce, la société débitrice sollicite l'adoption d'un plan de redressement.

La cour observe que le bilan comptable de l'exercice 2024 fait apparaître un excédent de 5 387 euros et un chiffre d'affaires de 308 650 euros, que la société a toujours honoré ses obligations sociales, à l'exception des échéances d'octobre et novembre 2024, dont le prélèvement a été suspendu en raison de l'ouverture de la liquidation judiciaire.

Il apparaît en outre, s'agissant de sa dette fiscale, que la débitrice a la volonté de la régulariser, dès lors qu'elle a procédé, dès le déblocage de ses comptes, à un virement de 20 000 euros au bénéfice du pôle recouvrement de la Banque de France, outre la mise en place d'un virement permanent de 3 500 euros avec exécution en fin de mois, dans le cadre d'un échéancier accepté par le SIE de [Localité 9], le premier virement étant déjà intervenu.

Par ailleurs, la société Garage [C] a engagé une demande de dégrèvement de la cotisation foncière des entreprises (CFE) au titre des années 2020 à 2023 pour un montant de 15 201 euros, en raison de l'incendie ayant gravement endommagé ses locaux situés à [Localité 9], désormais inexploitables. Ce dégrèvement, s'il est accordé, permettrait de diminuer la durée du plan envisagé, ce qui conforte la perspective d'un redressement.

Il résulte de ces constatations que la société Garage [C] peut envisager de présenter un plan de continuation à l'issue d'une période d'observation, de sorte que son redressement n'est pas manifestement impossible.

Aussi, convient-il d'infirmer le jugement en ce qu'il a ouvert une procédure de liquidation judiciaire et, statuant à nouveau, de :

- Ouvrir une procédure de redressement judiciaire,

- Maintenir la date de cessation des paiements,

- Désigner la SELARL Asteren en la personne de Me [V] [G], mandataire judiciaire et

- Renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce pour la suite de la procédure.

Sur les frais du procès

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens.

Les dépens d'appel seront également passés en frais privilégiés de procédure collective.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en ses dispositions frappées d'appel ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Ouvre une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SARL Garage [C] immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de Bobigny sous le numéro 820 611 531, dont le siège social est [Adresse 4] ;

Maintient la date de cessation des paiements au 13 mai 2024 ;

Désigne la SELARL Asteren en la personne de Me [V] [G], mandataire judiciaire ;

Renvoie l'affaire devant le tribunal de commerce pour la suite de la procédure ;

Dit que les dépens seront passés en frais privilégiés de procédure collective.

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