CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 26 juin 2025, n° 25/01324
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Au Pain Gaulois (SARL)
Défendeur :
MJC2A (SELARL), URSSAF
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hébert-Pageot
Conseillers :
Mme Lacheze, M. Varichon
Avocats :
Me Schwab, Me Mialet, Me Andrez, Me Przyborowski
FAITS ET PROCÉDURE
La société à responsabilité limitée Au Pain Gaulois exerce depuis 2014 une activité de boulangerie-pâtisserie dans un local situé à [Localité 12] (91) ainsi que sur des emplacements de marché.
Par jugement réputé contradictoire du 30 décembre 2024, le tribunal de commerce d'Evry, statuant sur assignation de l'URSSAF qui se prévalait d'une créance de cotisations sociales impayées de 41.760,54 euros, a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Au Pain Gaulois, fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 30 juin 2023 au regard de l'ancienneté des créances de l'URSSAF et désigné la société MJC2A représentée par Maître [P] en qualité de mandataire liquidateur.
Le 9 janvier 2025, la société Au Pain Gaulois a relevé appel de cette décision en intimant le ministère public, l'URSSAF et la société MJC2A ès qualités.
L'appelant a saisi le premier président d'une requête aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement dont appel et, parallèlement, a sollicité du tribunal de commerce d'Evry qu'il l'autorise à poursuivre son activité pour une durée de six mois en application de l'article L. 641-10 du code de commerce.
Par jugement du 3 février 2025, le tribunal de commerce a autorisé la poursuite de l'activité de la société Au Pain Gaulois jusqu'au 3 mai 2025 et a désigné la société [J] Polge [N] en la personne de Maître [N] en qualité d'administrateur judiciaire.
Par ordonnance du 3 avril 2025, le premier président a arrêté l'exécution provisoire du jugement dont appel.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 19 mars 2025, la société Au Pain Gaulois et la société [J] Polge [N] ès qualités demandent à la cour de:
- juger recevable l'intervention volontaire de la société [J] Polge [N] en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Au Pain Gaulois,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce d'Évry du 30 décembre 2024 en toutes ses dispositions,
- statuant à nouveau,
- ouvrir au profit de la société Au Pain Gaulois une procédure de redressement judiciaire et maintenir les organes de la procédure.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 5 mai 2025 , la société MJC2A ès qualités demande à la cour de:
- confirmer le jugement rendu le 30 décembre 2024 par le tribunal de commerce d'Evry en ce qu'il a constaté l'état de cessation des paiements de la société Au Pain Gaulois et fixé la date de cessation des paiements au 30 juin 2023,
- l'infirmer en ce qu'il a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Au Pain Gaulois,
Et, le réformant,
- Ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Au Pain Gaulois,
- maintenir M. [E] [M] en qualité de juge commissaire et M. [Z] [X] en qualité de juge commissaire suppléant,
- maintenir la société [J] Polge [N] en la personne de Maître [H] [N] [S] en qualité d'administrateur judiciaire et la société MJC2A, en la personne de Maître [L] [P], en qualité de mandataire judiciaire,
- ordonner la prise en charge par la société Au Pain Gaulois du droit fixe et de l'émolument revenant au liquidateur judiciaire en application des articles R.663-18, A.663-18 et R.663-34 du code de commerce,
- employer les dépens en frais privilégiés de la procédure collective.
La déclaration d'appel a été signifiée au ministère public et à l'URSSAF par actes datés respectivement des 28 et 27 janvier 2025.
Le ministère public n'a pas fait connaître son avis dans cette procédure et l'URSSAF n'a pas constitué avocat.
Le 21 mars 2025, la société Au Pain Gaulois et la société [J] Polge [N] ès qualités ont fait assigner le ministère public et à l'URSSAF devant la cour d'appel de Paris en vue de l'audience du 27 mai 2025, cet acte comportant par ailleurs signification de leurs conclusions précitées du 19 mars 2025.
L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 27 mai 2025.
SUR CE
A titre liminaire, il convient de dire recevable l'intervention volontaire de la société [J] Polge [N] ès qualités d'administrateur judiciaire de la société Au Pain Gaulois.
Sur la demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire
A l'appui de leur demande, la société Au Pain Gaulois et la société [J] Polge [N] ès qualités font valoir que l'entreprise a rencontré des difficultés pour payer les cotisations de l'URSSAF à la suite de la période de pandémie de Covid-19; que sa situation n'est toutefois pas irrémédiablement compromise; qu'ainsi, son bilan 2023 présente un excédent de 25.506 euros; que ses comptes bancaires sont demeurés créditeurs tout au long de l'année 2024.
La société MJC2A ès qualités expose que la société Au Pain Gaulois est en état de cessation des paiements mais que son redressement apparaît pouvoir être envisagé dans la mesure où elle poursuit son activité et a dégagé un résultat bénéficiaire en 2023; que dans ces conditions, elle ne s'oppose pas à la demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire.
Aux termes de l'article L. 640-1 du code de commerce, il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.
L'article L. 631-1 du code de commerce définit la cessation des paiements comme l'impossibilité pour le débiteur de faire face au passif exigible avec son actif disponible. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.
La preuve de l'état de cessation des paiements doit être rapportée par celui qui demande l'ouverture de la procédure alors que la preuve de l'existence de réserves de crédit ou de moratoires lui permettant de faire face à son passif exigible incombe au débiteur.
En cas d'appel, l'état de cessation des paiements s'apprécie au jour où la cour statue.
Sur l'état de cessation de paiements
Il ressort de l'état du passif produit par la société MJC2A ès qualités que le montant total des créances déclarées au passif de la société Au Pain Gaulois s'élève à la somme de 120.404,89 euros, dont 87.668,89 euros de passif déclaré à titre définitif, essentiellement constitué de créances de l'URSSAF à hauteur de 45.399,01 euros.
Face à ce passif exigible, la société Au Pain Gaulois ne dispose pour seul actif disponible que d'une somme de 23.092,14 euros correspond au solde créditeur de ses deux comptes bancaires.
La société Au Pain Gaulois se trouve par conséquent en état de cessation des paiements et relève d'une procédure collective, ce que l'intéressée ne conteste pas au demeurant.
Sur la demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire
L'examen des comptes 2023 de la société Au Pain Gaulois dressés par son expert-comptable révèle un chiffre d'affaires de 367.397 euros et un résultat net positif de 25.506 euros.
Il ressort de l'état descriptif et estimatif des actifs de la société Au Pain Gaulois établi le 4 février 2025 par le commissaire-priseur que l'entreprise, qui a poursuivi son activité jusqu'à ce jour, a conservé ses moyens matériels de production, notamment ses fours. Par ailleurs, elle emploie toujours quatre salariés. Elle demeure ainsi en capacité de générer un revenu.
En outre, elle dispose, pour financer son activité, de la trésorerie disponible sur ses deux comptes bancaires, d'un montant de 23.092,14 euros selon les indications de la société MJC2A ès qualités.
Au vu de ces éléments et compte tenu du montant du passif exigible, le redressement de la société Au Pain Gaulois n'apparaît pas manifestement impossible.
Il convient donc d'infirmer le jugement en ce qu'il a ouvert une procédure de liquidation judiciaire et, statuant à nouveau, d'ouvrir un redressement judiciaire.
Sur la date de cessation de paiements
Au vu de l'ancienneté des créances de l'URSSAF ayant donné lieu à l'ouverture de la procédure collective, qui portent sur des cotisations exigibles sur une période courant de février 2020 à juillet 2022, et de la signification d'une contrainte par l'organisme le 16 mars 2023, la date de cessation des paiements sera fixée au 24 décembre 2023.
Sur les dépens
Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
En application des articles R. 663-19 et A663-19 du code de commerce, le liquidateur a droit à l'émolument prévu par l'article A663-19 attaché au jugement d'ouverture, ce droit lui restant acquis malgré l'infirmation du jugement. Il convient donc d'accueillir la demande de la société MJC2A ès qualités et de dire que l'émolument lui revenant sera pris en charge par la société Au Pain Gaulois.
PAR CES MOTIFS
Dit recevable l'intervention volontaire de la société [J] Polge [N] ès qualités d'administrateur judiciaire de la société Au Pain Gaulois,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant nouveau,
Ouvre une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Au Pain Gaulois, immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Evry sous le numéro 801 867 912, dont le siège social est [Adresse 4] (91),
Ouvre une période d'observation de six mois à compter du présent arrêt,
Désigne la société [J] Polge [N], prise en la personne de Maître [N], en qualité d'administrateur judiciaire avec mission d'assistance,
Désigne la société MJC2A, prise en la personne de Maître [P], en qualité de mandataire judiciaire,
Fixe la date de la cessation des paiements au 24 décembre 2023,
Invite les délégués du personnel ou les salariés s'il en existe à désigner un représentant dans les conditions prévues par les articles L. 621-4 et L. 621-6 du code de commerce et à en communiquer le nom et l'adresse au greffe du tribunal de commerce d'Evry,
Fixe à huit mois à compter du présent arrêt le délai de dépôt, par le mandataire judiciaire, de la liste des créances mentionnée à l'article L. 624-1 du code de commerce,
Renvoie l'affaire devant le tribunal d'Evry pour la poursuite de la procédure et la désignation du juge-commissaire,
Rappelle que le greffe du tribunal de commerce d'Evry devra procéder aux mentions et publicités prévues par la loi,
Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective,
Dit que l'émolument dû à la société MJC2A, ès qualités de liquidateur de la société Au Pain Gaulois, en application des articles R. 663-19 et A663-19 du code de commerce, sera pris en charge par la société Au Pain Gaulois.