CA Caen, 2e ch. civ., 26 juin 2025, n° 24/00266
CAEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel de Normandie (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Emily
Conseillers :
Mme Courtade, M. Gouarin
Avocats :
Me Arin, Me Delcourt
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS
Selon acte sous signature privée du 23 avril 2011, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie (la banque) a consenti à la SARL [Y] ayant une activité de travaux agricoles et d'abattage de bois un prêt de trésorerie n°00159186746 d'un montant de 140.000 euros, au taux d'intérêt de 4,9 % l'an, remboursable sur une période de quatre-vingt-quatre mois.
Par le même acte, M. [Z] [Y], gérant de la société éponyme, s'est porté caution solidaire du remboursement de ce prêt à hauteur de la somme maximale de 182.000 euros en principal, intérêts et, le cas échéant, intérêts de retard.
Par acte sous signature privée du 6 juin 2012, la banque a consenti à la société [Y] un second prêt n°00168044310 d'un montant de 23.000 euros, au taux d'intérêt de 3,6 % l'an, remboursable en dix-huit mois et destiné à financer l'acquisition de matériel.
Suivant le même acte, M. [Y] s'est porté caution solidaire du remboursement de ce prêt dans la limite de la somme de 29.900 euros en principal, intérêts et, le cas échéant, intérêts de retard.
Le 19 juillet 2016, la société [Y] a été mise en redressement judiciaire, converti en liquidation judiciaire le 14 novembre 2017, Me [F] [M] étant désigné liquidateur.
Le 29 août 2016, la banque a déclaré ses créances auprès des organes de la procédure collective.
Le même jour, la banque a informé la caution du placement en redressement judiciaire du débiteur principal puis, le 9 janvier 2018, de son placement en liquidation judiciaire.
Par ordonnance du 10 mars 2017, le juge-commissaire a admis au passif de la société [Y] les créances de la banque pour les sommes de 51.087,23 euros outre les intérêts de retard au taux de 5,9 % à compter du 19 juillet 2017 jusqu'à parfait paiement au titre du prêt n°00159186746 et de 9.690,63 euros outre les intérêts au taux de 4,6 % à compter du 19 juillet 2017 jusqu'à parfait paiement au titre du prêt n°00168044310.
Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception des 14 décembre 2019 et 28 avril 2021, la banque a mis en demeure la caution de lui payer les sommes dues par le débiteur principal au titre des deux prêts en cause.
Le 28 janvier 2022, la banque a assigné la caution devant le tribunal de commerce de Coutances aux fins, notamment, de voir condamner celle-ci au paiement des sommes de 37.771,03 euros avec intérêts de retard au taux de 7,90 % l'an à compter du 28 avril 2021 jusqu'à parfait paiement au titre du prêt n°00159186746 et de 5.828,85 euros avec intérêts de retard au taux de 8,60 % l'an à compter du 28 avril 2021 jusqu'à parfait paiement.
Par jugement du 22 décembre 2023, le tribunal de commerce de Coutances a :
- déclaré recevable et bien fondée l'action de la banque,
- débouté M. [Y] de toutes ses demandes,
- condamné celui-ci à payer à la banque les sommes suivantes :
* 27.973,88 euros avec intérêts au taux de 7,90 % jusqu'à parfait paiement à compter du 28 avril 2021 au titre du prêt n°00159186746,
* 1.170,72 euros au titre des intérêts normaux échus du prêt n°00159186746,
* 1.958,17 euros au titre de l'indemnité forfaitaire du prêt n°00159186746,
* 4.930,98 euros avec intérêts au taux de 8,60 % à compter du 28 avril 2021 jusqu'à parfait paiement au titre du prêt n°00168044310,
* 44,81 euros au titre des intérêts normaux échus du prêt n°00168044310,
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- condamné M. [Y] à payer à la banque la somme de 1.500 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux dépens comprenant les frais de greffe liquidés à la somme de 69,59 euros TTC.
Selon déclaration du 2 février 2024, M. [Y] a relevé appel de cette décision.
Par dernières conclusions du 30 avril 2024, l'appelant demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué, statuant à nouveau, de déclarer irrecevable et mal fondée l'action de la banque, de débouter celle-ci de toutes ses demandes et de condamner l'intimée à lui verser la somme de 4.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens.
Par dernières conclusions du 9 juillet 2024, la banque demande à la cour de confirmer le jugement attaqué, de débouter l'appelant de toutes ses prétentions et de condamner celui-ci au paiement de la somme de 2.500 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens.
La mise en état a été clôturée le 26 mars 2025.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il est référé aux dernières écritures des parties.
MOTIFS
A titre liminaire, il est relevé que l'appelant conclut à l'irrecevabilité des demandes formées par la banque sans toutefois articuler aucun moyen de fait ou de droit à l'appui de cette prétention dans les motifs de ses dernières conclusions et que l'appelant soutient que la production par la banque de ses relevés bancaires et de ceux de sa compagne viole le secret bancaire sans toutefois en tirer de conséquences juridiques faute de demander que ces pièces soient écartées des débats au dispositif de ses dernières conclusions, qui seul saisit la cour.
Il ne sera donc pas statué de ces chefs dont la cour n'est pas saisie.
1. Sur le soutien abusif de la banque
Selon l'article L. 650-1 du code de commerce, lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.
Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ces concours peuvent être annulées ou réduites par le juge.
Au visa des articles 2313 du code civil dans ses dispositions antérieures à l'ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 et de L. 650-1 du code de commerce, l'appelant fait grief au tribunal d'avoir rejeté ses demandes fondées sur le soutien abusif apporté par la banque au débiteur principal, alors qu'il n'existe pas deux conditions cumulatives à l'application de l'article L. 650-1 du code de commerce, que la responsabilité de la banque pour soutien abusif peut être retenue au cas où les garanties prises en contrepartie de cet encours sont disproportionnées à ceux-ci, que les deux prêts litigieux ont été consentis «sans véritable étude de la situation économique' tandis que le résultat de la société [Y] était déficitaire de 150.681 euros au 31 octobre 2010, de 129.777 euros au 31 octobre 2011 et de 181.370 euros au 31 octobre 2012 et que les cautionnements souscrits étaient disproportionnés à ses revenus et à son patrimoine.
Cependant, il résulte des dispositions précitées que celles-ci ne peuvent trouver application que lorsque les concours consentis sont en eux-mêmes fautifs (Com., 27 mars 2012, n°10-20.077).
En l'espèce, les prêts en cause ne sauraient être considérés comme fautifs dès lors, d'une part, qu'ils étaient destinés pour l'un à la reconstitution d'une trésorerie, pour l'autre au financement de l'acquisition d'un bec à maïs en rapport direct avec l'activité de travaux agricoles et d'abattage de bois de la société empruntrice, d'autre part, que la charge de remboursement de ces prêts n'excédait pas les capacités de remboursement de celle-ci, les mensualités des deux prêts ayant été réglées depuis leur octroi en 2011 et 2012 jusqu'à l'ouverture de la procédure collective en 2016.
Par ailleurs, comme l'a justement retenu le tribunal, les cautionnements souscrits en garantie des prêts litigieux n'étaient pas disproportionnés en ce qu'ils couvraient le montant du principal, des intérêts et, le cas échéant, des intérêts de retard et qu'aucune autre garantie n'avait été consentie en garantie de ces prêts.
Le rejet du moyen tiré du soutien bancaire abusif sera donc confirmé.
2. Sur le manquement de la banque à son devoir de conseil et de mise en garde
L'appelant fait grief au tribunal d'avoir rejeté ses demandes au titre du manquement de la banque à son devoir de conseil et de mise en garde envers le débiteur principal, alors que le gérant de la société débitrice principale était un profane comme ne possédant aucune compétence en matière financière, la gestion de cette société ayant fait l'objet d'une location-gérance, que les prêts en cause ont été consentis « sans véritable étude de la situation économique» et que le résultat de la société débitrice principale était déficitaire.
Cependant, comme le soutient à juste titre l'intimée, l'appelant demande dans les motifs de ses dernières conclusions (page 7) à titre principal le rejet des demandes en paiement de la banque et, à titre subsidiaire, la condamnation de cette dernière à lui payer à titre de dommages-intérêts une somme équivalente à celle réclamée par celle-ci sans former de prétention indemnitaire au dispositif de ses dernières conclusions qui seul saisit la cour, alors que le manquement de la banque à son devoir de conseil ou de mise en garde n'est sanctionné par les dispositions applicables en l'espèce que par l'allocation de dommages-intérêts.
Il convient donc de constater que la cour n'est pas saisie de prétention de ce chef.
3. Sur le caractère disproportionné des cautionnements
Aux termes de l'article L 341-4 ancien du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Il incombe à la caution de rapporter la preuve de la disproportion, qui doit être manifeste, lors de la souscription de son engagement, et si celle-ci est démontrée, au créancier d'établir que le patrimoine de la caution lui permet de faire face à ses engagements lorsqu'elle est appelée.
La disproportion manifeste du cautionnement s'apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l'obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci, mais au montant de son propre engagement.
La banque n'est pas tenue de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement.
S'agissant du cautionnement d'un montant de 182.000 euros souscrit le 23 avril 2011, il ressort des pièces produites que M. [Y] a perçu des revenus d'un montant annuel de 14.461 euros pour l'année 2011, que les terrains dont il était propriétaire avaient été vendus le 20 avril 2011 au prix de 12.365,52 euros, qu'il détenait la moitié des parts de la SCI La Jossais propriétaire d'un bien immobilier évalué à la somme de 115.000 euros au 14 juin 2021 ainsi que des parts sociales de la société [Y] dont le résultat était déficitaire de 129.777 euros au 31 octobre 2011.
Ainsi, comme l'a exactement retenu le tribunal, cet engagement de cautionnement était manifestement disproportionné par rapport aux biens et revenus de M. [Y] à la date de sa souscription.
Il en est de même à la date à laquelle la caution a été appelée, soit le 28 janvier 2022 date de l'assignation en paiement, dès lors que les revenus annuels de la caution s'élevaient à la somme de 13.207 euros pour l'année 2021, que la société [Y] dont la caution détenait des parts a été liquidée le 14 novembre 2017, qu'aux charges de M. [Y] doit être ajouté l'engagement de cautionnement d'un montant de 29.900 euros souscrit le 6 juin 2012 et que, pour apprécier la disproportion du cautionnement à la date à laquelle la caution est appelée, doit être pris en considération l'engagement d'un montant initial de 182.000 euros et non le montant réclamé aux termes de l'assignation en paiement, à savoir la somme de 37.771,03 euros avec intérêts de retard au taux de 7,90 % l'an à compter du 28 avril 2021.
En effet, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, la disproportion manifeste du cautionnement s'apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l'obligation garantie selon les modalités de paiement propres à celle-ci, c'est-à-dire aux mensualités des prêts, mais au montant de son propre engagement (Com., 9 octobre 2019, no18-16.798 ; Com., 11 mars 2020, no18-25.390).
S'agissant du cautionnement d'un montant de 29.900 euros souscrit le 6 juin 2012, il ressort des pièces produites que M. [Y] a perçu des revenus d'un montant annuel de 14.957 euros pour l'année 2012, que les terrains dont il était propriétaire avaient été vendus le 20 avril 2011 au prix de 12.365,52 euros, qu'il détenait la moitié des parts de la SCI La Jossais propriétaire d'un bien immobilier évalué à la somme de 115.000 euros au 14 juin 2021 ainsi que des parts sociales de la société [Y] dont le résultat était déficitaire de 181 370 euros au 31 octobre 2012. Au titre des charges de la caution, il y a lieu de retenir l'engagement de cautionnement d'un montant de 182.000 euros souscrit antérieurement, le 23 avril 2011.
Ainsi, comme l'a exactement retenu le tribunal, cet engagement de cautionnement était manifestement disproportionné par rapport aux biens et revenus de M. [Y] à la date de sa souscription.
Il en est de même à la date à laquelle la caution a été appelée, soit le 28 janvier 2022 date de l'assignation en paiement, dès lors que les revenus annuels de la caution s'élevaient à la somme de 13.207 euros pour l'année 2021, que la société [Y] dont la caution détenait des parts a été liquidée le 14 novembre 2017, que les charges de M. [Y] comprennent les engagements de cautionnement de 182.000 euros et 29.900 euros souscrits en 2011 et 2012 et que, pour apprécier la disproportion du cautionnement à la date à laquelle la caution est appelée, doit être pris en considération l'engagement d'un montant initial de 182.000 euros et non le montant réclamé aux termes de l'assignation en paiement, à savoir la somme de 5.828,85 euros avec intérêts de retard au taux de 8,60 % l'an à compter du 28 avril 2021.
En effet, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, la disproportion manifeste du cautionnement s'apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l'obligation garantie selon les modalités de paiement propres à celle-ci, c'est-à-dire aux mensualités des prêts, mais au montant de son propre engagement.
Le jugement entrepris sera donc infirmé et, la cour statuant à nouveau, il sera dit que la banque ne peut se prévaloir des engagements de cautionnement souscrits par M. [Y] les 23 avril 2011 et 6 juin 2012.
4. Sur les demandes accessoires
Au regard de la solution donnée au litige, les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance seront infirmées.
La banque, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, déboutée de sa demande d'indemnité de procédure et condamnée à payer à M. [Z] [Y] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Constate que la cour n'est saisie par l'appelant d'aucune prétention au titre du manquement de la banque à son devoir de conseil ou de mise en garde envers le débiteur principal ;
Infirme le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie ne peut se prévaloir des engagements de cautionnement souscrits par M. [Y] les 23 avril 2011 et 6 juin 2012 ;
Rejette toutes les demandes formées par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie à l'encontre de M. [Z] [Y] ;
Condamne la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie aux dépens de première instance et d'appel et à payer à M. [Z] [Y] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.