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Décisions

CA Angers, ch. a - com., 1 juillet 2025, n° 24/01265

ANGERS

Arrêt

Autre

CA Angers n° 24/01265

1 juillet 2025

COUR D'APPEL

D'[Localité 7]

CHAMBRE A - COMMERCIALE

CC/ILAF

ARRET N°:

AFFAIRE N° RG 24/01265 - N° Portalis DBVP-V-B7I-FLBI

jugement du 18 Juin 2024

Tribunal de Commerce d'ANGERS

n° d'inscription au RG de première instance 24/000996

ARRET DU 01 JUILLET 2025

APPELANT :

Monsieur [U] [V], en qualité de gérant de la SARL [9]

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représenté par Me Aline CHARLES, avocat au barreau d'ANGERS

INTIMEE :

S.E.L.A.R.L. [I] [G], représentée par Maître [I] [G], mandataire judiciaire, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL'[9]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Antoine BARRET de la SCP BARRET & MENANTEAU - AVOCATS & CONSEILS, avocat au barreau d'ANGERS

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 29 Avril 2025 à 14'H'00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme CORBEL, présidente de chambre et devant M. CHAPPERT, conseiller qui a été préalablement entendue en son rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme CORBEL, présidente de chambre

M. CHAPPERT, conseiller

Mme GANDAIS, conseillère

Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS

Ministère Public : L'affaire a été communiquée au ministère public qui a fait connaître son avis.

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 01 juillet 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

~~~~

FAITS ET PROCÉDURE :

La SARL [9] a été immatriculée le 1er juillet 2004. Elle a exercé une activité de vente de biens immobiliers et M. [U] [V] en a été son gérant.

La société a exercé son activité dans des locaux situés au [Adresse 2] à Angers (Maine-et-Loire), qui lui ont été donnés à bail commercial par M. [L] [R] et Mme [J] [O], son épouse, par un contrat du 20 novembre 2006, modifié par un avenant du 14 décembre 2006 (lots n° 2, n° 28 et n° 44) ainsi que par la SCI [11], dont M. [V] est également le gérant, par un contrat du 20 décembre 2011 (lots n° 1, n° 29 et n° 43). Elle a également exercé son activité dans des locaux situés au [Adresse 4] à Angers (Maine-et-Loire) qui lui ont été donnés à bail commercial par la SCI [11] par un contrat du 20 décembre 2011.

Dans le cadre de son activité, la SARL [9] a conclu plusieurs mandats d'agents commerciaux, notamment avec M. [A] [N], Mme [X] [P], Mme [T] [S] et M. [M] [C].

M. [V] explique avoir découvert des pratiques déloyales de la part de M. [N] mais que celui-ci a dénoncé son contrat d'agent commercial dès une lettre du 26 août 2018, avant même que la SARL [9] ait eu le temps de procéder elle-même à la rupture. Il explique également que M. [N] a incité les autres agents commerciaux à mettre fin à leurs contrats pour rejoindre un concurrent, en violation de la clause de non-concurrence. C'est ainsi que M. [C] a notifié son intention de rompre son contrat par une lettre du 23 août 2018 et que Mme [S] a fait de même par une lettre du 18 janvier 2019, laissant au final M. [V] seul pour gérer les deux agences. M. [V] explique qu'en conséquence d'un épuisement professionnel, il a dû être placé en arrêt de travail à compter du 18 février 2019 et avoir alors dû mettre l'activité de la SARL [9] en sommeil, pour finalement devoir être reconnu en invalidité.

****

Litiges avec M. [N] et Mme [P]

Le 4 janvier 2019, M. [N] a fait assigner la SARL [9] devant le juge des référés du tribunal de commerce d'Angers, pour obtenir une provision sur des commissions qu'il affirmait ne pas lui avoir été versées. Le juge des référés du tribunal de commerce, par une ordonnance du 9 avril 2019, a'condamné la SARL [9] au versement d'une provision de 16 600'euros mais dont le montant a été réduit à 7 160 euros seulement par un arrêt de la cour d'appel d'Angers du 18 mai 2021, lequel a par ailleurs rejeté la demande reconventionnelle de la société tendant à condamner M. [N] à lui verser une somme de 13 124,99 euros, en raison de l'existence d'une difficulté sérieuse.

Le 2 mars 2020, Mme [P] a fait assigner la SARL [9] devant le tribunal de commerce d'Angers, en indemnisation d'une rupture abusive de son contrat d'agent commercial. L'assignation a été délivrée dans les conditions de l'article 659 du code de procédure civile et la SARL [14] n'a pas été représentée à l'audience. Par un jugement du 24 juin 2020, le tribunal de commerce d'Angers a condamné la SARL [9] au paiement d'une indemnité compensatrice de rupture de 143 991,97 euros et d'une indemnité compensatrice de préavis de 17 999 euros, outre les intérêts de retard au taux légal, les dépens et une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles. Le'jugement a été signifié par un acte du 11 août 2020, également délivré dans les conditions de l'article 659 du code de procédure civile.

****

La cession du droit au bail et la résiliation du bail commercial

Par un acte authentique du 24 avril 2020, la SARL [9] a cédé à [12] son droit au bail sur les lots dont elle était locataire auprès de M. et Mme [R] et de certains des lots dont elle était locataire auprès de la SCI [11] dans l'immeuble du [Adresse 2] à Angers (Maine-et-Loire), pour un prix de 70 000 euros.

Par un acte sous seing privé du 27 avril 2020, la SCI [11] et la SARL [9] sont convenues de mettre fin au bail commercial du 20'décembre 2011 et que les loyers en retard seraient réglés grâce au prix de la cession du droit au bail des locaux du [Adresse 2] à Angers (Maine-et-Loire).

C'est ainsi que, le 28 avril 2020, la SARL [14] a effectué cinq virements au profit de la SCI [11], représentant un montant total de 70 000 euros.

****

Procédure collective de la SARL [14]

Mme [P] a fait assigner la SARL [9], devant le tribunal de commerce d'Angers aux fins de voir constater son état de cessation des paiements et d'ouvrir une procédure de liquidation judiciaire. L'assignation du 28'décembre 2020 a été délivrée dans les conditions de l'article 659 du code de procédure civile et la SARL [9] n'a pas été représentée à l'audience.

Par un jugement du 27 janvier 2021, le tribunal de commerce d'Angers a ainsi ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la SARL [9], en fixant la date de la cessation des paiements au 11 août 2020 et en désignant la SELARL [I] [G], prise en la personne de M. [I] [G], en qualité de liquidateur judiciaire. Ce jugement a été signifié le 17 février 2021 à la personne de la SARL [9].

Les créances de M. [N] et de Mme [P] à l'égard de la SARL [9] ont été inscrites au passif pour les sommes de 10 202,76 euros et 172 242,44 euros respectivement.

C'est dans ces circonstances que la SELARL [I] [G], ès qualités, a fait assigner M. [V] en responsabilité devant le tribunal de commerce d'Angers par un acte de commissaire de justice du 22 janvier 2024, sur le fondement des articles L. 651-2, L. 653-4 et L. 653-8 du code de commerce.

Par un jugement du 18 juin 2024, le tribunal de commerce d'Angers a :

- dit la SELARL [I] [G], ès qualités, recevable en son action,

- constaté que l'insuffisance d'actif s'élève à un montant de 205 517,72 euros,

- dit que M. [V] a fait ainsi preuve de mauvaise foi, a agi sciemment pour conduire volontairement la société à la cessation des paiements, qu'il a eu un comportement fautif pouvant donner lieu à une condamnation au titre de l'article L. 651-2 du code de commerce,

- condamné M. [V] à supporter partiellement le passif de l'EURL [9] et à verser à la SELARL [I] [G], ès qualités, la somme de 70 000 euros,

- dit que les fautes avérées de M. [V] apparaissent suffisantes pour le condamner à une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toutes entreprises commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci,

- condamné M. [V] à une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toutes entreprises commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pour une durée de quatre ans,

- prononcé l'exécution provisoire du présent jugement,

- ordonné les communications et publicités légales,

- condamné M. [V] aux dépens du jugement,

- ordonné l'inscription de la condamnation au fichier national des interdictions de gérer,

Le tribunal de commerce a considéré que le dépôt tardif de la déclaration de cessation des paiements ne pouvait pas être reproché à faute à M. [V], qui'n'avait pas eu connaissance du jugement du 24 juin 2020 ayant condamné la SARL [9] au profit de Mme [P]. En revanche, il a retenu deux fautes imputables à M. [V]. La première est d'avoir poursuivi une exploitation déficitaire dans son intérêt personnel, après avoir relevé que les résultats de la société n'avaient cessé de se dégrader depuis le 31 décembre 2016 mais que les deux postes de dépense qui étaient restés les plus importants étaient la rémunération de M. [V] et le paiement des loyers à la SCI [10], dont il était par ailleurs le gérant. La seconde est d'avoir attribué le prix de la cession du droit au bail (70 000 euros) à la SCI [10] alors même que la société avait été condamnée à verser une provision de 16'600'euros à M. [N] et qu'elle avait été assignée, moins de deux mois auparavant, par Mme [P] en indemnisation des conséquences d'une rupture abusive de son contrat. Après avoir arrêté l'insuffisance d'actif à la somme de 205'517,72 euros, le tribunal de commerce a condamné M. [V] au paiement d'une somme de 70 000 euros correspondant au prix de la cession du droit au bail, ainsi qu'à une interdiction de gérer.

Par une déclaration du 15 juillet 2024, M. [V] a interjeté appel de ce jugement, l'attaquant en chacun de ses chefs et intimant la SELARL [I] [G], ès qualités.

Les parties ont conclu, la SELARL [I] [G], ès qualités, ayant formé appel incident.

Par une ordonnance de référé du 6 novembre 2024, le premier président de la cour d'appel d'Angers a arrêté l'exécution provisoire attachée au jugement du 18 juin 2024.

Selon avis du 11 avril 2025, communiqué aux parties par la voie électronique par un message du 14 avril 20224, le ministère public a indiqué être favorable à la confirmation du jugement en son principe.

Une ordonnance du 31 mars 2025 a clôturé l'instruction de l'affaire.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par des dernières conclusions (n° 2) remises au greffe par la voie électronique le 11 février 2025, auxquelles il est renvoyé pour un exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [V] demande à la cour :

- d'infirmer le jugement du 18 juin 2024 en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

- de débouter la SELARL [I] [G] de l'ensemble de ses demandes, fins'et prétentions,

- de condamner la SELARL [I] [G] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Par des dernières conclusions remises au greffe par la voie électronique le 8'octobre 2024, auxquelles il est renvoyé pour un exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SELARL [I] [G], ès qualités, demande à la cour :

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a constaté le bien fondé des griefs adressés à M. [V] et retenu à l'encontre de celui-ci une condamnation à contribuer à l'insuffisance d'actif,

y ajoutant,

- de constater que le grief tiré du retard apporté à la déclaration de cessation des paiements est également constitué à l'égard de M. [V],

réformant cependant quant au montant des condamnations,

- de condamner M. [V] à supporter à titre personnel l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la SARL [9], soit la somme de 532 907 euros sous déduction des éventuelles réductions de créances qui résulteraient des procédures en cours,

- de condamner M. [V] à lui régler la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens du procès, dont distraction au profit de l'avocat soussigné.

MOTIFS DE LA DECISION :

- sur la responsabilité pour insuffisance d'actif :

Le liquidateur judiciaire fonde son action sur les dispositions de l'article l'article L. 652-1 du code commerce qui prévoient que, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en'cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par'tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant'contribué à la faute de gestion. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa'responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.

Il appartient à la SELARL [I] [G], ès qualités, de rapporter la preuve, d'une part, d'une ou plusieurs fautes de gestion, dépassant la simple négligence, qui auraient été commises par M. [V], dirigeant de droit de la SARL [9], avant le jugement d'ouverture du 27 janvier 2021 et, d'autre part, que ces fautes de gestion ont contribué à l'insuffisance d'actif.

(a) sur l'insuffisance d'actif :

Il convient au préalable de s'interroger sur l'existence d'une insuffisance d'actif, puisqu'elle est la condition première de l'action en responsabilité et qu'elle délimite le montant de la condamnation qui peut être prononcée à l'encontre du dirigeant.

L'insuffisance d'actif résulte de la différence entre le montant du passif admis et celui de l'actif réalisé ou à recouvrer. Elle est appréciée à la date à laquelle il est statué. Le liquidateur judiciaire produit en l'espèce la décision du juge-commissaire du 5 janvier 2022. Il en ressort que des créances ont été déclarées pour un montant total de 532 907,30 euros, qu'elles ont été admises à hauteur d'une somme totale de 205 517,72 euros, le surplus étant constitué d'une créance non encore fixée (310 000 euros) et de créances rejetées (17 389,58 euros).

La SELARL [I] [G], ès qualités, poursuit la condamnation de M. [V] au paiement de la somme de 532 907 euros qui correspond au montant de l'ensemble du passif vérifié.

Il n'est pas prétendu que des éléments d'actif ont été réalisés par le liquidateur judiciaire ni même qu'il subsiste un actif à réaliser. Au contraire, une'attestation de l'expert-comptable de la SARL [14] du 4 mars 2024 confirme que tous les biens de la société ont été soit vendus soit mis aux rebuts à la suite de la cessation d'activité au 30 septembre 2019 et l'intimée produit l'attestation sur l'honneur de M [V] du 8 février 2021 qu'il ne dispose d'aucun actif (immobilier, mobilier et véhicule) au sein de la société.

En revanche, les deux créances qui ont fait l'objet d'un rejet définitif doivent être écartées du montant de l'insuffisance d'actif, ce qu'ont exactement fait les premiers juges. Il en est ainsi que de la créance de [18] (6 820,32 euros), dont il est précisé qu'elle a été rejetée définitivement par le juge-commissaire en l'absence de réponse du créancier. Mais il est également ainsi de la créance déclarée par M. [N] (10 569,26 euros), dont il est précisé qu'elle a donné lieu à un rejet définitif suivant accord du créancier dans le délai légal.

M. [V] approuve le tribunal de commerce d'avoir également écarté la créance de 310 000 euros enregistrée au nom de M. [W]. Cette créance est relative à une action en responsabilité initiée par M. [W] à l'encontre de la SARL [14] par une assignation du 27 juillet 2017. Un jugement a été rendu par le tribunal judiciaire d'Angers le 19 janvier 2021, qui a reconnu la responsabilité de la SARL [14] mais qui a cantonné l'indemnisation de M. [W] à une somme totale de 13 165 euros, en principal et en intérêts. Ce'dernier a interjeté appel de cette décision par une déclaration du 25 février 2021 et l'affaire est pendante devant la cour d'appel d'Angers. Il ressort des conclusions d'appel n° 1 prises, non pas par l'assureur comme l'indique M.'[V] mais par le liquidateur judiciaire, que plusieurs fins de non-recevoir et moyens de défense sont développés pour obtenir le rejet de l'ensemble des demandes indemnitaires. Dans ce contexte, c'est exactement que les premiers juges ont considéré que la créance déclarée par M. [W] est incertaine et qu'ils l'ont écartée du montant de l'insuffisance d'actif.

L'appelant discute enfin la créance de Mme [P]. Cette créance déclarée pour un montant de 172 242,44 euros résulte du jugement du tribunal de commerce du 24 juin 2020, qui a condamné la SARL [14] au paiement, notamment, d'une indemnité compensatrice de rupture (143 991,97 euros) et d'une indemnité compensatrice de préavis (17 999 euros). M. [V] affirme que cette condamnation a été obtenue de manière frauduleuse en ce que l'huissier de justice a irrégulièrement recouru à la signification de l'assignation du 2 mars 2020 puis du jugement du 24 juin 2020 dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile sans déployer toutes les diligences qui lui auraient permis de porter les actes à sa connaissance. Il explique ainsi qu'il n'a pas pu comparaître à l'audience qui a abouti au jugement de condamnation sur la foi des seules allégations de Mme [P], alors qu'il aurait pu se prévaloir d'un courriel de cette dernière du 8 mai 2018 qui démontrait qu'elle avait démissionné, ce qui excluait selon lui toute possibilité d'une rupture brutale. Il ajoute qu'il n'a pas non plus eu connaissance de la condamnation avant d'avoir été destinataire de la signification du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire et il reproche au liquidateur judiciaire de ne pas avoir alors exercé de recours contre la décision du 24 juin 2020 pour faire valoir ses arguments et en obtenir son infirmation. Mais'ces critiques ne sont pas de nature à remettre en cause le caractère certain de la créance de Mme [P] qui a été consacrée par un jugement certes signifié à la SARL [14] dans les conditions de l'article 659 du code de procédure civile mais à l'encontre duquel aucun recours n'a été interjeté et qui a fait l'objet d'une décision d'admission par le juge-commissaire, dont il n'est pas non plus prétendu qu'elle a été contestée.

Au regard de ces éléments et les autres créances admises n'étant pas discutées, le montant de l'insuffisance d'actif s'établit à la somme de (532 907,30 - 6 820,32 - 10 569,26 euros) 205 517,72 euros.

(b) sur la déclaration tardive de l'état de cessation des paiements :

La SELARL [I] [G], ès qualités, développe en réalité deux fautes de gestion distinctes.

La première tient au fait que M. [V] n'a pas déclaré l'état de cessation des paiements dans le délai légal. Il ressort en effet des articles L. 631-4 et L. 640-4 du code de commerce que le débiteur doit demander l'ouverture d'un redressement judiciaire ou d'une liquidation judiciaire dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements, s'il n'a pas dans ce délai demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation. Or, la liquidation judiciaire de la SARL [14] a fait en l'espèce suite à l'assignation délivrée par Mme [P] le 28 décembre 2020 et, dans son jugement du 27 janvier 2021, le tribunal de commerce a fixé la date de la cessation des paiements au 11 août 2020. Cette'date, qui correspond à celle de la signification du jugement du 24 juin 2020 ayant condamné la SARL [14] à indemniser Mme [P], a autorité de la chose jugée et elle n'est d'ailleurs pas discutée par les parties. A partir de là, la SELARL [G], ès qualités, reproche à M. [V] de ne pas avoir demandé l'ouverture de la liquidation judiciaire avant l'expiration du délai légal de quarante-cinq jours, soit avant le 26 septembre 2020.

Mais la déclaration tardive de l'état de cessation des paiements n'entraîne la condamnation du dirigeant à supporter tout ou partie de l'insuffisance d''actif qu'autant qu'il est démontré que le retard a contribué à l'augmentation de l'insuffisance d'actif. Or, le liquidateur judiciaire ne propose pas de rapporter une telle preuve, qui suppose de pouvoir comparer le montant de l'insuffisance d'actif à la date à laquelle la déclaration de cessation des paiements devait avoir lieu et son montant existant à l'ouverture de la procédure. De ce fait, la faute reprochée, même à la supposer constituée, n'est pas de nature à entraîner la condamnation de M. [V] à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif.

La SELARL [I] [G], ès qualités, reproche toutefois une seconde faute de gestion à M. [V], qui est d'avoir organisé l'effacement de la SARL [14] pour échapper aux poursuites des créanciers et de ne pas avoir assuré la relève du courrier envoyé au siège social ou de ne pas avoir modifié la domiciliation de la société, de telle sorte à ne pas avoir pu recevoir les actes de procédure, à ne pas avoir pu comparaître à l'audience pour éviter la condamnation au profit de Mme [P] et à ne pas avoir pu exercer un recours contre le jugement du 24 juin 2020.

La défense de M. [V] consiste en effet à faire valoir qu'il n'a pas eu connaissance de la condamnation qui a été prononcée à l'encontre de la SARL'[14] puisque l'assignation et le jugement ont été signifiés dans les conditions de l'article 659 du code de procédure civile. Il ajoute qu'il n'a pas non plus eu connaissance de l'assignation que Mme [P] a fait délivrer à la SARL [14] en vue de l'ouverture de la procédure collective, qui a été signifiée selon les mêmes modalités, et qu'il n'a en définitive découvert la procédure et la condamnation au paiement de la somme totale de (143 991,97 + 17 999 + 1 500) 163 490,97 euros qu'à l'occasion de la signification du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, qui a été faite à sa personne (17'février 2020).

C'est précisément cette raison qui a conduit les premiers juges à écarter la faute de gestion tirée du retard dans le dépôt de la déclaration de la cessation des paiements.

Mais la SELARL [I] [G], ès qualités, discute le caractère légitime de cette ignorance, qu'elle estime ne pas pouvoir être invoquée par M. [V] à qui elle reproche de l'avoir organisée. En réponse, l'appelant soulève le caractère irrégulier des significations au regard de l'insuffisance des diligences de l'huissier de justice avant de dresser des procès-verbaux de recherches infructueuses. Il'convient sur ce point de s'en tenir aux seules significations qui ont été faites à la SARL [14] et d'écarter l'argumentation des parties en ce qu'elle porte sur les actes et les correspondances destinés tant à M. [V] personnellement, quand bien même celui s'est déclaré domicilié à l'adresse du siège social, qu'à la SCI [11], propriétaire des locaux et dont M. [V] était également le gérant.

L'article 690 du code de procédure civile prévoit que la notification destinée à une personne morale de droit privé est faite au lieu de son établissement ou, à défaut d'un tel lieu, en la personne de l'un de ses membres habilité à la recevoir. Le lieu de l'établissement de la personne morale s'entend de son siège social. La SARL [14] avait son siège social au [Adresse 4] à [Localité 7] (Maine-et-[Localité 17]) et c'est donc à cette adresse que les actes devaient lui être signifiés. Il ressort des termes du jugement du 24 juin 2020 que l'assignation en responsabilité délivrée par Mme [P] en date du 2 mars 2020 a été signifiée dans les conditions de l'article 659 du code de procédure civile. L'acte n'étant pas produit, il n'est pas possible d'apprécier les diligences accomplies par l'huissier de justice mais il n'est en tout état de cause pas discuté que la signification a été faite au [Adresse 4] à [Localité 7] (Maine-et-[Localité 17]), qui figure en en-tête de la décision. Tel est également le cas du jugement du 24 juin 2020, qui a été signifié par un acte du 11 août 2020 selon les mêmes modalités et après que l'huissier de justice, tel qu'il le relate dans le feuillet de signification, a vainement recherché le nom de la société sur les boîtes aux lettres et sur les interphones, qu'il a tout aussi vainement interrogé le gardien, les voisins, les commerçants du quartier, les services de la mairie, du commissariat et de la gendarmerie, et qu'il a sollicité la délivrance d'un extrait K bis dont il indique que le greffe du tribunal de commerce n'a pas pu le lui délivrer parce que 'la société ne sembla[it] pas être immatriculée' mais pour en conclure néanmoins qu'il mentionnait l'adresse précitée. Il n'est donc ainsi pas démontré l'insuffisance des diligences de l'huissier de justice et l'irrégularité de la signification des actes, M. [V] étant par là-même mal fondé à reprocher au liquidateur judiciaire de ne pas avoir engagé les actions nécessaires pour obtenir l'annulation de la procédure.

Certes, M. [V] relève que l'ordonnance de référé du 9 avril 2019, qui a condamné la SARL [14] au paiement en faveur de M. [N], avait'quant à elle pu être signifiée par un dépôt à l'étude. En réalité, la'signification de cette décision est intervenue plusieurs mois auparavant (7 mai 2019) et l'huissier de justice relate qu'il a alors pu se convaincre de la présence de la SARL [14] au [Adresse 4] à [Localité 7] (Maine-et-[Localité 17]) grâce à l'apposition de son nom sur une enseigne. A la différence, l'huissier de justice a constaté l'absence de tout signe d'identification de la SARL [14] à l'adresse lors de ses opérations de signification du 11 août 2020, ce qui s'explique par le fait que le bail commercial de la société sur les locaux a été rompu dans l'intervalle (27 avril 2020). Pas plus l'appelant ne peut-il tirer utilement argument de ce que le jugement du 27 janvier 2021, qui a prononcé l'ouverture de la liquidation judiciaire, lui a été signifié à personne puisque l'acte révèle qu'une telle signification n'a été rendue possible qu'à la faveur d'une rencontre avec l'huissier de justice devant le tribunal de commerce.

Il n'est pas démontré que M. [V] a pu avoir connaissance des actes par la voie des notifications par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et de lettre simple prévues à l'article 659 du code de procédure civile. Il'n'est d'ailleurs pas non plus démontré que ces notifications ont pu parvenir à la SARL [14] et M. [V] explique d'ailleurs lui-même que la société n'a jamais eu de boîte aux lettres au [Adresse 4] à [Localité 7] (Maine-et-[Localité 17]) puisqu'elle disposait d'une boîte postale. Que'M.'[V] ait, comme il l'affirme, continué à relever cette boîte postale, de'même qu'à gérer la boîte électronique de la société et à garder son numéro de téléphone actif, n'enlève rien au fait qu'en supprimant tout signe distinctif ou boîte aux lettres au nom de la société à l'adresse qui constituait officiellement son siège social et en s'abstenant de procéder à toute démarche nécessaire pour faire modifier la domiciliation de la société après la rupture de son bail commercial au [Adresse 4] à [Localité 7] (Maine-et-[Localité 17]), il a de fait privé la SARL [14] de la possibilité de recevoir les actes, notamment de poursuite de ses créanciers. Ce faisant, M. [V] a bien commis une faute de gestion qui dépasse la simple négligence et qui a conduit à ce qu'il n'ait pas pu avoir connaissance en temps utile de l'assignation puis de la condamnation prononcée au profit de Mme [P], privant ainsi la SARL [14] de la possibilité de comparaître à l'audience puis d'exercer les voies de recours afin de faire valoir les éléments qu'il explique lui-même avoir été de nature à influencer la nature de la décision. Il est indifférent dans ce contexte que M. [V] ait par la suite fait preuve de toute la diligence requise pour coopérer et répondre aux sollicitations du liquidateur judiciaire, ce qui ne lui est du reste pas reproché.

La faute de gestion se trouve caractérisée, ainsi que son lien avec l'insuffisance d'actif essentiellement constituée par la dette de la SARL [14] à l'égard de Mme [P].

(c) la poursuite d'une activité déficitaire dans un intérêt personnel :

La SELARL [I] [G], ès qualités, reproche à M. [V] de s'être attribué une rémunération de 495 716 euros sur les cinq dernières années d'activité, à laquelle doivent être ajoutés les loyers versés à la SCI [11] dont il est le gérant (111 438 euros), hors de toute proportion avec le chiffre d'affaires qui s'est effondré de 1 000 000 euros à 500 000 euros sur la même période et en décalage complet avec les résultats déficitaires de la SARL [14].

Il ressort de l'attestation de M. [K], expert-comptable, que l'activité de la SARL [14] a été déficitaire sur une première période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014, au cours de laquelle le chiffre d'affaires a fortement diminué pour passer de 1 007 778 euros (au 31 décembre 2009) à 412 207 euros (au 31 décembre 2014), ce que M. [V] explique par l'éclatement de la bulle immobilière. Elle l'a été également sur une seconde période qui a précédé immédiatement la date de la fin de l'activité de la société, au cours de laquelle des déficits de - 44 226 (exercice clos le 31 décembre 2017), de - 86 715 euros (exercice clos le 31 décembre 2018) et de - 59 179 euros (exercice clos le 31'décembre 2019) ont été enregistrés.

Pour autant, M. [V] explique que l'activité de la SARL [14] pendant cette période a été largement bénéficiaire et que les déficits ont en réalité été créés à la faveur d'une technique comptable afin de pouvoir diminuer le compte 'report à nouveau', qui était fortement excédentaire.

En réalité, la SARL [14] disposait d'un compte 'autres réserves', dont M. [V] rappelle exactement qu'il n'était pas obligatoire, effectivement largement pourvu à hauteur de 333 400 euros. Les déficits des exercices clos le 31 décembre 2017 et le 31 décembre 2018 ont été affectés sur le compte 'report à nouveau' puis ce compte a été apuré grâce à des prélèvements sur le compte 'autres réserves', lequel est ainsi passé de 333 400 euros (au 31 décembre 2018) à 161 806 euros (31 décembre 2019). Ces décisions d'affectation ont certes été prises légalement, par des décisions de l'associé unique du 29 juin 2018 puis du 28 juin 2019, étant observé qu'à cette dernière date, les quatre agents commerciaux étaient déjà partis et que M. [V] était en arrêt de travail depuis plusieurs mois (18 février 2019). Il n'en reste pas moins que l'exploitation de la SARL [14] s'est bien trouvée être déficitaire sur les dernières années de son activité et la difficulté vient du fait que, comme le reconnaît M. [V] lui-même, ces déficits ont été créés à partir d'une augmentation de sa rémunération, dont la charge a représenté pour la SARL [14], en y incluant les cotisations prises en charge par la société, des sommes totales de 276 759,08 euros (au 31 décembre 2017), de 356 669,20 euros (au 31 décembre 2018) et de 139 047,18 euros (s'agissant des quelques mois précédant l'arrêt de l'activité). Comme l'ont fait remarquer les premiers juges, il convient d'ajouter à cela le montant des loyers réglés par la SARL [14], ce poste et la rémunération représentant à eux deux plus de 57 % (au 31 décembre 2017), de'60 % (au 31 décembre 2018) et de 70 % (au 31 décembre 2019) de l'ensemble des charges d'exploitation. Or, les comptes de résultat détaillés révèlent une hausse très significative du montant des loyers versés par la SARL [14] à la SCI [15], dont M. [V] est également le gérant, pour les locaux du [Adresse 4] à Angers (Maine-et-Loire), pour passer de 28 800 euros (au 31 décembre 2017) à 62 134,20 euros (au 31 décembre 2018) et revenir à 49 304,65 euros (au 31 décembre 2019). M. [V] tente certes de justifier cette hausse par un retour aux montants pratiqués sur le marché mais force est de constater que les éléments qu'il produit à cette fin, essentiellement constitués d'attestations de sa part mais dont la véracité n'est pas discutée, ne sont pas probants en ce qu'ils mettent en corrélation, d'une part, la location de l'ensemble des locaux du [Adresse 4] à [Localité 7] (Maine-et-[Localité 17]) à la SAS [8] et du [Adresse 2] à [Localité 7] (Maine-et-[Localité 17]) à [16] avec, d'autre part, la location de la seule partie du rez-de-chaussée de ces deux immeubles à la SARL [14]. La variation du montant des loyers ne s'explique donc pas autrement, en'l'état, que par l'objectif de créer un déficit par ce biais également. Il ressort de ces éléments que, sous couvert d'une prétendue technique comptable, M.'[V] a bien poursuivi une exploitation déficitaire sur les trois dernières années de l'activité, à la faveur d'un intérêt personnel direct (augmentation de sa rémunération) et indirect (augmentation des loyers versés à la SCI [11]) au détriment de la SARL [14] dont les capitaux propres, tout en demeurant positifs, ont été substantiellement entamés.

La faute de gestion est ainsi suffisamment caractérisée et il est indifférent que M. [V] ait pu, par le passé, réduire le montant de sa rémunération et baisser le loyer facturé à la SARL [13] pour faire face à la baisse du chiffre d'affaires, dès lors précisément que le liquidateur judiciaire lui reproche un comportement sur les dernières années d'activité assimilable à une liquidation amiable frauduleuse de la société. Cette faute de gestion a contribué à l'insuffisance d'actif en ce qu'elle a eu pour conséquence de diminuer le compte 'autres réserves' à un montant ne lui permettant plus de compenser le déficit créé par les dettes de la société.

(d) sur la dissipation des actifs :

La SELARL [I] [G], ès qualités, indique que des éléments d'actif ont disparu du dernier bilan d'exploitation, sans que la SARL [14] ait reçu de contrepartie.

En réalité, M. [V] verse aux débats une 'liste simplifiée des immobilisations' au 31 décembre 2019, réalisée par son expert-comptable. Il en ressort des éléments d'actif ayant une valeur nette comptable totale de 114 658 euros, incluant le droit au bail (80 000 euros), dont une partie a pu être cédée pour une somme totale de (2 400 + 550 + 490) 3 440 euros, en ce compris un scooter Piaggio dont M. [V] a lui-même fait l'acquisition à son profit mais à un prix (2 000 euros) dont il justifie qu'il correspondait à sa valeur marchande à partir d'un courriel du vendeur. L'appelant explique que les autres biens, qu'il's'agisse de logiciels, de matériels de transport et de bureau, n'ont pas pu être vendus compte tenu de leur faible valeur marchande et qu'ils ont été jetés. C'est ce que confirme l'expert-comptable dans son attestation du 4 mars 2024.

La preuve d'une dissipation de ces biens de la SARL [14] n'est donc pas rapportée.

En revanche, les premiers juges ont considéré que M. [V] avait commis une faute en consentant, le 27 avril 2020, à ce que le prix de la cession du droit au bail sur les locaux du [Adresse 2] à Angers (Maine-et-Loire) revienne à la SCI [11] en règlement des loyers qui lui étaient impayés, alors même que la SARL [14] avait été condamnée à payer à M. [N] une somme de 16 600 euros et que Mme [P] avait fait délivrer une assignation, moins de deux mois auparavant pour réclamer le paiement d'une somme totale de 166 990,97 euros.

Il est exact que, le 24 avril 2020, la SARL [14] a cédé à [16] son droit au bail relativement aux locaux appartenant à M. et Mme'[R] (lots n° 2, n° 28 et n° 44) ainsi qu'à une partie des locaux appartenant à la SCI [11] (lots n° 1, n° 29 et n° 43) dans'l'immeuble du [Adresse 3] à Angers (Maine-et-Loire) et que, dès le 27'avril 2020, elle a consenti à remettre le prix de cette cession (70 000 euros) à la SCI [11] en paiement des loyers en retard jusqu'au 30 juin 2020, la somme ayant effectivement été réglée par des virements du 28 avril 2020.

La créance de M. [N] n'entrant pas dans le montant de l'insuffisance d'actif pour la raison précitée, il n'y a pas lieu de s'interroger sur la faute reprochée à M. [V] en lien avec la condamnation prononcée à l'encontre de la SARL [14] par l'ordonnance de référé du 9 avril 2019, puisqu'une telle faute, même à la supposer caractérisée, n'a en tout état de cause pas contribué à l'insuffisance d'actif.

Tel n'est en revanche pas le cas de la créance de Mme [P]. Comme l'ont indiqué les premiers juges, cette dernière avait déjà fait délivrer son assignation en responsabilité (2 mars 2020), dans laquelle elle demandait la condamnation de la SARL [14] au paiement d'une somme totale de (143 991,97 + 17 999 + 5 000) 166 990,97 euros, près de deux mois avant la signature de la cession du droit au bail (24 avril 2020) et de l'accord intervenu avec la SCI [15] pour lui remettre en paiement le prix de cette cession (27 avril 2020). M. [V] ne démontre pas que les diligences de l'huissier de justice pour signifier cette assignation autrement que dans les conditions de l'article 659 du code de procédure civile ont été insuffisantes et, comme démontré précédemment, il ne peut pas utilement se prévaloir de son ignorance de cette assignation dès lors qu'il a lui-même conduit à ce que la SARL [14] ne soit plus matériellement ou juridiquement en mesure de recevoir les actes de ses créanciers. Certes, l'accord du 27 avril 2020 indique que le prix de la cession du droit au bail a été affecté au paiement de loyers impayés, échus et à échoir à court terme. La réalité de ces loyers impayés n'est pas discutée mais elle ne peut qu'être mise en lien avec l'augmentation significative et non justifiée de leur montant, telle qu'elle a précédemment été démontrée, pour conclure qu'en organisation ainsi le transfert du prix du droit au bail au profit de la SCI [11], M. [V] a appauvri la SARL [14] au détriment des autres créanciers potentiels, dont Mme [P], au moins indirectement à son profit personnel puisqu'il est le gérant de la bailleresse. Ce faisant, M. [V] a commis une faute de gestion qui a contribué à l'insuffisance d'actif puisqu'elle a privé la SARL [14] de liquidités propres à en diminuer son montant.

Par ailleurs, le liquidateur judiciaire reproche à M. [V] d'avoir résilié le bail commercial de la SARL [14] auprès de la SCI [11], ce qui a permis à cette dernière de récupérer gratuitement ses droits sur les locaux et de consentir ensuite un nouveau bail moyennant un pas-de-porte en fraude aux droits de son ancienne locataire.

Il est exact que la SCI [11] et la SARL [14] sont convenues de mettre fin d'un commun accord au bail commercial du 20 décembre 2011 en signant un document du 27 avril 2020 à cette fin.

M. [V] rappelle exactement qu'un pas-de-porte ne bénéficie qu'au propriétaire et non pas au locataire. Mais ce que lui reproche l'intimée est en réalité l'absence de cession du droit au bail à un tiers. L'appelant oppose certes que le droit au bail n'existe pas lorsque le titulaire du fonds de commerce est aussi le propriétaire des locaux nécessaires à l'exploitation commerciale. Mais tel n'est pas le cas en l'espèce puisque la SARL [14] était titulaire du fonds de commerce alors que la SCI [15] était propriétaire des locaux d'exploitation, la circonstance que les deux sociétés étaient dirigées par M.'[V] n'enlevant rien au fait qu'elles étaient des personnes morales distinctes.

Il en résulte que rien ne faisait obstacle à ce que la SARL [14] envisage la cession à un tiers du droit au bail dont elle était titulaire auprès de la SCI [15] sur les locaux du [Adresse 4] à Angers (Maine-et-Loire). Le fait pour M. [V] d'avoir décidé de mettre fin au contrat qui liait les deux sociétés dont il était le gérant, sans que la SARL [14] puisse en retirer une quelconque contrepartie, est donc fautif. La faute de gestion ainsi caractérisée a contribué à l'insuffisance d'actif en ce qu'elle a privé la société d'un élément d'actif qui était de nature à diminuer le montant de cette insuffisance d'actif.

- sur le montant de la condamnation :

De ce qui précède, il résulte que plusieurs fautes de gestion ont été caractérisées à l'encontre de M. [V], qui ont contribué à l'insuffisance d'actif. La cour, comme les premiers juges qui ont limité la condamnation à la somme de 70 000 euros, dispose d'un pouvoir souverain pour déterminer le montant de l'indemnisation mise à la charge de M. [V]. C'est à cette fin que doit être apprécié le comportement de l'appelant.

M. [V] reconnaît qu'il a organisé l'arrêt de l'activité de la SARL [14], non pas en raison de quelconques difficultés économiques, mais à la suite des départs des quatre agents commerciaux dans des conditions qu'il qualifie de manoeuvres dolosives, qui l'ont contraint à devoir gérer seul les deux agences jusqu'à l'arrêt de travail puis la déclaration d'incapacité. Il affirme néanmoins avoir fait en sorte de ne laisser persister aucune dette en résiliant les abonnements, en trouvant un cessionnaire du droit au bail en pleine période de confinement et en réglant certaines dettes ou certains frais de procédure avec ses deniers personnels.

La cour rejoint les premiers juges quant au fait que M. [V] n'a pas su gérer les départs de ses agents commerciaux, qui lui ont été notifiés successivement le 7 mai 2018 (Mme [P]), le 23 août 2018 (M. [C]), le 26 août 2018 (M. [N]) et le 18 janvier 2019 (Mme [S]). L'appelant fait valoir sa bonne foi et se place en victime des agissements de ses anciens agents commerciaux, à qui il reproche des manoeuvres frauduleuses et dolosives, et il critique en ce sens les deux décisions de justice qui ont été rendues en leur faveur en estimant qu'elles auraient pu être annulées, infirmées ou contredites au fond si le liquidateur judiciaire avait pris la peine de mettre en oeuvre les procédures nécessaires. Mais ces affirmations de l'appelant restent en l'état purement spéculatives et M. [V] ne peut pas reprocher au liquidateur judiciaire les conséquences d'une situation qu'il a lui-même créée en privant la SARL [14] de la possibilité d'avoir connaissance en temps utile des procédures diligentées à son encontre et, étant encore saisi des intérêts de sa société, de l'en défendre. La cour peut donc que s'en remettre à la nature des griefs formulés par Mme [S] dans sa lettre du 18 janvier 2019, aux motifs du jugement qui ont conduit à la condamnation prononcée au profit de Mme [P] et au fait que la cour d'appel a consacré, ne serait-ce qu'en référé, le droit de M.'[N] au paiement d'au moins deux des commissions dont le refus avait motivé la rupture qu'il avait notifiée le 26 août 2018.

Les problèmes de santé rencontrés par M. [V] à compter du 18 février 2019 sont avérés et leur imputabilité à l'épuisement professionnel occasionné par la gestion, seul, des deux agences n'est pas discutée. A partir de là, M. [V] a, comme il le reconnaît, voulu mettre fin à l'activité de la SARL [14] et, comme l'ont souligné les premiers juges, il s'est comporté comme un liquidateur amiable dans le cadre d'une dissolution anticipée mais sans aller jusqu'au bout. Certaines de ses démarches ont certes permis de limiter les dettes, qu'il s'agisse de résilier les contrats d'assurance, les garanties et les abonnements, de régler plusieurs mois de loyers à M. [R] sur ses deniers personnels, de vendre le matériel qui pouvait l'être ou encore de prendre à sa charge le paiement des honoraires de l'avocat mandaté par la société dans son litige avec M. [N]. D'autres révèlent au contraire une volonté de sa part de dépouiller la SARL [14] de ses actifs à son profit direct ou indirect, en tentant par ailleurs de la tenir hors de portée des poursuites de ses créanciers, au premier rang desquels figurent les anciens agents commerciaux.

C'est au regard de l'ensemble de ces éléments que la cour approuve les premiers juges d'avoir condamné M. [V] au paiement de la somme de 70 000 euros.

- sur l'interdiction de gérer :

Aucune des parties ne discute les motifs ni la décision des premiers juges, qui ont prononcé une interdiction de gérer d'une durée de quatre années.

Les dispositions applicables en l'espèce sont, non pas celles de l'article L. 653-4 du code de commerce qui ont été retenues par les premiers juges, mais'celles des articles L. 653-4 et L. 653-8 de ce même code. Le premier prévoit en effet que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de'droit ou de fait, d'une personne morale lorsqu'il est relevé à son encontre, notamment, qu'elle fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement, ou encore lorsqu'il a poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale. Le second précise que le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

De fait, M. [V] a bien fait des biens de la SARL [14] un usage contraire à l'intérêt de celle-ci en lui faisant verser à la SCI [10] le prix de la cession du droit au bail en règlement de loyers dont il avait fait augmenter leurs montants, favorisant ainsi la société bailleresse dont il était également le gérant. Il a également poursuivi une exploitation déficitaire pendant les trois exercices qui ont précédé la date de la cessation des paiements, de façon abusive et dans un intérêt personnel en créant une situation de déficit par l'augmentation de ses rémunérations et des loyers acquittés au profit de la SCI [10], dont il était également le gérant, entamant ainsi de façon significative le montant des capitaux propres.

Au regard de ces éléments, la cour confirme l'interdiction de gérer de quatre ans décidée par les premiers juges.

- sur les demandes accessoires :

Le jugement est confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens de première instance.

M. [V], partie perdante, sera condamné aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à verser à la SELARL [I] [G], ès qualités, une somme de 5 000 euros au titre des frais exposés en appel, lui-même étant débouté de sa demande formée à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

y ajoutant,

Déboute M. [V] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [V] à verser à la SELARL [I] [G], ès qualités, une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;

Condamne M. [V] aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

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