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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 1 juillet 2025, n° 24/01595

MONTPELLIER

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

X

Défendeur :

SCOP, SARL

CA Montpellier n° 24/01595

30 juin 2025

FAITS et PROCEDURE

Par l'intermédiaire de la SCOP [9], ayant une activité de courtier en vins, l'indivision [A] (constituée à l'époque de Mme [F] [A] et de son fils, M. [E] [A]) a vendu du vin en janvier et mars 2020 à la SAS [6].

Le 20 juillet 2020, M. [E] [A] a ensuite vendu à la société [6] 100 hectolitres de Cabernet Sauvignon IGP rouge au prix de 80 euros HT l'hectolitre. Le 2 décembre 2020, un nouveau contrat a été conclu portant cette quantité à 132 hectolitres. Il a été prévu un enlèvement de la marchandise au 15 décembre 2020.

Suite au retrait du vin le 3 mai 2021, l'indivision [A] a réclamé à la société [6] le paiement de la somme de 12 740,16 euros TTC, devant être réglée au plus tard le 3 juillet 2021.

Le 22 juillet 2021, Me [P] [T], en qualité de liquidateur judiciaire, a informé alors l'indivision [A] de ce qu'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société [6] par un jugement du tribunal de commerce de Montpellier du 1er juin 2021.

Le 6 juillet 2021, l'indivision [A] a déclaré sa créance.

Par lettre datée du 30 juillet 2021, M. [E] [A] a indiqué à la SCOP [9] rechercher sa responsabilité professionnelle pour avoir manqué à son obligation de renseignement et de conseil, en ne l'informant pas des procédures de redressement (plan de continuation daté du mois d'août 2018 après redressement judiciaire du 27 novembre 2017) et de liquidation ouvertes contre la société [6].

Par exploit du 3 février 2023, M. [E] [A] a assigné la SCOP [9] en paiement de dommages et intérêts.

Par jugement contradictoire du 26 février 2024, le tribunal de commerce de Béziers a

dit et jugé que la SCOP [9] n'a pas manqué à son obligation de renseignement et de conseil ;

dit et jugé que M. [V] [A] n'apporte pas la preuve que la SCOP [9] avait connaissance d'une quelconque défaillance de paiement de la société [6] outre les informations rendues publiques ;

dit et jugé que M. [V] [A] n'a pu apporter la preuve d'une perte de chance de pouvoir conclure un contrat valablement honoré qui justifierait une indemnisation ;

débouté M. [V] [A] de l'ensemble de ses demandes ;

rappelé que l'exécution provisoire est de droit conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile ;

condamné M. [V] [A] à payer à la SCOP [9] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné M. [V] [A] aux entiers dépens ;

et rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraire tenues pour injustes ou mal fondées.

Par déclaration du 25 mars 2024, M. [E] [A] a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 5 mai 2025, il demande à la cour, au visa des articles 1112-1, 1231-1 et 1240 et suivants du code civil, de :

révoquer l'ordonnance de clôture ;

infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a évalué le montant du préjudice au montant de la transaction soit 12 740,16 euros ;

en conséquence, juger que la SCOP [9] a manqué à son obligation de renseignement et de conseil, notamment en s'abstenant de vérifier l'état de solvabilité du cocontractant proposé au concluant dans le contrat d'achat de vin mis en place en sa qualité d'intermédiaire entre l'appelant et la société [6] ;

juger que la SCOP [9] ne prouve pas avoir informé le concluant de la procédure collective dont le contractant proposé faisait l'objet ;

juger que la SCOP [9] a manqué à son obligation de surveiller la bonne exécution du contrat ;

juger qu'il a perdu une chance de pouvoir conclure un contrat valablement honoré ;

déclarer la SCOP [9] responsable du préjudice subi pour perte de chance, privant le requérant du règlement de la facture correspondant à ce contrat ;

la condamner à lui payer la somme de 12 740 euros avec intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2021 (date à laquelle le paiement aurait dû intervenir) en réparation du préjudice subi pour perte de chance, ainsi que 2 000 euros au titre du trouble de trésorerie qui en est inévitablement résulté ;

et la condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles et en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions du 22 avril 2025, la SCOP [9] demande à la cour de :

confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

débouter M. [A] de l'ensemble de ses demandes ;

à titre subsidiaire, juger que le préjudice pour perte de chance n'est pas indemnisable à hauteur de 12 740,16 euros avec intérêts de droit à compter du 15 février 2021 ni à hauteur de 2 000 euros au titre du trouble de trésorerie ;

dès lors, rejeter les demande paiement des sommes de 12 740,16 euros avec intérêts de droit à compter du 15 février 2021 ainsi que 2 000 euros au titre du trouble de trésorerie ;

à défaut, réduire de manière conséquente le préjudice revendiqué par M. [A] ;

en tout état de cause,

rejeter la condamnation au titre des frais irrépétibles ;

y ajoutant, condamner M. [A], en nom personnel et en qualité d'héritier de sa mère [N] [A] au paiement de la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture datée du 23 avril 2025, a été révoquée à la demande des parties à l'audience des plaidoiries du 14 mai 2025 et une nouvelle clôture a été prononcée.

MOTIFS :

Moyens des parties :

1. L'appelant, fait valoir qu'au-delà des dispositions des articles 1112-1 et 1231-1 du code civil mettant à sa charge une obligation d'information générale, le courtier en vin est également tenu de différentes obligations reprises notamment par les informations officielles de la [7] ([7] ) trouvant leur origine dans la loi du 31 décembre 1949 et ses décrets d'application notamment le décret du 27 mars 1951 ; et que son appel porte sur l'information à communiquer et sur la surveillance de l'exécution du contrat, non d'une garantie de la solvabilité ou de l'exécution.

2. S'agissant de l'information à communiquer, l'appelant soutient qu'il appartient au courtier de vérifier l'existence éventuelle d'une procédure de redressement judiciaire afin d'en informer le cocontractant supposé, peu important qu'il n'y ait pas eu de défaillance de paiement antérieure, ou que des sommes aient été payées en avril ou mai 2021 par la SAS [6] à d'autres producteurs. Ainsi, en s'abstenant de renseigner utilement et complètement son mandant, celui-ci aurait été privé d'une information capitale lui permettant, en connaissance de cause, de contracter avec la SAS [6] ou s'en abstenir.

3. Concernant la bonne exécution du contrat, il soutient que le courtier serait astreint à surveiller la bonne exécution du contrat et rappelle que la retiraison était prévue au 15 décembre 2020 et n'a été effectuée qu'au 3 mai 2021. Elle reproche ainsi à la SCOP [9] d'être restée silencieuse et impassible pendant quatre mois.

4. La SCOP [9] objecte que le courtier en vins est un mandataire d'intérêt commun qui ne saurait être astreint à des vérifications pouvant aller plus loin que le simple constat de l'apparence.

5. L'intimée ajoute que le courtier en vins ne saurait être ducroire, sa signature sur la confirmation ne pouvant, en aucun cas, constituer un engagement solidaire et engager sa responsabilité en cas de défaillance d'une des parties.

Autrement dit, elle n'aurait pas à répondre de l'insolvabilité du cocontractant qu'il avait présenté et dont elle ignorait au demeurant tout, la société [6] ne présentant aucune signe de « solvabilité douteuse » et ayant déjà contracté avec l'appelant par le passé sans qu'aucun incident ne soit à déplorer.

6. La SCOP [9] soutient qu'elle a satisfait à l'ensemble des obligations mis à la charge d'un courtier en vins dès lors :

- qu'elle a présenté une société connue de l'appelant, qu'il connaissait et avait identifié juridiquement, et concernant laquelle ce dernier pouvait également avoir lui-même des informations ;

- que la société disposait de la capacité juridique de contracter ;

- qu'un délai de retiraison précis a été défini dans le bordereau et le contrat ;

- que des garanties ont été spécifiées puisque la vente était assortie d'une clause de réserve de propriété ;

- et que les bordereaux et contrats ont été enregistrés sur « Declavity », plateforme à laquelle M. [A] avait directement accès ;

7. S'agissant du retrait de la marchandise, l'intimée fait valoir que M. [E] [A] ne l'a jamais avisé d'une difficulté avec la société [6] sur ce point et pas davantage d'un retard de retiraison. Il conclut que M. [E] [A] a été négligent.

Réponse de la cour :

8. L'appelant soutient de manière quelque peu paradoxale, en page 4 de ses écritures, qu'il ne recherche pas une responsabilité fondée sur l'absence de solvabilité de l'acheteur (la SAS [6]) proposé par la SCOP [9], mais un manquement à l'obligation d'information due par le mandataire, en sa qualité de courtier, pour immédiatement affirmer, en page 5 des mêmes écritures, qu'il appartient au même courtier, agissant en qualité de mandataire du vendeur, de se renseigner sur le statut et la solvabilité de l'acheteur (impliquant une consultation des éléments flagrants, évidents et visibles de bonne santé financière et, notamment, l'existence éventuelle d'une procédure collective).

9. Cela étant énoncé, il est établi que dans le cadre de son contrat, le courtier en vin (ou courtier de campagne) est tenu d'une obligation de moyens d'information et de conseil à l'égard de chacune des parties qu'il met en relation.

10. Le manquement à l'obligation d'information de la SCOP [9] est reproché aussi bien au regard de l'article 1112-1 du code civil qui concernent, dans ce cadre, les pourparlers, qu'en lecture des textes spéciaux relatifs aux courtiers en vin.

11. Il résulte de l'article 1112-1 du code civil que le devoir d'information précontractuelle ne porte que sur les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties, et dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre partie.

12. En l'espèce, le défaut d'information tenant à l'existence d'un plan de continuation lors des négociations entre les parties n'est pas fautif, dès lors que l'existence de la procédure collective et du plan a donné lieu à une publication accessible tant au courtier qu'à son mandant, d'une part, et que d'autre part, M. [E] [A] ne démontre pas en quoi cette information aurait pu présenter un caractère déterminant pour lui, la société [6] étant alors in bonis pour bénéficier d'un tel plan et habile à contracter.

13.M. [A] souligne au demeurant lui-même dans ses écritures que l'absence de solvabilité (éventuelle ou avérée) du vendeur ne motive pas son action.

14. S'agissant de la loi n°49-1562 du 31 décembre 1949, réglementant la profession de courtiers en vins dits « courtiers de campagne » et son décret n°51-372 du 27 mars 1951 dans leurs versions applicables au contrat en cause, aucune de leurs dispositions n'envisage la faute du courtier en vin pour ne pas avoir porté à la connaissance de l'une des parties l'existence d'une mesure de sauvegarde ou de redressement judiciaire dont bénéficierait le cocontractant pressenti.

15. Par ailleurs, si le décret n° 2020-1254 du 13 octobre 2020 relatif à l'accès et à l'exercice de la profession de courtier en vins et spiritueux indique bien que tout impétrant doit avoir des connaissances juridiques dans la matière « des procédures de prévention et des procédures collectives des entreprises » pour obtenir ledit examen, la maîtrise des connaissances en général en ce domaine n'entraîne pas l'obligation pour le courtier de vérifier si l'une des parties ne ferait l'objet d'une telle procédure.

16. La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'il a été jugé qu'aucun manquement à l'obligation d'information et de conseil était imputable à la SCOP [9] dans le cadre du contrat de courtage.

17. Concernant le retard dans la retiraison de la marchandise, dès lors que le contrat de courtage prend fin avec l'opération pour laquelle le courtier a été engagée, soit en l'espèce, rapprocher les parties aux fins de conclure un contrat d'achat de vin comportant une date ferme de retiraison, il est inopérant de reprocher à cet intermédiaire une absence de retrait à la date contractuellement prévue, alors que celui-ci n'en a pas été informé par l'une des parties.

18. M. [E] [A] sera débouté de sa demande à ce titre.

19. Aucune faute ne pouvant être retenue contre le courtier, la demande indemnitaire sera rejetée.

20. Le jugement déféré sera ainsi confirmé en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Dit que M. [E] [A] ne peut se prévaloir d'aucune faute de la société coopérative de production à responsabilité limitée à capital variable [9], au titre de l'exécution du contrat,

Condamne M. [E] [A] aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la société coopérative de production à responsabilité limitée à capital variable [9], la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

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