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Décisions

CA Agen, ch. civ., 2 juillet 2025, n° 24/00098

AGEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Manyli (SCI), Resdis (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Beauclair

Conseillers :

M. Benon, Mme Rigault

Avocats :

Me Guilhot, SCP Tandonnet et Associés, Me Fouchet, SCP Cornille-Fouchet-Manetti, Me Severac, SELARL Action Juris, Me Dejean

TJ Agen, du 15 nov. 2023, n° 17/02099

15 novembre 2023

EXPOSÉ DU LITIGE.

Vu l'appel interjeté le 1er février 2024 par M [P] [X] à l'encontre d'un jugement du tribunal judiciaire d'AGEN en date du 15 novembre 2023.

Vu l'ordonnance de clôture du 16 avril 2025 pour l'audience de plaidoiries fixée au 5 mai 2025.

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Par acte authentique en date du 22 octobre 2009, M [P] [X] a cédé à la SCI MANYLI un ensemble immobilier à usage de restaurant, d'habitation et de discothèque, sis au lieu-dit '[Adresse 8]' à MARMANDE (cadastré HM [Cadastre 1] et HM [Cadastre 2]), pour un montant de 725 000 euros.

Le même jour, la SARL SODIRES, détenue et gérée par M [X], a également cédé à, la SARL RESDIS, par deux actes, les fonds de commerce exploités dans l'immeuble, à savoir un restaurant (les Glycines pour un montant de 50.000 euros) et une discothèque (l'Arlequin pour un montant de 125 000 euros).

Suite à une vérification de comptabilité, la société RESDIS occupante de l'immeuble cédé à titre commercial, s'est vue adresser par la Direction des Finances publiques le 30 mars 2017, au visa d'une rectification de la valeur locative, un rappel de Cotisation Foncière des Entreprises (CFE).

Ladite Direction a ainsi constaté une modification de surface déclarée initialement de 155 m² à 341 m² en surface pondérée, concernant les locaux loués par la société RESDIS pour son activité de restauration.

L'insuffisance des surfaces déclarées constatée par la Direction des Finances Publiques a également engendré pour la SCI MANYLI une rectification de la taxe foncière, suivant courrier reçu le 10 avril 2017.

Par acte du 7 décembre 2017, la SCI MANYLI a assigné M [X], en paiement de la somme de 500 000 euros au titre des préjudices subis.

Par acte en date du 2 octobre 2018, la SARL RESDIS est intervenue volontairement à la procédure, aux fins de voir prononcer la nullité de la vente des deux fonds de commerce exploités dans l'immeuble litigieux.

Par acte en date du 22 juin 2020, Me [S] [L] ès qualités de mandataire de la SARL SODIRES est intervenu volontairement à la procédure, aux fins de voir les sociétés MANYLI et RESDIS condamnées à payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 15 novembre 2023, le tribunal judiciaire d'AGEN a notamment :

- prononcé l'annulation du contrat de vente portant sur l'ensemble immobilier à usage de restaurant, d'habitation et de discothèque, sis an [Adresse 9] MARMANDE (cadastré HM [Cadastre 1] et HM [Cadastre 2]), entre la SCI MANYLI et M [X] ;

- condamné M [X] à payer à la SCI MANYLI la somme principale de 37.650 euros avec intérêt au taux légal à compter du 7 décembre 2017 au titre de la partie du prix de vente effectivement versée ;

- condamné M [X] à payer à la SCI MANYLI la somme de 64.492 euros avec intérêt au taux légal à compter du 7 décembre 2017 au titre des dépenses nécessaires à la conservation de la chose (taxes foncières de 2010 à 2021) ;

- dit que les intérêts échus depuis plus d'un an seront capitalisés et productifs d'intérêts ;

- débouté M [X] de sa demande au paiement d'une indemnité d'occupation ;

- condamné M [X] à payer à la SCI MANYLI la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;

- condamné M [X] aux entiers dépens de l'instance.

Tous les chefs du jugement sont expressément critiqués dans la déclaration d'appel.

M [P] [X] demande à la cour de :

- recevoir l'ensemble des demandes, dires, fins et conclusions de M [X] ;

- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions visées à la déclaration d'appel ;

- statuant à nouveau

- débouter la SCI MANYLI de toutes ses demandes, fins et prétentions.

- à titre subsidiaire, en cas d'annulation :

- juger que la SCI MANYLI est débitrice d'une indemnité d'occupation depuis la date de la vente jusqu'à celle de la restitution des lieux et, avant dire droit sur la liquidation de cette indemnité, désigner tel expert qu'il plaira avec la mission de donner au tribunal tous éléments d'information lui permettant d'en estimer le montant, en tenant compte de l'état de l'immeuble, partie commerciale et habitation, au jour de la restitution

- juger la société RESDIS tenue de restituer les fruits de son exploitation et désigner tel expert qu'il plaira avec la mission de déterminer les résultats d'exploitation, retraités des rémunérations des gérants, accumulés depuis la date de la cession des fonds.

- en tout état de cause, condamner la SCI MANYLI à lui verser la somme de 6.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

- subsidiairement sur ce point, juger que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à sa charge.

La SCI MANYLI et la SARL RESDIS demandent à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- y ajoutant : débouter M [X] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- le condamner à payer à la Société MANYLI tous les frais de toutes natures relatifs à l'immeuble précité et aux conséquences de la nullité de la vente, acquittés par cette dernière, sur justificatifs, et notamment toutes les taxes, impôts frais d'entretien, de réparation, de conservation et notamment d'assurance, de déménagement, à hauteur notamment de 65 070,00 euros, à parfaire, au jour de la reprise de possession effective des immeubles par Monsieur [P] [X],

- à titre subsidiaire :

- constater que la Société MANYLI a été victime du comportement dolosif de M [X] lors de l'acte de vente de l'ensemble immobilier sis au lieu-dit « [Adresse 8] » à [Localité 11] (cadastré HM [Cadastre 1] et HM [Cadastre 2]) reçu par Maître [O] [N], Notaire à [Localité 11] en concours avec Maître [H] [U], Notaire à [Localité 7], résultant de la dissimulation de l'édification de constructions réalisées sans permis de construire et en l'absence des déclarations administratives y afférent,

- condamner M [X] à payer à la Société MANYLI la somme de 453.000 euros, sauf à parfaire,

- en tout état de cause : condamner M [X] à payer aux Sociétés MANYLI et RESDIS, chacune, la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- condamner M [X] aux entiers dépens d'appel.

Il est fait renvoi aux écritures des parties pour plus ample exposé des éléments de la cause, des prétentions et moyens des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION.

1- Sur les conclusions :

Aux termes de l'article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

L'appelant a déposé ses conclusions les :

- 29 avril 2024

- 22 octobre 2024

- 22 novembre 2024

- 11 avril 2025

- 23 avril 2025

Les intimés ont déposé leurs conclusions les :

- 25 juillet 2024

- 18 octobre 2024

- 21 novembre 2024

- 26 novembre 2024

- 25 mars 2025

- 17 avril 2025

- 30 avril 2025.

Le conseiller de la mise en état a proposé la clôture de l'instruction de l'affaire pour les dates suivantes : 23 octobre 2024, 27 novembre 2024, 22 janvier 2025, 26 mars 2025 et 16 avril 2025.

Il apparaît que le dossier était en état d'être jugé à la date du 16 avril 2025 et que les dernières conclusions postérieures des parties ne sollicitent pas le rabat de l'ordonnance de clôture et le renvoi devant le conseiller de la mise en état.

La cour statue donc en lecture des conclusions de l'appelant du 11 avril 2025 et de l'intimé du 25 mars 2025, reprise dans l'exposé du litige, ci dessus.

2- Sur la vente :

La vente litigieuse est intervenue le 22 octobre 2009, il convient de faire application des dispositions applicables à la vente antérieures à l'ordonnance du 10 février 2016.

Aux termes de l'article 1116 du code civil, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.

Il ne se présume pas et doit être prouvé.

La réticence dolosive ne peut être retenue qu'à la triple condition, d'une part, que le manquement à l'obligation d'information procède de l'intention de tromper et ne soit pas le résultat d'une simple erreur ou négligence, d'autre part, que ce manquement ait effectivement provoqué une erreur, et enfin, que cette erreur ait elle-même été déterminante du consentement du cocontractant.

En l'espèce, il est établi qu'il existe une différence entre les plans associés aux deux permis d'agrandissement des 29 décembre 1980 et 17 septembre 1982 et le bâti existant au jour de la vente :

- pour le restaurant Les Glycines : sont construites hors des limites autorisées par le permis de construire pour une superficie de 63 m² : la cuisine et le local de plonge, la chambre froide et le local personnel, une zone technique au rez de chaussée et la cuisine de l'appartement au-dessus, le local contenant l'escalier d'accès à l'étage, l'accueil clientèle et son couloir d'accès.

- pour la discothèque L'Arlequin, sont construites hors des limites autorisées par le permis de construire pour une superficie de 71 m² : la couverture d'une ancienne terrasse agrandissant la superficie de la discothèque, une salle d'entrée, et une salle fumeur.

En outre, la piscine d'une surface de 109 m² a été construite sans permis de construire, la terrasse de 241m² a été surélevée de 70 cm sans permis, un mur de 93 mètres linéaires a été édifié sans autorisation, une terrasse de 48 m² a été close sans autorisation.

Or ces constructions étaient soumises à permis de construire aux termes des articles L 421-14 et R 421 du code de l'urbanisme, pour excéder une surface de plancher de 20 m², la piscine pour excéder 100 m².

L'autorisation de travaux accordée en 1996, complété par le compte rendu de la commission de sécurité de 2005 et par l'autorisation de créer des cabines intérieures accordée en 2015, ne vise que des travaux de nettoyage, mise en conformité électrique et désenfumage, elle ne vaut pas reconnaissance de la régularité des extensions de la discothèque. La réparation d'un mur effondré en 2012 ne vaut pas régularisation de la construction dont il dépend.

Le vendeur avait pleine connaissance de l'absence de permis de construire pour les constructions effectivement édifiées, il a déclaré aux services fiscaux des superficies inférieures de plus de moitié à celles existantes et il reconnaît dans ses écritures que le classement en zone inondable ne permet aucune régularisation. L'occultation ne résulte pas d'une erreur ou d'une négligence, elle est volontaire

Le vendeur a déclaré dans l'acte de vente qu'il n'avait réalisé depuis son acquisition ou au moins au cours des dix années précédentes, aucun travaux entrant dans le champ de l'article L 241-1 et L 241-2 du code des assurances relatifs à la responsabilité et aux dommages dans le domaine de la construction. Il s'agit de la garantie décennale et de la responsabilité dommages-ouvrage).

Le vendeur ne peut se prévaloir de la clause de l'acte selon laquelle l'acquéreur déclare parfaitement connaître les biens objet de la vente et s'être entouré de tous les éléments d'information nécessaires à tous égards, alors qu'il ne rapporte pas la preuve qu'il avait informé l'acquéreur de l'absence de permis de construire affectant certains bâtiments, et qu'au regard des déclarations du vendeur sur l'absence de constructions nouvelles par le vendeur, il n'entrait pas dans les diligences normales de l'acquéreur de rechercher l'existence et la limite de permis de construire accordés durant la période de possession du vendeur.

Les constructions construites sans permis et dont l'irrégularité a été occultée aux acquéreurs portent sur des parties indispensables à l'exploitation du fonds et/ou qui reçoivent du public, de sorte que les acquéreurs ne les auraient pas acquises s'ils avaient été informés de l'irrégularité irrémédiable les affectant. Ces informations étaient donc déterminantes du consentement des acquéreurs dès lors que les biens acquis, édifiés sans permis de construire, sont susceptibles d'être démolis et ne peuvent être revendus, l'absence de mesure administrative aux fins de régularisation ou démolition étant inopérante dès lors que le consentement s'apprécie au jour où il est donné. Ce défaut d'information a conduit les acquéreurs à commettre une erreur sur la chose acquise.

Le fait que l'acquéreur ait été informé que les constructions sans permis de construire sont implantées en zone inondable rouge à risque majeur et ne sont pas régularisables pour ce motif, est inopérant, l'acceptation d'une acquisition d'un bien en zone rouge ne valant pas acceptation d'acquérir un immeuble édifié sans permis de construire.

Enfin, aux termes de l'article L 241-9 du code de l'urbanisme, lorsqu'une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou la décision d'opposition à déclaration préalable ne peut être fondée sur l'irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l'urbanisme.

Les dispositions du premier alinéa ne sont pas applicables :

5° Lorsque la construction a été réalisée sans qu'aucun permis de construire n'ait été obtenu alors que celui-ci était requis.

L'acquéreur ne pourrait donc en aucun cas régulariser la situation des immeubles objet de la vente.

Au vu de ces éléments c'est à bon droit que le premier juge a prononcé l'annulation de la vente, ordonné les restitutions y afférentes.

3- Sur les restitutions :

La SCI MANILY doit restituer en nature le bien immobilier objet de la vente du 22 octobre 2009 et M [X] doit restituer la part du prix de vente qu'il a affectivement perçue soit 37.650,00 euros.

La vérification de la comptabilité de la SCI MANILY par la Direction des Finances Publiques suite à la découverte d'une différence de 341 - 155 m² de surface pondérée, a conduit à un redressement pour un montant de 61.346,00 euros au titre des taxes foncières de 2010 à 2021.

Aux termes de l'article 1381 du code civil, dans sa version applicable à l'espèce, celui auquel la chose est restituée, doit tenir compte, même au possesseur de mauvaise foi, de toutes les dépenses nécessaires et utiles qui ont été faites pour la conservation de la chose.

Le paiement des taxes foncières redressées est une dépense nécessaire à la conservation juridique du bien en ce qu'elle prévient sa saisie par les services fiscaux, le vendeur est donc condamné à reverser cette somme à l'acquéreur.

Le jugement est confirmé sur ces points.

4- Sur l'indemnité d'occupation :

La demande de ce chef demeure régie par les dispositions du code civil en vigueur au jour de la conclusion du contrat soit octobre 2009.

C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a retenu que :

- la lecture a contrario de l'article 1378 du code civil dans sa rédaction en vigueur au jour du contrat - qui dispose que s'il y a en mauvaise foi de la part de celui qui a reçu, il est tenu de restituer, tant le capital que les intérêts ou les fruits, du jour du payement - permet de déduire que celui qui a acquis de bonne foi n'est pas tenu de restituer les fruits perçus à compte du jour du paiement.

- en cas d'annulation d'une vente immobilière, l'acquéreur ne doit aucune indemnité d'occupation au vendeur lorsque l'annulation de la vente a été prononcée en raison de la faute du vendeur, ce qui est le cas lorsque le dol commis par le vendeur est établi.

Le jugement est donc confirmé de ce chef.

5- Sur les demandes accessoires :

M [X] succombe, il supporte les dépens d'appel augmentés d'une somme de 2.000,00 euros au bénéfice de la SCI MANILY et de la société RESDIS prises dans leur ensemble sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS.

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,

Dans la limite de sa saisine

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et y ajoutant,

Condamne M [P] [X] à payer à la SCI MANILY et de la société RESDIS prises dans leur ensemble la somme de 2.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne M [P] [X] aux entiers dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par André BEAUCLAIR, président, et par Catherine HUC, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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