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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 2 juillet 2025, n° 22/04514

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Adopt Parfums (SASU)

Défendeur :

Monoprix Exploitation (SAS), The Other's Perfumers (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dubois-Stevant

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, Mme Meurant

Avocats :

Me Pedroletti, Me Cuvelier, Me Fournier, Me Mze, Me Guidoux, Me Zerhat, Me Etienne

T. com. Nanterre, 4e ch., du 24 juin 202…

24 juin 2022

Exposé des faits

La société Adopt parfums a pour activité la fabrication de produits de parfumerie, de cosmétiques et d'accessoires de beauté commercialisés sous la marque « ADOPT' ». Elle produit une gamme d'eaux de parfum proposée dans des flacons simples et facilement transportables, de couleur distincte pour chaque fragrance, aux noms évocateurs et vendue à un prix très abordable. Elle propose ses produits à l'unité ou en coffret dénommé « Le semainier ». De 2012 à 2019, ces eaux de parfum ont été référencées dans les magasins à enseigne Monoprix où elles étaient présentées dans des distributeurs mobiles noirs conçus par la société Adopt parfums.

La société The Other's perfumers (« la société TOP ») est spécialisée dans la production et la commercialisation de produits de parfumerie et de beauté à base d'ingrédients naturels. Elle a lancé, en 2017, une gamme de 29 fragrances présentée dans des flacons en verre étiré dans un format de voyage de 10 ml, puis en 2018 de 15 ml.

Le 19 novembre 2018, la société Monoprix exploitation (« la société Monoprix ») a mis fin à sa relation commerciale avec la société Adopt parfums à compter du 30 juin 2019.

Exposant avoir découvert, en octobre 2019, la commercialisation dans les magasins Monoprix d'eaux de toilette dénommées POP, présentant les mêmes caractéristiques que ses produits, fabriquées par la société TOP, puis la commercialisation de coffrets semblables à son coffret « Le semainier » sur le site internet de Monoprix, la société Adopt parfums a, le 29 novembre 2019, mis en demeure la société TOP de cesser la fabrication, la distribution, la commercialisation et/ou la promotion des produits litigieux et informé la société Monoprix de sa démarche à l'encontre de la société TOP.

Le 2 juillet 2020, elle a été autorisée à faire intervenir un huissier pour faire constater qu'un magasin Monoprix situé à [Localité 10] présentait les eaux de toilette litigieuses dans un présentoir « ADOPT' ».

Les 4 et 7 septembre 2020, la société Adopt parfums a assigné les sociétés TOP et Monoprix devant le tribunal de commerce de Nanterre en concurrence déloyale et parasitaire.

Par jugement du 24 juin 2022, le tribunal a dit que la société Adopt parfums ne rapportait pas la preuve des actes de concurrence déloyale et des actes parasitaires allégués, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à payer à chacune des sociétés TOP et Monoprix la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.

Le 8 juillet 2022, la société Adopt parfums a fait appel de ce jugement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 22 mars 2024, la société Adopt parfums demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

d'ordonner (i) l'arrêt de toute fabrication, vente et promotion de la gamme d'eaux de toilette litigieuse, ainsi que sa présentation à la vente dans ses présentoirs et/ou dans des présentoirs et/ou coffrets semblables aux siens, et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ; (ii) la confiscation, aux fins de destruction, aux frais des sociétés TOP et Monoprix, de l'ensemble des produits litigieux actuellement en stock, en quelque endroit où ils se trouvent, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, dans les 8 jours du prononcé de l'arrêt à intervenir ; (iii) le retrait, aux fins de destruction, aux frais des sociétés TOP et Monoprix, des supports (présentoirs et coffrets) dans lesquels est proposée à la vente la gamme d'eaux de toilette litigieuse, en quelques lieux où ils se trouvent et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, dans les 8 jours du prononcé de l'arrêt à intervenir ; (iv) la confiscation, aux fins de destruction, aux frais des sociétés TOP et Monoprix, de l'ensemble des supports promotionnels reproduisant la gamme de produits litigieuse, en quelque endroit où ils se trouvent, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, dans les 8 jours du prononcé de l'arrêt à intervenir ; (v) la publication, en totalité ou par extraits, de l'arrêt à intervenir dans deux magazines (spécialisés ou généralistes) de son choix sans que le coût global de ces publications n'excède la somme de 5.000 euros HT par publication ; (vi) pendant un délai de six mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, la publication d'un texte défini, dans une police de caractères au moins égal à Times New [Localité 11] 16, sur la page d'accueil du site internet édité par la société Monoprix;

de condamner les sociétés TOP et Monoprix à lui payer in solidum la somme de 750.000 (sic) à titre de dommages et intérêts pour les préjudices financier et de réputation occasionnés et la somme de 38.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 5 août 2024, la société Monoprix demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, en conséquence, débouter la société Adopt parfums de toutes ses demandes, dans tous les cas, dans l'hypothèse où le jugement serait infirmé, de débouter la société Adopt parfums de l'ensemble de ses demandes indemnitaires, en tout état de cause de condamner la société Adopt parfums au paiement de la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ainsi qu'aux dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 18 septembre 2024, la société TOP demande à la cour de débouter la société Adopt parfums de l'ensemble de ses demandes, de confirmer le jugement entrepris, y ajoutant de condamner la société Adopt parfums à lui payer une somme de 500.000 euros en réparation du préjudice économique causé et une somme de 50.000 euros en réparation du préjudice moral causé, en tout état de cause, de la condamner à lui payer une somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

SUR CE,

Sur les actes de concurrence déloyale

La société Adopt parfums soutient que la société TOP a commis des actes de concurrence déloyale en commercialisant une gamme d'eaux de parfums générant, du fait de nombreuses ressemblances en termes de conditionnement, d'argumentaire commercial, de mode de commercialisation, de prix, de positionnement, un risque de confusion avec la sienne.

Elle se prévaut de la reprise, sans nécessité, par la gamme d'eaux de parfums « POP ! » de la société TOP, des caractéristiques de sa gamme « adopt' » dont le packaging des produits (flacon vaporisateur de 30 ml en verre blanc de forme épurée, fine et allongée, surmonté d'un bouchon métallique, répondant à une demande pratique de mobilité), des étiquettes de couleur unie et vive sur le flacon pour identifier la fragrance (une couleur correspondant à une fragrance, ce qui permet de se dispenser d'emballage), l'identification des fragrances par des noms évocateurs, le c'ur de cible des jeunes femmes citadines, désireuses de changer de parfums au gré de leurs envies, l'argumentaire de vente reposant sur l'origine naturelle et française des parfums, les modes de présentation des produits, à l'unité ou en coffret, dans ce second cas dans un coffret en carton avec une ouverture à l'avant laissant apparaître les flacons et comportant une phrase d'accroche anglo-saxonne (« My mood, mon parfum Le semainier » pour adopt', « Fresh Vibes » ou « Sweet Vibes » pour POP !), des présentoirs en boutique comprenant un fronton sur lequel sont disposés des distributeurs individuels rechargeables par l'avant associés à un emplacement réservé au flacon testeur, ajoutant qu'au sein d'un magasin Monoprix de [Localité 10], les produits POP ! ont été disposés dans le présentoir ayant précédemment servi à la gamme adopt' et dont la marque a été dissimulée sous des stickers, situation ayant fait l'objet d'un constat d'huissier.

Elle soutient que ces ressemblances ne résultent pas du hasard mais d'un comportement délibéré qui aurait été facilité par la présence d'une salariée embauchée par la société TOP en 2016 après avoir occupé dix années durant le poste de « directrice marketing communication e-commerce » en son sein.

Sur ce,

L'article 1240 du code civil dispose que : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

La liberté du commerce et la libre concurrence restant le principe, le simple fait de copier la prestation d'autrui ne constitue pas comme tel un acte de concurrence déloyale, le principe étant qu'une prestation qui ne fait pas ou ne fait plus l'objet de droit de propriété intellectuelle peut être librement reproduite.

Le fait de reproduire ou de s'inspirer des produits d'un concurrent devient déloyal, donc fautif, lorsque la reproduction ou l'imitation est de nature à engendrer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit.

Les produits de la société Adopt parfums ont été déréférencés par la société Monoprix au profit des produits de la société TOP. Ces produits sont concurrents en ce qu'ils s'adressent à une même clientèle, jeune et urbaine, répondent aux mêmes besoins de variété et de praticité et revendiquent les mêmes qualités (origine naturelle, fabrication française). Ces éléments ne sont pas, en tant que tels, de nature à caractériser des actes de concurrence déloyale.

Si l'examen visuel des produits en présence fait également ressortir des éléments communs, tenant notamment au format des flacons (cylindrique de forme épurée, avec un bouchon de couleur métallique, muni d'une pompe), aux étiquettes de couleur vive, à l'identification des fragrances par des noms et/ou des couleurs évocateurs ainsi qu'à leur mode de présentation (à l'unité ou en coffret), ces caractéristiques, guidées pour certaines par la nécessité de répondre aux besoins d'une même clientèle, sont au moment de la dénonciation des supposés faits de concurrence déloyale, relativement courantes dans le secteur de la parfumerie, comme cela ressort des pièces produites par la société TOP, et ne sauraient être l'apanage d'un seul acteur.

Les produits se distinguent par ailleurs nettement du fait de l'identité visuelle prononcée propre aux parfums de la société TOP, caractérisée par une charte graphique particulière faisant apparaître la dénomination POP ! en gros caractères très apparents, étant observé que cette dénomination sera bien perçue comme une marque par le consommateur et non comme un simple élément décoratif comme le soutient l'appelante. Cette identité visuelle forte permet également de différencier les présentoirs utilisés pour la vente des produits POP ! de ceux utilisés pour les produits adopt', ce malgré des caractéristiques communes (distributeurs individuels rechargeables par l'avant, emplacement dédié au flacon testeur).

La présence inopportune, constatée par procès-verbal, au sein du magasin sous enseigne Monoprix de [Localité 10], d'un présentoir adopt' contenant des parfums POP ! résulte d'une erreur commise localement et non de consignes émanant de la société Monoprix, celle-ci ayant au contraire indiqué qu'il convenait de jeter les présentoirs adopt' suite au déréférencement de la gamme et de ne pas les utiliser pour exposer les produits POP !, comme cela ressort des notes d'information adressées aux directeurs de magasin (pièces Monoprix exploitation 5 et 6).

Ainsi les caractéristiques communes aux produits adopt' et POP ! ne portant pas sur leurs éléments d'identification et en présence d'éléments de différenciation nets caractérisant les produits POP ! l'impression d'ensemble produite par ces derniers auprès du public ne le conduira pas à se méprendre sur leur origine ou à croire qu'ils sont commercialisés par une entreprise économiquement liée à la société Adopt parfums de sorte que le risque de confusion n'est pas démontré par l'appelante.

En outre la présence d'une salariée, ancienne « directrice marketing communication e-commerce » de la société Adopt parfums, au sein de la société TOP entre 2016 et fin 2017, outre qu'elle avait quitté ses fonctions à la date du lancement de la gamme POP ! est insuffisante à démontrer un comportement déloyal de la part de la société TOP, lequel ne peut découler de simples présomptions.

Les demandes fondées sur des actes de concurrence déloyale doivent donc être écartées et le jugement confirmé sur ce point.

Sur les actes de parasitisme

La société Adopt parfums fait valoir que les eaux de parfums adopt' représentent une valeur économique individualisée, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements (recherche et développement, dépôt de modèles et marques, matériel, outillage, conception et achat de meubles présentoirs) qui ont conduit au succès de la gamme, comme en attestent les différents prix/trophées reçus ainsi que les ventes en croissance régulière avec augmentation corrélative du nombre de références.

Elle entend voir condamner son ancien distributeur, qui a, avec la complicité d'un de ses fournisseurs, repris l'ensemble des caractéristiques innovantes de ses eaux de parfums ainsi que ses méthodes de présentation et argumentaires de vente, bénéficiant ainsi d'un avantage économique évident puisqu'ils se sont épargnés les investissements inhérents au lancement sur le marché d'un nouveau produit. Selon elle, ni la société Monoprix ni la société TOP ne justifient d'investissements de recherche et développement en lien avec les produits POP !.

Sur ce,

Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

Les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en 'uvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme.

Les caractéristiques des produits adopt' et de leur mode de présentation reprises par la gamme POP ! visent à répondre aux besoins d'une même clientèle et/ou étaient déjà répandues parmi les acteurs du secteur de la parfumerie au moment où les supposés faits de parasitisme ont été dénoncés, ces produits étant présentés dans un format de voyage facilitant leur utilisation et commercialisés à un prix modique, de sorte que l'appropriation d'une valeur économique individualisée attachée à ces produits n'est pas démontrée. La gamme POP ! dispose en outre d'une identité propre et distincte.

Il s'ensuit que l'appelante échoue à démontrer des actes de concurrence parasitaire de la part des intimées.

Les demandes fondées sur le parasitisme doivent donc être également écartées et le jugement confirmé sur ce point.

Sur les demandes indemnitaires de la société TOP

La société TOP soutient que la procédure initiée par la société Adopt parfums s'inscrit dans une volonté de vengeance et de nuisance à son encontre suite au déréférencement de la gamme adopt' par Monoprix au profit de la gamme POP !, la société Adopt parfums cherchant à monopoliser illégitimement le secteur très profitable des parfums au format de voyage.

Elle rapporte avoir été freinée dans le développement de sa gamme POP ! en France, l'exclusivité au profit de Monoprix ayant expiré en 2023, et à l'international, n'ayant, en application du principe de précaution, pas répondu aux sollicitations de plusieurs enseignes nationales de la grande distribution, ce dont il résulte un préjudice économique tiré d'un gain manqué et à tout le moins d'une perte de chance de gains et sollicite à ce titre une indemnité qui ne saurait être inférieure à 500.000 euros.

Au titre du préjudice moral tenant au discrédit auprès de son partenaire commercial Monoprix portant atteinte à son image, la société TOP sollicite l'octroi d'une indemnité de 50.000 euros.

Sur ce,

La méprise de la société Adopt parfums sur l'étendue de ses droits et les chances de succès de ses prétentions ne suffit pas à qualifier d'abusive la procédure qu'elle a initiée et poursuivie en appel et ce, à défaut d'autres éléments non démontrés en l'espèce dès lors que la société TOP se borne à affirmer que la société Adopt parfums est animée d'une intention de nuire sans justifier de circonstances la caractérisant. De même il n'est pas justifié par la société TOP que l'action exercée par la société Adopt parfums l'a discréditée auprès de la société Monoprix, elle-même mise en cause par la société Adopt parfums.

La société TOP sera par conséquent déboutée de sa demande reconventionnelle.

Sur les demandes accessoires

Partie perdante, la société Adopt parfums sera condamnée aux dépens de première instance, le jugement étant confirmé, et aux dépens d'appel. Elle ne peut de ce fait prétendre à une indemnité procédurale.

Le jugement sera confirmé du chef des frais irrépétibles, la cour ajoutant une condamnation de la société Adopt parfums au paiement d'une somme de 10.000 euros à chacune des sociétés TOP et Monoprix au titre des frais irrépétibles qu'elles ont exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Déboute la société The Other's perfurmers de ses demandes indemnitaires ;

Condamne la société Adopt parfums à payer à chacune des sociétés The Other's perfurmers et Monoprix exploitation la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;

Déboute la société Adopt parfums de sa demande formée au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la société Adopt parfums aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

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