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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 3, 2 juillet 2025, n° 19/00874

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 19/00874

2 juillet 2025

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRET DU 02 JUILLET 2025

(n° , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/00874 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7DEY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Novembre 2018 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n° 15/00886

APPELANT

Monsieur [S] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Fiodor RILOV, avocat au barreau de PARIS, toque : P0157

INTIMEES

SCP [Y] [G] ès qualités de liquidatrice de la liquidation judiciaire de la société MITRYCHEM

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Maria-Christina GOURDAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1205

SAS TEVA SANTE

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentée par Me Sidonie LACROIX-GIRARD, avocat au barreau de PARIS, toque : G0193

AGS CGEA IDF EST

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Claude-Marc BENOIT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1953

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 Avril 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Lisette SAUTRON, Présidente de chambre

Madame Véronique MARMORAT, Présidente de chambre

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-Lisette SAUTRON dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Madame Figen HOKE

MINISTÈRE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public qui a fait connaître son avis, représenté lors des débats par Monsieur Antoine PIETRI, avocat général.

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Lisette SAUTRON, présidente de chambre, et par Figen HOKE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat du 15 avril 2011, le site industriel de [Localité 9] a été cédé avec le fonds de commerce et les contrats de travail par la société Teva qui employait M. [S] [Z] (le salarié), à la SAS Laboratoires [Localité 9], devenue la SAS Mitrychem en 2012.

Par jugement du 1er décembre 2014, le tribunal de commerce de Meaux a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SAS Mitrychem, puis l'a placée en liquidation judiciaire par jugement du 2 mars 2015.

Le 13 mars 2015, l'ensemble des salariés de la société Mitrychem a été licencié, sauf M. [Z] qui a démissionné.

Le 10 août 2015, le salarié a saisi de demandes indemnitaires le conseil de prud'hommes de Meaux qui, par jugement du 29 novembre 2018 l'a débouté de ses demandes.

Par déclaration du 4 janvier 2019, le salarié a interjeté appel de ce jugement.

Le 10 mars 2025, le ministère public a formulé des observations.

Par conclusions, communiquées au greffe par voie électronique le 17 mars 2025, le salarié appelant demande à la cour':

. d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

. de condamner, à titre principal et subsidiaire, la société Mitrychem SAS, prise en la personne de son liquidateur judiciaire Maître [V] [B] (SCP [Y]-[G]) et la société TEVA Santé, et à titre plus subsidiaire la société Mitrychem SAS à lui payer, avec intérêts, la somme de 224 502,06 euros à titre de dommages et intérêts,

. de fixer ces mêmes créances au passif de la société Mitrychem SAS,

. de dire le jugement à intervenir opposable au CGEA D'Île-de-France Est,

. de condamner les sociétés Mitrychem SAS, prise en la personne de son liquidateur judiciaire Maître [V] [B] (Angel-Hazane) et TEVA Santé à lui payer une indemnité de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

. de condamner les sociétés intimées aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, communiquées au greffe par voie électronique le 4 avril 2025, l'appelant a formé les mêmes demandes.

Par conclusions, communiquées par voie électronique au greffe le 4 avril 2025, la société TEVA Santé demande à la cour, par confirmation':

. de déclarer irrecevable comme prescrite l'action de l'appelant visant à contester le transfert de son contrat de travail';

. de le débouter de toutes ses demandes';

. d'ordonner sa mise hors de cause';

. de condamner l'appelant à lui payer la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

. de condamner l'appelant aux entiers dépens.

Par conclusions, communiquées par voie électronique le 1er juillet 2019, la SCP [Y]-[G] ès qualités de liquidateur de la société Mitrychem demande à la cour, par confirmation, de débouter le salarié, de limiter à titre subsidiaire à six mois de salaire l'indemnité réclamée, de condamner l'appelant aux dépens et à lui verser la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 3 avril 2019, l'AGS demande à la cour':

''de débouter les demandeurs de leurs demandes,

A titre subsidiaire,

''de réduire l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

''de fixer au passif de la liquidation les créances retenues,

''de dire le jugement opposable à l'AGS dans les termes et conditions de l'article L3253-19 du code du travail et dans la limite du plafond 6 de la garantie soit 76 080 euros toutes créances brutes confondues sous déduction des sommes déjà versées,

''d'exclure de l'opposabilité à l'AGS la créance éventuellement fixée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

''de rejeter la demande d'intérêts,

''de dire ce que de droit quant aux dépens sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'AGS.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 avril 2025.

Par conclusions du 11 avril 2025, la société AGS a demandé à la cour de rabattre l'ordonnance de clôture, à défaut d'écarter des débats les conclusions et pièces des 14 et 17 mars 2025.

Par conclusions du 25 avril 2025, l'appelant a conclu au débouté de la demande de rejet de ses conclusions et pièces formulée par le garant des salaires.

Par courriers adressés au président de la formation de jugement, du 17 mars 2025 et du 28 avril 2025, les avocats des sociétés Mitrychem et Teva ont fait des observations sur les écritures déposées tardivement par l'appelant le 4 avril 2025.

L'audience de plaidoiries a été fixée au 29 avril 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- le rabat de l'ordonnance de clôture et le rejet d'écritures et de pièces

L'AGS demande à la cour de rabattre l'ordonnance de clôture, à défaut, d'écarter des débats les pièces et les écritures produites par l'appelant les 14 et 17 mars 2025 et à défaut de l'autoriser à produire une note en délibéré en réponse.

Le salarié conclut au rejet de cette demande en faisant valoir que les écritures du 17 mars 2025, dont les intimées ont eu connaissance le 13 mars 2025, visaient à répondre aux observations du ministère public et a généré un report au 8 avril 2025, de la clôture initialement prévue le 18 mars 2025. Il fait observer que la société Teva Santé a répliqué le 4 avril 2025 à ses écritures du même jour. Il ajoute que les pièces communiquées étaient connues des parties intimées, soit pour avoir été déjà transmises dans une autre procédure, soit pour émaner des parties intimées elles-mêmes, soit sont des arrêts de la cour de cassation, ou des pièces comptables et financières.

La demande de rabat de l'ordonnance de clôture sera rejetée dans la mesure où les évènements qui la motive ne sont pas survenus depuis que l'ordonnance a été rendue, qu'ils étaient connus du conseiller de la mise en état, qui, tenant compte des écritures des 14 et 17 mars 2025, a reporté au 8 avril 2025 la clôture initialement prévue le 18 mars 2025, laissant aux parties adverses plus de 20 jours pour y répondre, étant observé que les écritures de mars 2025 ne font que préciser des moyens déjà développés dans les dernières écritures de 2020 et qu'elles sont accompagnées de 13 nouvelles pièces constituées d'éléments de jurisprudence et d'un extrait du site internet de Teva.

En revanche, bien que les sociétés Teva et Mitrychem n'ont pas pris de conclusions sur le rabat de l'ordonnance de clôture et le rejet des écritures et pièces, elle se est, à raison, opposées pendant la mise en état à l'admission des écritures et pièces déposées le 4 avril 2025 par l'appelant, ce sur quoi le conseiller de la mise en état, faute de compétence, n'a pas statué renvoyant les parties à l'appréciation de la cour qui, en application des dispositions de l'article 16 du code de procédure civile a obligation de faire respecter le principe de la contradiction en toutes circonstances.

La cour note que les écritures déposées par l'appelant le 4 avril 2025 ajoutent aux écritures précédentes en ce qu'elles':

''précisent l'historique des cessions,

''répondent au moyen de la prescription soulevé par TEVA,

''complètent les moyens tirés':

. De l'inexistence d'une entité économique autonome du site cédé,

. Du périmètre de reclassement,

''abandonnent le moyen tiré de la cession frauduleuse,

''ajoutent un moyen tiré de la faute de gestion de la société Mitrychem,

''s'accompagnent de 40 nouvelles pièces.

Les parties adverses ne pouvaient manifestement pas, en trois jours incluant le samedi et le dimanche, dans un dossier complexe, répondre à ces importantes modifications. Il est faux de prétendre que la société Teva a répondu le 4 avril 2025 aux écritures du même jour dans la mesure où ses écritures ne font manifestement pas état des importantes modifications faites par l'appelant le matin même.

Il importe peu que ces pièces aient pu avoir été communiquées dans d'autres instances dès lors qu'elles ne l'ont pas été dans la présente instance pour soutenir les moyens spécifiques qui y sont développés.

Aussi, il convient de rejeter les conclusions et pièces déposées par l'appelant le 4 avril 2025 en violation du droit à la contradiction des parties adverses.

La cour se référera donc aux écritures de l'appelant du 17 mars 2025.

2- la prescription des demandes

La société TEVA Santé soutient que les demandes visant à remettre en cause le transfert des contrats de travail sont irrecevables car prescrites. La société TEVA Santé indique que le point de départ de la prescription est fixé au 1er octobre 2011, date du transfert des contrats à la suite de la cession du site de [Localité 9]. Elle estime que le salarié disposait à cette date de l'ensemble des éléments de faits lui permettant d'exercer son action. La société Teva Santé estime que le délai de prescription, initialement de 5 ans, est passé le 17 juin 2013 à 2 ans. Elle affirme que le délai de prescription a été acquis au 16 juin 2015 à minuit de sorte que l'action engagée au mois d'août 2015 se trouve prescrite.

L'appelant et l'AGS ne répliquent pas sur ce point.

L'appelant exerce une action indemnitaire visant à se faire indemniser les préjudices nés de la perte de son emploi ensuite de sa démission.

La nature de cette demande commande de faire application des dispositions de l'article L 1471-1 deuxième alinéa du code du travail.

En l'absence de production par les parties de la lettre de démission la cour ignore la date de la notification de la rupture par le salarié de sorte que le point de départ du délai de prescription n'est pas identifié.

L'irrecevabilité pour cause de prescription doit donc être écartée.

3- le fond

Le salarié appelant conteste la rupture du contrat de travail aux motifs':

''que les circonstances entourant sa démission ne caractérisent pas une volonté libre et non équivoque de mettre fin au contrat de travail. En effet, il affirme que c'est le contexte économique délétère de l'employeur et l'incertitude quant au sort de son contrat de travail qui l'ont contraint à prendre l'initiative de la rupture du contrat.

''que la rupture n'a pas été prononcée par le véritable employeur qui est Teva Santé dès lors que':

. Elle découle d'une cession frauduleuse des laboratoires de Mitre More par la société Cephalon devenue Teva Santé, laquelle est en réalité une externalisation frauduleuse de l'usine et de son personnel vers la société Mitrychem et le groupe Asmara et Rouver Investissement en vue d'éluder les dispositions impératives du code du travail relativement au licenciement économique et plus particulièrement en vue d'éviter, au préjudice des salariés, un plan social économique outre une obligation de reclassement, et au final faire transférer à une société vouée à la ruine, et in fine à l'AGS, la charge des licenciements. Il en veut pour preuve la dissimulation volontaire de l'identité du repreneur pour faire croire en la reprise par une société PILS de droit anglais, de solide envergure, le financement intégral de la reprise de l'usine par des commandes onéreuses et des contrats permettant d'importantes rémunérations caractérisant ainsi la rémunération de la fraude, et l'immixtion de la société Teva Santé dans la gestion de la société Mitrychem dont les dirigeants n'étaient que des dirigeants de paille. Sur le fondement du principe 'Fraus omnia corrompit', il en conclut que la cession lui est inopposable, que la société Teva Santé est restée son employeur et aurait dû prendre l'initiative de la rupture du contrat de travail de sorte que celle décidée par la société Mitrychem est nulle ;

. Les conditions d'application de l'article L1224-1 du code du travail n'étaient pas réunies faute de transfert d'une entité économique autonome. Il soutient en effet que la convention de cession exclut explicitement le transfert de plusieurs actifs essentiels à la poursuite des activités de recherche, de développement et de production de produits pharmaceutiques, que la Société Teva Santé était l'unique client et dirigeait en fait la société Mitrychem. Il soutient l'absence de finalité économique propre de l'activité transférée et en déduit que les opérations de cession lui sont inopposables, que les contrats de travail n'ont donc jamais été transférés, de sorte que la société Teva Santé est toujours resté l'employeur';

''que la rupture aurait due être également à l'initiative de la société Teva Santé, en sa qualité de co-employeur. En effet, il soutient que les sociétés Teva Santé et Mitrychem sont co-employeurs à l'égard des salariés et doivent toutes deux répondre des conséquences des licenciements pour motif économique. Il fait valoir que ces deux sociétés constituent une seule et même entité économique, gérée en fait par la société Teva Santé ce qui dépasse le degré normal de collaboration entre sociétés d'un groupe s'agissant d'une immixtion permanente, durable et structurelle dans la gestion économique et sociale, privant la société Mitrychem d'autonomie, en insistant sur le fait que ce schéma économique n'est que la traduction de l'opération frauduleuse de cession. Il souligne que l'intégralité du chiffre d'affaires de Mitrychem est réalisé avec TEVA Santé, que des conventions de gestion ont été conclues entre les sociétés, que TEVA Santé assure le financement de Mitrychem et lui a imposé un cahier des charges restrictif. Il soutient que la société Teva Santé n'a rempli aucune de ses obligations d'employeurs tant dans l'exécution de l'obligation individuelle de reclassement que dans l'organisation du licenciement rendant le licenciement nécessairement illicite';

''que le licenciement n'est pas fondé faute pour l'employeur d'avoir respecté son obligation de reclassement individuel en violation des articles L 1233-4 et L 1233-4-1 du code du travail en leur version antérieure à la loi n° 2010-499 du 8 août 2016. En effet, il reproche au liquidateur de Mitrychem de ne pas avoir sollicité toutes les entreprises du groupe Teva auquel il élargit le périmètre de reclassement en raison de l'immixtion du groupe dans la gestion de la société Mitrychem, ni les entreprises Calamar et Rouver Investissement en lien capitalistique avec la société Mitrychem ainsi qu'aux autres sociétés à l'étranger contrôlé par celles-ci.

En réplique, la société Teva Santé soutient':

''que le salarié a démissionné de la société Mitrychem sans aucune réserve, sans contentieux contemporain à sa décision, en faisant observer qu'à la date de démission, son licenciement ne présentait aucun caractère inéluctable. La société Teva Santé indique que le salarié n'apporte aucun élément permettant de remettre en cause sa volonté claire et non équivoque de démissionner. La société Teva souligne que celui-ci a prétendu remettre en cause sa démission en cours d'instance prud'homale, près de quatre ans après.

''que la fraude, qui se définit comme la soustraction à l'exécution d'une norme obligatoire par l'emploi d'un moyen tiré du droit positif et qui suppose la réunion d'un élément légal, d'un élément matériel, et d'un élément intentionnel, n'est pas établie, en rappelant que la preuve incombe au demandeur. Elle conteste la fraude en soutenant que la cession d'un site relève du pouvoir de gestion de l'entreprise laquelle ne peut être sanctionnée dans la mesure où le cédant ne peut savoir que l'avenir du site cédé peut-être compromis ; qu'au cas d'espèce, la cession d'un établissement distinct et autonome de la société Cephalon France est intervenue dans un contexte où l'activité du site connaissait des difficultés en termes de volume de production laissant comme seule solution soit la fermeture du site, soit sa cession, laquelle a été préférée pour permettre une pérennisation de l'activité et le maintien de l'emploi en faisant observer que le seul fait que le site cédé soit déficitaire n'est pas suffisant à caractériser l'existence d'une fraude, et qu'il n'est pas démontré que l'opération envisagée était vouée à la ruine. Elle soutient que les conventions conclues dans le cadre de la reprise laissaient à la société Mitrychem la liberté de développer pour son compte ou pour le compte de tiers une activité de recherche et développement, de développer une activité de fabrication d'autres principes actifs pour son compte pour le compte de tiers, de mettre en 'uvre les autres relais de croissance, son business plan visant à mettre en place un laboratoire de générique totalement intégré de la création à la molécule jusqu'à sa commercialisation de sorte qu'il est erroné de prétendre que ces conventions avaient pour objectif d'organiser des difficultés économiques de la société de programmer ainsi sa fermeture. Elle prétend avoir apporté son soutien à la société cessionnaire dans le cadre juridique spécifique de la procédure de conciliation sous contrôle du tribunal de commerce compte tenu de la situation fragile de cette société. Elle affirme qu'aucune man'uvre de dissimulation n'a été mise en 'uvre en soulignant le fait que l'identité du repreneur ne saurait caractériser une man'uvre frauduleuse de nature à remettre en cause la validité des opérations et celle du transfert des contrats de travail dans la mesure où l'identité du repreneur n'a jamais été dissimulée et qu'elle était sans impact sur la réalisation de la cession elle-même. La société TEVA Santé affirme que les flux financiers la liant à Mitrychem résultent des conventions conclues entre les parties et ne présentent aucune anormalité caractéristique d'une quelconque fraude. La société intimée précise que les avances qu'elle a consenties à Mitrychem sont fondées sur un contexte particulier à savoir, la sollicitation de TEVA Santé au cours de la procédure de conciliation ouverte au bénéfice de Mitrychem par le tribunal de commerce de Meaux. Elle indique n'avoir eu aucune intention frauduleuse tout au long de la cession. Elle indique que son projet de recherche d'un repreneur a été longuement mûri et avait notamment pour objectif de construire une société française spécialisée dans les génériques intégrées verticalement et qui maintiendrait l'emploi.

''que les conditions d'application de l'article L1224-1 du code du travail étaient réunies et permettaient le transfert. En effet, la société intimée affirme que le site de [Localité 9] constituait une entité économique autonome dont l'activité s'est poursuivie. Elle précise également ne pas s'être immiscée dans la gestion de Mitrychem et n'en a jamais exercé un contrôle de fait. Aussi, TEVA Santé dit que l'absence alléguée de diversification de la clientèle de Mitrychem ne lui est pas imputable. Elle souligne que Mitrychem disposait d'une activité propre dont TEVA Santé était totalement étrangère et que l'accord global prévoyant un accompagnement du repreneur est usuel, que la réalisation de l'opération de cession ne présentait aucun caractère anormal et que les conditions tarifaires consenties ne caractérisent en aucun cas une attitude anormale de la part de Cephalon et encore moins une prise de direction de la société Mitrychem après la cession du site de Mitre More. Elle en déduit que les conditions légales étaient réunies pour le transfert du contrat de travail';

''qu'il n'existe pas de situation de co-employeuse entre elle et Mitrychem. En effet, la société intimée affirme qu'il n'existe aucune confusion de direction et aucune immixtion dans la gestion économique et sociale de la société Mitrychem. La société TEVA Santé conteste être liée à la société Mitrychem par des conventions de gestion. Les contrats liant les parties, à savoir un contrat de fabrication et un contrat de services, régissent selon elle leurs relations commerciales dans le domaine pharmaceutique. La société TEVA Santé rappelle que les avances qu'elle a consenties à la société Mitrychem l'ont été dans le cadre de la procédure de conciliation ouverte au bénéfice de cette dernière et ne peuvent constituer une immixtion dans la gestion économique de la société Mitrychem. La société intimée indique que les cessions Amilly intervenues entre la société Mitrychem et sa banque constituent une garantie de droit réclamée par la banque de la société Mitrychem et ne peuvent constituer une immixtion de TEVA Santé dans la gestion de Mitrychem. La société TEVA Santé affirme que tant ses activités que ses intérêts sont distincts de ceux de la société Mitrychem que les deux sociétés sont distinctes dans leur gestion, leur organisation, leur activité, qu'elles n'appartiennent pas à un même groupe, qu'elles ne sont liées par aucun lien capitalistique, et que leurs liens ont toujours été strictement limités à des relations clients-fournisseurs, la société Mitrychem étant totalement autonome dans sa gestion .

''que la demande d'indemnisation est excessive au regard de l'absence de justification du préjudice subi';

La société Mitrychem soutient':

''que le salarié a démissionné de la société Mitrychem sans aucune réserve, sans contentieux contemporain à sa décision'; qu'il a prétendu de façon opportune remettre en cause sa démission en cours d'instance prud'homale, près de quatre ans après';

''qu'on ne voit pas sur quel fondement le liquidateur judiciaire pourrait être condamné au paiement de dommages-intérêts, et qu'à titre subsidiaire il est impossible de prononcer une condamnation in solidum entre une entité en liquidation et une entité in bonis dès lors qu'une telle condamnation suppose, selon la Cour de cassation, que le conseil de prud'hommes ou la cour d'appel détermine la quote-part imputable à chacune des sociétés en identifiant les responsabilités respectives de chacune des entités';

''que les conditions jurisprudentielles restrictives au coemploi ne sont pas réunies'; que la société Mitrychem est une entité distincte de la société Teva Santé. Elle affirme qu'il n'existe aucune confusion de direction, d'activités ou d'intérêts entre les deux entités';

''qu'elle a respecté son obligation de reclassement en rappelant les délais contraints du liquidateur pour procéder au licenciement et au reclassement et en faisant observer qu'elle a interrogé l'ensemble des sociétés du groupe auquel appartenait la société liquidée et qu'au surplus elle a procédé à une recherche de reclassement externe';

L'AGS soutient qu'aucune situation de co-employeuse ne peut être reconnue entre les sociétés Mitrychem et Teva Santé. Il s'agit selon elle de deux entités juridiques distinctes au sein desquelles aucune confusion de direction, d'activité ou d'intérêts ne peut être caractérisée. Elle estime que le mandataire liquidateur a respecté l'obligation de reclassement pesant sur lui.

Le ministère public, dans ses observations soutient':

''que les conditions de l'article L 1224-1 du code du travail de transfert des contrats de travail étaient réunies dès lors que les contrats passés entre les sociétés Teva et Mitrychem relèvent des concessions réciproques consenties entre partenaires dans le cadre de la liberté contractuelle, et ne permettent pas d'établir que la société Mitrychem ne poursuivait pas un objectif économique propre et que la cession ne portait pas sur une entité économique autonome';

''que la cession frauduleuse du site de [Localité 9], qu'il appartient au salarié de démontrer, n'est pas établie, quand bien même il présente un faisceau d'indices le laissant supposer'; qu'en effet, il n'est pas démontré que le projet était compromis dès l'origine de la cession, que le site de [Localité 9] n'était pas libre de développer d'activité propre ou pour le compte de tiers, ni que la société Teva Santé se serait immiscée anormalement dans la gestion de la société Mitrychem, ni que l'identité du repreneur final aurait été dissimulé,

''que le co-employeur n'est pas établi'; qu'en effet, la société Teva Santé a apporté un soutien important à la société Mitrychem sans que les éléments versés aux débats n'établissent une immixtion permanente dans la gestion de cette société.

La démission exprime la volonté du salarié de rompre unilatéralement le contrat de travail à durée indéterminée qui l'unissait à son employeur'; la démission d'un salarié en raison de faits qu'il reproche à son employeur s'analyse en une prise d'acte qui produit des effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient soit dans le cas contraire d'une démission.

Le salarié impute sa démission à la situation de l'entreprise au regard de la cession frauduleuse du laboratoire de [Localité 9], de l'illicéité du transfert de son contrat de travail et du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement.

A- sur la cession frauduleuse

La fraude au sens ici invoqué, peut se définir conformément au vocabulaire juridique (Vocabulaire juridique Gérard Cornu Association Henri Capitant) comme un acte accompli dans le dessein de préjudicier à des droits que l'on doit respecter.

Il est constant que la fraude ne se présume pas et doit être prouvée par celui qui l'invoque. Elle doit s'apprécier à la date de la cession prétendument frauduleuse, soit en 2011.

Le projet de plan de restructuration de la SAS Mitrychem en janvier 2015, produit par l'appelant, indique que la SAS laboratoire [Localité 9] Le contrat de cession était accompagné d'un contrat de prestations R&D et de production. Les résultats de la société, bien que faibles, ont été en constante augmentation entre 2011 et 2013 et se sont effondrés en 2013 lorsque les prix payés par la société Teva ont été divisés par deux au terme du contrat initial. Ce projet de plan confirme une dépendance de la société Mitrychem à l'égard de la société Teva.

Cette dépendance est confirmée par les expertises sur lesquelles s'appuie le salarié. Ainsi, l'expertise réalisée par le cabinet Sextant pour le compte du comité d'entreprise de la société Mitrychem en octobre 2014 suite à une procédure d'alerte, note également cette dépendance en mettant en exergue le fait que les difficultés de la société s'expliquent par le fait qu'elle n'a pas su s'autonomiser. Cette expertise indique que le contrat de cession du site, qui était en déficit croissant depuis 2008, était accompagné d'un contrat d'approvisionnement et de prestations, d'un engagement d'investissement et d'une garantie d'emploi pendant trois ans. L'opération initialement prévue avec la société PILS a été réalisée avec la société Laboratoires [Localité 9] spécialement crée à cet effet et qui deviendra par la suite la SAS Mitrychem.

Le rapport d'expertise établi par le cabinet ALTER en avril 2015 va plus loin en concluant':

''que la société Teva a engagé des man'uvres frauduleuses en faisant croire à un contrat de cession avec la société PILS pour obtenir l'accord des élus du comité d'entreprise mais en le réalisant avec un autre repreneur';

''que la société Mitrychem était maintenue dans la dépendance de la société Teva de sorte que l'opération avait pour véritable but d'éviter le financement de la fermeture du site, notamment les licenciements qui n'auraient pas été causés par des difficultés économiques et la dépollution.

L'expert note toutefois que le site a été vendu en raison de son absence de rentabilité qui ne laissait que deux solutions à la société Cephalon': fermer ou céder.

Il ressort donc de ces éléments et notamment de ces expertises dont les conclusions ne lient pas la cour, que la société Cephalon, devenue par la suite Teva Santé, était propriétaire d'un site qui n'était pas rentable.

La société Cephalon France, depuis absorbée par Teva, a choisi l'une des deux solutions qui s'offrait à elle, à savoir vendre. Elle l'a fait dans des conditions coûteuses assurant un accompagnement du cessionnaire et une garantie des emplois pendant trois ans, le temps pour la société repreneuse de développer à partir du site une activité plus rentable et de s'autonomiser.

S'il s'avère que les repreneurs n'ont pas investi dans le site comme le note le cabinet Sextant, aucune pièce du dossier ne permet de croire que ce schéma de défaillance finale inévitable était celui auquel la société Cephalon, devenue Teva, a adhéré lors de la cession.

Par ailleurs, à supposer, comme le prétend le cabinet d'expertise ALTER que les licenciements des salariés du site aient été impossibles faute de difficultés économiques du groupe, il ne restait donc plus à la société Teva que la possibilité d'une réorganisation en cas de menace sur la compétitivité, ce qui n'est pas allégué, ou le maintien d'un site déficitaire. Dans ces conditions, la recherche d'une solution plus avantageuse, notamment pour l'emploi, qui relève des décisions économiques stratégiques d'une entreprise, ne peut être vue comme une fraude.

De plus, les documents de présentation de la société lors de la cession montre que la société Cephalon détenue par la société Teva santé, ne souhaitait pas faire vivre un site qui développait une activité de chimie fine (élaboration de principes actifs entrant dans la fabrication de produits pharmaceutiques) qui n'était pas son c'ur de métier et dans laquelle elle estimait ne pouvoir être compétitive, ce qui explique qu'elle se soit tournée vers la cession.

Le fait que la société cessionnaire n'ait pas été celle présentée aux salariés n'est pas suffisant à établir la fraude sachant que la société Laboratoires de [Localité 9], dont l'actionnariat est inconnu de la cour, a été créée spécialement pour la reprise du site.

Enfin, la société Cephalon devenue la société Teva a mûri le projet de reprise sur plusieurs années pour assurer une pérennité du site et un maintien de l'emploi, objectifs pour lesquels elle a passé contrats visant à soutenir le repreneur le temps de la relance.

Aucune pièce du dossier ne permet d'établir que l'intention de la société Cephalon devenue Teva ait été de se débarrasser des contrats de travail pour éviter le coût social de la fermeture du site.

Aussi, le moyen ne peut aboutir.

B- sur l'absence de transfert régulier du contrat de travail

En application des dispositions de l'article L 1224-1 du code du travail lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

C'est le cas lorsque la cession porte sur une entité économique autonome. Au cas d'espèce, le site de [Localité 9] était un établissement de la société Cephalon. La notion d'entité économique renvoie à un ensemble organisé de personnes et d'éléments permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre. Le transfert d'une entité économique autonome se réalise si des moyens corporels et incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité sont repris, directement ou indirectement, par un nouvel exploitant.

Le contrat de cession litigieux transfère à la SAS Laboratoires [Localité 9] :

''des actifs incorporels tels':

. la clientèle mais limitée au cédant et à ses sociétés affiliées outre le droit de se présenter comme le successeur du cédant dans le fonds de commerce,

. Les contrats d'abonnements aux services publics, listés dans une annexe,

. Les logiciels, listés dans une annexe,

. Les autorisations d'ouverture d'installations classées,

. Les droits et obligations du cédant à l'égard des tiers,

''des actifs corporels tels':

. Le site,

. Les bâtiments,

. L'équipement,

Étaient exclus':

. Les stocks,

. Les dettes financières,

. La trésorerie,

. Les créances,

. Les droits de propriété intellectuelle,

. Les contrats d'assurance

. Les actifs qui n'ont pas été listés comme ayant été cédés,

Étaient également transférés les contrats de travail et les contrats commerciaux.

Il ressort de cette liste qu'ont été cédés un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre.

Le fait que la clientèle cédée soit réduite à la société Teva et ses sociétés affiliées n'y fait pas obstacle dès lors que se trouve également cédée le droit pour le cessionnaire de se présenter comme le successeur du cédant ce qui autorise, parallèlement à la clientèle cédée, le développement d'une clientèle propre.

Le moyen ne peut davantage prospérer.

C- sur le coemploi

Hors l'existence d'un lien de subordination, une société ne peut être qualifiée de coemployeur, à l'égard du personnel employé par une autre société, que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre elles et l'état de domination économique que peuvent engendrer leur relation commerciale, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière.

Il ressort des accords passés entre la société Cephalon devenue Teva et la société Laboratoires [Localité 9]

Toutefois, aucune pièce du dossier ne permet d'objectiver une immixtion permanente de la première dans la gestion économique et sociale de la seconde. En effet, le mail par lequel le dirigeant de la société Mitrychem sollicite du dirigeant de la société Teva une aide financière n'est pas la marque d'une perte d'autonomie mais d'une recherche de financement auprès d'un partenaire qui l'avait toujours soutenu. L'expertise du cabinet ALTER affirme que la société Teva assure le contrôle de fait de la société Mitrychem au sens où la société Teva assure, par l'aide qu'elle apporte, une domination économique sur la société Mitrychem à qui elle dicte les conditions de l'aide qu'elle apporte. Rien ne permet d'objectiver l'immixtion de la société Teva dans la gestion sociale de la société Mitrychem, ni que cette société ait été dépossédée de son pouvoir de décision au point de perdre son autonomie.

Le moyen tiré du coemploi ne peut non plus prospérer.

Aussi, le salarié ne peut sérieusement arguer que sa démission en 2014 aurait été équivoque en raison de la cession prétendument frauduleuse réalisée en 2011 ou du prétendu transfert illicite du contrat de travail en 2011, pas plus qu'il ne peut soutenir qu'un défaut de reclassement postérieur en serait à l'origine sachant qu'il ne peut être demandé au liquidateur de reclasser un salarié qui par sa démission, était sorti des effectifs à la date de la liquidation.

Au final, l'appelant doit être débouté par confirmation du jugement sur ce point.

4- les autres demandes

''la mise hors de cause de Teva santé

La société Teva santé ne saurait être mise hors de cause. Si l'appelant doit être débouté de ses demandes à l'encontre de celle-ci, les moyens présentés à son encontre lui confère intérêt et qualité à être présente au litige ce qui exclut sa mise hors de cause.

''la garantie des salaires

La garantie des salaires est sans objet compte tenu de la décision de débouter le salarié.

Le jugement sera confirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.

''les frais irrépétibles et les dépens

En appel, le salarié qui succombe supportera les frais irrépétibles et les dépens. À ce titre, il sera condamné à payer à la société Teva Santé et à la société Mitrychem représentée par son liquidateur la somme de 500 euros chacune.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par décision contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Rejette la demande de rabat de l'ordonnance de clôture';

Rejette les conclusions et pièces (54 à 94) déposées par l'appelant le 4 avril 2025';

Confirme le jugement rendu le 29 novembre 2018 par le conseil de prud'hommes de Meaux';

Y ajoutant,

Déclare recevables les demandes';

Rejette la demande de mise hors de cause de la société Teva santé';

Condamne M. [S] [Z] à payer à la société Teva Santé et à la société Mitrychem la somme de 500 euros chacune en remboursement de leurs frais irrépétibles d'appel ;

Déclare le présent arrêt commun et opposable à l'AGS ;

Condamne M. [S] [Z] aux dépens de l'instance d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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