Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 4 juillet 2025, n° 22/12787

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

ITM Alimentaire International (SASU)

Défendeur :

Lidl (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme L'Eleu de la Simone, Mme Guillemain

Avocats :

Me Guerre, Me Guidoux, Me Teytaud, Me Donnedieu de Vabres, Me Bombardier, Me Vever

T. com. Paris, du 30 mai 2022, n° 201904…

30 mai 2022

FAITS ET PROCEDURE

La SASU ITM Alimentaire International (la société ITM) est en charge de la stratégie et de la politique commerciale des enseignes de distribution alimentaire du Groupement des Mousquetaires, notamment Intermarché et Netto.

La SNC Lidl est une enseigne allemande exerçant également une activité de commerce de grande distribution. Elle est active principalement dans le secteur alimentaire et exploite plus de mille cinq cents points de vente.

Depuis l'année 2017, la société Lidl mène des campagnes de publicité en diffusant chaque semaine des spots télévisés destinés à mettre en avant certains produits sélectionnés.

Soutenant que ces campagnes constituaient des opérations commerciales de promotion télévisuelle interdites par l'article 8 du décret n° 1992-280 du 27 mars 1992 et des pratiques commerciales trompeuses, caractérisant des actes de concurrence déloyale, par acte du 1er août 2019, la société ITM a fait assigner la société Lidl devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 30 mai 2022, le tribunal a':

- Débouté la société ITM de toutes ses demandes';

- Condamné la société ITM à payer à la société Lidl la somme de 75.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire';

- Condamné la société ITM aux dépens.

La SASU ITM Alimentaire International a formé appel du jugement, par déclaration du 7 juillet 2022.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique, le 25 septembre 2024, elle demande à la Cour de :

"o DÉCLARER recevable et bien fondé l'appel de la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL ;

o INFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 30 mai 2022 en toutes ses dispositions et en ce qu'il a :

- Débouté la SASU ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamné la SASU ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL au paiement de 75.000 € à la SNC LIDL en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamné la SASU ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.

Et, statuant à nouveau :

o JUGER recevable et bien fondée la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL en l'ensemble de ses demandes ;

o JUGER que les 374 spots publicitaires télévisés de la société LIDL mettant en avant le prix d'un produit, diffusés entre janvier 2017 et novembre 2023, constituent des opérations commerciales de promotion interdites par l'article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992 ;

o JUGER que les 374 spots publicitaires télévisés de la société LIDL mettant en avant le prix d'un produit, diffusés entre janvier 2017 et novembre 2023 sont constitutifs de pratiques commerciales trompeuses au sens des articles L. 121-2, L. 121-3 et L. 121-4 du Code de la consommation ;

o JUGER que ces pratiques constituent des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL ;

En conséquence, sur la réparation du préjudice subi :

o A titre principal, CONDAMNER la société LIDL au paiement de la somme de 43.364.409 € à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi par la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL ;

o A titre subsidiaire, CONDAMNER la société LIDL au paiement de la somme de 41.936.400 € à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi par la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL ;

En tout état de cause, sur les mesures d'interdiction et de publication :

o FAIRE INTERDICTION à la société LIDL de diffuser des spots publicitaires à la télévision pour des produits assortis d'un prix sans assurer leur disponibilité pendant une durée de 15 semaines dans l'ensemble de ses magasins ;

o FAIRE INTERDICTION à la société LIDL de diffuser des spots publicitaires à la télévision pour des produits assortis d'un prix dont la disponibilité serait limitée à une durée inférieure à 15 semaines dans les catalogues promotionnels et autres supports de communication de l'enseigne ;

o JUGER que ces mesures d'interdiction seront assorties d'une astreinte de 10.000 € par infraction constatée, l'infraction étant caractérisée par la diffusion au cours d'une journée sur une chaîne de télévision d'un spot publicitaire pour un produit qui ne respecterait pas les interdictions susvisées 15 jours après la signification de la décision à intervenir ;

o ORDONNER la publication du jugement à intervenir dans cinq revues au choix de la demanderesse et aux frais de la société LIDL dans la limite de 20.000 € par insertion, sur les pages éditées par LIDL France sur les réseaux sociaux Facebook https://www.facebook.com/LIDLfrance, X https://x.com/lidlfrance'lang=en et Instagram https://www.instagram.com/LIDLfrance/'hl=fr, visible dès l'arrivée sur lesdites pages en police de caractère ARIAL 12 pendant une durée discontinue de deux mois, ainsi que sur le site internet www.LIDL.fr, en première page d'accueil du site LIDL.fr visible dès l'arrivée sur le site en police de caractère ARIAL 12 pendant une durée de deux mois.

En tout état de cause :

- CONDAMNER la société LIDL au paiement à la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL de la somme de 7.088,74 € au titre du remboursement des frais d'huissier engagés en cause d'appel ;

- CONDAMNER la société LIDL au paiement à la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL de la somme de 150.000 € HT au titre du remboursement des frais d'études engagés en cause d'appel ;

- CONDAMNER la société LIDL au paiement à la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL de la somme de 300.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel."

Dans ses dernières conclusions, transmises par voie électronique, le 16 octobre 2024, la SNC Lidl demande à la Cour, sur le fondement du décret n° 92-280 du 27 mars 1992, modifié par les décrets n° 2003-960 du 7 octobre 2003 et n° 2020-983 du 5 août 2020, des articles L. 121-1, L. 121-3 et L. 121-4 du code de la consommation, de l'article 1240 du code civil, de l'article 700 du code de procédure civile, et des articles L. 151-1 et R. 153-3 et suivants du code de commerce, de :

"A titre principal, de :

CONFIRMER en toutes ses dispositions le Jugement du Tribunal de commerce de Paris du 30 mai 2022, en qu'il a :

- débouté ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamné ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL au paiement de 75.000 € à la SNC LIDL en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA ;

dès lors que la société Lidl n'a commis aucune faute :

- en ce que les spots TV n'ont pas été diffusés, sur la période visée par l'assignation, en violation du décret n°92-280 du 27 mars 1992 ;

- en ce que les spots TV n'ont pas davantage été diffusés en violation de la réglementation sur les pratiques commerciales trompeuses.

A titre subsidiaire, de :

- JUGER qu'ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL n'a subi aucun préjudice indemnisable du fait de la diffusion par Lidl de ses spots TV :

- en ce qu'ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL n'établit pas l'existence d'un préjudice direct et certain, dès lors qu'ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL, qui est un poids lourd de la grande distribution en France, avec des parts de marché en constante augmentation et qui sont largement plus du double de celle de Lidl, ne subit aucun préjudice du fait des publicités télévisées de Lidl ;

- en ce qu'ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL n'établit pas un lien de causalité entre les spots TV diffusés par Lidl et l'évolution (non démontrée) prétendument insuffisante de la part de marché d'ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL dès lors qu'ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL n'établit ni, d'une part, que les gains de part de marché de Lidl se seraient faits au détriment de l'évolution des siennes, ni, d'autre part, que ces gains seraient la résultante exclusive des spots TV de Lidl dont elle se plaint ;

EN CONSEQUENCE,

REJETER l'estimation du cabinet Accuracy mandaté par ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL d'un préjudice de 13 800 000 € dans l'assignation, augmentés à 25 447 706,42 € à 41 936 400 € dans les dernières conclusions d'appel, fondée sur la méthode contrefactuelle.

REJETER la demande d'ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL visant à se voir octroyer 27 847 828 € dans l'assignation et 43 364 409 € dans les dernières conclusions d'appel, fondée sur la méthode appliquée dans deux arrêts isolés de la Cour d'appel de Paris des 6 février et 24 avril 2019, en l'absence de démonstration d'un préjudice quantifié et d'un lien de causalité entre celui-ci et les spots TV de Lidl, comme l'impose pourtant la Cour de cassation.

REJETER la demande d'ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL d'injonction sous astreinte de 10.000 € « par infraction constatée » visant à :

- faire interdiction à la société Lidl de diffuser des spots publicitaires à la télévision pour des produits assortis d'un prix sans assurer leur disponibilité pendant une durée de 15 semaines dans l'ensemble de ses magasins ;

- faire interdiction à la société Lidl de diffuser des spots publicitaires à la télévision pour des produits assortis d'un prix dont la disponibilité serait limitée à une durée inférieure à 15 semaines dans les catalogues promotionnels et autres supports de communication de l'enseigne.

REJETER la demande d'ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL visant à faire condamner Lidl à la publication du dispositif de la décision à intervenir (i) dans cinq journaux et/ou magazines de diffusion nationale au choix d'INTERMARCHÉ et ce, aux frais de la Lidl, dans la limite de 20.000 € par insertion, (ii) sur les pages éditées par LIDL France sur les réseaux sociaux Facebook https://www.facebook.com/lidlfrance, Twitter https://twitter.com/lidlfrance et Instagram https://www.instagram.com/lidlfrance/'hl=fr, visible dès l'arrivée sur lesdites pages en police de caractère ARIAL 12 pendant une durée discontinue de deux mois,, (iii) ainsi que sur le site internet www.lidl.fr, en première page d'accueil du site LIDL.fr visible dès l'arrivée sur le site en police de caractère ARIAL 12 pendant une durée de deux mois.

REJETER les demandes d'ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL visant à faire condamner Lidl au paiement de la somme de 7.088,74 € au titre du remboursement des frais d'huissier engagés en cause d'appel, de la somme de 150.000 € au titre du remboursement des frais d'études engagés en cause d'appel, et de la somme de 260.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

En conséquence, de :

- REJETER l'ensemble des demandes de la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL ;

- CONDAMNER la société ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL à verser à la société Lidl la somme de 200.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux dépens, en sus des sommes déjà octroyées par le Tribunal de commerce de Paris dans son jugement du 30 mai 2022, dont distraction pour ceux le concernant au profit de Maître François TEYTAUD, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.

En toute hypothèse, de :

- déclarer recevable la demande de protection au titre du secret des affaires formée par la société Lidl, développée en pièce n° 30, portant sur les budgets net figurant dans l'attestation du Commissaire aux comptes de Lidl versée en pièce n° 29 ;

- constater que les éléments, objets de la demande, relèvent bien de la protection du secret des affaires de la société Lidl ;

- juger que l'accès auxdits éléments sera restreint à la Cour."

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties susvisées quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 novembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la protection du secret des affaires

L'article L. 153-1 du code de commerce est libellé dans les termes suivants':

"Lorsque, à l'occasion d'une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d'instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l'occasion d'une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication ou la production d'une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu'elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d'office ou à la demande d'une partie ou d'un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l'exercice des droits de la défense :

1° Prendre connaissance seul de cette pièce et, s'il l'estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l'avis, pour chacune des parties, d'une personne habilitée à l'assister ou la représenter, afin de décider s'il y a lieu d'appliquer des mesures de protection prévues au présent article ;

2° Décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l'accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l'assister ou la représenter ;

3° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil ;

4° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de publicité de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires."

La société ITM n'élevant aucune objection, il sera fait droit aux demandes de la société Lidl, fondées sur le secret des affaires, visant à restreindre l'accès à sa pièce n° 29 correspondant à l'attestation du commissaire aux comptes, relative aux charges nettes de publicité télévisuelle sur la période allant du 1er janvier 2017 au 31 mai 2021, préalablement communiquée au tribunal de commerce de Paris dans le cadre d'une note en délibéré, dont la version confidentielle sera réservée à la Cour.

Sur l'étendue de la saisine de la Cour

Au regard de l'effet dévolutif de l'appel principal interjeté par la société ITM et de l'appel incident de la société Lidl, la Cour est saisie de l'entier litige qui a été soumis aux premiers juges.

Elle est aussi saisie de faits postérieurs au jugement au regard de l'article 566 du code de procédure civile comme étant un complément nécessaire.

Ainsi, contrairement à ce que soutient la société Lidl, la Cour est en charge de statuer sur la licéité des spots télévisés diffusés, non pas uniquement avant la délivrance de l'assignation, mais depuis le mois de janvier 2017 jusqu'au mois de novembre 2023.

Sur les actes de concurrence déloyale

Enoncé des moyens

La société ITM prétend que la société Lidl enfreint, depuis plus de sept ans, l'interdiction de diffuser des opérations promotionnelles à la télévision, prévue par l'article 8 du décret du 27 mars 1992. Elle rappelle que la société Lidl a d'ores et déjà été condamnée pour de telles pratiques, par deux arrêts de la cour d'appel de Paris rendus en 2019, qui l'a reconnue responsable d'actes de concurrence déloyale et de pratiques commerciales trompeuses, et que ces décisions ont été confirmées par la Cour de cassation par des arrêts de rejet, en date du 16 décembre 2020. Or, selon elle, la société Lidl a continué, après ces condamnations, entre le mois de janvier 2017 et le mois de novembre 2023, à diffuser chaque semaine de nouveaux spots télévisés portant sur des produits promotionnels selon un mode de distribution différent, mais tout aussi illicite, en limitant la disponibilité des produits promus, pendant quinze semaines, à un nombre très réduit de ses magasins sur le territoire national, répertoriés sur le site Lidl.fr, tout en commercialisant ces mêmes produits dans les mille trois cents autres magasins de son réseau, pour une durée plus limitée.

Elle fait valoir que les spots publicitaires litigieux constituent une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 121-4, 5°, du code de la consommation, faute pour la société Lidl d'assurer la distribution des produits pendant une durée raisonnable et, partant dans des quantités suffisantes, dans tous ses magasins'; elle souligne qu'il existe une disproportion manifeste entre l'ampleur de la publicité, diffusée sur tout le territoire national et le nombre très réduit de magasins concernés'; elle soutient que la société Lidl diffuse ainsi des publicités "appâts", qui sont interdites. Elle prétend ensuite que la mention écrite en petits caractères "magasins concernés sur LIDL.fr", qui n'est visible que pendant trois secondes à la fin de la publicité, ne permet pas d'informer le consommateur du caractère restrictif de l'offre aux magasins concernés, ce qui revient à dissimuler une information substantielle en violation des dispositions de l'article L. 121-3 du même code. Elle se prévaut, enfin, des difficultés pour le consommateur à accéder sur le site internet à la liste des magasins concernés.

La société Lidl explique, pour sa part, qu'elle a modifié ses campagnes publicitaires, à la suite des condamnations dont elle a fait l'objet concernant les publicités relatives à des produits non alimentaires, diffusées entre les mois de novembre 2015 et juin 2016, en les limitant à certains magasins listés sur le site Lidl.fr. Elle prétend que les nouveaux spots télévisés qu'elle diffuse sont ainsi conformes au décret de 1992. Elle rappelle, au préalable, que la perception que certains consommateurs sont susceptibles d'avoir d'une offre ne saurait conférer à celle-ci un caractère promotionnel, dès lors que le produit est disponible dans la durée et que son prix est stable. Elle fait valoir que ni le décret de 1992, qui est d'interprétation stricte, ni la grille de lecture de l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) ne mentionnent d'interdiction de restreindre la disponibilité des produits objet d'une publicité à certains magasins d'une enseigne, ce qui signifie réciproquement que le distributeur est libre de proposer ces produits dans les autres supermarchés, selon la durée et la fréquence de son choix. Elle affirme, à ce propos, que les produits non alimentaires étaient effectivement disponibles pendant au moins quinze semaines au même prix, dans les supermarchés concernés par les spots télévisés. Elle précise qu'elle ne garantit pas la disponibilité des produits dans les autres magasins, mais qu'aucune faute ne saurait lui être reprochée de ce chef, d'autant que leur indisponibilité n'est pas non plus établie. Elle ajoute que l'ARPP a émis un avis favorable à la diffusion de la dernière version des spots télévisés comportant la mention "liste des supermarchés concernés sur lidl.fr".

La société intimée conteste avoir commis des pratiques commerciales trompeuses, au sens de l'article L. 121-4, 5°, du code de la consommation, au motif qu'elle s'est expressément engagée à assurer la disponibilité des produits, pendant au moins quinze semaines, uniquement dans certains magasins, cependant que la société ITM ne démontre pas qu'il y aurait eu une pénurie dans les autres supermarchés. Elle réfute également toute violation des dispositions de l'article L. 121-3 dudit code en faisant valoir que l'information relative à la limitation des magasins concernés, qui figure sur tous les spots télévisés, n'a rien de trompeur'; elle soutient, plus précisément, que leur nombre, même s'il n'est pas précisé, ne constitue pas une information substantielle et que le consommateur est informé de la mise à disposition d'une liste de ces magasins sur son site internet, via la mention "supermarchés concernés sur lidl.fr", à laquelle a été ajoutée une voix off, en 2021. Elle en déduit que le comportement économique du consommateur n'a ainsi été, en aucun cas, altéré.

Réponse de la Cour

- Sur l'interdiction de diffusion à la télévision d'opérations commerciales de promotion

L'article 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 pris pour l'application des articles 27 et 33 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2024-313 du 5 avril 2024, applicable aux faits de la cause, est libellé dans les termes suivants':

"Est interdite la publicité concernant, d'une part, les produits dont la publicité télévisée fait l'objet d'une interdiction législative et, d'autre part, les produits et secteurs économiques suivants :

(...)

- distribution pour les opérations commerciales de promotion se déroulant entièrement ou principalement sur le territoire national, sauf dans les départements d'outre-mer et les territoires de la Polynésie française, des îles Wallis et Futuna, dans la collectivité départementale de Mayotte et en Nouvelle-Calédonie.

Au sens du présent décret, on entend par opération commerciale de promotion toute offre de produits ou de prestations de services faite aux consommateurs ou toute organisation d'événement qui présente un caractère occasionnel ou saisonnier, résultant notamment de la durée de l'offre, des prix et des conditions de vente annoncés, de l'importance du stock mis en vente, de la nature, de l'origine ou des qualités particulières des produits ou services ou des produits ou prestations accessoires offerts."

La publicité télévisée dans le secteur de la distribution est ainsi autorisée, à l'exclusion des opérations commerciales de promotion. Toute offre temporaire, limitée dans le temps est inversement proscrite.

L'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité a édicté, au mois de juin 2006, un document intitulé "Grille de lecture relative à l'article 8 du décret du 27 mars 1992 modifié par le décret du 7 octobre 2003 Adoptée par l'interprofession publicitaire" explicitant en ces termes ce qu'il faut entendre par opération commerciale de promotion': "Pour pouvoir communiquer en publicité télévisée sur le prix des produits et services, le distributeur doit déclarer à l'ARPP (cf. annexe) que le prix pratiqué et la disponibilité du produit (stock) ne sont pas promotionnels, à savoir que le prix est normal, stable, qu'il s'inscrit, avec la disponibilité du produit ou service correspondant, dans la durée". L'ARPP indique, plus précisément, que "pourra constituer une période de référence, une durée de 15 semaines de maintien du prix annoncé et des stocks disponibles."

L'interdiction des opérations commerciales de promotion n'a pas pour objectif de protéger le consommateur, mais vise à préserver l'attractivité, pour les annonceurs, des différents médias par rapport à la télévision et éviter ainsi que la publicité de la grande distribution, qui constitue une source de revenus publicitaires importante, ne se concentre sur les régies publicitaires des chaînes de télévision.

Il résulte de l'article 8 du décret de 1992 qu'est interdite sur des chaînes de télévision la publicité portant sur des opérations qui sont limitées dans le temps ou concernent un stock limité de produits. Le caractère occasionnel ou saisonnier d'une offre s'apprécie au regard de son déploiement sur le terrain et non par référence au contenu du message publicitaire susceptible de la promouvoir. Il s'ensuit que, si un commerçant est libre de ne proposer une offre que dans certains de ses magasins, il faut, pour que cette offre échappe à la qualification d'"opération commerciale de promotion", que tous les magasins qui vendent les produits aux conditions de l'offre, qu'ils figurent ou non sur la liste à laquelle renvoient les publicités télévisées, garantissent leur disponibilité pendant une durée suffisante. A défaut, la publicité télévisée d'une telle offre est interdite (Com., 4 juin 2025, pourvoi n° 23-23.419, publié au Bulletin).

Les parties s'accordent sur le fait qu'une offre n'est pas promotionnelle si le prix pratiqué et la disponibilité du produit ou du service correspondant s'inscrivent dans une durée suffisante d'au moins quinze semaines, comme le recommande l'ARPP.

Il est constant que des magasins de l'enseigne Lidl, autres que ceux figurant dans la liste à laquelle renvoient les publicités télévisées, proposent des offres identiques.

La société ITM explique, sans être contredite, que les produits étaient vendus dans cent quatre-vingt-dix-huit magasins, dont le nombre a été porté à cinq cents en cours de procédure, sur un total de mille cinq cents magasins exploités.

Or, dans ses conclusions, la société Lidl indique qu'elle ne garantit pas la disponibilité des produits objets des publicités dans les magasins qui ne figurent pas dans la liste des supermarchés concernés, ce dont il résulte que la diffusion des spots télévisés litigieux constitue une opération de promotion commerciale interdite.

L'argument selon lequel la société ITM ne rapporte pas la preuve que les produits ne seraient pas, pour autant indisponibles dans les magasins non concernés est, en l'absence de gage de garantie, inopérant de même que la possibilité pour les clients de commander les produits qui n'est qu'hypothétique, la mise en place d'un système logistique prévu spécifiquement à cet effet n'étant pas établie.

Pour le reste, la société Lidl ne peut se retrancher derrière l'avis de diffusion favorable émis par l'ARPP, préalablement à la diffusion de ces publicités télévisées pour les produits non alimentaires, cet avis, dépourvu de force contraignante, ne pouvant exonérer l'annonceur de sa responsabilité.

Il y a donc lieu de juger que la société Lidl a, par ses agissements, enfreint l'article 8 du décret du 27 mars 1992.

- Sur les pratiques commerciales trompeuses

L'article L. 121-1 du code de la consommation dispose':

"Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.

Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service.

(...)

Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121-6 et L. 121-7."

Selon l'article L. 121-2, 2°, a), dudit code, une pratique commerciale est trompeuse lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service.

L'article L. 121-3 prévoit que':

"Une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l'entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu'elle n'indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte.

Lorsque le moyen de communication utilisé impose des limites d'espace ou de temps, il y a lieu, pour apprécier si des informations substantielles ont été omises, de tenir compte de ces limites ainsi que de toute mesure prise par le professionnel pour mettre ces informations à la disposition du consommateur par d'autres moyens.

Dans toute communication commerciale constituant une invitation à l'achat et destinée au consommateur mentionnant le prix et les caractéristiques du bien ou du service proposé, sont considérées comme substantielles les informations suivantes :

1° Les caractéristiques principales du bien ou du service ;

2° L'adresse et l'identité du professionnel ;

(')".

Enfin, l'article 121-4, 5°, précise que sont réputées trompeuses, au sens des articles L. 121-2 et L. 121-3, les pratiques commerciales qui ont pour objet de proposer l'achat de produits ou la fourniture de services à un prix indiqué sans révéler les raisons plausibles que pourrait avoir le professionnel de penser qu'il ne pourra fournir lui-même ou faire fournir par un autre professionnel, les produits ou services en question ou des produits ou services équivalents au prix indiqué, pendant une période et dans des quantités qui soient raisonnables compte tenu du produit ou du service, de l'ampleur de la publicité faite pour le produit ou le service et du prix proposé ;

Les pratiques, qui ne sont pas réputées trompeuses, ne sont interdites qu'autant qu'elles sont susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique d'un consommateur, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

Dans le cas présent, les extraits de spots télévisés versés aux débats, qui durent environ trente secondes, montrent que ceux-ci sont construits selon un modèle identique. Comme le souligne la société ITM, ils font la promotion de produits présentés à un prix attractif, à travers une utilisation du produit en situation et d'un affichage en gros du prix'; ces spots précisent que les produits sont vendus "en exclusivité chez Lidl" et que leur prix constitue "Le vrai prix des bonnes choses"'; une mention "Supermarchés concernés sur LIDL.FR" apparaît à la fin de chaque spot télévisé, avec la date de l'offre.

Il est effectivement précisé que les produits ne sont offerts que dans certains magasins "concernés", dont la liste figure, en tout état de cause, sur le site internet de la société Lidl.

Cependant, en dépit de ce qui est soutenu, la Cour constate que cette mention ne figure pas dans les publicités de façon très apparente, dans la mesure où elle n'apparaît sur l'écran que l'espace de quelques secondes, en petits caractères, et tout en bas, à droite de l'écran. Force est ainsi d'admettre qu'elle est susceptible de passer inaperçue aux yeux du consommateur ou à tout le moins d'être mal comprise.

En témoignent les enquêtes réalisées par Opinionway, au mois de novembre 2023, et par l'institut CSA, au mois d'octobre de la même année, produites par la société ITM.

Il résulte ainsi du sondage Opinionway que seulement 50'% des personnes interrogées, déclarent, après avoir visionné ces spots, qu'elles ont remarqué la mention "Supermarchés concernés sur LIDL.FR", qu'elles indiquent avoir compris, pour 45'% d'entre elles, que le produit serait en vente dans tous les supermarchés Lidl, et, pour 18'%, que celui-ci serait en stock limité dans tous les magasins.

Manifestement, l'ajout d'une voix off, depuis le mois de juillet 2021, n'a pas permis d'améliorer suffisamment la compréhension des consommateurs': en effet, selon les deux enquêtes, 37'% d'entre eux indiquent encore ne pas se souvenir avoir remarqué la mention "Supermarchés concernés sur LIDL.FR".

Une grande partie des sondés répond, par ailleurs, qu'ils n'ont pas été incités à se rendre sur le site Lidl.fr pour consulter la liste des supermarchés concernés (63'% selon Opinionway et 50'% pour l'étude CSA).

Enfin, selon l'enquête Opinionway, 71'% des personnes interrogées disent avoir été incitées, par ces publicités, à se rendre dans l'un des magasins de l'enseigne pour acheter le produit et qu'elles ont été poussées à faire plus de courses, que celles-ci soient de nature alimentaire (pour 75%) ou non (73%)'; ces incitations de la clientèle à se déplacer dans les supermarchés de l'enseigne sont corroborées par l'enquête de l'institut CSA.

Malgré ce que prétend la société Lidl, les questions posées aux consommateurs dans ces sondages sont énoncées de façon précise et parfaitement compréhensible, et ne comportent pas de contradiction.

La Cour dira, en conséquence, que l'information selon laquelle les produits ne sont disponibles que dans certains magasins, selon une durée suffisante, ne figure pas en termes suffisamment clairs et intelligibles, et que les spots télévisés sont ainsi de nature à induire en erreur le consommateur.

Comme le révèlent les sondages, les publicités sont, de plus, susceptibles d'altérer de manière substantielle son comportement économique, en l'incitant à se rendre dans les magasins Lidl pour y réaliser des achats dans tous les magasins, qu'ils soient concernés ou non.

Il convient de relever qu'en diffusant ces publicités, la société Lidl avait également conscience qu'elle ne garantissait pas la disponibilité des produits, pour une durée suffisante, dans l'ensemble des magasins, ce qui suffit à caractériser l'élément intentionnel des infractions.

Ici non plus, la société intimée ne peut se retrancher derrière l'avis de diffusion favorable émis par l'ARP pour prétendre s'exonérer de sa responsabilité, cet avis étant, comme il a été déjà exposé, dépourvu de force contraignante.

La société Lidl sera ainsi déclarée responsable de pratiques commerciales trompeuses, au sens des textes susvisés.

La diffusion à la télévision d'opérations commerciales de promotion interdites, de surcroît constitutives de pratiques commerciales trompeuses, par la société Lidl a eu nécessairement pour conséquence de créer à son profit une rupture d'égalité dans la concurrence, ce qui caractérise des agissements de concurrence déloyale au préjudice de la société ITM ouvrant droit à réparation.

Sur la réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale

Enoncé des moyens

La société ITM estime que la violation du décret du 27 mars 1992 de même que les pratiques commerciales trompeuses commises par la société Lidl aboutissent à créer une grave distorsion de la concurrence, à son préjudice. Elle fait valoir que les publicités litigieuses ont permis à la société Lidl, qui s'était développée initialement dans le secteur du "hard discount", de sortir de son image traditionnelle afin d'inciter les consommateurs des enseignes concurrentes, notamment Intermarché, à se rendre dans ses magasins. Elle prétend que le non-respect de la réglementation lui cause nécessairement un préjudice direct. Elle évalue celui-ci à hauteur de 43.364.409 €, selon la méthode indemnitaire dite de la "campagne miroir", qui conduit à chiffrer le coût des investissements publicitaires nécessaires pour contrebalancer la publicité illicite. Subsidiairement, elle sollicite la condamnation de la société Lidl au paiement d'une somme de 41.936.400 € de dommages et intérêts, calculée au moyen de la méthode "contrefactuelle". Elle requiert, enfin, que soient prononcées des mesures d'interdiction de diffusion des publicités et de publication de l'arrêt à intervenir.

La société Lidl prétend inversement que la société ITM ne rapporte pas la preuve qu'elle a subi un préjudice direct et certain résultant de la diffusion des spots télévisés. Elle rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, il lui appartient de démontrer le lien de causalité et de quantifier son préjudice. Or, selon elle, il n'est pas établi que la publicité prétendument illicite lui aurait permis d'augmenter ses parts de marché au détriment de la société ITM, dont la situation était, en tout état de cause, florissante durant la période concernée'; elle ajoute que les deux enseignes couvrent des secteurs de marché différents'; elle estime, par ailleurs, que ses gains de parts de marché ne résulte pas exclusivement des campagnes publicitaires qu'elle a menées, mais procède d'un plan stratégique plus large d'évolution du modèle "hard discount" qu'elle avait initialement adopté vers un modèle "soft discount". Elle conteste la pertinence de la méthode dite de la "campagne miroir", au motif que celle-ci conduirait à dispenser la société ITM de démontrer l'existence et l'étendue de son préjudice, de même que son lien de causalité'; elle prétend que l'emploi de cette méthode risquerait d'aboutir à un enrichissement sans cause, en faisant valoir qu'aucun contrôle ne serait, de surcroît, prévu relativement à la bonne affectation des sommes accordées pour contrebalancer l'effet de la campagne jugée illicite. Elle conteste tout autant la justesse du chiffrage du préjudice allégué par la société ITM à partir de la méthode contrefactuelle. Elle se prévaut, enfin, du caractère injustifié des demandes d'interdiction dirigées à son encontre et des mesures de publication sollicitées.

Réponse de la Cour

Selon l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d'un acte de concurrence déloyale (Com., 22 octobre 1985, n° 83-15.096, publié au Rapport'; Com., 12 février 2020, n° 17-31.614, publié au Rapport).

Comme il a été dit, la Cour est saisie du litige portant sur la diffusion des spots télévisés diffusés, non pas uniquement avant la délivrance de l'assignation, mais depuis le mois de janvier 2017 jusqu'au mois de novembre 2023. Durant cette période, trois cent soixante-quatorze spots ont été diffusés mettant en avant des produits, dans certains supermarchés sélectionnés par la société Lidl.

Leur impact est établi par les enquêtes réalisées aux mois d'octobre et novembre 2023, par Opinionway et l'institut CSA, qui mettent en évidence l'efficacité des publicités télévisées sur le recrutement des nouveaux acheteurs. Dans le prolongement des développements précédents, il ne peut être utilement soutenu que l'indemnisation du préjudice subi par la société ITM devrait être limité en considération de l'absence de disponibilité des produits dûment constatée dans les magasins.

Par ailleurs, le défaut de corrélation parfaite entre les baisses de chiffres d'affaires de la société ITM et les périodes des campagnes publicitaires illicites de Lidl ne saurait remettre en question le lien de causalité entre ces publicités et le préjudice subi': s'il est exact que les parts de marché de la société ITM ont pu augmenter pendant certaines périodes, pour des causes étrangères au présent litige, il n'en demeure pas moins que son chiffre d'affaires aurait pu croître encore davantage en l'absence de telles pratiques, cela indépendamment de la perte éventuelle de gains subie parallèlement par des enseignes tierces. C'est en vain également que la société Lidl argue de ce qu'elle propose une offre différenciée de celle de la société ITM, en raison de surfaces de vente inférieures, de l'absence de Drive, de programmes de fidélité ou encore de marques nationales, alors qu'elle explique qu'elle a engagé un plan stratégique visant à faire évoluer son modèle de "hard discount" vers un modèle de "soft discount", son offre ayant désormais vocation à se rapprocher de celle des opérateurs traditionnels de la grande distribution, tels qu'Intermarché ; dans une interview publiée dans le magazine LSA, le Directeur exécutif achats et marketing de Lidl France déclarait, d'ailleurs, gagner beaucoup de nouveaux clients venant de [Adresse 5], Intermarché ou d'E.Leclerc.

La présomption de préjudice ne dispense pas, pour autant, le demandeur de démontrer l'étendue de celui-ci.

En l'occurrence, la méthode contrefactuelle qui consiste, pour évaluer le préjudice subi, à comparer les résultats réalisés par la société ITM pendant la période de diffusion des publicités illicites avec ceux qu'elle aurait pu obtenir en l'absence d'actes de concurrence déloyale commis par la société Lidl, n'apparaît pas réellement appropriée. En effet, comme le relève le cabinet d'expert Finexsi, dans le rapport qu'il a établi pour le compte de la société Lidl, cette méthode ne permet pas de prendre suffisamment en compte certaines variables comme le gain des parts de marché de la société Lidl consécutif à la mise en 'uvre d'un plan stratégique de développement d'un nouveau concept, associée à des investissements immobiliers pour rénover son parc de magasins. Autrement dit, cette méthode, invoquée à titre subsidiaire par la société ITM, ne permet pas d'évaluer avec précision l'impact des publicités litigieuses. Elle sera donc écartée.

La méthode dite de la "campagne miroir" consistant à estimer le préjudice en prenant en compte le coût de la publicité que la société ITM devrait diffuser en réponse à chacune des campagnes illicites de la société Lidl, pour contrebalancer l'effet de captation de ces campagnes à son détriment, est inversement plus adaptée au regard des faits de l'espèce, sans risquer de créer un enrichissement de la victime. Il sera rappelé que la victime est, en tout état de cause, libre de disposer des dommages et intérêts qui lui sont alloués, de sorte que le moyen tiré de l'absence de contrôle de la bonne affectation des sommes qui seraient accordées à la société ITM, en application de cette méthode, est inopérant.

Selon les chiffres communiqués par la société ITM, corroborés par une attestation et un tableau récapitulatif établi par la société ZenithMedia, le total des investissements publicitaires réalisés par la société Lidl, à raison de la diffusion de trois cent soixante-quatorze spots durant sept années, s'élève à 584.426.000 €, soit un coût moyen de 1.562.636,36 €.

Ces chiffres ne sont pas utilement contestés par la société Lidl, qui se contente de les remettre en cause, sans faire état d'autre élément.

Pour contrebalancer les effets négatifs de ces publicités sur son propre chiffre d'affaires, la société ITM devra réaliser une campagne proportionnelle à sa propre part de marché, soit 15,9'%, ce qui revient à engager une dépense de 92.923.734 € (584.426.000 € X 15,9%).

La société ITM fait valoir, à juste titre, que cette somme ne correspond pas, pour autant, à l'intégralité du préjudice réellement subi dans la mesure où, du fait du caractère illicite des publicités, elle ne pourra utiliser les mêmes armes que la société Lidl avec des moyens légaux, et que ces publicités télévisuelles conjuguées aux publicités institutionnelles classiques ont un effet fortement fidélisant, augmentant, de ce fait, le coût des campagnes de publicité de reconquête.

Il y a donc lieu de faire droit à la demande de la société ITM visant à ajouter une somme complémentaire de 30.974.578 € correspondant à un tiers du coût des publicités, pour une somme totale de 123.898.312 €.

Enfin, cette somme correspondant à des montants d'investissements bruts, il convient de la corriger en fonction du taux de remise de 65'% généralement accordée aux annonceurs dans le secteur de la grande distribution.

L'attestation du commissaire aux comptes, versée aux débats par la société Lidl, qui n'est assortie d'aucune pièce comptable, ne permet pas de remettre en cause le montant des remises dont elle a pu bénéficier, étant souligné qu'il lui appartient de rapporter la preuve de ses investissements publicitaires télévisuels.

Au vu de ces éléments, la Cour condamnera la société Lidl à payer à la société ITM la somme de 43.364.409 €, après application du taux de remise de 65'% (123.898.312 € X 35%).

L'article 1240 du code civil et le principe de la réparation intégrale permettent à la juridiction saisie d'ordonner à l'auteur des faits la cessation de son comportement fautif.

Il n'est pas soutenu par la société Lidl qu'elle aurait cessé ses pratiques, alors même que celles-ci durent depuis l'année 2017. Conformément à la demande de la société ITM, il lui sera donc fait interdiction de diffuser des spots publicitaires à la télévision pour des produits assortis d'un prix sans assurer leur disponibilité pendant une durée de quinze semaines dans l'ensemble de ses magasins, afin de respecter l'article 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992. Cette condamnation sera, de plus, associée à une astreinte de 10.000 € par infraction, caractérisée par la diffusion au cours d'une journée sur une chaîne de télévision d'un spot publicitaire qui ne respecterait pas cette interdiction, dans les quinze jours suivant la signification du présent arrêt.

Il n'est pas nécessaire d'y ajouter l'interdiction de diffuser des spots publicitaires à la télévision pour des produits assortis d'un prix dont la disponibilité serait limitée à une durée inférieure à quinze semaines dans les catalogues promotionnels et autres supports de communication de l'enseigne, qui apparaît redondante avec la précédente interdiction.

La société ITM est également fondée à obtenir, aux frais de la société Lidl, la publication du dispositif du présent arrêt':

- sur le site internet www.LIDL.fr, en première page d'accueil du site LIDL.fr visible dès l'arrivée sur le site en police de caractère ARIAL 12 pendant une durée de deux mois';

- sur les pages éditées par Lidl France sur les réseaux sociaux Facebook https://www.facebook.com/LIDLfrance, X https://x.com/lidlfrance'lang=en et Instagram https://www.instagram.com/LIDLfrance/'hl=fr, visible dès l'arrivée sur lesdites pages en police de caractère ARIAL 12 pendant une durée de deux mois.

Ces mesures de publication sont, en effet, propres à restaurer une concurrence saine et loyale, en rétablissant l'information du consommateur, et n'apparaissent pas disproportionnées au regard de l'ampleur du préjudice subi.

En revanche, il n'est pas indispensable de contraindre, en outre, la société Lidl à publier, à ses frais, le dispositif de la décision dans des revues ou des magazines.

Le jugement sera corrélativement infirmé des chefs de rejet de la demande de dommages et intérêts de la société ITM et de mesures d'interdiction et de publication ordonnées.

Sur les autres demandes

La société Lidl succombant au recours, le jugement sera infirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

Il convient, par conséquent, de condamner la société Lidl aux dépens de première instance et d'appel. Il apparaît également équitable de la condamner à payer à la société ITM la somme de 100.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'y a pas lieu de condamner la société Lidl à rembourser, en outre, à la société ITM les frais d'huissier et d'étude que celle-ci a engagés en cause d'appel, ceux-ci ayant vocation à être inclus dans les frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

DÉCLARE recevable la demande relative à la protection du secret des affaires de la SNC Lidl,

DIT que l'accès à la pièce n° 29, produite par la SNC Lidl, correspondant à l'attestation du commissaire aux comptes, relative aux charges nettes de publicité télévisuelle sur la période allant du 1er janvier 2017 au 31 mai 2021, communiquée au tribunal de commerce de Paris dans le cadre d'une note en délibéré, sera restreint sous sa version confidentielle à la Cour,

INFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la Cour,

STATUANT À NOUVEAU,

Y AJOUTANT,

DIT que la SNC Lidl a engagé sa responsabilité civile à l'égard de la SASU ITM Alimentaire International en raison d'actes de concurrence déloyale,

CONDAMNE la SNC Lidl à payer à la SASU ITM Alimentaire International la somme de 43.364.409 € en réparation de son préjudice,

FAIT INJONCTION à la SNC Lidl de s'abstenir de diffuser des spots publicitaires à la télévision pour des produits assortis d'un prix sans assurer leur disponibilité pendant une durée de quinze semaines dans l'ensemble de ses magasins,

DIT que cette interdiction sera assortie d'une astreinte de 10.000 € par infraction constatée, caractérisée par la diffusion au cours d'une journée sur une chaîne de télévision d'un spot publicitaire qui ne respecterait pas cette interdiction, dans les quinze jours suivant la signification du présent arrêt,

ORDONNE, aux frais de la SNC Lidl, la publication du dispositif du présent arrêt':

- sur le site internet www.LIDL.fr, en première page d'accueil du site LIDL.fr visible dès l'arrivée sur le site en police de caractère ARIAL 12 pendant une durée de deux mois,

- sur les pages éditées par Lidl France sur les réseaux sociaux Facebook https://www.facebook.com/LIDLfrance, X https://x.com/lidlfrance'lang=en et Instagram https://www.instagram.com/LIDLfrance/'hl=fr, visible dès l'arrivée sur lesdites pages en police de caractère ARIAL 12 pendant une durée de deux mois,

CONDAMNE la SNC Lidl aux dépens de première instance et d'appel,

CONDAMNE la SNC Lidl à payer à la SASU ITM Alimentaire International la somme de 100.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette le surplus des demandes de la SASU ITM Alimentaire International.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site