CA Versailles, ch. civ. 1-5, 3 juillet 2025, n° 24/05034
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 30B
Chambre civile 1-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 03 JUILLET 2025
N° RG 24/05034 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WV5T
AFFAIRE :
S.A.R.L. [D] [U] SARL
C/
S.A.S. RPB
[E] [M] administrateur judiciaire de la SARL [D] [U]
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 19 Juin 2024 par le Président du TJ de [Localité 6]
N° RG : 24/00760
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 03.07.2025
à :
Me Stéphanie TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES (619)
Me Véronique BOLLANI, avocat au barreau de PARIS (P0255)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TROIS JUILLET DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.R.L. [D] [U]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité
N° SIRET : 520 24 5 9 78
[Adresse 3]
[Localité 4]
Maître [E] [M]
administrateur judiciaire de la SARL [D] [U]
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL STEPHANIE TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20240223
Plaidant : Me David HALLER, du barreau de Paris
APPELANTE
****************
S.A.S. RPB
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.
N° SIRET : 479 53 7 1 85
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Véronique BOLLANI de la SCP FH AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0255 - N° du dossier 2023-833
Plaidant : Me Zahra ENNAMATE du barreau de Paris
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 26 Mai 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente,
Madame Marina IGELMAN, Conseillère,
Monsieur Hervé HENRION, Conseiller,
Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 31 janvier 2017, la SAS R.P.B. a donné à bail commercial à la S.A.R.L. [D] [U] un local à usage commercial situé [Adresse 1] à [Localité 5], pour une durée de neuf années avec un loyer annuel hors taxes et hors charges fixé à la somme de 150 000 euros, payable trimestriellement à terme à échoir.
Des loyers et des charges sont demeurés impayés.
Par acte de commissaire de justice du 14 septembre 2023, la société R.P.B. a fait délivrer à la société [D] [U] un commandement de payer visant la clause résolutoire stipulée dans le bail, pour une somme de 187 676,22 euros au titre de l'arriéré locatif dû au 6 septembre 2023.
Par courriel en date du 8 novembre 2023, la société [D] [U] a sollicité une baisse de loyer auprès de la société R.P.B. et a préconisé un loyer mensuel de 8 000 euros jusqu'au mois de décembre 2024.
Par acte de commissaire de justice délivré le 6 mars 2024, la société R.P.B. a fait assigner en référé la société [D] [U] aux fins d'obtenir principalement le constat de l'acquisition de la clause résolutoire insérée dans le bail commercial du 31 janvier 2017, l'expulsion de sa locataire et sa condamnation, à titre provisionnel à lui payer la somme de 288 042,91 euros, outre une indemnité d'occupation.
Par ordonnance contradictoire rendue le 19 juin 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :
- renvoyé les parties à se pourvoir sur le fond du litige,
par provision, tous moyens des parties étant réservés,
- constaté que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail liant les parties sont réunies à la date du 14 octobre 2023 à 24h,
- ordonné, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la société [D] [U] ou de tous occupants de son chef des locaux loués, dépendant de l'immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 5],
- rappelé que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donneront lieu à l'application des dispositions des articles L. 433-1 et R. 433-1 du code des procédures civiles d'exécution,
- condamné, à titre provisionnel la société [D] [U] à payer à la société R.P.B. la somme de 345 132,21 euros au titre de l'arriéré locatif et des indemnités d'occupation arrêtés au 23 avril 2024, soit jusqu'au 30 juin 2024 inclus,
- fixé, à titre provisionnel, l'indemnité d'occupation mensuelle, à compter du 15 octobre 2023 et jusqu'à la libération effective des lieux, à une somme égale au montant du loyer, augmenté des taxes et charges afférentes, qui aurait dû être payé si le bail ne s'était pas trouvé résilié,
- condamné la société [D] [U] au paiement de ladite indemnité d'occupation mensuelle,
- dit n'y avoir lieu à référé sur l'application de la pénalité de 10% sur les sommes dues,
- rejeté la demande de délais de paiement et la demande subséquente de suspension de la clause résolutoire,
- condamné la société [D] [U] aux dépens,
- condamné la société [D] [U] à payer à la société R.P.B. la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à référé sur toute autre demande des parties.
Par déclaration reçue au greffe le 31 juillet 2024, la société [D] [U] a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a :
- renvoyé les parties à se pourvoir sur le fond du litige,
- dit n'y avoir lieu à référé sur l'application de la pénalité de 10% sur les sommes dues,
- dit n'y avoir lieu à référé sur toute autre demande des parties.
Par jugement rendu le 6 février 2025, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [D] [U] et désigné Me [E] [M] en qualité d'administrateur judiciaire.
Dans ses dernières conclusions déposées le 12 mai 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société [D] [U] et Maître [E] [M], ès qualités d'administrateur judiciaire de la société [D] [U], intervenant volontaire, demande à la cour, au visa des articles L. 145-41 et L. 622-21 du code de commerce, et 1343-5 du code civil, de :
'- prendre acte de l'intervention volontaire de Maître [E] [M], es qualité d'administrateur judiciaire de la société [D] [U], désigné selon jugement du tribunal de commerce du 6 février 2025 ;
- rendre commun et opposable l'arrêt à intervenir à Maître [E] [M], es qualité d'administrateur judiciaire de la société [D] [U], désigné selon jugement du tribunal de commerce du 6 février 2025 ;
- juger la société [D] [U] est recevable et bien fondée en son appel de l'ordonnance rendue le 19 juin 2024 par le tribunal judiciaire de Nanterre ;
y faisant droit,
- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a cru devoir :
- constaté que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail liant les parties sont réunies à la date du 14 octobre 2023 à 24h,
- ordonné, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la société [D] [U] ou de tous occupants de son chef des locaux loués, dépendant de l'immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 5],
- rappelé que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donneront lieu à l'application des dispositions des articles L. 433-1 et R. 433,1 du code des procédures civiles d'exécution,
- condamné à titre provisionnel la société [D] [U] à payer à la société R.P.B. la somme de 345 132,21 euros au titre de l'arriéré locatif et des indemnités d'occupation arrêtés au 23 avril 2024, soit jusqu'au 30 juin 2024 inclus,
- fixé, à titre provisionnel, l'indemnité d'occupation mensuelle, à compter du 15 octobre 2023 et jusqu'à libération effective des lieux, à une somme égale au montant du loyer, augmenté des taxes et charges afférentes, qui aurait dû être payé si le bail ne s'était pas trouvé résilié,
- condamné la société [D] [U] au paiement de ladite indemnité d'occupation mensuelle,
- rejeté la demande de délais de paiement et la demande subséquente de suspension de la clause résolutoire,
- condamné la société [D] [U] aux dépens,
- condamné la société [D] [U] à payer à la Société R.P.B. la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
et statuant à nouveau,
- juger que la société R.P.B. ne disposait pas d'une décision passée en force de chose jugée avant le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 6 février 2025, ayant ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société [D] [U] ;
- juger que la société R.P.B. ne peut se prévaloir de l'ordonnance de référé du 19 juin 2024 en raison du jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 6 février 2025, ayant ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société [D] [U] ;
- juger que l'action de la société R.P.B. en demande de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire du bail et en paiement de l'arriéré locatif antérieur au jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société [D] [U] en date du 6 février 2025 est interrompue par l'effet de la suspension des poursuites ;
en conséquence,
- dire n'y avoir lieu à référé, en raison du caractère irrecevable de la demande formée par la société R.P.B. à l'encontre de la société [D] [U], suite à l'interdiction des poursuites érigée par l'article L.622-21 du code de commerce ;
en tout état de cause,
- condamner la société R.P.B. à payer à la société [D] [U] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société R.P.B. aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Minault & Teriitheau, avocats aux offres de droit, qui pourra en opérer le recouvrement dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.'
Dans ses dernières conclusions déposées le 28 avril 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société R.P.B. demande à la cour, au visa des articles L. 145-17 et L. 145-41 du code de commerce, de :
'- débouter Maître [E] [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer l'ordonnance rendue le 19 juin 2024 (RG n° 24/00760) par le président du tribunal judiciaire de Nanterre en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
- condamner la société [D] [U] à payer à la société R.P.B. la somme supplémentaire de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société [D] [U] aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Véronique Bollani, avocat au Barreau de Paris.'
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Exposant faire l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte le 6 février 2025, la société [D] [U], assistée de son administrateur, sollicite l'infirmation de l'ordonnance attaquée au motif que, dès lors que la société R.P.B. ne disposait pas d'une décision passée en force de chose jugée avant le jugement d'ouverture, elle est irrecevable à solliciter la résiliation du bail et le paiement d'une provision.
Réfutant toute irrecevabilité de ses demandes, la société R.P.B. affirme que l'ordonnance de référé n'a pas autorité de la chose jugée, mais dispose, en revanche de la force de chose jugée dès lors qu'elle n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution.
Elle invoque la mauvaise foi de la société [D] [U], dont la dette ne cesse d'augmenter et qui ne présente aucun moyen sérieux d'annulation ou de réformation.
Elle conclut à la confirmation de l'ordonnance querellée en toutes ses dispositions.
Sur ce,
L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit à peine de nullité mentionner ce délai.
L'article L. 622-21 I du code de commerce, applicable en redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14, dispose que le jugement d'ouverture d'une procédure collective 'interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :
1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;
2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.'
Il résulte de la combinaison de ces textes que l'action introduite par le bailleur, avant le placement en redressement judiciaire du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure, ne peut être poursuivie après ce jugement. (Cass, 3e civ. 13 avril 2022 n° 21-15.336)
Au cas présent, la décision dont appel date du 19 juin 2024 et la déclaration d'appel a été reçue au greffe le 31 juillet 2024, tandis que la procédure de redressement judiciaire de la société [D] [U] a été ouverte par jugement du 6 février 2025.
En vertu des dispositions de l'article 500 du code de procédure civile, 'la force de chose jugée le jugement qui n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution. Le jugement susceptible d'un tel recours acquiert la même force à l'expiration du délai du recours si ce dernier n'a pas été exercé dans le délai.'
L'article 501 précise que 'le jugement est exécutoire, sous les conditions qui suivent, à partir du moment où il passe en force de chose jugée à moins que le débiteur ne bénéficie d'un délai de grâce ou le créancier de l'exécution provisoire'.
La décision du 19 juin 2024 rendue en premier ressort et régulièrement frappée d'appel, n'était en conséquence pas passée en force de chose jugée au 6 février 2025, même si elle était exécutoire car elle bénéficiait de l'exécution provisoire.
En application des textes susvisés, à défaut de décision passée en force de chose jugée antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, une demande tendant à la constatation en référé de l'acquisition d'une clause résolutoire d'un bail commercial pour défaut de paiement de loyers échus avant l'ouverture de la procédure collective se heurte à l'interdiction des poursuites et doit être déclarée irrecevable.
Il est par ailleurs constant que seules les condamnations prononcées par le juge du fond peuvent faire l'objet d'une fixation au passif d'une société en redressement judiciaire et qu'une provision susceptible d'être accordée par le juge des référés n'étant par nature qu'une créance provisoire, ne peut faire l'objet d'une telle fixation, la demande concernant cette créance devant être soumise au juge-commissaire dans le cadre de la procédure de vérification des créances.
Par voie d'infirmation, il convient dès lors de déclarer la société R.P.B. irrecevable en toutes ses demandes.
Sur les demandes accessoires
Au regard de la nature de la présente décision, l'infirmation relevant pour l'essentiel de l'ouverture d'une procédure collective au profit de la société [D] [U], la décision attaquée sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Chacune des parties conservera la charge des dépens d'appel par elle exposés.
En équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 6 février 2025 ouvrant une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [D] [U],
Infirme l'ordonnance entreprise à l'exception de ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité procédurale ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevables les demandes de la société R.P.B. ;
Dit que chacune des parties conservera par devers elle la charge des dépens qu'elle a supportés ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de Présidente et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
DE
VERSAILLES
Code nac : 30B
Chambre civile 1-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 03 JUILLET 2025
N° RG 24/05034 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WV5T
AFFAIRE :
S.A.R.L. [D] [U] SARL
C/
S.A.S. RPB
[E] [M] administrateur judiciaire de la SARL [D] [U]
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 19 Juin 2024 par le Président du TJ de [Localité 6]
N° RG : 24/00760
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 03.07.2025
à :
Me Stéphanie TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES (619)
Me Véronique BOLLANI, avocat au barreau de PARIS (P0255)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TROIS JUILLET DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.R.L. [D] [U]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité
N° SIRET : 520 24 5 9 78
[Adresse 3]
[Localité 4]
Maître [E] [M]
administrateur judiciaire de la SARL [D] [U]
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL STEPHANIE TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20240223
Plaidant : Me David HALLER, du barreau de Paris
APPELANTE
****************
S.A.S. RPB
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.
N° SIRET : 479 53 7 1 85
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Véronique BOLLANI de la SCP FH AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0255 - N° du dossier 2023-833
Plaidant : Me Zahra ENNAMATE du barreau de Paris
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 26 Mai 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente,
Madame Marina IGELMAN, Conseillère,
Monsieur Hervé HENRION, Conseiller,
Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 31 janvier 2017, la SAS R.P.B. a donné à bail commercial à la S.A.R.L. [D] [U] un local à usage commercial situé [Adresse 1] à [Localité 5], pour une durée de neuf années avec un loyer annuel hors taxes et hors charges fixé à la somme de 150 000 euros, payable trimestriellement à terme à échoir.
Des loyers et des charges sont demeurés impayés.
Par acte de commissaire de justice du 14 septembre 2023, la société R.P.B. a fait délivrer à la société [D] [U] un commandement de payer visant la clause résolutoire stipulée dans le bail, pour une somme de 187 676,22 euros au titre de l'arriéré locatif dû au 6 septembre 2023.
Par courriel en date du 8 novembre 2023, la société [D] [U] a sollicité une baisse de loyer auprès de la société R.P.B. et a préconisé un loyer mensuel de 8 000 euros jusqu'au mois de décembre 2024.
Par acte de commissaire de justice délivré le 6 mars 2024, la société R.P.B. a fait assigner en référé la société [D] [U] aux fins d'obtenir principalement le constat de l'acquisition de la clause résolutoire insérée dans le bail commercial du 31 janvier 2017, l'expulsion de sa locataire et sa condamnation, à titre provisionnel à lui payer la somme de 288 042,91 euros, outre une indemnité d'occupation.
Par ordonnance contradictoire rendue le 19 juin 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :
- renvoyé les parties à se pourvoir sur le fond du litige,
par provision, tous moyens des parties étant réservés,
- constaté que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail liant les parties sont réunies à la date du 14 octobre 2023 à 24h,
- ordonné, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la société [D] [U] ou de tous occupants de son chef des locaux loués, dépendant de l'immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 5],
- rappelé que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donneront lieu à l'application des dispositions des articles L. 433-1 et R. 433-1 du code des procédures civiles d'exécution,
- condamné, à titre provisionnel la société [D] [U] à payer à la société R.P.B. la somme de 345 132,21 euros au titre de l'arriéré locatif et des indemnités d'occupation arrêtés au 23 avril 2024, soit jusqu'au 30 juin 2024 inclus,
- fixé, à titre provisionnel, l'indemnité d'occupation mensuelle, à compter du 15 octobre 2023 et jusqu'à la libération effective des lieux, à une somme égale au montant du loyer, augmenté des taxes et charges afférentes, qui aurait dû être payé si le bail ne s'était pas trouvé résilié,
- condamné la société [D] [U] au paiement de ladite indemnité d'occupation mensuelle,
- dit n'y avoir lieu à référé sur l'application de la pénalité de 10% sur les sommes dues,
- rejeté la demande de délais de paiement et la demande subséquente de suspension de la clause résolutoire,
- condamné la société [D] [U] aux dépens,
- condamné la société [D] [U] à payer à la société R.P.B. la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à référé sur toute autre demande des parties.
Par déclaration reçue au greffe le 31 juillet 2024, la société [D] [U] a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a :
- renvoyé les parties à se pourvoir sur le fond du litige,
- dit n'y avoir lieu à référé sur l'application de la pénalité de 10% sur les sommes dues,
- dit n'y avoir lieu à référé sur toute autre demande des parties.
Par jugement rendu le 6 février 2025, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [D] [U] et désigné Me [E] [M] en qualité d'administrateur judiciaire.
Dans ses dernières conclusions déposées le 12 mai 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société [D] [U] et Maître [E] [M], ès qualités d'administrateur judiciaire de la société [D] [U], intervenant volontaire, demande à la cour, au visa des articles L. 145-41 et L. 622-21 du code de commerce, et 1343-5 du code civil, de :
'- prendre acte de l'intervention volontaire de Maître [E] [M], es qualité d'administrateur judiciaire de la société [D] [U], désigné selon jugement du tribunal de commerce du 6 février 2025 ;
- rendre commun et opposable l'arrêt à intervenir à Maître [E] [M], es qualité d'administrateur judiciaire de la société [D] [U], désigné selon jugement du tribunal de commerce du 6 février 2025 ;
- juger la société [D] [U] est recevable et bien fondée en son appel de l'ordonnance rendue le 19 juin 2024 par le tribunal judiciaire de Nanterre ;
y faisant droit,
- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a cru devoir :
- constaté que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail liant les parties sont réunies à la date du 14 octobre 2023 à 24h,
- ordonné, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la société [D] [U] ou de tous occupants de son chef des locaux loués, dépendant de l'immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 5],
- rappelé que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donneront lieu à l'application des dispositions des articles L. 433-1 et R. 433,1 du code des procédures civiles d'exécution,
- condamné à titre provisionnel la société [D] [U] à payer à la société R.P.B. la somme de 345 132,21 euros au titre de l'arriéré locatif et des indemnités d'occupation arrêtés au 23 avril 2024, soit jusqu'au 30 juin 2024 inclus,
- fixé, à titre provisionnel, l'indemnité d'occupation mensuelle, à compter du 15 octobre 2023 et jusqu'à libération effective des lieux, à une somme égale au montant du loyer, augmenté des taxes et charges afférentes, qui aurait dû être payé si le bail ne s'était pas trouvé résilié,
- condamné la société [D] [U] au paiement de ladite indemnité d'occupation mensuelle,
- rejeté la demande de délais de paiement et la demande subséquente de suspension de la clause résolutoire,
- condamné la société [D] [U] aux dépens,
- condamné la société [D] [U] à payer à la Société R.P.B. la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
et statuant à nouveau,
- juger que la société R.P.B. ne disposait pas d'une décision passée en force de chose jugée avant le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 6 février 2025, ayant ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société [D] [U] ;
- juger que la société R.P.B. ne peut se prévaloir de l'ordonnance de référé du 19 juin 2024 en raison du jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 6 février 2025, ayant ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société [D] [U] ;
- juger que l'action de la société R.P.B. en demande de constatation de l'acquisition de la clause résolutoire du bail et en paiement de l'arriéré locatif antérieur au jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société [D] [U] en date du 6 février 2025 est interrompue par l'effet de la suspension des poursuites ;
en conséquence,
- dire n'y avoir lieu à référé, en raison du caractère irrecevable de la demande formée par la société R.P.B. à l'encontre de la société [D] [U], suite à l'interdiction des poursuites érigée par l'article L.622-21 du code de commerce ;
en tout état de cause,
- condamner la société R.P.B. à payer à la société [D] [U] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société R.P.B. aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Minault & Teriitheau, avocats aux offres de droit, qui pourra en opérer le recouvrement dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.'
Dans ses dernières conclusions déposées le 28 avril 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société R.P.B. demande à la cour, au visa des articles L. 145-17 et L. 145-41 du code de commerce, de :
'- débouter Maître [E] [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer l'ordonnance rendue le 19 juin 2024 (RG n° 24/00760) par le président du tribunal judiciaire de Nanterre en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
- condamner la société [D] [U] à payer à la société R.P.B. la somme supplémentaire de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société [D] [U] aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Véronique Bollani, avocat au Barreau de Paris.'
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Exposant faire l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte le 6 février 2025, la société [D] [U], assistée de son administrateur, sollicite l'infirmation de l'ordonnance attaquée au motif que, dès lors que la société R.P.B. ne disposait pas d'une décision passée en force de chose jugée avant le jugement d'ouverture, elle est irrecevable à solliciter la résiliation du bail et le paiement d'une provision.
Réfutant toute irrecevabilité de ses demandes, la société R.P.B. affirme que l'ordonnance de référé n'a pas autorité de la chose jugée, mais dispose, en revanche de la force de chose jugée dès lors qu'elle n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution.
Elle invoque la mauvaise foi de la société [D] [U], dont la dette ne cesse d'augmenter et qui ne présente aucun moyen sérieux d'annulation ou de réformation.
Elle conclut à la confirmation de l'ordonnance querellée en toutes ses dispositions.
Sur ce,
L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit à peine de nullité mentionner ce délai.
L'article L. 622-21 I du code de commerce, applicable en redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14, dispose que le jugement d'ouverture d'une procédure collective 'interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :
1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;
2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.'
Il résulte de la combinaison de ces textes que l'action introduite par le bailleur, avant le placement en redressement judiciaire du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure, ne peut être poursuivie après ce jugement. (Cass, 3e civ. 13 avril 2022 n° 21-15.336)
Au cas présent, la décision dont appel date du 19 juin 2024 et la déclaration d'appel a été reçue au greffe le 31 juillet 2024, tandis que la procédure de redressement judiciaire de la société [D] [U] a été ouverte par jugement du 6 février 2025.
En vertu des dispositions de l'article 500 du code de procédure civile, 'la force de chose jugée le jugement qui n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution. Le jugement susceptible d'un tel recours acquiert la même force à l'expiration du délai du recours si ce dernier n'a pas été exercé dans le délai.'
L'article 501 précise que 'le jugement est exécutoire, sous les conditions qui suivent, à partir du moment où il passe en force de chose jugée à moins que le débiteur ne bénéficie d'un délai de grâce ou le créancier de l'exécution provisoire'.
La décision du 19 juin 2024 rendue en premier ressort et régulièrement frappée d'appel, n'était en conséquence pas passée en force de chose jugée au 6 février 2025, même si elle était exécutoire car elle bénéficiait de l'exécution provisoire.
En application des textes susvisés, à défaut de décision passée en force de chose jugée antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, une demande tendant à la constatation en référé de l'acquisition d'une clause résolutoire d'un bail commercial pour défaut de paiement de loyers échus avant l'ouverture de la procédure collective se heurte à l'interdiction des poursuites et doit être déclarée irrecevable.
Il est par ailleurs constant que seules les condamnations prononcées par le juge du fond peuvent faire l'objet d'une fixation au passif d'une société en redressement judiciaire et qu'une provision susceptible d'être accordée par le juge des référés n'étant par nature qu'une créance provisoire, ne peut faire l'objet d'une telle fixation, la demande concernant cette créance devant être soumise au juge-commissaire dans le cadre de la procédure de vérification des créances.
Par voie d'infirmation, il convient dès lors de déclarer la société R.P.B. irrecevable en toutes ses demandes.
Sur les demandes accessoires
Au regard de la nature de la présente décision, l'infirmation relevant pour l'essentiel de l'ouverture d'une procédure collective au profit de la société [D] [U], la décision attaquée sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Chacune des parties conservera la charge des dépens d'appel par elle exposés.
En équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 6 février 2025 ouvrant une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [D] [U],
Infirme l'ordonnance entreprise à l'exception de ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité procédurale ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevables les demandes de la société R.P.B. ;
Dit que chacune des parties conservera par devers elle la charge des dépens qu'elle a supportés ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de Présidente et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente