Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 3 juillet 2025, n° 22/00617

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/00617

3 juillet 2025

RÉPUBLIQUE FRAN'AISE

AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 3

ARRÊT DU 03 JUILLET 2025

(n° 110/2025, 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 22/00617 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CE67X

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 décembre 2021- Tribunal judiciaire de PARIS (18ème chambre, 1ère section) - RG n° 19/08084

APPELANTE

S.C.I. STE CIVILE IMMOBILIERE GABSI TURENNE

Immatriculée au R.C.S. de [Localité 10] sous le n° 321 277 642

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Hélène WOLFF de l'AARPI Cabinet WOLFF - ZAZOUN - KLEINBOURG, avocat au barreau de Paris, toque : K0004

Assistée de Me Raphaël TEDGUI, avocat au barreau de Paris, toque : G545, substitué à l'audience par Me Elisabeth DIRIL, avocat au barreau de Paris, toque : A436

INTIMÉE

S.A.R.L. CHEZ BOGATO

Immatriculée au R.C.S. de sous le n° 502 543 481

Prise en la personne de son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS- VERSAILLES- REIMS, avocat au barreau de Paris, toque : C2477

Assistée de Me Olivier d'ABO de la SELAS EBL LEXIGTON AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : B0485, substitué à l'audience par sa collaboratrice Me Marine ZAGAR

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 janvier 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Stéphanie Dupont, conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Daniel Barlow, président de chambre

Mme Stéphanie Dupont, conseillère

Mme Marie-Sophie L'Eleu de La Simone, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Daniel Barlow, président de chambre, et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé du 5 septembre 2014, la société dénommée Ste civile immobilière Gabsi Turenne (ci-après la SCI Gabsi Turenne) a donné à bail commercial à la société Chez Bogato,qui exploitait alors une pâtisserie depuis 2008 dans des locaux situés [Adresse 5] à Paris 14ème, des locaux situés [Adresse 4] et [Adresse 1] à Paris 3ème, moyennant un loyer annuel, hors charges et hors taxes, de 73.200 euros, pour la création d'une seconde boutique.

Se prévalant d'une violation par la bailleresse de son obligation de délivrance la privant de la possibilité d'exploiter les locaux situés [Adresse 11], la société Chez Bogato, dûment autorisée, a fait assigner la SCI Gabsi Turenne à jour fixe devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir prononcer la résolution du bail aux torts exclusifs de la bailleresse et de voir condamner cette dernière à lui payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices.

Par jugement contradictoire du 14 janvier 2016, devenu définitif, le tribunal de grande instance de Paris a notamment :

- prononcé, à compter du 5 septembre 2014, la résolution du bail consenti à cette même date par la SCI Gabsi Turenne à la société Chez Bogato et portant sur les locaux situés [Adresse 4] et [Adresse 2] et ce, aux torts exclusifs de la SCI Gabsi Turenne,

- condamné la SCI Gabsi Turenne à payer à la société Chez Bogato la somme de 136.752,50 euros en restitution des sommes versées en exécution et au titre du bail du 5 septembre 2014,

- condamné la SCI Gabsi Turenne à payer à la société Chez Bogato la somme de 69.038,50 euros à titre de dommages et intérêts au titre des dépenses engagées,

- avant-dire droit, sur le préjudice économique et financier de la société Chez Bogato, ordonné une expertise,

- ordonné l'exécution provisoire.

Après dépôt du rapport d'expertise, par jugement du 28 mai 2020, le tribunal judiciaire de Paris a, notamment :

- condamné la SCI Gabsi Turenne à payer à la société Chez Bogato la somme de 400.000 euros en réparation de son préjudice économique et financier sur la période du 1er janvier 2015 au 14 janvier 2018, avec intérêts au taux légal à compter de la décision,

- ordonné l'exécution provisoire.

Par arrêt du 28 juin 2023, la cour d'appel de Paris a partiellement infirmé ce jugement et condamné la SCI Gabsi Turenne à payer à la société Chez Bogato la somme de 80.000 euros en réparation de son préjudice économique et financier.

Cet arrêt fait l'objet d'un pourvoi en cassation de la société Chez Bogato.

Parallèlement à ces procédures, la SCI Gabsi Turenne a fait assigner la société Chez Bogato devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir condamner cette dernière à lui payer une indemnité d'occupation du 14 janvier 2016 au 16 février 2017 ainsi que la somme de 350.000 € au titre des travaux de remise en état des locaux à la suite des dégradations causées par la société Chez Bogato.

Par jugement du 7 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Chez Bogato pour défaut d'intérêt à agir de la société Gabsi Turenne de sa demande au titre des travaux de remise en état du local commercial,

débouté la société Gabsi Turenne de sa demande de condamnation de la société Chez Bogato à lui payer la somme de 350 000 euros au titre des travaux de remise en état du local,

fixé le montant de l'indemnité d'occupation due par la société Chez Bogato pour la période du 14 janvier 2016 au 19 octobre 2016, à la somme de 5 510 euros, outre les taxes et les charges,

condamné la société Chez Bogato à payer à la société Gabsi Turenne la somme de 5 510 euros, outre les taxes et les charges,

condamné la société Gabsi Turenne à payer à la société Chez Bogato la somme de 1 euro de dommages-intérêts pour procédure abusive,

dit n'y avoir lieu de prononcer une amende civile pour procédure abusive.

condamné la société Gabsi Turenne à payer à la société Chez Bogato la somme de 8 000 euros au titre de l'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile,

débouté la société Gabsi Turenne de sa demande d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société Gabsi Turenne aux dépens,

ordonné l'exécution provisoire,

débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Par déclaration du 3 janvier 2022, la société Gabsi Turenne a interjeté appel de ce jugement en en critiquant expressement tous les chefs du dispositif à l'exception de ceux qui ont rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Chez Bogato et dit n'y avoir lieu de prononcer une amende civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 11 décembre 2024.

MOYENS ET PRETENTIONS

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 2 octobre 2022, la SCI Gabsi Turenne demande à la cour de :

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :

- débouté la société Gabsi Turenne de sa demande de condamnation de la société Chez Bogato à lui payer la somme de 350 000 euros au titre des travaux de remise en état du local,

- fixé le montant de l'indemnité d'occupation due par la société Chez Bogato pour la période du 14 janvier 2016 au 19 octobre 2016, à la somme de 5 510 euros,

- condamné la société Chez Bogato à payer à la société Gabsi Turenne la somme de 5 510 euros, outre les taxes et les charges.

- condamné la société Gabsi Turenne à payer à la société Chez Bogato la somme de 1 euro de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- condamné la société Gabsi Turenne à payer à la société Chez Bogato la somme de 8 000 euros au titre de l'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Gabsi Turenne aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Et, en statuant à nouveau,

A titre principal,

- condamner la société Chez Bogato au paiement de la somme de 84.500 euros au titre de l'indemnité d'occupation du local pour la période du 14 janvier 2016 au 19 octobre 2016, avec intérêts au taux légal ainsi que la somme de 6.500 euros de charges de copropriété ;

A titre subsidiaire,

- condamner la société Chez Bogato au paiement de la somme de 59.150 euros au titre de l'indemnité d'occupation du local pour la période du 14 janvier 2016 au 16 février 2017, avec intérêts au taux légal ainsi que la somme de 4.500 euros au titre des charges de copropriété ;

En tout état de cause,

- condamner la société Chez Bogato au paiement de la somme de 350.000 euros à la SCI Gabsi Turenne, au titre des travaux de remise en état du local, suite aux dégradations causées par la société Chez Bogato ;

- condamner la société Chez Bogato au paiement de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter la société Chez Bogato de l'intégralité de ses demandes et demandes reconventionnelles ;

- condamner la société Chez Bogato aux entiers dépens.

La SCI Gabsi Turenne fait valoir :

Sur la remise en état du bien immobilier,

- que la résolution d'un contrat emporte anéantissement rétroactif de celui-ci et obligation de remettre les choses en leur état antérieur à la conclusion du contrat résolu ;

- qu'en cas de dégradation ou dépréciation du bien restitué, la restitution en nature de la chose doit s'accompagner d'une indemnisation ;

- que la résolution du bail commercial du 5 septembre 2014, prononcée par jugement du 14 janvier 2016, implique la remise en état du local commercial dans l'état dans lequel il se trouvait lors de la prise à bail ;

- que la société Chez Bogato a eu la jouissance matérielle des locaux ; qu'elle a saccagé ces locaux qui nécessitent en conséquence une remise en état dont le côut est de 350.000 euros ;

- qu'en rejetant sa demande au motif que la société Chez Bogato n'avait pas commis de faute, le premier juge a commis une erreur de droit dès lors que la restitution des locaux dans l'état dans lequel ils se trouvaient avant la conclusion du bail ne nécessite pas une faute du débiteur de la restitution ;

- qu'en outre, l'inertie de la SCI Gabsi [Adresse 13] dans ses relations avec le syndicat des copropriétaires n'est pas à l'origine des dégradations commises par la société Chez Bogato dans les locaux ;

- que les locaux étaient en parfait état lors de l'entrée dans les lieux de la société Chez Bogato ; que toutes les installations de plomberie, d'électricité, de climatisation et de chauffage fonctionnaient ;

- que lors de la sortie des locaux de la société Chez Bogato, il n'existait plus aucune installation électrique, de plomberie, de chauffage ou de climatisation ; que les travaux de la société Chez Bogato ont fait passer le local de l'état d'usage à un état brut ;

- que c'est à tort que le tribunal a retenu d'une part que les parties s'étaient accordées sur une rénovation des locaux à la charge de la société Chez Bogato, la rénovation des locaux résultant de la seule volonté de la société Chez Bogato, et d'autre part que cet accord induisait l'absence de remise en état des locaux dans leur état antérieur à la suite de la résolution du bail ;

- que, dans le cadre de sa remise en location des locaux, la SCI Gabsi Turenne a nécessairement subi les conséquences de l'état catastrophique dans lequel la société Chez Bogato lui a restitué les locaux ; que la SCI Gabsi Turenne a reloué les locaux par acte du 3 juillet 2018 ; que le nouveau locataire atteste que l'indemnité d'entrée, d'un montant de 140.000 euros a été diminuée compte-tenu des lourds travaux rendus nécessaires par l'état des locaux ;

- qu'une remise en état par la société Chez Bogato est impossible de sorte que le paiement d'une indemnité s'impose ;

Sur le paiement d'une indemnité d'occupation,

- qu'elle aurait dû retrouver la disposition de ses locaux dès le prononcé de la résolution du bail par le jugement du 14 janvier 2016, celui-ci ayant ordonné l'exécution provisoire ;

- que la société Chez Bogato a conservé les clés du local commercial du 14 janvier 2016 au 16 février 2017, ce qui l'a empêché d'effectuer les travaux prescrits par le syndicat des copropriétaires et de remettre en location les locaux ;

- que le 19 octobre 2016 ne peut être retenu comme date de remise des clés, nul ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude ; que le 19 octobre 2016, le conseil de la SCI Gabsi Turenne a simplement précisé à la société Chez Bogato que la SCI Gabsi Turenne souhaitait que la remise des clés interviennent en même temps que l'établissement d'un état des lieux contradictoire en présence d'un huissier de justice pour prévenir toutes contestations sur l'état des locaux restitués à la SCI Gbasi Turenne ;

- que le montant de l'indemnité d'occupation doit tenir compte de la valeur locative des locaux à cette période ; que les locaux ayant été reloués à la galerie [Localité 12], en juillet 2018 au prix de 6.500 € par mois, hors taxes et hors charges, l'indemnité d'occupation peut être fixée à 6.500 € par mois outre les charges de copropriété ;

- que la décote de 90 % appliquée par le premier juge au loyer convenu entre les parties pour déterminer l'indemnité d'occupation est déraisonnable ;

Sur la condamnation de la SCI Gabsi Turenne pour procédure abusive,

- que la juridiction de première instance a fondé sa condamnation de la SCI Gabsi Turenne pour procédure abusive sur l'ensemble des procédures intentées par la SCI Gabsi Turenne ; que le caractère abusif de la procédure doit être apprécié à l'aune de la seule procédure soumise à la cour ;

- que dès lors que la juridiction de première instance a fait droit à sa demande sur le principe de l'indemnité d'occupation, la procédure ne peut être qualifiée d'abusive.

Dans ses conclusions déposées et notifiées le 29 octobre 2024, la société Chez Bogato demande à la cour de :

- déclarer recevable et bien-fondée la société Chez Bogato au titre de ses présentes écritures et en son appel incident ;

Y faisant droit :

- confirmer le jugement du tribunal judiciaire du 7 décembre 2021 en ce qu'il a débouté la SCI Gabsi [Adresse 13] de sa demande de condamnation de la société Chez Bogato à lui payer la somme de 350.000 euros, au titre de la remise en état du local commercial situé [Adresse 4] ;

- confirmer le jugement du tribunal judiciaire du 7 décembre 2021 en ce qu'il a condamné la SCI Gabsi Turenne au paiement de la somme d'un euro symbolique de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- réformer le jugement du tribunal judiciaire du 7 décembre 2021 en ce qu'il a fixé le montant de l'indemnité d'occupation due par la société Chez Bogato pour la période du 14 janvier 2016 au 19 octobre 2016 à la somme de 5.510 euros, outre les taxes et charges ;

- réformer le jugement du Tribunal judiciaire du 7 décembre 2021 en ce qu'il a condamné la société Chez Bogato à payer à la SCI Gabsi la somme de 5.510 euros, outre les taxes et charges ;

- réformer le jugement du tribunal judiciaire du 7 décembre 2021 en ce qu'il a dit n'y avoir lieu de prononcer une amende civile pour procédure abusive ;

Ainsi, statuant à nouveau,

- juger que la demande de la SCI Gabsi visant à obtenir le versement d'une indemnité d'occupation sans droit ni titre est infondée et dépourvue de tout sérieux, dans la mesure où la société Chez Bogato n'a jamais occupé les locaux entre le 14 janvier 2016 et le 16 février 2017 ;

- juger que l'action en justice engagée par la SCI Gabsi Turenne par acte du 10 juin 2019, est abusive ;

En conséquence :

- débouter la SCI Gabsi Turenne de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner la SCI Gabsi Turenne au paiement d'une amende civile pour procédure abusive ;

En tout état de cause :

- condamner la SCI Gabsi Turenne au paiement d'une somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Chez Bogato fait valoir :

Sur la confirmation du jugement de première instance en ce qu'il a débouté la SCI Gabsi de sa demande d'indemnisation au titre de la remise en état du local de la [Adresse 11],

- qu'en application de l'article 1183, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131, et de l'article 1732 du code civil, la résolution du contrat de bail entraîne la restitution du bien au bailleur, dans l'état dans lequel le preneur l'a reçu, ce dernier devant seulement répondre des dégradations susceptibles d'être intervenues pendant sa jouissance et par sa faute ; que le nouvel article 1352-1 du code civil entérine cette solution ;

- que l'existence des dégradations reprochées par la SCI Gabsi Turenne à la société Chez Bogato n'est pas prouvée dès lors que les parties n'ont pas établi d'état des lieux d'entrée ; qu'en matière de bail commercial, l'article L. 145-40-1 du code de commerce exclut la présomption de bon état des locaux prévue par l'article 1731 du code civil ; que la SCI Gabsi Turenne produit des pièces dénuées de force probante pour soutenir faussement que les locaux étaient en bon état au moment de la conclusion du bail ; que le bail du 5 septembre 2014 stipule que des travaux de rénovation et d'aménagement des locaux étaient nécessaires ; qu'un jugement du 31 janvier 2014 du tribunal de grande instance de Paris, dans une instance qui opposait le syndicat des copropriétaires à la SCI Gbasi Turenne, avait mis à la charge de cette dernière la réalisation de travaux structurels qui n'était pas encore intervenue ;

- que le procès-verbal du 16 février 2017 sur lequel s'appuie la SCI Gabsi Turenne pour faire la preuve des dégradations commises dans les locaux n'a pas été établi contradictoirement et se borne à synthétiser les observations de la SCI Gassi Turenne, sans description précise et objective par l'huissier de l'état des locaux ;

- que les travaux de débarrassage, et non de démolition, des locaux réalisés par la société Chez Bogato ne constituent pas des dégradations ; qu'il s'agissait de travaux préalables aux travaux de rénovation et d'aménagement des locaux qui ont été abandonnés faute de réalisation des travaux de structure qui incombait à la SCI Gabsi Turenne ;

- que la somme de 350.000 € sollicitée par la SCI Gabsi Turenne au titre de la remise en état des locaux ne correspond pas à la réparation des dégradations prétendument commises par la société Chez Bogato mais à la rénovation totale des locaux qu'envisageait intialement la société Chez Bogato pour permettre l'exploitation des locaux ;

- que la SCI Gabsi Turenne n'a subi aucun préjudice ; qu'un nouveau locataire exploite les locaux et a réalisé les travaux de rénovation sans que la SCI Gbasi Turenne en supporte le coût ;

Sur l'infirmation du jugement de première instance en ce qu'il a condamné Chez Bogato au paiement d'une indemnité d'occupation,

- que la remise des clés par le locataire au bailleur ou le refus du bailleur de les recevoir caractérise la libération des lieux loués ;

- qu'en outre, si le locataire n'a pas bénéficié de la jouissance de locaux conformes à leur destination contractuelle, il n'est pas redevable d'une indemnité d'occupation (3e Civ., 3 novembre 2021, pourvoi n° 20-16.334) ; que les locaux litigieux ne permettaient pas d'y exercer l'activité de patisserie et de salon de thé pour laquelle ils avaient été loués ;

- qu'elle s'est confrontée à l'inertie de la SCI Gabsi Turenne pour lui restituer les clés ; qu'après avoir vainement tenté d'organiser une réunion de restitution des clés avec le conseil de la SCI Gabsi Turenne, elle lui a finalement adressé lesdites clés le 19 octobre 2016 ;

- que la SCI Gabsi Turenne n'est pas fondée à réclamer une indemnité d'occupation en l'absence d'un acte positif de sa part en vue de réclamer la restitution des clés, en l'absence d'occupation effective des locaux par la société Chez Bogato, en l'absence de préjudice subi par la SCI Gabsi Turenne, cette dernière n'apportant pas la preuve qu'elle ait cherché à remettre en location les locaux ou à y réaliser des travaux ;

S'agissant du caractère abusif de la présente procédure,

- que la mauvaise foi du demandeur dans l'exercice d'une action en justice, qui fait dégénérer son droit en abus, peut être sanctionnée par l'allocation de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil et par la condamnation à une amende civile sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

- qu'en l'espèce, la mauvaise foi de la SCI Gabsi Turenne est établie par l'absence de preuve tangible et sérieuse justifiant l'existence des dégradations qu'elle impute à la société Chez Bogato, par le caractère 'ubuesque' de sa demande d'indemnité d'occupation dès lors que la SCI Gabsi Turenne n'a jamais pu exploiter les locaux et que la SCI Gabsi Turenne est à l'origine du défaut de restitution des clés, par les tentatives de la SCI Gabsi Turenne de se soustraire à l'exécution provisoire des condamnations prononcées à son encontre par le jugement du 14 janvier 2016 (saisine du premier président en arrêt de l'exécution provisoire, saisine du conseiller de la mise en état, saisine du juge de l'exécution pour obtenir des délais de paiement) ;

- que la présente instance n'a pas d'autres fins que retarder le paiement des sommes dues par la SCI Gabsi Turenne à la société Chez Bogato.

Il convient, en application de l'article 455 du code de procédure civile, de se référer aux conclusions des parties, pour un exposé plus ample de leurs prétentions et moyens.

SUR CE,

Sur la demande de la SCI Gabsi Turenne au titre de la remise en état des locaux par la société Chez Bogato

Par jugement du 14 janvier 2016, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé, à compter du 5 septembre 2014, la résolution du bail consenti à cette même date par la SCI Gabsi Turenne à la société Chez Bogato et portant sur des locaux situés [Adresse 4] et [Adresse 2], aux torts exclusifs de la SCI Gabsi Turenne.

Cette décision emporte anéantissement rétroactif du bail et remise des parties dans l'état antérieur à la conclusion de celui-ci, ce qui donne lieu à des restitutions réciproques entre elles.

Mais, contrairement à ce que soutient la SCI Gabsi Turenne, cette décision n'oblige pas la société Chez Bogato à remettre les locaux litigieux dans l'état dans lequel ils se trouvaient avant la conclusion du bail, sans preuve d'une dégradation fautive de ceux-ci par la société Chez Bogato.

En effet, la restitution à laquelle est obligée la société Chez Bogato en vertu de la résolution du bail commercial prononcée par le jugement du 14 janvier 2016 est celle de la jouissance des locaux et non celle des locaux eux-mêmes dont la propriété ne lui a pas été transférée par le bail.

La réparation des dégradations que la SCI Gabsi Turenne reproche à la société Chez Bogato doit donc être recherchée sur le fondement de la responsabilité délictuelle de l'article 1240 du code civil et non sur le fondement de la résolution du bail et de la remise des parties dans l'état antérieur à la conclusion de celui-ci.

Les dispositions de l'article 1732 du code civil invoquées par la société Chez Bogato, qui régissent les relations entre le bailleur et le locataire, ne trouvent pas à s'appliquer compte-tenu de l'anéantissement rétroactif du bail.

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

C'est par des motifs exacts et pertinents auxquels la cour renvoie et qu'elle adopte que le tribunal a considéré que l'état des locaux lors de leur libération par la société Chez Bogato ne pouvait pas être imputé à faute à cette dernière.

Il convient seulement de souligner que les dégradations que la SCI Gabsi Turenne reproche à la société Chez Bogato sont consécutives aux travaux de débarrassage et de curetage réalisés par la société Chez Bogato dans les locaux avant la résolution du bail. Or, ces travaux ont été réalisés sans faute de la part de la société Chez Bogato dès lors qu'ils sont inclus, pour en être le préalable nécessaire, dans les travaux de rénovation à la charge du preneur expressément autorisés dans le bail et que la société Chez Bogato n'a pas pu terminer la rénovation des locaux par la faute de la SCI Gabsi Turenne ainsi que cela a été jugé dans le jugement du 14 janvier 2016.

Par ailleurs, il apparait que la SCI Gabsi Turenne n'a subi aucun préjudice du fait de l'état des locaux lors de leur libération par la société Chez Bogato.

En effet, d'une part, il résulte de l'examen des pièces produites aux débats, notamment du bail conclu le 3 juillet 2018 entre la SCI Gabsi Turenne et son nouveau locataire la société [Adresse 9] et d'une attestation de la société Galerie Joseph, que la SCI Gabsi Turenne n'a pas réalisé les travaux de remise en état des locaux pour lesquels elle demande à la cour de condamner la société Chez Bogato à lui payer la somme de 350.000 euros, étant observé qu'elle ne produit aux débats que des devis de travaux. C'est le nouveau locataire qui a assumé la charge de la rénovation des locaux hors éléments de structure.

D'autre part, il résulte de la comparaison entre le bail commercial du 5 septembre 2014 conclu entre la SCI Gabsi Turenne et la société Chez Bogato et le bail commercial du 3 juillet 2018 conclu entre la SCI Gabsi Turenne et la société [Adresse 8] que l'état des locaux lors de leur libération par la société Chez Bogato n'a pas déprécié la valeur locative des locaux. Les locaux avaient été loués à la société Chez Bogato moyennant un loyer annuel de 73.200 euros hors taxes et hors charges et un droit d'entrée de 75.000 euros, la société Chez Bogato s'engageant à effectuer des travaux importants de rénovation qu'elle avait chiffrés à 230.000 euros dans un mail antérieur à la conclusion du bail. Les locaux ont été loués à la société [Adresse 8] moyennant un loyer annuel de 78.000 euros et un droit d'entrée de 140.000 euros, la société Galerie Joseph s'engageant à effectuer des travaux de rénovation qu'elle chiffre dans le bail à 341.200 euros.

L'attestation de la société [Adresse 8], nouveau locataire, selon laquelle 'il a été tenu compte tant pour le montant de l'indemnité d'entrée que pour la franchise très réduite de loyer que vous m'avez consentie, de l'importance de l'investissement que je dois réaliser dans les lieux pour les rendre opérationnels et ce, au regard de l'état dans lequel ils sont', n'est pas la preuve d'une dépréciation de la valeur locative des locaux faute de preuve ce que l'investissement de la société Galerie Saint Jospeh aurait été moindre sans les travaux de débarrassage et de curetage réalisés par la société Chez Bogato, étant rappelé que les locaux nécessitaient déjà des travaux de rénovation d'ampleur lors de la conclusion du bail du 5 septembre 2014.

Au vu de l'ensemble de ces élements, il convient de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a débouté la SCI Gabsi Turenne de sa demande de condamnation de la société Chez Bogato à lui payer la somme de 350.000 euros au titre des travaux de remise en état des locaux.

Sur l'indemnité d'occupation

La résolution du bail conclu entre la SCI Gabsi Turenne et la société Chez Bogato, en vertu du jugement du tribunal de grande instance de Paris du 14 janvier 2016, étant rappelé que ce jugement était assorti de l'exécution provisoire, obligeait la société Chez Bogato à restituer la jouissance des lieux à la SCI Gabsi Turenne, cette restitution étant caractérisée par la remise des clés à cette dernière.

Après la résolution du bail et tant que les clés ne sont pas restituées, le locataire est considéré comme se maintenant dans les lieux sans droit ni titre et est redevable d'une indemnité d'occupation de droit commun destinée à rémunérer la jouissance des lieux et à réparer le préjudice subi par le bailleur du fait de l'occupation sans droit ni titre de son bien.

Toutefois, lorsque le bailleur refuse la remise des clés ou lorsqu'il rend impossible cette remise, le locataire est libéré du paiement de l'indemnité d'occupation.

En l'espèce, c'est par des motifs exacts et pertinents auxquels la cour renvoie et qu'elle adopte que le tribunal a décidé que la société Chez Bogato était redevable d'une indemnité d'occupation du 14 janvier 2016 au 19 octobre 2016.

Il convient seulement d'ajouter que le mail adressé le 19 octobre 2016 par le conseil de la société Chez Bogato au conseil de la SCI Gabsi Turenne dans lequel le premier écrit : 'cela fait des semaines que j'essaie d'organiser une restitution officielle des clés' est insuffisant à établir l'existence de démarches antérieures au 19 octobre 2016, émanant de la société Chez Bogato pour remettre les clés des locaux à la SCI Gabsi Turenne, auxquelles cette dernière aurait opposé un refus.

Par ailleurs, sans stipulation contractuelle le prévoyant et sans démarche active de la SCI Gabsi Turenne pour procéder ainsi, le souhait de la SCI Gabsi Turenne de voir organiser la remise des clés en même temps que la réalisation d'un état des lieux de sortie contradictoire ne rend pas légitime le refus qu'elle a opposé, le 19 octobre 2016, à la remise des clés par la société Chez Bogato.

S'agissant du montant de l'indemnité d'occupation, la cour relève qu'en l'espèce, il ne s'agit pas d'une indemnité d'occupation statutaire qui doit être fixée à la valeur locative des locaux. La cour relève également qu'il ne s'agit pas non plus d'une indemnité d'occupation qui serait la seule contrepartie de la jouissance des locaux, étant rappelé qu'il s'agit d'une indemnité d'occupation due à raison du maintien dans les lieux de la société Chez Bogato, faute de restitution des clés, après le prononcé de la résolution du bail, de sorte que le moyen tiré de l'impossibilité de la société Chez Bogato de jouir de locaux conformes à leur destination ne suffit pas à libérer la société Chez Bogato de tout paiement au titre de l'indemnité d'occupation.

Dans ces conditions, il apparait que le tribunal a fait une juste analyse des faits, compte-tenu de l'état des locaux dont la société Chez Bogato n'était pas responsable, en fixant le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 5510 euros outre les taxes et les charges à la charge du preneur dans le bail du 5 septembre 2014.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné la société Chez Bogato à payer à la SCI Gabsi Turenne la somme de 5510 euros, outre les taxes et les charges au titre de l'indemnité d'occupation due pour la période du 14 janvier 2016 au 19 octobre 2016.

Sur la demande de la société Chez Bogato pour procédure abusive

L'article 32-1 du code de procédure civile dispose que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10.000 € sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés.

Dès lors qu'il a été partiellement fait droit aux demandes de la SCI Gabsi Turenne, le caractère abusif de son action en justice n'est pas établi.

En conséqquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit n'y avoir lieu de prononcer une amende civile pour procédure abusive mais de l'infirmer en ce qu'il a condamné la SCI Gabsi Turenne à payer à la société Chez Bogato la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de rejeter cette demande.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il apparait que la SCI Gabsi Turenne succombe dans l'essentiel de ses prétentions tant en première instance qu'en appel. En conséquence, il convient, en application de l'article 696 du code de procédure civile, de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné la SCI Gabsi Turenne aux dépens de première instance et de la condamner aux dépens de la procédure d'appel.

Par ailleurs, l'équité commande de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné la SCI Gbasi Turenne à payer à la société Chez Bogato la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la même à payer à la société Chez Bogato la somme de 15.000 euros, sur le même fondement, pour les sommes exposés par cette dernière à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;

Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 7 décembre 2021 (RG n° 19/8084) en ce qu'il a condamné la société dénommée Ste civile immobilière Gabsi Turenne à payer à la société Chez Bogato la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 7 décembre 2021 (RG n° 19/8084) en toutes ses autres dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau,

Déboute la société Chez Bogato de sa demande de condamnation de la société dénommée Ste civile immobilière Gabsi Turenne à lui payer des dommages et intérêts pour procédure abusive,

Y ajoutant,

Condamne la société dénommée Ste civile immobilière Gabsi Turenne aux dépens de la procédure d'appel,

Condamne la société dénommée Ste civile immobilière Gabsi Turenne à payer à la société Chez Bogato la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

La greffière, Le président,

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site