CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 3 juillet 2025, n° 21/04584
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRAN'AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 03 JUILLET 2025
(n° 112/2025, 16 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 21/04584 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDIEK
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 février 2021- Tribunal judiciaire de PARIS (18ème chambre, 1ère section) - RG n° 18/13865
APPELANTE
S.A.R.L. CHEZ WILLEM
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 8] sous le n° 409 299 518
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Edouard de LAMAZE de la SELARL CARBONNIER LAMAZE RASLE, avocat au barreau de Paris, toque : P0298
INTIMÉE
S.C.I. DIX HUITIEME
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 7] sous le n° 344 174 693
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Michael INDJEYAN - SICAKYUZ, avocat au barreau de Paris, toque : D0611
Assistée de Me Hervé KEROUREDAN, avocat au barreau de Versailles, toque : C40
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 janvier 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Marie Girousse, conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre
Mme Stéphanie Dupont, conseillère
Mme Marie Girousse, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé en date du 29 novembre 1989, la SCI Dix-huitième a donné à bail commercial à effet du 21 novembre 1989, aux époux [L], des locaux commerciaux à usage de « café, brasserie, restaurant et accessoirement vente à emporter », situés [Adresse 1] à Paris 18ème.
Par avenant en date du 10 janvier 1999, le bail a été renouvelé pour une durée de 9 ans à compter du 29 novembre 1998.
Par acte sous seing privé du 30 juillet 1999, les époux [L] ont cédé leur fonds de commerce, moyennant le prix de 152.499 euros à la société Le Surcouf, qui, par acte sous seing privé du 31 mars 2004, l'a revendu à la société Chez Willem, au prix de 167.394 euros.
Par acte extra-judiciaire du 22 juillet 2016, la société Chez Willem a fait signifier à sa bailleresse une demande de renouvellement du bail du 10 janvier 1999.
Par acte extra-judiciaire du 14 septembre 2016, la société Dix-huitième a fait signifier à la société Chez Willem un congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction pour le 31 mars 2017.
Par ordonnance du 31 octobre 2017, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, saisi par la société Dix-huitième, a désigné M. [S] [G] en qualité d'expert avec mission d'estimer l'indemnité d'éviction et l'indemnité d'occupation respectivement dues par la bailleresse et la locataire.
Le 9 octobre 2018, M. [G] a déposé son rapport aux termes duquel il estime :
qu'en l'absence de proposition d'un local de substitution par la bailleresse et du fait qu'il n'y a pas, à sa connaissance, de local libre équivalent dans le secteur, il convient de raisonner sur la perte du fonds ;
que, compte-tenu de la modestie du chiffre d'affaires et du bénéfice généré par l'exploitation, l'indemnité d'éviction principale sera constituée par la valeur du droit au bail.
Il conclut à une indemnité d'éviction totale de 235.000 euros et à une indemnité d'occupation annuelle de 46.410 euros.
Par acte extra-judiciaire du 14 novembre 2018, la société Chez Willem a assigné la société Dix-huitième devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir fixer le montant de l'indemnité d'éviction et celui de l'indemnité d'occupation.
Par jugement en date du 9 février 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :
constaté que par l'effet du congé délivré le 14 septembre 2016 par la société Dix-huitième à la société Chez Willem, le bail liant les parties portant sur les locaux situés [Adresse 1] à [Localité 10] a pris fin le 1er avril 2017 ;
fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 192.837 € soit :
163.800 € au titre de l'indemnité principale ;
20.604 € au titre des frais de remploi ;
3.933 € au titre du trouble commercial ;
2.500 € au titre des frais de déménagement ;
2.000 € au titre des frais divers ;
débouté la société Dix-huitième de sa demande de séquestre de l'indemnité due au titre des frais de remploi ;
dit que la société Chez Willem est redevable à l'égard de la société Dix-huitième d'une indemnité d'occupation, à compter du 1er avril 2017 ;
fixé le montant de cette indemnité à la somme de 46.410 € par an, outre les taxes et les charges prévues au bail ;
dit que la compensation entre le montant de l'indemnité d'éviction et celui de l'indemnité d'occupation, s'opérera de plein droit ;
condamné la société Dix-huitième, aux entiers dépens, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire ;
condamné la société Dix-huitième à payer à la société Chez Willem la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
rejeté toutes autres demandes.
Par déclaration en date du 9 mars 2021, la société Chez Willem a interjeté appel partiel du jugement en ce qu'il a :
constaté que par l'effet du congé délivré le 14 septembre 2016 par la société Dix-huitième à la société Chez Willem, le bail liant les parties portant sur les locaux situés [Adresse 1] à [Localité 10] a pris fin le 1er avril 2017 ;
fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 192.837 € soit :
163.800 € au titre de l'indemnité principale ;
20.604 € au titre des frais de remploi ;
3.933 € au titre du trouble commercial ;
2.500 € au titre des frais de déménagement ;
2.000 € au titre des frais divers ;
dit que la société Chez Willem est redevable à l'égard de la société Dix-huitième d'une indemnité d'occupation, à compter du 1er avril 2017 ;
fixé le montant de cette indemnité à la somme de 46.410 € par an, outre les taxes et les charges prévues au bail ;
dit que la compensation entre le montant de l'indemnité d'éviction et celui de l'indemnité d'occupation, s'opérera de plein droit.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Par conclusions déposées le 3 décembre 2024, la société Chez Willem, appelante à titre principal et intimée à titre incident, demande à la cour de :
infirmer le jugement du tribunal judicaire de Paris en ce qui concerne la fixation de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation, ainsi qu'en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Chez Willem ;
confirmer le jugement pour le reste, notamment en ce qu'il a débouté la société Dix-huitième de ses demandes et condamné cette dernière au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
En conséquence :
fixer l'indemnité d'éviction en l'évaluant au jour le plus proche où la cour va statuer ;
écarter le rapport de M. [G] du 9 octobre 2018 car trop ancien pour pouvoir être utile à la fixation de l'indemnité d'éviction, en plus d'être gravement erroné ;
retenir le rapport d'expertise du 21 octobre 2022 par M. [T] [M], expert près les cours Administratives d'appel de Paris et Versailles, et M. [Z] [I], expert de justice près la cour d'appel de Paris, évaluant l'indemnité d'éviction au 4ème trimestre 2022 ;
fixer l'indemnité d'éviction due par la société Dix'huitième à la société Chez Willem à la somme d'au moins 640.000 € (hors frais de licenciement) en cas de perte du fonds et d'au moins 720.000 € en cas de transfert du fonds ;
fixer pour l'indemnité d'occupation un abattement de précarité d'au moins 60 % compte tenu la longueur anormale de la procédure et de l'impossibilité pendant cette période pour le preneur de procéder à des travaux d'aménagement ou de rénovation ;
fixer l'indemnité d'occupation, après application de l'abattement de 60 %, à un montant annuel de 21.840 € (54.600 ' 60 %) ;
à défaut de retenir le rapport d'expertise du 21 octobre 2022 de MM. [M] et [I], et/ou à défaut de retenir l'abattement de précarité à hauteur de 60 % pour l'indemnité d'occupation, ordonner une nouvelle expertise judiciaire en fixation de l'indemnité d'éviction et/ou de l'indemnité d'occupation ;
rejeter l'ensemble des prétentions et réclamations de la société Dix-huitième ;
condamner la société Dix-huitième en raison de son comportement fautif et dommageable à réparer les préjudices subis par la société Chez Willem pour un montant de 20.000 euros au titre de son trouble de jouissance et 10.000 euros au titre de son préjudice moral ;
condamner la société Dix-huitième à payer à la société Chez Willem la somme de 25.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
condamner la société Dix-huitième aux entiers dépens.
Par conclusions déposées le 30 octobre 2024, la SCI Dix-huitième, intimée à titre principal et appelante à titre incident, demande à la cour de :
déclarer la société Chez Willem mal fondée en son appel ;
l'en débouter ainsi que de toutes ses demandes fins et conclusions ;
déclarer la société Dix-huitième recevable et fondée en son appel incident ;
Y faisant droit,
A titre principal :
infirmer le jugement dont appel en ses dispositions ayant :
fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 192.837,00 € soit :
163.800,00 € au titre de l'indemnité principale ;
20.604,00 € au titre des frais de remploi ;
3.933,00 € au titre du trouble commercial ;
2.500,00 € au titre des frais de déménagement ;
2.000,00 € au titre des frais divers.
débouté la société Dix-huitième de sa demande de séquestre de l'indemnité due au titre des frais de remploi ;
condamné la société Dix-huitième aux entiers dépens en ce compris le coût de l'expertise judiciaire ;
condamné la société Dix-huitième à payer à la société Chez Willem la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
confirmer le jugement pour le surplus de ses dispositions ayant notamment :
dit que la société Chez Willem est redevable à l'égard de la société Dix-huitième d'une indemnité d'occupation à compter du 1 avril 2017 ;
fixer le montant de cette indemnité d'occupation à la somme de 46.410,00 € par an outre les taxes et les charges prévu au bail ;
dit que la compensation entre le montant de l'indemnité d'éviction et celui de l'indemnité d'occupation s'opérera de plein droit ;
Et, statuant à nouveau des chefs infirmés :
débouter la société Chez Willem de sa demande d'indemnité d'éviction et de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
condamner la société Chez Willem, partie succombante, à verser à la société Dix-huitième la somme de 5.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Chez Willem aux dépens de première instance et d'appel en ce compris le coût de l'expertise judiciaire ;
A titre subsidiaire :
déclarer la société Chez Willem mal fondée en son appel ;
déclarer la société Dix-huitième recevable et fondée en son appel incident ;
Y faisant droit :
infirmer le jugement en ses dispositions ayant :
Fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 192.837 €,
Débouté la société Dix-huitième de sa demande de séquestre de l'indemnité due au titre des frais de remploi,
Condamné la société Dix-huitième au paiement de la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
confirmer le jugement pour le surplus de ses dispositions ;
Et statuant à nouveau des chefs infirmés :
fixer le montant de l'indemnité d'éviction selon le récapitulatif suivant :
Indemnité principale : perte du fonds de commerce 76.000,00 €
Indemnités accessoires : Principal Subsidiaire
frais de remploi (sur justificatifs) 7.670,00 € 7.670,00 €
frais de déménagement 2.228,00 € 2.228,00 €
frais de réinstallation néant néant
trouble commercial 1.406,25 € 1.825,00€
frais divers 1.000 € 2.000 €
Montant total de l'indemnité d'éviction : 88.304,25 € 89.723,00 €
débouter la société Chez Willem de ses plus amples demandes, fins et conclusions ;
A titre très subsidiaire :
confirmer le jugement en ses dispositions ayant :
fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 192.837 € ;
dit que la société Chez Willem est redevable à l'égard de la société Dix-huitième d'une indemnité d'occupation à compter du 1er avril 2017 ;
fixer le montant de cette indemnité d'occupation à la somme de 46.410,00 € par an outre les taxes et les charges prévu au bail ;
dit que la compensation entre le montant de l'indemnité d'éviction et celui de l'indemnité d'occupation s'opérera de plein droit ;
Y ajoutant :
condamner la société Chez Willem au paiement de la somme de 16.591,43 € selon décompte arrêté au 30 septembre 2024 sous réserve d'actualisation ;
infirmer le jugement en ces dispositions ayant débouté la société Dix-huitième de sa demande de séquestre de l'indemnité due au titre des frais de remploi ;
Et statuant à nouveau de ce chef :
ordonner le séquestre de l'indemnité allouée au titre des frais de remploi sur production de justificatifs attestant de la réalité de la réinstallation effective de la société Chez Willem dans un délai de 6 mois à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir ;
En toute hypothèse :
ordonner à la société Chez Willem de libérer les lieux sis [Adresse 2] à [Localité 10] ;
ordonner à défaut de départ volontaire, l'expulsion de la société Chez Willem ainsi que tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier ;
confirmer le jugement dont appel en ses dispositions ayant :
fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 192.837 € ;
dit que la société Chez Willem et redevable à l'égard de la société Dix-huitième d'une indemnité d'occupation à compter du 1er avril 2017 ;
fixé le montant de cette indemnité d'occupation à la somme de 46.410,00 € par an outre les taxes et les charges prévu au bail ;
dit que la compensation entre le montant de l'indemnité d'éviction et celui de l'indemnité d'occupation s'opérera de plein droit ;
condamner la société Chez Willem à verser à la société Dix-huitième une indemnité d'occupation annuelle de 46.410,00 € HT et hors charges, à compter du 1er avril 2017 et jusqu'au départ volontaire ou à défaut l'expulsion des lieux ;
statuer ce que de droit quant aux dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur le périmètre de saisine de la cour
En vertu de l'article 562 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs du jugement qu'il critique expressément et ceux qui en dépendent, la dévolution s'opérant pour le tout lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet est indivisible.
Aux termes de l'article 910-4 du même code, dans sa rédaction applicable à l'espèce, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties doivent présenter, dès leurs premières conclusions, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
Enfin selon les termes de l'article 954 alinéas 3 et 4 du même code, dans sa rédaction applicable à l'espèce, « La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées ».
En l'espèce, comme le soulève à juste titre l'intimée, l'appelante sollicitait, aux termes de ses premières conclusions d'appel la désignation d'un expert aux fins de contre-expertise. Cette demande, qui n'est pas reprise dans le dispositif de ses dernières conclusions doit en conséquence être considérée comme abandonnée.
Il résulte en outre de la combinaison des articles précités que, si l'effet dévolutif est fixé dans la déclaration d'appel, les premières conclusions peuvent venir réduire le périmètre de la dévolution et la cour est saisie par les termes des dernières conclusions des parties qui ne peuvent néanmoins y ajouter.
En l'espèce, dans sa déclaration d'appel, la société Chez Willem déclare « relever appel du jugement du tribunal judiciaire de Paris du 9 février 2021 en ses chefs expressément critiqués ci-après :
- Constate que par l'effet du congé délivré le 14 septembre 2016 par la société DIX HUITIEME à la société CHEZ WILLEM, le bail liant les parties portant sur les locaux situés [Adresse 1] à [Localité 9] a pris fin le 1er avril 2017,
- Fixe l'indemnité d'éviction à la somme de 192.837 euros, soit 163.800 euros au titre de l'indemnité principale, 20.604 euros au titre des frais de remploi, 3.933 euros au titre du trouble commercial, 2.500 euros au titre des frais de déménagement, 2.000 euros au titre des frais divers,
- Dit que la société CHEZ WILLEM est redevable à l'égard de la société DIX HUITIEME d'une indemnité d'occupation, à compter du 1er avril 2017,
- Fixe le montant de cette indemnité à la somme de 46.410 euros par an, outre les taxes et les charges prévues au bail,
- Dit que la compensation entre le montant de l'indemnité d'éviction et celui de l'indemnité d'occupation, s'opérera de plein droit ».
Dans ses premières conclusions, la société Chez Willem sollicitait néanmoins la confirmation du montant de l'indemnité d'occupation.
Il doit être constaté qu'en sollicitant finalement dans ses dernières conclusions l'infirmation du jugement de ce chef et en sollicitant la fixation de l'indemnité d'occupation à un montant inférieur à celui déterminé par le premier juge, la société Chez Willem a modifié le périmètre de la dévolution.
Au demeurant, comme justement relevé par la bailleresse, en faisant évoluer d'un jeu de conclusions à l'autre le champ de l'effet évolutif, la société Chez Willem a changé de position en cours d'instance trompant ainsi les attentes de son adversaire, nées de sa position initiale, en sollicitant l'infirmation aux termes de ses dernières écritures.
Il s'infère de ces éléments que la cour n'est pas valablement saisie de cette prétention et le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 46.410 euros par an.
Sur l'indemnité d'éviction
En vertu du jugement du tribunal judiciaire de Paris du 9 février 2021, il est acquis aux débats que le refus de renouvellement délivré par la société Dix-huitième à la société Chez Willem le 14 septembre 2016, a mis fin au bail du 29 novembre 1989 à compter du 1er avril 2017. Ce point n'est pas discuté par les parties.
Ces dernières s'opposent en revanche sur le principe et le montant de l'indemnité d'éviction due.
2.1. Sur le principe de l'indemnité d'éviction
Selon l'article L. 145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail, toutefois il doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants du même code, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Aux termes de l'article L. 145-17 I, 1° du code précité, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu du paiement d'aucune indemnité s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant. Toutefois, s'il s'agit soit de l'inexécution d'une obligation, soit de la cessation sans raison sérieuse et légitime de l'exploitation du fonds, compte-tenu des dispositions de l'article L. 145-8, l'infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s'est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après une mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser. Cette mise en demeure doit, à peine de nullité, être effectuée par acte extrajudiciaire, préciser le motif invoqué et reproduire les termes du présent alinéa.
Pour échapper au paiement de l'indemnité d'éviction, le bailleur doit donc justifier à l'encontre du preneur de l'existence d'un ou plusieurs motifs graves et légitimes, notamment des manquements contractuels, et prouver outre l'existence de ce motif, sa gravité et sa persistance.
Si le principe veut que le bailleur ne puisse invoquer que des motifs antérieurs au congé comportant refus de renouvellement et donc invoqués dans ce dernier, il est admis par exception que les infractions commises par le preneur au cours de la procédure peuvent constituer une cause de dénégation du droit à indemnité d'éviction après coup et les manquements du locataire, invoqués par le bailleur pour la première fois en cause d'appel, qui n'ont pour but que de faire écarter les prétentions adverses, ne sauraient constituer des demandes nouvelles.
En l'espèce, la bailleresse soutient à titre principal que le non-paiement des indemnités d'occupation et charges à la date d'exigibilité, de façon récurrente et dans des proportions conséquentes, constitue un manquement suffisamment grave de la part de l'appelante à ses obligations, justifiant ainsi la déchéance du droit au paiement de l'indemnité d'éviction.
A l'appui de sa prétention, la bailleresse verse aux débats un certain nombre de justificatifs des charges dont elle s'acquitte et dont elle sollicite le remboursement auprès de sa locataire, ainsi que les copies des lettres de relance adressées par recommandé avec accusé de réception à la preneuse, en vue d'en obtenir le remboursement. De son côté, cette dernière justifie du paiement des provisions pour charges prévues au bail et conteste le bien-fondé des charges réclamées par la bailleresse depuis le 1er avril 2017.
L'appelante expose que cette demande est une prétention nouvelle, donc irrecevable. De plus, l'intimée n'aurait pas fait connaitre sa prétention en temps utile de sorte que celle-ci devrait être rejetée sur le fondement des articles 15 et 16 du code de procédure civile. Au surplus, la prétention ne serait pas prouvée, l'appelante s'acquittant parfaitement de ses loyers et charges, et les documents produits n'apportant aucune justification.
Si la bailleresse peut se prévaloir à l'encontre de la preneuse de manquements contractuels intervenus depuis le congé, pour dénier à cette dernière tout droit au paiement d'une indemnité d'éviction, sans que cette prétention ne constitue une demande nouvelle dans la mesure où elle n'a pour but que de faire écarter les prétentions adverses, c'est à la condition de respecter le formalisme prévu à l'article L. 145-17 I, 1° du code de commerce, lequel lui fait obligation de prouver avoir mis la preneuse en demeure de respecter ses obligations par acte extrajudiciaire, d'y avoir précisé le motif invoqué et reproduit les termes de l'article précité, ce à peine de nullité.
La cour a sollicité les observations des parties sur cette nullité, soulevée d'office, lesquelles n'en ont pas fait à la demande indiquée par la cour.
Ainsi, dans la mesure où la bailleresse ne démontre pas avoir respecté le formalisme requis à peine de nullité par l'article L. 145-17 I, 1° précité, celle-ci est mal fondée à solliciter l'application desdites dispositions et dénier à la preneuse toute indemnité d'éviction. Il s'ensuit qu'elle se trouve bien redevable envers la preneuse du paiement d'une indemnité d'éviction.
2.2 Sur les demandes de rejets des différents rapports d'expertise
Il résulte des articles 6, 15 et 16 du code de procédure civile qu'à l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder, que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions ainsi que les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense, que le juge ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il est par ailleurs de jurisprudence constante que le juge du fond ne peut refuser d'examiner des rapports d'expertise amiable établis de façon non contradictoire, régulièrement versés aux débats, soumis à la libre discussion des parties et corroboré par d'autres éléments de preuve.
L'appelante expose que l'évaluation de l'indemnité d'éviction doit être réalisée au jour où le juge statue. Or, l'expertise de M. [G] ayant été déposée depuis plus de 6 ans, l'appelante réclame qu'elle soit écartée, car trop ancienne et qu'elle serait en outre erronée. Elle soutient qu'il conviendrait donc de retenir l'expertise du 21 octobre 2022 versée aux débats et réalisée à sa demande par MM. [M] et [I]. En outre, l'appelante estime qu'il conviendrait de rejeter sur le fondement des articles 15 et 16 du code de procédure civile le rapport de M. [E] du 28 octobre 2024, versé aux débats par la partie adverse, car non débattu contradictoirement du fait de son extrême tardiveté, et que sa réalisation en catimini avec une volonté de surprendre l'appelante le priverait de tout crédit.
En réponse, l'intimée expose que l'expert judiciaire a respecté le principe du contradictoire ainsi que les usages en matière d'évaluation de l'indemnité d'éviction. A ce titre, elle fait valoir que l'appelante a adressé un dire le 18 septembre 2018 sans contestation ni remise en cause des références retenues par l'expert. L'ancienneté des références de ce rapport ne serait en outre pas caractérisée par l'appelante et il ne saurait se voir remplacer par un rapport unilatéral, établi par cette dernière, empreint de partialité.
En l'espèce, l'appelante ne saurait raisonnablement solliciter le rejet du rapport d'expertise judiciaire de M. [G], motif pris de son ancienneté, dans la mesure où elle est à l'origine de l'appel et la durée de la procédure qui s'est notamment trouvée augmentée du fait de la réalisation, à sa demande, d'une expertise privée.
Les rapports du 21 octobre 2022 de MM. [M] et [I] et du 28 octobre 2024 de M. [E] ont été respectivement communiqués par les parties à hauteur d'appel en février 2023 et le 30 octobre 2024.
La cour a accordé aux parties un délai supplémentaire et reporté d'un mois le prononcé de la clôture afin de permettre à l'appelante de prendre connaissance et répondre au rapport de M. [E], ce qu'elle a choisi de ne pas faire.
La cour ne saurait donc retenir que ces rapports ont été communiqués tardivement alors qu'ils permettent d'intégrer des éléments, le cas échéant nouveaux, au plus près de la fixation de l'indemnité d'éviction et qu'ils ont pu être débattus contradictoirement.
En effet, ils ont été régulièrement versés aux débats et soumis à la discussion des parties et ces dernières ont exercé légitimement un droit qui leur est garanti, en cherchant à fonder leurs prétentions respectives par des éléments de preuve qui se corroborent. Il appartient donc à la cour de les examiner.
La demande de l'appelante visant à voir écarter le rapport d'expertise judiciaire, ainsi que les demandes réciproques des parties de voir écarter les rapports privés versés aux débats par chacune d'elles, seront donc rejetées.
2.3 Sur le montant de l'indemnité d'éviction
Aux termes de l'article L. 145-14 alinéa 2 du code de commerce, l'indemnité d'éviction est destinée à permettre au locataire évincé de voir réparer l'entier préjudice résultant du défaut de renouvellement. Elle comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
2.3.1. Sur le montant de l'indemnité principale
Il est usuel de mesurer les conséquences de l'éviction sur l'activité exercée afin de déterminer si cette dernière peut être déplacée sans perte importante de clientèle auquel cas l'indemnité d'éviction prend le caractère d'une indemnité de transfert ou si l'éviction entraînera la perte du fonds, ce qui confère alors à l'indemnité d'éviction une valeur de remplacement.
L'indemnité de remplacement doit correspondre à la valeur marchande du fonds de commerce à la date du départ des locataires, mais en fonction de sa consistance à l'époque du refus de renouvellement, selon les usages de la profession considérée. Cette valeur marchande doit donc être appréciée à la date la plus proche de l'éviction, donc à la date à laquelle le juge statue étant observé que la valeur du fonds de commerce est au moins égale à celle du droit au bail qui s'y trouve incluse.
L'appelante expose, en premier lieu, que le rapport judiciaire serait trop ancien pour pouvoir être utile à la fixation de l'indemnité d'éviction et, en second lieu, qu'il serait erroné, tout d'abord du fait de l'utilisation de valeurs de référence trop éloignées géographiquement des locaux objets de l'éviction, ensuite en raison de l'usage de la méthode dite du différentiel pour le calcul de la valeur du droit au bail non conforme aux règles de droit. En outre, il conviendrait, selon l'appelante, de valoriser le droit au bail sans prendre en compte l'augmentation de l'indice prévu au contrat, la bailleresse ayant renoncé à se prévaloir de cette augmentation, et sans se référer au loyer déplafonné, la bailleresse ayant mis un terme au bail. L'expertise amiable du 21 octobre 2022 versée aux débats et réalisée à sa demande, qui insiste sur l'excellente situation du local qui se trouve dans un arrondissement animé, dans un immeuble d'angle, très visible et à proximité du métro, proposerait de retenir une surface pondérée de 112,21 m2 et une évaluation du droit au bail à hauteur de 590.000 euros au 4ème trimestre 2022, qu'il conviendrait selon l'appelante de retenir. Cette valeur serait d'ailleurs corroborée par une estimation réalisée par un professionnel reconnu, évaluant le fonds de commerce à 600.000 ' 650.000 euros, ainsi que par une offre d'achat du fonds de commerce reçue le 2 octobre 2022, pour un montant de 650.000 euros. Ainsi les experts ayant évalué deux hypothèses, ils estiment l'indemnité d'éviction au 4ème trimestre 2022 à un montant total d'au moins 640.000 euros en cas de perte du fonds, hors frais de licenciement, et 720.000 euros en cas de transfert du fonds. L'appelante soutient par ailleurs que le rapport de M. [E] reproduirait la même erreur que le rapport de M. [G] en calculant l'indemnité d'éviction en prenant en compte la valeur locative déplafonnée, choix erroné au regard des règles de droit, car le bailleur n'a pas entendu se prévaloir aux termes de son congé, d'un déplafonnement de loyer.
L'intimée expose en réponse que l'offre d'achat du fonds de commerce et l'estimation du fonds de commerce réalisée en 2022 ne changeraient rien à l'analyse, d'autant plus que l'estimation fait état de certaines réserves et ne tient pas compte du congé donné au locataire le 14 septembre 2016 sans offre de renouvellement, du chiffre d'affaires réalisé hors période COVID et du résultat d'exploitation. Elle soutient encore que le rapport d'expertise du 21 octobre 2022 produit par l'appelante est fondé sur des critères dénués de pertinence au regard de la situation réelle du local et de son exploitation (disproportion des valeurs retenues concernant la surface du local, sa situation et sa valeur) et expose qu'au contraire, le rapport du cabinet [E], déposé par ses soins le 28 octobre 2024 et rédigé en l'absence de visite in situ du fait du refus opposé par l'appelante, aboutit à des conclusions qui se rapprochent de celle de l'expert judiciaire (avec un ajustement au niveau du coefficient de valorisation, l'expert judiciaire ayant appliqué la grille en vigueur antérieurement à la crise sanitaire). A titre incident et subsidiaire, l'intimée soutient sur le fondement de l'article L. 145-14 du code de commerce et 246 du code de procédure civile, que si l'expert judiciaire a souligné qu'en l'absence de local de remplacement équivalent dans le secteur, le fonds n'est pas transférable et que l'indemnité principale doit correspondre à la valeur de celui-ci et au minimum à la valeur du droit au bail, les modalités de calcul qui ont été retenues par l'expert doivent être révisées. A ce titre, le coefficient de valorisation devrait être retenu à 4,5, en faisant application de la nouvelle grille de coefficient post-Covid, du fait de la localisation des locaux dans un secteur non rénové et populeux et donc de commercialité moyenne. Concernant les surfaces utiles et coefficients de pondération, l'intimée s'en remet à l'évaluation de l'expert judiciaire. En matière de références et méthode de comparaison directe, les références retenues par l'expert judiciaire ne peuvent être retenues car bénéficiant d'une commercialité bien plus importante ; l'intimée soutient que le rapport [E] possède des références plus adaptées et aboutit ainsi à la bonne valeur du fonds de commerce, soit 76.000 euros.
En l'espèce, l'expert judiciaire a proposé de fixer l'indemnité principale à la valeur du droit au bail, dans la mesure où la valeur marchande du fonds de commerce est moindre, ce que les parties admettent sur le principe. En revanche, l'expert conclut à une valeur du droit au bail et donc de l'indemnité d'éviction principale de 163.800 euros, montant contesté par l'appelante en cause d'appel.
La valeur du droit au bail se déduit de la différence entre la valeur locative de marché et la valeur du loyer si celui-ci avait été renouvelé, à laquelle il est d'usage d'appliquer un coefficient de situation en fonction de l'attractivité commerciale de la zone où sont situés les locaux.
Contrairement à ce que soutient l'appelante, si le loyer avait été renouvelé il se serait trouvé déplafonné en vertu de l'article L. 145-34 alinéa 3 du code de commerce, dans la mesure où le bail s'est trouvé prorogé à l'issue de la période contractuelle de 9 ans, pour durer finalement plus de 12 ans.
C'est donc la valeur du loyer déplafonné qui sera prise en considération pour le calcul du droit au bail, étant précisé qu'il est inopérant de la part de l'appelante de soutenir que le calcul de l'expert est erroné dans la mesure où la bailleresse avait renoncé à se prévaloir de l'augmentation indicielle et où elle n'a pas entendu se prévaloir aux termes de son congé d'un déplafonnement du loyer.
Les surfaces de 94,25 m²P pour la boutique et 70,70 m2U pour l'appartement, retenues par l'expert judiciaire et le tribunal le seront également par la cour en ce qu'elles procèdent d'une évaluation conforme aux usages, étant précisé qu'elles sont acceptées par l'intimée et que la surface de 112,21 m2P, retenue par les experts privés de l'appelante, sera écartée notamment en ce qu'elle inclut le local d'habitation situé au premier étage et s'appuie sur un métrage non contradictoire des locaux objets du litige.
Il est en outre précisé que le bail ne comporte pas de clause exorbitante du droit commun.
Compte tenu des éléments qui précèdent et de tous les éléments techniques versés aux débats, la cour s'estime suffisamment informée et à même de juger du bien-fondé du montant de l'indemnité d'éviction fixée par le premier juge.
Ainsi c'est à bon droit que ce dernier a retenu la méthode usuelle du différentiel appliquée par l'expert judiciaire et a considéré que si le loyer avait été renouvelé, il se serait trouvé déplafonné. Il convient en outre d'approuver le premier juge pour avoir estimé que le loyer déplafonné aurait correspondu à 70 % de la valeur locative de marché, suivant ainsi les préconisations de l'expert judiciaire, compte-tenu des caractéristiques des locaux et de la commercialité relative du quartier, repris par motifs détaillés par le tribunal auxquels la cour renvoie.
En ce qui concerne la valeur locative de marché et dans la mesure où l'évaluation de l'indemnité d'éviction doit se faire à la date la plus proche de l'éviction, soit au jour où le juge statue, il y a lieu d'examiner les références les plus récentes proposées par les experts des parties conformément aux dispositions des articles R. 145-3 et suivants du code de commerce.
A cet égard, le rapport de MM. [M] et [I] versé aux débats par l'appelante se base sur des références relatives à des locations nouvelles, qui se situent entre 593 euros/m2 et 856 euro/m2. Il doit néanmoins être observé que deux références concernent des surfaces inférieures de moitié aux locaux concernés, et qu'aucune des références ne concernent des commerces ayant une destination équivalente.
M. [E] se réfère à deux locations nouvelles accordées en 2019 et 2021, pour des locaux sis [Adresse 6] et pour des montants de loyers respectivement à hauteur de 398 et 1188 euros/m2. Concernant les renouvellements amiables, le rapport versé par l'appelante ne contient aucune référence et le rapport de M. [E] fait état, pour l'année 2023, de deux références récentes à hauteur 641 euros/m2 pour l'[Adresse 6] et 580 euros/m2 dans un rayon de 750 m avec des activités similaires, ces références concernant néanmoins des locaux deux à trois fois plus petits que les locaux objets du présent litige. Les autres références visant, soit uniquement des locaux de bureaux, soit des références anciennes, ne sauraient être retenues. Ainsi, eu égard aux éléments qui précèdent, il apparaît que les références émanant des experts des parties n'apparaissent pas pertinentes pour une évaluation de la valeur locative de marché différente de l'évaluation réalisée par l'expert judiciaire à hauteur de 600 euros /m2, qu'il convient d'adoptée.
Ainsi, la valeur locative de marché des locaux en cause sera retenue à hauteur de 56.550 euros (94,25 m2P x 600 euros/m2) + 5 % pour la terrasse (2.827,5 euros), soit 59'377,5 euros, somme arrondie à 59.380 euros pour la boutique, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
Concernant la valeur locative du logement d'habitation, il y a lieu également de retenir une évaluation à la date la plus proche de l'éviction. Dans la mesure où les loyers d'habitation parisiens font depuis le décret n° 2019-315 du 12 avril 2019 l'objet d'un encadrement, il y a lieu de faire application de celui-ci au local d'habitation en cause. Le rapport d'expertise de M. [E] fait état d'une valeur plafonnée de 25,4 euros/m2 majorés pour le secteur concerné à la fin 2024. Dans la mesure où le rapport des experts de l'appelante ne fait pas de proposition spécifique pour ce local, lui ayant appliqué la même valeur locative qu'au local à usage commercial, il y a lieu d'adopter la proposition du rapport de l'intimée, ce qui porte la valeur locative annuelle du logement à la somme de 21.549, 36 euros (25,4 x 70,70 x 12), arrondie à 21.550 euros, qu'il convient d'ajouter à la valeur locative de marché retenue pour la boutique, soit une valeur locative annuelle de marché totale de 80.930 euros.
La valeur locative en renouvellement correspondant à 70 % de la valeur locative de marché, elle se porte donc à la somme annuelle de 56.651 euros.
Selon la méthode du différentiel, applicable en l'espèce, la valeur du droit au bail correspond à la somme de 24.279 euros (80.930 - 56.651), à laquelle il convient d'appliquer un coefficient de situation.
L'expert judiciaire a retenu un coefficient de 7, tenant compte de la valeur de l'emplacement qui correspond à une bonne situation. L'appelante réclame l'application d'un coefficient de 9, proposé par ses experts, sans aucune justification particulière quant au choix de ce coefficient, si ce n'est le visa de la grille habituelle, dont il ressort que les coefficients allant de 8 à 10 correspondent à des emplacements n° 1, supérieurs aux « très bonnes situations », lesquels correspondent à des rues parisiennes centrales très commerçantes et touristiques, comme la [Adresse 11], le quartier Hausmann des grands magasins, la [Adresse 12] ou encore [Localité 13] de Près ou Montmartre. L'intimée pour sa part se prévaut de l'application d'un coefficient de décapitalisation de 4,5 issu d'une grille de coefficients post-Covid, qui correspond à la valeur du m2 pondéré de 600 euros dont elle sollicite l'adoption.
Eu égard à l'emplacement des lieux, situés dans quartier plutôt populaire et périphérique, mais cependant dans une grande artère commerçante et animée, jugée favorable au commerce de café/brasserie et au fait que le preneur bénéficie dans les mêmes locaux d'un logement relié, c'est à bon droit que le premier juge a fait application, comme il est d'usage, d'un coefficient de situation, qu'il convient de retenir à 7.
Cela porte le montant de l'indemnité principale à la somme de :
24.279 x 7, soit 169.953 euros, arrondis par opportunité à la somme de 170.000 euros.
Le jugement sera donc infirmé sur ce point.
2.3.2. Sur le montant des indemnité accessoires
Au titre des indemnités accessoires, l'appelante ne formule aucune critique vis-à-vis du jugement déféré, tout en demandant l'adoption des conclusions du rapport d'expertise privé qu'elle verse au débat. Quant à l'intimée, elle réclame à titre subsidiaire la réformation du jugement entrepris au titre des frais de remploi, des frais de déménagement, du trouble commercial et des frais divers.
Sur les frais de remploi
Les frais de remploi sont ceux que doit supporter le locataire évincé pour se réinstaller, notamment les droits de mutation et honoraires afférents au rachat d'un nouveau fonds de commerce. Il est d'usage en la matière d'appliquer le taux forfaitaire de 10 % au montant de l'indemnité principale.
L'appelante, se fondant sur le rapport de ses experts, réclame à ce titre la somme de 44.250 euros, sans en justifier. Quant à l'intimée, elle propose de retenir la somme de 7.670 euros, soit environ 10 % du montant de l'indemnité d'éviction dont elle propose la fixation à titre subsidiaire, arguant en outre du fait que la réinstallation n'est pas crédible dans la mesure où la gérante Madame [U] [V] est âgée de 60 ans et aurait déclaré lors d'une réunion qu'elle n'envisageait pas la reprise d'un commerce, notamment pour se consacrer à son époux malade.
En l'espèce, il convient de faire application du taux usuel de 10 %, ainsi qu'en convient l'intimée, ce qui porte le montant de l'indemnité de remploi à la somme de 17.000 euros.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les frais de déménagement
Conformément au principe énoncé à l'article L. 145-14 du code de commerce, les frais de déménagement doivent être indemnisés, mais en cas de perte du fonds de commerce, ces frais ne concernent que le déménagement des effets personnels du preneur évincé, ainsi que le stock de marchandises invendues, les archives commerciales et le mobilier appartenant au preneur. Il incombe à ce dernier de rapporter la preuve de son préjudice, le cas échéant en produisant devis et factures détaillés.
En l'espèce, le jugement déféré a retenu la somme forfaitaire de 2.500 euros proposée par l'expert. Ce montant n'est pas contesté par la preneuse en cause d'appel et l'intimée propose de retenir la somme de 2.828 euros.
Compte tenu de ce que l'appelante ne fournit aucun justificatif et ne formule aucune demande, il y a lieu, comme le premier juge, de retenir la somme forfaitaire de 2.500 euros, eu égard au fait que s'agissant d'une indemnité de remplacement, seuls les effets personnels de la preneuse seront concernés.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur le trouble commercial
L'indemnisation du trouble commercial correspond au préjudice subi par le preneur du fait de la gestion de l'éviction. Elle est destinée à compenser la perte de temps engendrée par l'éviction, et le moindre investissement dans l'activité commerciale. Il est d'usage qu'elle soit calculée en fonction de l'EBE, de la masse salariale ou du chiffre d'affaires.
En l'espèce, l'appelante sollicite l'adoption du montant de 6.342 euros, proposé par son expert privé, quand l'intimé sollicite de la cour de ramener cette indemnité à la somme de 1.825 euros, proposée par son propre expert.
Or, c'est par des motifs pertinents auxquels la cour renvoie et qu'elle adopte que le tribunal a retenu la proposition de l'expert judiciaire à hauteur de 3.933 euros, soit trois mois de résultats d'exploitation moyen, correspondant aux usages en la matière.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les frais divers
L'indemnité pour frais divers a pour objet de compenser les frais de formalités et d'actes au registre du commerce, ainsi que les frais exposés par le locataire évincé pour informer sa clientèle et ses fournisseurs de son déménagement ou sa cessation d'activité.
Le jugement déféré a évalué ce préjudice à la somme forfaitaire de 2.000 euros, estimant trop élevée la proposition de l'expert judiciaire à hauteur de 3.000 euros, dans la mesure où la preneuse ne produit aucune pièce ni aucun devis de nature à démontrer l'importance des frais auxquels elle devra faire face.
L'intimée estime que compte tenu du fait que l'appelante ne va pas se réinstaller, l'indemnité pour frais divers ne saurait être supérieure à la somme de 1.000 euros.
Cependant, eu égard au fait que qu'il ne saurait être dénié à la preneuse le fait qu'elle devra nécessairement faire face auxdits frais à son départ des lieux, il convient de retenir la somme forfaitaire de 2.000 euros proposée par l'expert.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Le montant total des indemnités accessoires s'élève en conséquence à la somme de 25.433 euros.
Il ressort de l'ensemble de éléments développés ci-dessus qu'il convient de fixé à la somme totale de 195.433 euros (170.000 + 25.433) arrondie par opportunité à 195.500 euros le montant total de l'indemnité d'éviction due par la bailleresse à la preneuse et ainsi de réformer le jugement entrepris sur ce point.
3. Sur la demande de l'intimée au titre du paiement de la somme de 16.591,43 euros
Il n'y a pas lieu d'entrer en voie de condamnation sur la somme de 16.591,43 euros réclamée par la bailleresse selon décompte arrêté au 30 sept 2024 en ce que d'une part, le calcul de la bailleresse est fondé sur le montant de l'indemnité d'éviction fixée par le tribunal, lequel est infirmé par la cour et d'autre part, la société Chez Willem étant encore dans les lieux, le compte entre les parties sera opéré dans le cadre de l'exécution de la présente décision et le départ des lieux de la société Chez Willem.
L'intimée sera donc déboutée de cette demande.
4. Sur la demande de l'intimée au titre du séquestre des frais de remploi
En première instance, l'intimée sollicitait la désignation d'un séquestre concernant l'indemnité due au titre des frais de remploi.
Dans le dispositif de ses conclusions, elle sollicite l'infirmation de la décision l'ayant déboutée de cette demande, sans développer celle-ci dans ses conclusions.
En l'absence de moyens nouveaux développés en cause d'appel et, après examen des éléments soumis à son appréciation, la cour retient que le premier juge, par des motifs précis et pertinents qu'elle approuve, a décidé à juste titre que la bailleresse n'apportait pas la preuve de circonstances particulières justifiant la mise sous séquestre de ladite indemnité, dans la mesure où elle a par ailleurs la faculté de saisir le tribunal en répétition de l'indu en cas de non réinstallation avéré de la preneuse.
La demande sera donc rejetée et le jugement confirmé de ce chef.
5. Sur la demande de dommages-intérêts de l'appelante en raison du comportement fautif de l'intimé
L'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantit aux parties l'accès au juge.
De plus, selon les termes du point 14°) page 6 du bail liant les parties, la preneuse s'engage à « laisser le bailleur ou son mandataire, visiter les lieux aussi souvent qu'il sera nécessaire (') ».
L'appelante soutient que le comportement et les man'uvres de l'intimée constitueraient une atteinte à la jouissance paisible et auraient entraîné pour elle un préjudice moral. Elle réclame la somme totale de 30.000 euros de dommages-intérêts à ce titre.
En l'espèce, il n'est pas démontré de man'uvre dilatoire ou préjudiciable de la bailleresse dans l'exercice de ses droits ni sa mauvaise foi, celle-ci ayant simplement fait valoir ses droits en refusant le renouvellement du bail, en soutenant ses prétentions et moyens devant le premier juge et lors des opérations d'expertise, et en sollicitant la venue de son expert privé dans les locaux en cause, ce que la preneuse a d'ailleurs refusé.
Il convient en outre de souligner que le fait pour le bailleur de donner congé et demander l'accès aux locaux loués en vue d'une expertise privée ne sauraient constituer des troubles de jouissance, d'autant que les dispositions du bail précitées en prévoient la possibilité, et ne saurait non plus constituer un comportement de nature à entraîner un préjudice moral pour la preneuse, étant en outre précisé que l'exercice d'un droit ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, ou d'erreur grossière équipollente au dol.
La demande à ce titre sera donc rejetée.
6. Sur la demande d'expulsion
Dans le dispositif de ses conclusions, l'intimée demande à la cour d'ordonner à la preneuse de libérer les lieux loués et à défaut de départ volontaire, d'ordonner l'expulsion de la preneuse ainsi que de tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier.
Il ressort des termes des articles L. 145-29 et L. 145-30 du code de commerce, qu'en cas d'éviction, les lieux loués doivent être remis au bailleur à l'expiration d'un délai de trois mois suivant la date du versement de l'indemnité d'éviction au locataire.
Compte tenu du délai précité de trois mois, dont bénéficie la preneuse pour libérer les lieux après le paiement de l'indemnité d'éviction, il n'y a pas lieu de prononcer d'ores et déjà l'expulsion de la société Chez Willem, dont il n'est par ailleurs pas démontré qu'elle se maintiendra dans les lieux au-delà dudit délai, auquel cas l'expulsion pourra alors être demandée.
La demande d'expulsion de la société Chez Willem sera rejetée.
7. Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rappelé que la compensation s'opèrera de plein droit entre les créances réciproques des parties.
En conséquence, les sommes dues par les parties au titre de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation seront payées par compensation.
Il convient en outre de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance.
Chaque partie succombant partiellement en ses prétentions devant la cour conservera la charge de ses propres dépens d'appel, ainsi que le charge de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt rendu contradictoirement et en dernier ressort ;
Rejette la demande de la société Chez Willem tendant à voir écarter le rapport d'expertise judiciaire de M. [G] ;
Rejette les demandes tendant à voir écarter les rapports de partie ;
Confirme le jugement du 9 février 2021 (RG n° 18/13865) du tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le montant de l'indemnité d'éviction ;
Y ajoutant,
Fixe le montant de l'indemnité d'éviction due par la société Dix-huitième à la société Chez Willem à la somme arrondie de 195.500 euros, soit :
170.000 euros au titre de l'indemnité principale ;
17.000 euros au titre des frais de remploi ;
3.933 euros au titre du trouble commercial ;
2.500 euros au titre des frais de déménagement ;
2.000 euros au titre des frais divers.
Condamne la société Dix-huitième à payer à la société Chez Willem la somme de 195.500 euros au titre de l'indemnité d'éviction ;
Rejette la demande de dommages-intérêts formée par la société Chez Willem à l'encontre de la société Dix-huitième ;
Dit n'y a pas lieu d'entrer en voie de condamnation sur la somme de 16.591,43 euros réclamée par la société Dix-huitième à la société Chez Willem ;
Rejette la demande d'expulsion ;
Condamne la société Chez Willem à payer à la société Dix-huitième la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne la société Chez Willem aux dépens de l'appel en application de l'article 699 du code de procédure civile.
La greffière, La première présidente,