CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 3 juillet 2025, n° 23/01703
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRAN'AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 03 JUILLET 2025
(n° 113/2025, 17 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 23/01703 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CG72Z
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 novembre 2022 - Tribunal de commerce de Paris (1ère chambre) - RG n° 2021043998
APPELANTE
S.A.S. LA HARPE 2 anciennement dénommée S.A.S. SAINT MICHEL 5
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 10] sous le n° 882 245 558
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de Paris, toque : K0065
Assistée de Me Philippe RENAUD du cabinet RENAUD-ROUSTAN, avocat au barreau de Paris, toque : P139
INTIMÉE
S.A.S. [Adresse 8] exerçant sous l'enseigne [O] JEUNE
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 10] sous le n° 828 117 895
Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Blandine DAVID, avocat au barreau de Paris, toque : R110
Assistée de Me Guillaume KRAFFT de RIVEDROIT AARPI, avocat au barreau de Paris, toque : K0001
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 18 février 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Stéphanie Dupont, conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Nathalie Renard, présidente de chambre
Mme Stéphanie Dupont, conseillère
Mme Marie Girousse, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Nathalie Renard, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte du 4 mai 2017, M. [V] [O] et M. [S] [O] ont donné à bail commercial à la société [Adresse 8], pour une durée de neuf années à compter du 1er juin 2017, des locaux dépendant d'un immeuble situé [Adresse 4].
Par acte authentique du 2 juin 2020, la société Saint Michel 5 a acquis la totalité de cet immeuble auprès de M. [V] [O] et de M. [S] [O].
Par acte sous seing privé du 12 janvier 2021, la société Saint Michel 5 et la société [Adresse 8] ont signé un protocole d'accord. L'article 4 de ce protocole stipule en son 1er paragraphe : 'En contrepartie des concessions du preneur, les parties conviennent de fixer le montant de l'indemnité transactionnelle revenant au preneur et visée à l'article 2 des présentes, à la somme toutes taxes comprises, globale, forfaitaire et définitive, de deux millions quatre cent vingt mille euros (2.420.000,00 €) TTC laquelle somme sera versée au preneur selon les modalités définies à l'article 5 des présentes.'
La société Saint Michel 5 a réglé à la société [Adresse 8] la somme totale de 2.016.666,67 €, 420.000 € par virement bancaire du 6 avril 2021 et 1.596.666,67 € par virement bancaire du 20 mai 2021. Cette somme correspond au montant de l'indemnité transactionnelle après déduction du montant de la TVA que la société Saint Michel 5 estime applicable à cette indemnité.
Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception des 9 et 18 juin 2021, la société [Adresse 8] a mis en demeure la société Saint Michel 5 de lui payer la somme de 403.333,40 € au titre du solde de l'indemnité transactionnelle prévue dans le protocole d'accord du 12 janvier 2021.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 21 juin 2021, la société Saint Michel 5 a mis en demeure la société [Adresse 8] de lui remettre la facture relative à 'l'indemnité de résiliation' prévue au protocole d'accord du 12 janvier 2021, faisant ressortir la TVA applicable.
Sans réponse à ses mises en demeure des 9 et 18 juin 2021 et après divers échanges infructueux avec la société Saint Michel 5, la société [Adresse 8], par assignation du 17 septembre 2021, a saisi le tribunal de commerce de Paris du litige.
Par jugement du 22 novembre 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
condamné la société Saint Michel 5 à verser à la société [Adresse 8] la somme de 403.333,40 € majorée de l'intérêt légal à compter du 21 juin 2021, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil ;
débouté la société Saint Michel 5 de toutes ses demandes ;
débouté la société [Adresse 8] de sa demande relative à la résistance abusive de la société Saint Michel 5 ;
condamné la société Saint Michel 5 à verser à la société [Adresse 8] 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;
condamné la société Saint Michel 5 aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 € dont 11,60 € de TVA.
Par déclaration du 13 janvier 2023, la société Saint Michel 5 a interjeté appel du jugement en en critiquant expressément tous les chefs du dispositif à l'exception de celui qui a débouté la société [Adresse 8] de sa demande relative à la résistance abusive de la société Saint Michel 5.
La société Saint Michel 5 a modifié sa dénomination sociale et est désormais dénommée La Harpe 2.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 18 décembre 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 17 décembre 2024, la société La Harpe 2 demande à la cour de :
juger la société La Harpe 2 recevable en son appel et prendre acte de la nouvelle dénomination de la partie appelante ;
recevoir et dire bien fondée la société La Harpe 2 en ses demandes et y faire droit ;
En conséquence :
réformer le jugement prononcé par le tribunal de commerce de Paris le 22 novembre 2022 (RG n° 2021043998) en ce qu'il a :
condamné la société Saint Michel 5 à verser à la société [Adresse 8] la somme de 403.333,40 € majorée de l'intérêt légal à compter du 21 juin 2021, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil ;
débouté la société Saint Michel 5 de toutes ses demandes ;
condamné la société Saint Michel 5 à verser à la société [Adresse 8] 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;
condamné la société Saint Michel 5 aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 € dont 11,60 € de TVA ;
En conséquence, statuant à nouveau :
A titre principal :
débouter la société [Adresse 8] de l'intégralité de ses demandes ;
condamner la société Librairie de la place à établir une facture au profit de la société la Harpe 2 faisant état du montant de l'indemnité transactionnelle hors taxes (soit 2.016.666,67 €), le montant de la taxe sur la valeur ajoutée applicable (soit 403.333,40 €) et le montant de l'indemnité transactionnelle toutes taxes comprises (soit 2.420.000,00 €), et à la lui remettre dans un délai de 5 jours après signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 300 € par jour de retard passé ce délai ;
A titre subsidiaire :
condamner la société [Adresse 8] à rembourser à la société la Harpe 2 la somme de 403.333,40 € réglée par cette dernière en exécution du jugement du tribunal de commerce du 22 novembre 2022 assorti de l'exécution provisoire (RG n° 2021043998), avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
En toute hypothèse :
condamner la société [Adresse 8] au paiement, au profit de la société La Harpe 2, de la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société [Adresse 8] aux entiers dépens de la présente instance, dont distraction au profit de Maître Frédérique Etevenard, avocat à la cour, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société La Harpe 2 fait valoir :
Sur la compétence de la cour,
- que la société [Adresse 8] soulève l'incompétence de la juridiction judiciaire alors même que c'est elle qui a introduit l'action en première instance devant le tribunal de commerce de Paris ;
- qu'en vertu de l'article 74 du code de procédure civile, la société Librairie de place, représentée en première instance, qui aurait pu invoquer à ce stade de la procédure l'incompétence de la juridiction saisie et qui ne l'a pas valablement fait, est irrecevable à soulever une telle exception pour la première fois en cause d'appel ;
- qu'en outre, les juridictions administratives ne sont compétentes que pour traiter des litiges opposant un administré à une personne publique ou, dans certains cas, à un organisme privé chargé d'un service public ; que l'article L. 199 du livre des procédures fiscales invoqué par la société [Adresse 8] à l'appui de son exception d'incompétence donne compétence aux juridictions administratives pour statuer sur les décisions rendues par l'administration en matière d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires ; qu'en l'espèce, le litige porte sur l'application du protocole du 12 janvier 2021 et oppose deux sociétés de droit privé ; que l'obligation pour la société Librairie de la place d'établir une facture qui mentionne la TVA de 20 % découle du procole d'accord et ne nécessite pas de trancher une question fiscale de sorte que la cour d'appel est compétente ;
- que de surcoît, selon l'article 49 du code de procédure civile, le juge de l'action est juge de l'exception, lequel se trouve investi du droit de statuer sur les questions soulevées au cours de l'instance qui, proposées au principal, auraient échappé à sa compétence ;
A titre principal, sur l'assujettissement de l'indemnité transactionnelle à la TVA,
- que l'assujettissement de l'indemnité transactionnelle à la TVA découle expressément du protocole qui mentionne le versement d'une indemnité 'TTC' ; que le protocole a fait l'objet de plusieurs versions avant sa signature ; que la mention 'TTC' apparait dès la première version du 23 novembre 2020 et n'a appelé aucune opposition de la part de la société Librairie de la place au cours des pourparlers entre les parties, étant rappelé que l'article 11 du protocole stipule que 'chaque partie déclare et reconnaît avoir été complètement et suffisamment informée, et reconnaît avoir obtenu toutes les informations et tous les documents qui lui ont semblé nécessaires et utiles, de sorte que son consentement au présent protocole, son contenu et sa portée, a été librement négocié et est pleinement éclairé' ;
- que le taux de TVA à 0 % n'existe pas à l'exception de cas très particuliers ; que lorsqu'une prestation n'est pas soumise à la TVA, la facture ne mentionne aucun taux de TVA ;
- que l'indemnité transactionnelle n'avait pas pour objet de compenser la renonciation du preneur à tout recours contre la vente ; que la société [Adresse 8] ne bénéficiait d'aucun droit de préemption dès lors que l'article L. 145-46-1 du code civil, auquel font référence les clauses du bail du 4 mai 2017, n'est pas applicable en cas de cession unique de locaux commerciaux distincts et qu'en l'espèce une partie de l'immeuble était louée à un autre preneur ; que la question du droit de préemption de la société Librairie de la place était close après le rappel par M. [O], suivant mail du 8 juillet 2020 resté sans réponse de la part de la société [Adresse 8], de l'inapplicabilité des dispositions de l'article L. 145-46-1 du code civil à la vente du 2 juin 2020 ;
- que des discussions ont été initiées entre les parties lorsque la société La Harpe 2 a été informée de ce que la société [Adresse 8] envisageait de quitter les locaux en cédant son droit au bail ; que le préambule du protocole est clair sur ce point ; que la renonciation du preneur à toute contestation portant sur la validité de la vente a été ajoutée dans le protocole à titre purement accessoire afin d'établir un accord global entre les parties ;
- que les discussions entre les parties n'ont concerné que les modalités de la libération des locaux (montant de l'indemnité et date de départ) de sorte que la renonciation du preneur à toute contestation portant sur la validité de la vente ne correspond pas à une fraction de l'indemnité litigieuse ;
- qu'outre l'accord des parties pour assujettir l'indemnité transactionnelle à la TVA, cet assujettissement procède des dispositions de l'article 256 I du code général des impôts ; que l'accord entre les parties a été conclu pour permettre au bailleur de disposer de la libre jouissance de son local commercial de sorte que l'indemnité constitue la rémunération d'une prestation de service individualisable soumise à la TVA ;
- que selon le rescrit de l'administration fiscale du 5 mai 2022, l'indemnisation relative à la libération des locaux est soumise à la TVA mais qu'elle ne peut être récupérée sans une facture émise par la société Librairie de la place ;
- que la société La Harpe 2 n'a jamais admis que l'indemnité transactionnelle était une indemnité d'éviction ;
- qu'il n'existe aucun aveu judiciaire de sa part de nature à favoriser la partie adverse ; que la société La Harpe 2 se borne à dire que l'indemnité transactionnelle ne constitue pas une rémunération, laquelle se définie comme une somme liée à l'accomplissement d'un travail pour le bénéfice d'autrui, mais la contrepartie d'une prestation de service consistant en la libération anticipée des lieux par la société [Adresse 8] ; qu'en outre, l'aveu ne peut pas porter sur un point de droit tenant à la qualification juridique des faits ;
- que la demande de la société Librairie de la place de dire et juger que, par un aveu judiciaire, la société La Harpe 2 reconnaît que l'indemnité transactionnelle ne constituait pas une rémunération ne constitue pas une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile ;
- que la renonciation du preneur à céder son droit au bail n'est que la conséquence de l'accord des parties portant sur la libération des locaux ;
A titre principal, sur la condamnation de la société [Adresse 8] à l'établissement d'une facture,
- que sur le fondement de l'article 289 I-1-a du code général des impôts et de l'article L. 441-9 du code de commerce, la société Librairie de la place devait produire spontanément une facture sans qu'il soit nécessaire que le protocole le prévoie ;
A titre subsidiaire, sur la restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement,
- que si la cour devait juger que l'indemnité transactionnelle prévue dans le protocole du 12 janvier 2021 n'était pas soumise à la TVA, la somme de 403.333,40 € ne serait pas due à la société [Adresse 8], que la mention TTC implique nécessairement que la TVA est incluse dans le montant mentionné ;
- que cette demande n'est pas irrecevable sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile en ce qu'elle est née de la survenance d'un fait, à savoir l'exécution du jugement querellé revêtu de l'exécution provisoire ;
- que cette demande n'est pas non plus irrecevable sur le fondement de l'article 910-4 du code de procédure civile ; que la société La Harpe 2 avait soulevé dès ses premières conclusions d'appelante que si la cour devait juger que l'indemnité prévue par le protocole du 12 janvier 2021 n'était pas soumise à la TVA, la somme de 403.333,40 € ne serait pas due à la société [Adresse 8] ; que cette demande susbsidiaire vient en réplique aux conclusions de l'intimée et à son appel incident ;
Sur le rejet de l'appel incident interjeté par l'intimée,
- que la société La Harpe 2 n'a jamais contesté devoir s'acquitter du solde de 403.333,33 € mais a seulement demandé l'établissement d'une facture valide faisant apparaître le montant de l'indemnité HT et TTC, ainsi que le montant de la TVA ; qu'à défaut d'établissement de cette facture par la société [Adresse 8], la société La Harpe 2 ne pouvait pas procéder au paiement du solde au risque d'engendrer un litige fiscal ;
- qu'elle n'a fait preuve d'aucune mauvaise foi ;
- que la société [Adresse 8] ne justifie pas de son préjudice.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 16 décembre 2024, la société Librairie demande à la cour de :
à titre liminaire :
se déclarer incompétente au profit des juridictions de l'ordre administratif pour connaître de la demande de la société La Harpe 2 tendant à voir la société [Adresse 8] condamnée à « émettre une facture faisant état du montant de l'indemnité transactionnelle hors taxes (soit 2.016.666,67 €), le montant de la taxe sur la valeur ajoutée applicable (soit 403.333,40 €) et le montant de l'indemnité transactionnelle toutes taxes comprises (soit 2.420.000,00 €) » ;
au fond :
confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 novembre 2022 en ce qu'il a statué comme suit :
« Condamne la SAS Saint-Michel 5 à verser à la SAS [Adresse 8] la somme de 403.333,40 € majorée de l'intérêt légal à compter du 21 juin 2021, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil »
« Déboute la SAS Saint-Michel 5 de toute ses demandes »
« Condamne la SAS Saint-Michel 5 à verser à la SAS [Adresse 8] 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus »
« Condamne la SAS Saint-Michel 5 aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 € dont 11,60 € de TVA »
infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 novembre 2022 en ce qu'il a statué comme suit :
« Déboute la SAS [Adresse 8] de sa demande relative à la résistance abusive de la SAS Saint-Michel 5 ».
Et y ajoutant et statuant à nouveau :
dire et juger que, par un aveu judiciaire contenu dans ses conclusions du 12 décembre 2024, la société La Harpe 2 reconnaît que l'indemnité transactionnelle ne constituait pas une rémunération ;
déclarer irrecevable la demande formulée à titre subsidiaire par la société la Harpe 2 tendant à voir la société [Adresse 8] condamnée à lui rembourser la somme de 403.333,40 € réglée par ses soins en exécution provisoire du jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 novembre 2022 ;
débouter la société La Harpe 2 de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
condamner la société La Harpe 2 à payer à la société [Adresse 8] la somme de 100.000 euros au titre de la résistance abusive, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil ;
condamner la société La Harpe 2 à payer à la société [Adresse 8] la somme de 30.000 euros au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil ;
condamner la société La Harpe 2 aux entiers dépens de la présente instance, augmentés des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil.
La société [Adresse 8] fait valoir :
A titre liminaire, sur l'incompétence de la cour pour connaître des demandes de la société La Harpe 2 telles qu'elles sont formulées devant elle,
- qu'en application des articles L. 281 et L. 199 du livre des procédures fiscales, la cour est incompétente pour statuer sur une contestation relative à la TVA qui relève de la compétence exclusive des juridictions de l'ordre administratif ;
- qu'en vertu de l'article 76 du code de procédure civile, cette incompétence peut et doit être relevée d'office, même pour la première fois en appel ;
- qu'en demandant à la cour de condamner la société [Adresse 8] à émettre une facture 'faisant état du montant de l'indemnité transactionnelle hors taxes (soit 2.016.666,67 €), le montant de la taxe sur la valeur ajoutée applicable (soit 403.333,40 €) et le montant de l'indemnité transactionnelle toutes taxes comprises (soit 2.420.000,00 €)', la société La Harpe 2 demande à la cour de dire que l'indemnité transactionnelle est soumise à la TVA ce qui constitue une contestation fiscale qui relève de la compétence exclusive des juridictions administratives ;
Au fond, sur l'exécution du protocole d'accord, au visa de l'article 1103 du code civil,
- que la société La Harpe 2 a méconnu les stipulations du protocole concernant les modalités de réglement de l'indemnité transactionnelle, notamment en exigeant la remise d'une facture faisant état de la TVA ;
- que les parties sont convenues d'une indemnité transactionnelle de 2.420.000 €, qui aurait dû être réglée, sans la moindre facture, par la société La Harpe 2 dès le 31 mars 2021, au moyen d'un chèque de banque ; qu'il n'y a aucune question fiscale à trancher, les déclarations ultérieures de la société La Harpe 2 à l'administration fiscale relatives à cette indemnité ne concernant ni la société Librairie de la place ni la cour ;
- que le paiement de l'indemnité transactionnelle n'est pas subordonné à l'émission d'une facture ; que le protocole d'accord dûment signé par les parties suffit à justifier comptablement le mouvement de fonds ainsi opéré ; que la société La Harpe 2 n'a pas jugé nécessaire de recevoir une facture pour effectuer le premier virement de 420.000 € et indique dans ses conclusions qu'elle n'a sollicité une facture qu'à la demande de sa banque ; que la société La Harpe 2 dispose d'une facture, mentionnant une TVA à 0 %, depuis le 19 avril 2021 ;
Sur l'inopérance des moyens de défense de la société La Harpe 2, dans l'hypothèse où la cour estimerait devoir se prononcer sur le régime fiscal de l'indemnité transactionnelle,
- que la TVA ne s'applique pas à l'indemnité d'éviction prévu à l'article L.145-14 du code de commerce qui a pour objet de réparer le préjudice subi par le locataire en raison de son départ des locaux ;
- que la TVA ne s'applique qu'en cas de prestation de service individualisable ; que l'arrêt Catleya du Conseil d'Etat du 27 février 2015, invoqué par la société la Harpe 2 à l'appui de ses demandes, a qualifié de prestation de services, soumise donc à la TVA, la libération anticipée de locaux commerciaux par un locataire lorsque que cette libération avait pour seul objet de permettre au bailleur de récupérer la jouissance des locaux en lui offrant ainsi la possibilité de conclure une opération immobilière avantageuse (CE 27 février 2015, n° 368661) ;
- qu'il s'en déduit qu'en principe, la somme versée par un bailleur à son locataire en cas de libération anticipée des locaux garde un caractère purement indemnitaire, en ce qu'elle vise à réparer le préjudice subi par le locataire du fait de son départ des locaux, et n'est donc pas soumise à la TVA ; que ce n'est que par exception que cette somme est soumise à la TVA, lorsqu'elle constitue la rémunération d'une prestation de service spécifique consistant pour le locataire à accepter de quitter les lieux avant terme pour permettre à son bailleur de réaliser une opération immobilière avantageuse (nouveau bail à des conditions plus avantageuses ou revente) ;
- qu'en l'espèce, l'indemnité transactionnelle prévue dans le protocole d'accord signé entre les parties le 12 janvier 2021 est la contrepartie de deux concessions faites par la société [Adresse 8] et clairement stipulées dans l'article 2 du protocole : la renonciation irrévocable à contester la régularité de la vente des locaux entre MM. [O] et la société La Harpe 2 en se prévalant de la méconnaissance de son droit de préemption prévu à l'article L. 145-46-1 du code de commerce et la renonciation à céder son droit au bail au moment de la libération les locaux ; qu'elle a donc bien un caractère indemnitaire en ce qu'elle vise à compenser le préjudice subi par la société Librairie de la place du fait de son départ anticipé des lieux (coût du déménagement, licenciements, désorganisation des services, préjudice économique, préjudice d'image etc...) et de sa renonciation à tous recours ;
- que les parties ont qualifié la somme versée par le bailleur au preneur d''indemnité transactionnelle' ou d''indemnité' dans le protocole et même d''indemnité d'éviction' à l'occasion de leurs échanges ultérieurs ; qu'en première instance, la société La Harpe 2 a admis que le terme d'éviction 'traduit parfairement l'intention des parties' ;
- que la société La Harpe 2 continue dans ses écritures en justice, y compris en appel, de désigner l'indemnité transactionnelle en utilisant le vocable 'indemnité' et non le vocable 'rémunération' ; que dans ses conclusions du 12 décembre 2024, elle écrit que le terme rémunération est totalement inapproprié, ce qui constitue un aveu judiciaire au sens de l'article 1383-2 du code civil ; que si l'indemnité transationnelle n'est pas une rémunération, elle ne doit pas être soumise à la TVA ;
- qu'il n'a ni été convenu ni même évoqué entre les parties que la libération anticipée des locaux avait pour objet et encore moins pour seul objet de permettre à la société La Harpe 2 de récupérer les locaux pour y faire des travaux en vue de les relouer à des conditions plus avantageuses ou de les revendre ; qu'il s'agit d'un argument soutenu pour la première fois par la société La Harpe 2 dans un courier de son conseil du 25 juin 2021, par opportunisme ;
- que contrairement à ce que soutient la société La Harpe 2, la société [Adresse 8] n'avait pas renoncé à se prévaloir de son droit de préemption pour contester la vente de l'immeuble du 2 juin 2020 avant la conclusion du protocole d'accord du 12 janvier 2021 ; qu'en application de l'article 1120 du code civil, le silence ne vaut pas acceptation ; qu'en conséquence, et alors qu'elle avait précédemment fait connaître à MM. [O] qu'elle considérait que son droit de préemption avait été méconnu à l'occasion de la vente de l'immeuble, l'absence de réponse donnée par la société Librairie de la place au courriel de M.[W] [O] du 8 juillet 2020, dans lequel ce dernier estimait que les dispositions du code de commerce sur le droit de préemption du locataire ne s'appliquaient pas à la vente de l'immeuble du 2 juin 2020, ne valait pas renonciation de la part de la société [Adresse 8] à contester la validité de ladite vente ;
- qu'il est vain pour la société La Harpe 2 de soutenir, en contradiction avec les termes clairs du protocole, que la société [Adresse 8] n'a pas pu renoncer à se prévaloir de son droit de préemption dans le protocole faute pour elle de disposer d'un tel droit ; qu'en outre, la société Librairie de la place avait un droit de préemption légal, en application de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, et contractuel, en vertu de l'article 8-2-2 du bail ; qu'au demeurant, dans une telle hypothèse, c'est la nullité du protocole qui serait encourue et qui n'est pas recherchée par la société La Harpe 2 ;
- que la mention TTC dans le protocole d'accord n'implique pas l'application automatique de la TVA ; que dès lors qu'aucune taxe ne s'applique, la somme TTC est égale à la somme HT ; que lors de leurs échanges préalables à la signature du protocole du 12 janvier 2021, les parties s'étaient accordées sur une indemnité de 2.420.000 euros, sans préciser si ce montant était HT ou TTC ; que ce n'est qu'à l'occasion de la rédaction du protocole que la société la Harpe 2 a ajouté la mention TTC ; que les règles fiscales étant d'ordre public, les parties ne peuvent, même de commun accord, appliquer de la TVA à une opération qui n'y est pas soumise ;
- qu'il résulte de l'article L.80 A du livre des procédure fiscales que tout redevable peut se prévaloir à l'encontre de l'administration fiscale de l'interprétation qui a été formellement admise par celle-ci ; qu'en l'espèce, par deux rescrits convergents des 21 octobre 2021 et 5 mai 2022, établis sur demande de la société La Harpe 2, l'administration fiscale a conclu que : ' L'indemnité transactionnelle versée par la Sas Saint-Michel 5 ne peut être considérée comme la contrepartie d'une prestations de service' ;
Sur la demande subsidiaire de la société La Harpe 2,
- qu'à titre subsidiaire, la société La Harpe 2 demande à la cour de condamner la société [Adresse 8] à lui rembourser la somme de 403.333,40 euros réglée par la société La Harpe 2 en exécution du jugement querellé au motif que si la TVA n'est pas applicable à l'indemnité transactionnelle, cette somme n'est pas due à la société [Adresse 8] ;
- que cette demande est irrecevable en application des articles 564 et 910-4 du code de procédure civile dès lors qu'elle est nouvelle en cause d'appel et qu'elle n'a pas été présentée dans les premières conclusions de la société La Harpe 2 ;
- qu'en outre cette demande est mal fondée ; que l'indemnité transactionnelle stipulée au protocole est bien de 2.420.000 € et non de 2.016.666,67 € même si elle n'est pas soumise à la TVA ;
Sur la résistance abusive, au visa de l'article 32-1 du code de procédure civile,
- que la société La Harpe 2 a agi de mauvaise foi notamment en ajoutant la mention 'TTC' lors de la rédaction du protocole sans attirer l'attention de son cocontractant pour s'en prévaloir ultérieurement, en ne remettant pas un chèque de banque du montant de l'indemnité transactionnelle convenue lors de la remise des clés des locaux comme stipulé dans le protocole, en décidant de soumettre l'indemnité à la TVA pour réduire le montant de sa dette, en dissimulant pendant un an à la société [Adresse 8] l'existence du premier rescrit de l'admnistration fiscale qui lui était défavorable ;
- que la société Librairie de la place a subi les désagréments d'une procédure, préjudice qu'il convient de réparer en lui accordant la somme de 100.000 euros.
Il convient, en application de l'article 455 du code de procédure civile, de se référer aux conclusions des parties, pour un exposé plus ample de leurs prétentions et moyens.
SUR CE,
Sur l'exception d'incompétence soulevée par la société [Adresse 8]
A titre liminaire, il est rappelé que la société Librairie de la place soulève l'incompétence de la cour pour statuer sur la demande reconventionnelle de la société La Harpe 2 tendant à ce que la société [Adresse 8] soit condamnée à établir une facture au profit de la société la Harpe 2 faisant état du montant de l'indemnité transactionnelle hors taxes (soit 2.016.666,67 €), du montant de la TVA applicable (soit 403.333,40 €) et du montant de l'indemnité transactionnelle TTC (soit 2.420.000 €).
En application de l'article 74 du code de procédure civile, les exceptions de procédure doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public.
Il s'en déduit que la partie qui a conclu au fond devant la juridiction de première instance et qui aurait pu invoquer, à ce stade de la procédure, l'incompétence de la juridiction saisie est irrecevable à présenter une telle exception pour la première fois en cause d'appel (1re Civ., 14 avril 2010, pourvoi n° 09-12.477).
Par ailleurs, selon le 2ème alinéa de l'article 76 du code de procédure civile, le relevé d'office de l'incompétence devant la cour d'appel, si l'affaire relève de la compétence d'une juridiction répressive ou administrative ou échappe à la connaissance de la juridiction française, est une faculté et non une obligation.
Quant à l'article L. 199 du livre des procédures fiscales, invoqué par la société [Adresse 8], il dispose qu'en matière d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées, les décisions rendues par l'administration sur les réclamations contentieuses et qui ne donnent pas entière satisfaction aux intéressés peuvent être portées devant le tribunal administratif.
En l'espèce, il résulte du jugement querellé d'une part que la société La Harpe 2 avait formé sa demande reconventionnelle dès la première instance et d'autre part que la société [Adresse 8] a conclu au fond en première instance sans soulever l'incompétence des juridictions judiciaires alors qu'elle aurait pu l'invoquer.
En conséquence, la société Librairie de la place est irrecevable en son exception d'incompétence devant la cour d'appel.
La cour n'entend pas faire usage de la faculté de soulever d'office son incompétence dès lors qu'elle considère que cette incompétence n'est pas fondée.
En effet, contrairement à ce que soutient la société [Adresse 8], l'article L. 199 du livre des procédures fiscales ne donne pas compétence aux juridictions administratives pour statuer sur 'toute contestation en justice relative à la TVA'. Il donne compétence au tribunal administratif, en matière de taxes sur le chiffre d'affaires pour statuer sur 'les décisions rendues par l'administration sur les réclamations contentieuses et qui ne donnent pas entière satisfaction aux interessés'. Or, la présente instance n'est pas relative à la contestation d'une décision l'administration fiscale qui n'est pas partie. Elle concerne deux sociétés commerciales dont le désaccord porte sur l'exécution d'un contrat du fait de l'assujettissement ou non de la TVA à l'indemnité transactionnelle convenue entre elles.
Sur la demande de la société Librairie de la place tendant à ce qu'il soit dit et jugé que, par un aveu judiciaire, la société [Adresse 8] reconnaît que l'indemnité transactionnelle ne constitue pas une rémunération
En application des articles 4 et 954 du code de procédure civile, la cour ne statuera pas sur cette demande qui ne constitue pas une prétention au sens de l'article 4 mais un moyen à l'appui de sa demande de confirmation du jugement querellé.
Sur la demande de la société Librairie de la place tendant au paiement par la société La Harpe 2 de la somme de 403.333, 40 € au titre du solde de l'indemnité transactionnelle
L'article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
En l'espèce , les articles 2,4 et 5 du protocle conclu entre les parties le 12 janvier 2021 stipulent :
'Article 2.
En contrepartie du paiement de l'indemnité définie à l'article 4 des présentes et de la restitution du dépôt de garantie dans les conditions prévues à l'article 3 :
2.1 Le preneur renonce irrévocablement à toute contestation portant sur la validité de la vente de l'immeuble sis [Adresse 3], intervenue le 2 juin 2020, notamment en raison d'une absence de purge de quelque droit de préemption que ce soit, susceptible d'avoir existé à son profit.
2.2 Le preneur s'engage irrévocablement à libérer l'ensemble des locaux qu'il occupe en vertu du bail dans l'immeuble sis [Adresse 3] et à les restituer libres de toute occupation, de lui-même ou de son chef et vides de tout meuble au plus tard le 31 mars 2021, en contrepartie du paiement de l'indemnité définie à l'article 4 des présentes et de la restitution du dépôt de garantie dans les conditions prévues à l'article 3.
Les parties précisent en tant que de besoin que les équipements mentionnés à l'annexe 3 du bail ont le caractère d'immeuble par destination en applications des dispositions de l'article 524 du code civil notamment et ne sont donc pas considérés comme du mobilier au sens de la présente clause.
Article 4.
4.1 En contrepartie des concessions du preneur, les parties conviennent de fixer le montant de l'indemnité transactionelle revenant au preneur et visée à l'article 2 des présentes, à la somme toutes taxes comprises, globale, forfaitaire et définitive, de deux millions quatre cent vingt mille euros (2.420.000,00 €) TTC (ci-après également 'l'indemnité') laquelle somme sera versée au preneur selon les modalités définies à l'article 5 des présentes.
4.2 En contrepartie du règlement au preneur de l'indemnité transactionnelle fixée à l'article 4.1, et de la restitution du dépôt de garantie dans les conditions stipulées à l'article 3, le preneur se déclare intégralement rempli de l'ensemble de ses droits et renonce expressément et irrévocablement à toute réclamation à l'encontre du bailleur, en relation directe ou indirecte avec la conclusion, l'exécution, la résiliation du bail ou la libération des locaux ayant fait l'objet du bail et/ou pour des faits antérieurs à la date de signature du présent protocole.
Article 5
5.1 Il est convenu que le versement au preneur de l'indemnité transactionnelle prévue à l'article 4.1 des présentes, soit la somme de deux millions quatre cent vingt mille euros (2.420.000,00 €)TTC sera versée au preneur le jour de la restitution des clefs matérialisant la libération effective des locaux objet du présent protocle, soit le 31 mars 2021, dans les conditions déterminées à l'article 5.2 ci-après.
5.2 Le preneur a remis au bailleur un état des inscriptions de privilège et nantissement ne révélant aucune inscription sur le fonds exploité dans les locaux loués en vertu du bail.
Il sera remis au bailleur par le preneur, le jour de la libération effective des lieux, un état des inscriptions sur le fonds exploité dans les locaux loués en vertu du bail.
En l'absence d'inscription sur le fonds de commerce exploité dans les locaux loués en vertu du bail à la date de restitution effective des lieux qui interviendra le 31 mars 2021, l'indemnité transactionnelle sera directement versée par le bailleur au preneur, au moyen d'un chèque de banque libellé à l'ordre de la société [Adresse 8]. Ce chèque sera remis le jour de la restitution des locaux loués, en contrepartie de la restitution de l'intégralité des clefs des locaux.
S'il ressort de cet état des inscriptions (...).'
Il est acquis que le 31 mars 2021, il n'existait pas d'inscription de privilège ou de nantissement sur le fonds de commerce exploité par la société Librairie de la place dans les locaux loués, que la société [Adresse 8] a libéré les locaux et remis l'intégralité des clefs à la société La Harpe 2 qui, en retour, a remis un chèque, et non un chèque de banque, à la société [Adresse 8], d'un montant de 2.420.000 €, en lui demandant de ne pas l'encaisser.
Par la suite, la société La Harpe 2 a réglé à la société [Adresse 8] la somme de 2.016.666,67 € au titre de l'indemnité transactionnelle, retenant la somme de 403.333,40 € dans l'attente de l'établissement par la société Librairie de la place d'une facture mentionnant une TVA de 20 %.
Alors que le litige entre les parties porte sur l'application de la TVA à l'indemnité transactionnelle prévue dans le protocole du 12 janvier 2021, étant rappelé que la société [Adresse 8] considère que la TVA n'est pas applicable s'agissant d'une indemnité qui répare un préjudice qu'elle subit et que la société La Harpe 2 estime que la TVA s'applique au motif que l'indemnité est la contrepartie de la libération anticipée des locaux qui constitue un service rendu par la locataire à la bailleresse, il résulte de l'examen des pièces produites aux débats que ce sujet n'a jamais été abordé entre les parties lors des pourparlers précontractuels.
A la suite d'un échange de courriels, les parties se sont mises d'accord, le 21 octobre 2020, pour fixer le montant de l'indemnité à 2.420.000 € sans préciser si ce montant était HT ou TTC.
La société La Harpe 2, rédactrice du protocole, a ajouté la mention 'TTC' dès la première version de celui-ci transmise à la société [Adresse 8] le 23 novembre 2020, sans toutefois ni attirer l'attention de sa cocontractante sur cet ajout aux conséquences importantes, ni attirer son attention sur la fiscalité qu'elle considérait applicable à l'indemnité transactionnelle convenue entre les parties. Il est en outre relevé que la mention TTC n'est accompagnée d'aucun montant HT et d'aucun taux de TVA.
Dans ces conditions, la mention 'TTC' figurant dans le protocle du 12 janvier 2021 ne suffit pas à établir la commune intention des parties de soumettre l'indemnité transactionnelle prévue dans ce protocole à la TVA. Il est au contraire établi que la société Librairie de la place a toujours considéré que cette indemnité transactionnelle n'était pas soumise à la TVA, comme pouvait le lui laisser croire les vocables 'indemnité transactionnelle' et 'indemnité' utilisés par les parties ainsi que la remise d'un chèque d'un montant de 2.420.000 € par la société la Harpe 2 le 31 mars 2021.
A la suite de l'expression du désaccord entre les parties, après la libération des locaux, la société La Harpe 2 s'est adressée à l'administration fiscale.
Par avis du 21 octobre 2021, le pôle de contrôle et d'expertise [Localité 10] 8ème Roule-Hoche du pôle contrôle fiscal et affaires juridiques de la directtion départementale des finances publiques d'Ile de France et de [Localité 10] a répondu à la société la Harpe 2 : 'L indemnité transactionnelle versée par la SAS Saint Michel 5 ne peut être considérée comme la contrepartie d'une prestation de service.'
Par avis du 5 mai 2022, l'administration fiscale a répondu à la demande de second examen de la société la Harpe 2 comme suit : 'Réponse différente de celle à la demande de rescrit initiale : Non.'
L'administration fiscale motive son second avis ainsi :
' L'indemnité transactionnelle vise à compenser deux éléments distincts :
- la renonciation par la société [Adresse 8] de toute contestation portant sur la validité de la vente de l'immeuble sis [Adresse 1]. Cette quote-part de l'indemnité aurait pour objet de compenser un préjudice. Elle ne serait pas soumise à la TVA.
- la fin anticipée du bail. Cette partie est à soumettre à la TVA s'agissant d'un service rendu nettement individualisable.
Afin de déterminer le montant de TVA dû, il appartient donc à la société Saint Michel 5, en fonction des circonstances de fait, de déterminer la quote-part de l'indemnité pouvant s'analyser comme étant la compensation de la libération anticipée des locaux par la société [Adresse 9].
Il s'évince de ces deux avis que l'administration fiscale estime que l'indemnité transactionnelle convenue dans le protocole du 12 janvier 2021 n'est pas soumise à la TVA.
En dépit de ces avis, la société La Harpe 2 maintient une position contraire dans le cadre de la présente instance.
En application de l'article 256 du code général des impôts, pour qu'une indemnité soit imposée à la TVA, elle doit correspondre à des sommes perçues en contrepartie d'une prestation de services individualisée rendue à celui qui la verse ou d'une livraison de biens.
Il est relevé que contrairement à ce que soutient la société La Harpe 2, il résulte des articles 2 et 4 du protocole du 12 janvier 2021 que l'indemnité transactionnelle est la contrepartie non seulement de la libération anticipée des locaux loués par la société [Adresse 8] mais également de la renonciation de cette dernière à toute contestation portant sur la validité de la vente de l'immeuble situé [Adresse 3], intervenue le 2 juin 2020.
La chronologie de l'entrée en pourparlers des parties n'est pas de nature à contredire les termes clairs et dénués d'ambiguïté des articles 2 et 4 du protocole.
En outre, sans qu'il soit besoin pour la cour d'apprécier les chances de succès d'une éventuelle action de la société Librairie de la place en nullité de la vente intervenue le 2 juin 2020, il apparait que cette dernière n'avait pas renoncé, avant la signature du protocole du 12 janvier 2021, à se prévaloir des dispositions de l'article L. 145-46-1 du code de commerce pour contester la vente de l'immeuble. En effet, l'absence de réponse de la société [Adresse 8] au courriel de M. [O] du 8 juillet 2020, dans lequel celui-ci soutient que les dispositions de l'article L. 145-46-1 du code de commerce ne sont pas applicables à la vente intervenue le 2 juin 2020, ne vaut pas renonciation de la société Librairie de la place à contester la validité de ladite vente.
Aussi, en l'absence de ventilation entre la part qui indemnise la société [Adresse 8] du préjudice né de sa renonciation à contester la validité de la vente intervenue le 2 juin 2020 et la part qui la rémunère pour le service rendu à la bailleresse en acceptant la résiliation anticipée du bail, l'indemnité transactionnelle convenue dans le protocole du 12 janvier 2021 n'est pas soumise à la TVA.
Au vu de ces éléments, alors que les parties s'étaient mises d'accord sur une indemnité d'un montant de 2.420.000 € et que la société la Harpe 2 a ajouté de façon erronée la mention 'TTC' dans le protocole, la TVA n'étant pas applicable à cette indemnité, sans attirer l'attention de sa cocontractante sur cet ajout et ses éventuelles conséquences fiscales, il apparait que la société La Harpe 2 est bien redevable de la totalité de la somme de 2.420.000 € à l'égard de la société [Adresse 8]. Juger le contraire, comme le sollicite la société La Harpe 2, reviendrait à modifier l'accord des parties et à diminuer le montant de l'indemnité convenue entre les parties.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné la société Saint Michel 5 désormais dénommée La Harpe 2 à verser à la société [Adresse 8] la somme de 403.333,40 € majorée de l'intérêt légal à compter du 21 juin 2021, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil.
Sur la demande de la société La Harpe 2 tendant à la condamnation de la société [Adresse 8] à lui remettre une facture mentionnant le montant de l'indemnité transactionnelle HT, le montant TTC et le montant de la TVA applicable
L'indemnité transactionnelle convenue dans le protocole du 12 janvier 2021 n'étant pas soumise à la TVA, il convient de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a débouté la société Saint Michel 5 désormais dénommée La Harpe 2 de cette demande.
Sur la demande subsidiaire de la société La Harpe 2
Sur l'exception d'irrecevabilité tirée des dispositions des articles 564 et suivants du code de procédure civile
L'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
En l'espèce, la société [Adresse 8] demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 novembre 2022 en ce qu'il a condamné la société Saint-Michel 5 désormais dénommnée La Harpe 2 à verser à la société [Adresse 8] la somme de 403.333,40 €.
Quant à la société La Harpe 2, elle demande à la cour, à titre subsidiaire, de condamer la société [Adresse 8] à lui rembourser la même somme qu'elle a réglée en exécution du jugement querellé au motif, dans l'hypothèse où la cour jugerait que l'indemnité transactionnelle n'est pas soumise à la TVA, que le montant de cette indemnité n'est que de 2.016.666,67 €, montant spontanément versé avant l'introduction de la première instance.
Il s'évince de la comparaison de ces demandes que la demande subsidiaire de la société La Harpe 2 ne fait que tendre à faire écarter la prétention de la société [Adresse 8].
Cette demande n'est donc pas irrecevable sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile.
Sur l'exception d'irrecevabilité tirée des dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile
L'article 910-4 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur du décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023, dispose qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
Néanmoins, et sans préjudice de l'alinea 2 de l'aticle 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
En l'espèce, la société La Harpe 2 n'avait pas formé de demande subsidiaire dans ses premières conclusions déposées et notifiées le 5 avril 2023.
Toutefois, cette demande s'analyse en une réplique aux conclusions de la société [Adresse 8] tendant à la confirmation du jugement querellé peu important que la société Librairie de la place n'ait pas changé de positionnement juridique entre la première instance et l'appel.
En conséquence, cette demande n'est pas irrecevable sur le fondement de l'article 910-4 du code de procédure civile.
Sur le fond
Ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, il résulte des termes du protocole d'accord que les parties se sont accordées sur une indemnité de 2.420.000 euros et non sur une indemnité de 2.016.666,67 €. Le fait que la société la Harpe 2 ait ajouté de façon erronée la mention 'TTC' dans le protocole d'accord, sans attirer l'attention de sa cocontractante sur cet ajout et ses éventuelles conséquences, n'est pas de nature à modifier le montant de l'indemnité convenue entre les parties que la société La Harpe 2 s'est engagée à payer.
En conséquence, il convient de rejeter la demande formée par la société La Harpe 2 à titre subsidiaire.
Sur la demande de la société [Adresse 8] au titre de la résistance abusive
La société Librairie de la place fonde sa demande sur l'article 32-1 du code de procédure civile qui dispose que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10.000€ sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
La société [Adresse 8] allègue un préjudice lié aux désagréments d'une procédure 'lourde' sans toutefois justifier d'un préjudice distinct de ses frais irrépétibles au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a débouté la société Librairie de la place de cette demande.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
La société La Harpe 2 succombe en première instance et en appel. En conséquence, il convient, en application de l'article 696 du code de procédure civile, de confirmer le jugement querellé en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance et de la condamner aux dépens de la procédure d'appel.
Par ailleurs, l'équité commande de confirmer les dispositions du jugement querellé relatives aux frais irrépétibles et de condamner la société La Harpe 2 à payer à la société [Adresse 8] la somme de 10.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés par cette dernière en appel.
En application des articles 1231-7 et 1343-2 du code de procédure civile et conformément à la demande de la société Librairie de la place, les condamnations de la société La Harpe 2 aux dépens de la procédure d'appel et au paiement de la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisant intérêts.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt rendu contradictoirement et en dernier ressort ;
Déclare irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la société [Adresse 8],
Confirme en toutes ses dispositions soumises à la cour le jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 novembre 2022 (RG 2021043998) ;
Y ajoutant,
Déclare recevable la demande de la société La Harpe 2 anciennement dénommée Saint Michel 5, formée à titre subsidiaire, tendant au remboursement par la société [Adresse 8] de la somme de 403.333,40€ ;
Déboute la société La Harpe 2 de cette demande ;
Condamne la société La Harpe 2 anciennement dénommée Saint Michel 5 aux dépens de la procédure d'appel, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Condamne la société La Harpe 2 anciennement dénommée Saint Michel 5 à payer à la société [Adresse 8] la somme de 10.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Ordonne la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière.
La greffière, La présidente,
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 03 JUILLET 2025
(n° 113/2025, 17 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 23/01703 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CG72Z
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 novembre 2022 - Tribunal de commerce de Paris (1ère chambre) - RG n° 2021043998
APPELANTE
S.A.S. LA HARPE 2 anciennement dénommée S.A.S. SAINT MICHEL 5
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 10] sous le n° 882 245 558
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de Paris, toque : K0065
Assistée de Me Philippe RENAUD du cabinet RENAUD-ROUSTAN, avocat au barreau de Paris, toque : P139
INTIMÉE
S.A.S. [Adresse 8] exerçant sous l'enseigne [O] JEUNE
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 10] sous le n° 828 117 895
Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Blandine DAVID, avocat au barreau de Paris, toque : R110
Assistée de Me Guillaume KRAFFT de RIVEDROIT AARPI, avocat au barreau de Paris, toque : K0001
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 18 février 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Stéphanie Dupont, conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Nathalie Renard, présidente de chambre
Mme Stéphanie Dupont, conseillère
Mme Marie Girousse, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Nathalie Renard, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte du 4 mai 2017, M. [V] [O] et M. [S] [O] ont donné à bail commercial à la société [Adresse 8], pour une durée de neuf années à compter du 1er juin 2017, des locaux dépendant d'un immeuble situé [Adresse 4].
Par acte authentique du 2 juin 2020, la société Saint Michel 5 a acquis la totalité de cet immeuble auprès de M. [V] [O] et de M. [S] [O].
Par acte sous seing privé du 12 janvier 2021, la société Saint Michel 5 et la société [Adresse 8] ont signé un protocole d'accord. L'article 4 de ce protocole stipule en son 1er paragraphe : 'En contrepartie des concessions du preneur, les parties conviennent de fixer le montant de l'indemnité transactionnelle revenant au preneur et visée à l'article 2 des présentes, à la somme toutes taxes comprises, globale, forfaitaire et définitive, de deux millions quatre cent vingt mille euros (2.420.000,00 €) TTC laquelle somme sera versée au preneur selon les modalités définies à l'article 5 des présentes.'
La société Saint Michel 5 a réglé à la société [Adresse 8] la somme totale de 2.016.666,67 €, 420.000 € par virement bancaire du 6 avril 2021 et 1.596.666,67 € par virement bancaire du 20 mai 2021. Cette somme correspond au montant de l'indemnité transactionnelle après déduction du montant de la TVA que la société Saint Michel 5 estime applicable à cette indemnité.
Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception des 9 et 18 juin 2021, la société [Adresse 8] a mis en demeure la société Saint Michel 5 de lui payer la somme de 403.333,40 € au titre du solde de l'indemnité transactionnelle prévue dans le protocole d'accord du 12 janvier 2021.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 21 juin 2021, la société Saint Michel 5 a mis en demeure la société [Adresse 8] de lui remettre la facture relative à 'l'indemnité de résiliation' prévue au protocole d'accord du 12 janvier 2021, faisant ressortir la TVA applicable.
Sans réponse à ses mises en demeure des 9 et 18 juin 2021 et après divers échanges infructueux avec la société Saint Michel 5, la société [Adresse 8], par assignation du 17 septembre 2021, a saisi le tribunal de commerce de Paris du litige.
Par jugement du 22 novembre 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
condamné la société Saint Michel 5 à verser à la société [Adresse 8] la somme de 403.333,40 € majorée de l'intérêt légal à compter du 21 juin 2021, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil ;
débouté la société Saint Michel 5 de toutes ses demandes ;
débouté la société [Adresse 8] de sa demande relative à la résistance abusive de la société Saint Michel 5 ;
condamné la société Saint Michel 5 à verser à la société [Adresse 8] 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;
condamné la société Saint Michel 5 aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 € dont 11,60 € de TVA.
Par déclaration du 13 janvier 2023, la société Saint Michel 5 a interjeté appel du jugement en en critiquant expressément tous les chefs du dispositif à l'exception de celui qui a débouté la société [Adresse 8] de sa demande relative à la résistance abusive de la société Saint Michel 5.
La société Saint Michel 5 a modifié sa dénomination sociale et est désormais dénommée La Harpe 2.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 18 décembre 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 17 décembre 2024, la société La Harpe 2 demande à la cour de :
juger la société La Harpe 2 recevable en son appel et prendre acte de la nouvelle dénomination de la partie appelante ;
recevoir et dire bien fondée la société La Harpe 2 en ses demandes et y faire droit ;
En conséquence :
réformer le jugement prononcé par le tribunal de commerce de Paris le 22 novembre 2022 (RG n° 2021043998) en ce qu'il a :
condamné la société Saint Michel 5 à verser à la société [Adresse 8] la somme de 403.333,40 € majorée de l'intérêt légal à compter du 21 juin 2021, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil ;
débouté la société Saint Michel 5 de toutes ses demandes ;
condamné la société Saint Michel 5 à verser à la société [Adresse 8] 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;
condamné la société Saint Michel 5 aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 € dont 11,60 € de TVA ;
En conséquence, statuant à nouveau :
A titre principal :
débouter la société [Adresse 8] de l'intégralité de ses demandes ;
condamner la société Librairie de la place à établir une facture au profit de la société la Harpe 2 faisant état du montant de l'indemnité transactionnelle hors taxes (soit 2.016.666,67 €), le montant de la taxe sur la valeur ajoutée applicable (soit 403.333,40 €) et le montant de l'indemnité transactionnelle toutes taxes comprises (soit 2.420.000,00 €), et à la lui remettre dans un délai de 5 jours après signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 300 € par jour de retard passé ce délai ;
A titre subsidiaire :
condamner la société [Adresse 8] à rembourser à la société la Harpe 2 la somme de 403.333,40 € réglée par cette dernière en exécution du jugement du tribunal de commerce du 22 novembre 2022 assorti de l'exécution provisoire (RG n° 2021043998), avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
En toute hypothèse :
condamner la société [Adresse 8] au paiement, au profit de la société La Harpe 2, de la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société [Adresse 8] aux entiers dépens de la présente instance, dont distraction au profit de Maître Frédérique Etevenard, avocat à la cour, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société La Harpe 2 fait valoir :
Sur la compétence de la cour,
- que la société [Adresse 8] soulève l'incompétence de la juridiction judiciaire alors même que c'est elle qui a introduit l'action en première instance devant le tribunal de commerce de Paris ;
- qu'en vertu de l'article 74 du code de procédure civile, la société Librairie de place, représentée en première instance, qui aurait pu invoquer à ce stade de la procédure l'incompétence de la juridiction saisie et qui ne l'a pas valablement fait, est irrecevable à soulever une telle exception pour la première fois en cause d'appel ;
- qu'en outre, les juridictions administratives ne sont compétentes que pour traiter des litiges opposant un administré à une personne publique ou, dans certains cas, à un organisme privé chargé d'un service public ; que l'article L. 199 du livre des procédures fiscales invoqué par la société [Adresse 8] à l'appui de son exception d'incompétence donne compétence aux juridictions administratives pour statuer sur les décisions rendues par l'administration en matière d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires ; qu'en l'espèce, le litige porte sur l'application du protocole du 12 janvier 2021 et oppose deux sociétés de droit privé ; que l'obligation pour la société Librairie de la place d'établir une facture qui mentionne la TVA de 20 % découle du procole d'accord et ne nécessite pas de trancher une question fiscale de sorte que la cour d'appel est compétente ;
- que de surcoît, selon l'article 49 du code de procédure civile, le juge de l'action est juge de l'exception, lequel se trouve investi du droit de statuer sur les questions soulevées au cours de l'instance qui, proposées au principal, auraient échappé à sa compétence ;
A titre principal, sur l'assujettissement de l'indemnité transactionnelle à la TVA,
- que l'assujettissement de l'indemnité transactionnelle à la TVA découle expressément du protocole qui mentionne le versement d'une indemnité 'TTC' ; que le protocole a fait l'objet de plusieurs versions avant sa signature ; que la mention 'TTC' apparait dès la première version du 23 novembre 2020 et n'a appelé aucune opposition de la part de la société Librairie de la place au cours des pourparlers entre les parties, étant rappelé que l'article 11 du protocole stipule que 'chaque partie déclare et reconnaît avoir été complètement et suffisamment informée, et reconnaît avoir obtenu toutes les informations et tous les documents qui lui ont semblé nécessaires et utiles, de sorte que son consentement au présent protocole, son contenu et sa portée, a été librement négocié et est pleinement éclairé' ;
- que le taux de TVA à 0 % n'existe pas à l'exception de cas très particuliers ; que lorsqu'une prestation n'est pas soumise à la TVA, la facture ne mentionne aucun taux de TVA ;
- que l'indemnité transactionnelle n'avait pas pour objet de compenser la renonciation du preneur à tout recours contre la vente ; que la société [Adresse 8] ne bénéficiait d'aucun droit de préemption dès lors que l'article L. 145-46-1 du code civil, auquel font référence les clauses du bail du 4 mai 2017, n'est pas applicable en cas de cession unique de locaux commerciaux distincts et qu'en l'espèce une partie de l'immeuble était louée à un autre preneur ; que la question du droit de préemption de la société Librairie de la place était close après le rappel par M. [O], suivant mail du 8 juillet 2020 resté sans réponse de la part de la société [Adresse 8], de l'inapplicabilité des dispositions de l'article L. 145-46-1 du code civil à la vente du 2 juin 2020 ;
- que des discussions ont été initiées entre les parties lorsque la société La Harpe 2 a été informée de ce que la société [Adresse 8] envisageait de quitter les locaux en cédant son droit au bail ; que le préambule du protocole est clair sur ce point ; que la renonciation du preneur à toute contestation portant sur la validité de la vente a été ajoutée dans le protocole à titre purement accessoire afin d'établir un accord global entre les parties ;
- que les discussions entre les parties n'ont concerné que les modalités de la libération des locaux (montant de l'indemnité et date de départ) de sorte que la renonciation du preneur à toute contestation portant sur la validité de la vente ne correspond pas à une fraction de l'indemnité litigieuse ;
- qu'outre l'accord des parties pour assujettir l'indemnité transactionnelle à la TVA, cet assujettissement procède des dispositions de l'article 256 I du code général des impôts ; que l'accord entre les parties a été conclu pour permettre au bailleur de disposer de la libre jouissance de son local commercial de sorte que l'indemnité constitue la rémunération d'une prestation de service individualisable soumise à la TVA ;
- que selon le rescrit de l'administration fiscale du 5 mai 2022, l'indemnisation relative à la libération des locaux est soumise à la TVA mais qu'elle ne peut être récupérée sans une facture émise par la société Librairie de la place ;
- que la société La Harpe 2 n'a jamais admis que l'indemnité transactionnelle était une indemnité d'éviction ;
- qu'il n'existe aucun aveu judiciaire de sa part de nature à favoriser la partie adverse ; que la société La Harpe 2 se borne à dire que l'indemnité transactionnelle ne constitue pas une rémunération, laquelle se définie comme une somme liée à l'accomplissement d'un travail pour le bénéfice d'autrui, mais la contrepartie d'une prestation de service consistant en la libération anticipée des lieux par la société [Adresse 8] ; qu'en outre, l'aveu ne peut pas porter sur un point de droit tenant à la qualification juridique des faits ;
- que la demande de la société Librairie de la place de dire et juger que, par un aveu judiciaire, la société La Harpe 2 reconnaît que l'indemnité transactionnelle ne constituait pas une rémunération ne constitue pas une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile ;
- que la renonciation du preneur à céder son droit au bail n'est que la conséquence de l'accord des parties portant sur la libération des locaux ;
A titre principal, sur la condamnation de la société [Adresse 8] à l'établissement d'une facture,
- que sur le fondement de l'article 289 I-1-a du code général des impôts et de l'article L. 441-9 du code de commerce, la société Librairie de la place devait produire spontanément une facture sans qu'il soit nécessaire que le protocole le prévoie ;
A titre subsidiaire, sur la restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement,
- que si la cour devait juger que l'indemnité transactionnelle prévue dans le protocole du 12 janvier 2021 n'était pas soumise à la TVA, la somme de 403.333,40 € ne serait pas due à la société [Adresse 8], que la mention TTC implique nécessairement que la TVA est incluse dans le montant mentionné ;
- que cette demande n'est pas irrecevable sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile en ce qu'elle est née de la survenance d'un fait, à savoir l'exécution du jugement querellé revêtu de l'exécution provisoire ;
- que cette demande n'est pas non plus irrecevable sur le fondement de l'article 910-4 du code de procédure civile ; que la société La Harpe 2 avait soulevé dès ses premières conclusions d'appelante que si la cour devait juger que l'indemnité prévue par le protocole du 12 janvier 2021 n'était pas soumise à la TVA, la somme de 403.333,40 € ne serait pas due à la société [Adresse 8] ; que cette demande susbsidiaire vient en réplique aux conclusions de l'intimée et à son appel incident ;
Sur le rejet de l'appel incident interjeté par l'intimée,
- que la société La Harpe 2 n'a jamais contesté devoir s'acquitter du solde de 403.333,33 € mais a seulement demandé l'établissement d'une facture valide faisant apparaître le montant de l'indemnité HT et TTC, ainsi que le montant de la TVA ; qu'à défaut d'établissement de cette facture par la société [Adresse 8], la société La Harpe 2 ne pouvait pas procéder au paiement du solde au risque d'engendrer un litige fiscal ;
- qu'elle n'a fait preuve d'aucune mauvaise foi ;
- que la société [Adresse 8] ne justifie pas de son préjudice.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 16 décembre 2024, la société Librairie demande à la cour de :
à titre liminaire :
se déclarer incompétente au profit des juridictions de l'ordre administratif pour connaître de la demande de la société La Harpe 2 tendant à voir la société [Adresse 8] condamnée à « émettre une facture faisant état du montant de l'indemnité transactionnelle hors taxes (soit 2.016.666,67 €), le montant de la taxe sur la valeur ajoutée applicable (soit 403.333,40 €) et le montant de l'indemnité transactionnelle toutes taxes comprises (soit 2.420.000,00 €) » ;
au fond :
confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 novembre 2022 en ce qu'il a statué comme suit :
« Condamne la SAS Saint-Michel 5 à verser à la SAS [Adresse 8] la somme de 403.333,40 € majorée de l'intérêt légal à compter du 21 juin 2021, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil »
« Déboute la SAS Saint-Michel 5 de toute ses demandes »
« Condamne la SAS Saint-Michel 5 à verser à la SAS [Adresse 8] 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus »
« Condamne la SAS Saint-Michel 5 aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 € dont 11,60 € de TVA »
infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 novembre 2022 en ce qu'il a statué comme suit :
« Déboute la SAS [Adresse 8] de sa demande relative à la résistance abusive de la SAS Saint-Michel 5 ».
Et y ajoutant et statuant à nouveau :
dire et juger que, par un aveu judiciaire contenu dans ses conclusions du 12 décembre 2024, la société La Harpe 2 reconnaît que l'indemnité transactionnelle ne constituait pas une rémunération ;
déclarer irrecevable la demande formulée à titre subsidiaire par la société la Harpe 2 tendant à voir la société [Adresse 8] condamnée à lui rembourser la somme de 403.333,40 € réglée par ses soins en exécution provisoire du jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 novembre 2022 ;
débouter la société La Harpe 2 de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
condamner la société La Harpe 2 à payer à la société [Adresse 8] la somme de 100.000 euros au titre de la résistance abusive, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil ;
condamner la société La Harpe 2 à payer à la société [Adresse 8] la somme de 30.000 euros au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil ;
condamner la société La Harpe 2 aux entiers dépens de la présente instance, augmentés des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil.
La société [Adresse 8] fait valoir :
A titre liminaire, sur l'incompétence de la cour pour connaître des demandes de la société La Harpe 2 telles qu'elles sont formulées devant elle,
- qu'en application des articles L. 281 et L. 199 du livre des procédures fiscales, la cour est incompétente pour statuer sur une contestation relative à la TVA qui relève de la compétence exclusive des juridictions de l'ordre administratif ;
- qu'en vertu de l'article 76 du code de procédure civile, cette incompétence peut et doit être relevée d'office, même pour la première fois en appel ;
- qu'en demandant à la cour de condamner la société [Adresse 8] à émettre une facture 'faisant état du montant de l'indemnité transactionnelle hors taxes (soit 2.016.666,67 €), le montant de la taxe sur la valeur ajoutée applicable (soit 403.333,40 €) et le montant de l'indemnité transactionnelle toutes taxes comprises (soit 2.420.000,00 €)', la société La Harpe 2 demande à la cour de dire que l'indemnité transactionnelle est soumise à la TVA ce qui constitue une contestation fiscale qui relève de la compétence exclusive des juridictions administratives ;
Au fond, sur l'exécution du protocole d'accord, au visa de l'article 1103 du code civil,
- que la société La Harpe 2 a méconnu les stipulations du protocole concernant les modalités de réglement de l'indemnité transactionnelle, notamment en exigeant la remise d'une facture faisant état de la TVA ;
- que les parties sont convenues d'une indemnité transactionnelle de 2.420.000 €, qui aurait dû être réglée, sans la moindre facture, par la société La Harpe 2 dès le 31 mars 2021, au moyen d'un chèque de banque ; qu'il n'y a aucune question fiscale à trancher, les déclarations ultérieures de la société La Harpe 2 à l'administration fiscale relatives à cette indemnité ne concernant ni la société Librairie de la place ni la cour ;
- que le paiement de l'indemnité transactionnelle n'est pas subordonné à l'émission d'une facture ; que le protocole d'accord dûment signé par les parties suffit à justifier comptablement le mouvement de fonds ainsi opéré ; que la société La Harpe 2 n'a pas jugé nécessaire de recevoir une facture pour effectuer le premier virement de 420.000 € et indique dans ses conclusions qu'elle n'a sollicité une facture qu'à la demande de sa banque ; que la société La Harpe 2 dispose d'une facture, mentionnant une TVA à 0 %, depuis le 19 avril 2021 ;
Sur l'inopérance des moyens de défense de la société La Harpe 2, dans l'hypothèse où la cour estimerait devoir se prononcer sur le régime fiscal de l'indemnité transactionnelle,
- que la TVA ne s'applique pas à l'indemnité d'éviction prévu à l'article L.145-14 du code de commerce qui a pour objet de réparer le préjudice subi par le locataire en raison de son départ des locaux ;
- que la TVA ne s'applique qu'en cas de prestation de service individualisable ; que l'arrêt Catleya du Conseil d'Etat du 27 février 2015, invoqué par la société la Harpe 2 à l'appui de ses demandes, a qualifié de prestation de services, soumise donc à la TVA, la libération anticipée de locaux commerciaux par un locataire lorsque que cette libération avait pour seul objet de permettre au bailleur de récupérer la jouissance des locaux en lui offrant ainsi la possibilité de conclure une opération immobilière avantageuse (CE 27 février 2015, n° 368661) ;
- qu'il s'en déduit qu'en principe, la somme versée par un bailleur à son locataire en cas de libération anticipée des locaux garde un caractère purement indemnitaire, en ce qu'elle vise à réparer le préjudice subi par le locataire du fait de son départ des locaux, et n'est donc pas soumise à la TVA ; que ce n'est que par exception que cette somme est soumise à la TVA, lorsqu'elle constitue la rémunération d'une prestation de service spécifique consistant pour le locataire à accepter de quitter les lieux avant terme pour permettre à son bailleur de réaliser une opération immobilière avantageuse (nouveau bail à des conditions plus avantageuses ou revente) ;
- qu'en l'espèce, l'indemnité transactionnelle prévue dans le protocole d'accord signé entre les parties le 12 janvier 2021 est la contrepartie de deux concessions faites par la société [Adresse 8] et clairement stipulées dans l'article 2 du protocole : la renonciation irrévocable à contester la régularité de la vente des locaux entre MM. [O] et la société La Harpe 2 en se prévalant de la méconnaissance de son droit de préemption prévu à l'article L. 145-46-1 du code de commerce et la renonciation à céder son droit au bail au moment de la libération les locaux ; qu'elle a donc bien un caractère indemnitaire en ce qu'elle vise à compenser le préjudice subi par la société Librairie de la place du fait de son départ anticipé des lieux (coût du déménagement, licenciements, désorganisation des services, préjudice économique, préjudice d'image etc...) et de sa renonciation à tous recours ;
- que les parties ont qualifié la somme versée par le bailleur au preneur d''indemnité transactionnelle' ou d''indemnité' dans le protocole et même d''indemnité d'éviction' à l'occasion de leurs échanges ultérieurs ; qu'en première instance, la société La Harpe 2 a admis que le terme d'éviction 'traduit parfairement l'intention des parties' ;
- que la société La Harpe 2 continue dans ses écritures en justice, y compris en appel, de désigner l'indemnité transactionnelle en utilisant le vocable 'indemnité' et non le vocable 'rémunération' ; que dans ses conclusions du 12 décembre 2024, elle écrit que le terme rémunération est totalement inapproprié, ce qui constitue un aveu judiciaire au sens de l'article 1383-2 du code civil ; que si l'indemnité transationnelle n'est pas une rémunération, elle ne doit pas être soumise à la TVA ;
- qu'il n'a ni été convenu ni même évoqué entre les parties que la libération anticipée des locaux avait pour objet et encore moins pour seul objet de permettre à la société La Harpe 2 de récupérer les locaux pour y faire des travaux en vue de les relouer à des conditions plus avantageuses ou de les revendre ; qu'il s'agit d'un argument soutenu pour la première fois par la société La Harpe 2 dans un courier de son conseil du 25 juin 2021, par opportunisme ;
- que contrairement à ce que soutient la société La Harpe 2, la société [Adresse 8] n'avait pas renoncé à se prévaloir de son droit de préemption pour contester la vente de l'immeuble du 2 juin 2020 avant la conclusion du protocole d'accord du 12 janvier 2021 ; qu'en application de l'article 1120 du code civil, le silence ne vaut pas acceptation ; qu'en conséquence, et alors qu'elle avait précédemment fait connaître à MM. [O] qu'elle considérait que son droit de préemption avait été méconnu à l'occasion de la vente de l'immeuble, l'absence de réponse donnée par la société Librairie de la place au courriel de M.[W] [O] du 8 juillet 2020, dans lequel ce dernier estimait que les dispositions du code de commerce sur le droit de préemption du locataire ne s'appliquaient pas à la vente de l'immeuble du 2 juin 2020, ne valait pas renonciation de la part de la société [Adresse 8] à contester la validité de ladite vente ;
- qu'il est vain pour la société La Harpe 2 de soutenir, en contradiction avec les termes clairs du protocole, que la société [Adresse 8] n'a pas pu renoncer à se prévaloir de son droit de préemption dans le protocole faute pour elle de disposer d'un tel droit ; qu'en outre, la société Librairie de la place avait un droit de préemption légal, en application de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, et contractuel, en vertu de l'article 8-2-2 du bail ; qu'au demeurant, dans une telle hypothèse, c'est la nullité du protocole qui serait encourue et qui n'est pas recherchée par la société La Harpe 2 ;
- que la mention TTC dans le protocole d'accord n'implique pas l'application automatique de la TVA ; que dès lors qu'aucune taxe ne s'applique, la somme TTC est égale à la somme HT ; que lors de leurs échanges préalables à la signature du protocole du 12 janvier 2021, les parties s'étaient accordées sur une indemnité de 2.420.000 euros, sans préciser si ce montant était HT ou TTC ; que ce n'est qu'à l'occasion de la rédaction du protocole que la société la Harpe 2 a ajouté la mention TTC ; que les règles fiscales étant d'ordre public, les parties ne peuvent, même de commun accord, appliquer de la TVA à une opération qui n'y est pas soumise ;
- qu'il résulte de l'article L.80 A du livre des procédure fiscales que tout redevable peut se prévaloir à l'encontre de l'administration fiscale de l'interprétation qui a été formellement admise par celle-ci ; qu'en l'espèce, par deux rescrits convergents des 21 octobre 2021 et 5 mai 2022, établis sur demande de la société La Harpe 2, l'administration fiscale a conclu que : ' L'indemnité transactionnelle versée par la Sas Saint-Michel 5 ne peut être considérée comme la contrepartie d'une prestations de service' ;
Sur la demande subsidiaire de la société La Harpe 2,
- qu'à titre subsidiaire, la société La Harpe 2 demande à la cour de condamner la société [Adresse 8] à lui rembourser la somme de 403.333,40 euros réglée par la société La Harpe 2 en exécution du jugement querellé au motif que si la TVA n'est pas applicable à l'indemnité transactionnelle, cette somme n'est pas due à la société [Adresse 8] ;
- que cette demande est irrecevable en application des articles 564 et 910-4 du code de procédure civile dès lors qu'elle est nouvelle en cause d'appel et qu'elle n'a pas été présentée dans les premières conclusions de la société La Harpe 2 ;
- qu'en outre cette demande est mal fondée ; que l'indemnité transactionnelle stipulée au protocole est bien de 2.420.000 € et non de 2.016.666,67 € même si elle n'est pas soumise à la TVA ;
Sur la résistance abusive, au visa de l'article 32-1 du code de procédure civile,
- que la société La Harpe 2 a agi de mauvaise foi notamment en ajoutant la mention 'TTC' lors de la rédaction du protocole sans attirer l'attention de son cocontractant pour s'en prévaloir ultérieurement, en ne remettant pas un chèque de banque du montant de l'indemnité transactionnelle convenue lors de la remise des clés des locaux comme stipulé dans le protocole, en décidant de soumettre l'indemnité à la TVA pour réduire le montant de sa dette, en dissimulant pendant un an à la société [Adresse 8] l'existence du premier rescrit de l'admnistration fiscale qui lui était défavorable ;
- que la société Librairie de la place a subi les désagréments d'une procédure, préjudice qu'il convient de réparer en lui accordant la somme de 100.000 euros.
Il convient, en application de l'article 455 du code de procédure civile, de se référer aux conclusions des parties, pour un exposé plus ample de leurs prétentions et moyens.
SUR CE,
Sur l'exception d'incompétence soulevée par la société [Adresse 8]
A titre liminaire, il est rappelé que la société Librairie de la place soulève l'incompétence de la cour pour statuer sur la demande reconventionnelle de la société La Harpe 2 tendant à ce que la société [Adresse 8] soit condamnée à établir une facture au profit de la société la Harpe 2 faisant état du montant de l'indemnité transactionnelle hors taxes (soit 2.016.666,67 €), du montant de la TVA applicable (soit 403.333,40 €) et du montant de l'indemnité transactionnelle TTC (soit 2.420.000 €).
En application de l'article 74 du code de procédure civile, les exceptions de procédure doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public.
Il s'en déduit que la partie qui a conclu au fond devant la juridiction de première instance et qui aurait pu invoquer, à ce stade de la procédure, l'incompétence de la juridiction saisie est irrecevable à présenter une telle exception pour la première fois en cause d'appel (1re Civ., 14 avril 2010, pourvoi n° 09-12.477).
Par ailleurs, selon le 2ème alinéa de l'article 76 du code de procédure civile, le relevé d'office de l'incompétence devant la cour d'appel, si l'affaire relève de la compétence d'une juridiction répressive ou administrative ou échappe à la connaissance de la juridiction française, est une faculté et non une obligation.
Quant à l'article L. 199 du livre des procédures fiscales, invoqué par la société [Adresse 8], il dispose qu'en matière d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées, les décisions rendues par l'administration sur les réclamations contentieuses et qui ne donnent pas entière satisfaction aux intéressés peuvent être portées devant le tribunal administratif.
En l'espèce, il résulte du jugement querellé d'une part que la société La Harpe 2 avait formé sa demande reconventionnelle dès la première instance et d'autre part que la société [Adresse 8] a conclu au fond en première instance sans soulever l'incompétence des juridictions judiciaires alors qu'elle aurait pu l'invoquer.
En conséquence, la société Librairie de la place est irrecevable en son exception d'incompétence devant la cour d'appel.
La cour n'entend pas faire usage de la faculté de soulever d'office son incompétence dès lors qu'elle considère que cette incompétence n'est pas fondée.
En effet, contrairement à ce que soutient la société [Adresse 8], l'article L. 199 du livre des procédures fiscales ne donne pas compétence aux juridictions administratives pour statuer sur 'toute contestation en justice relative à la TVA'. Il donne compétence au tribunal administratif, en matière de taxes sur le chiffre d'affaires pour statuer sur 'les décisions rendues par l'administration sur les réclamations contentieuses et qui ne donnent pas entière satisfaction aux interessés'. Or, la présente instance n'est pas relative à la contestation d'une décision l'administration fiscale qui n'est pas partie. Elle concerne deux sociétés commerciales dont le désaccord porte sur l'exécution d'un contrat du fait de l'assujettissement ou non de la TVA à l'indemnité transactionnelle convenue entre elles.
Sur la demande de la société Librairie de la place tendant à ce qu'il soit dit et jugé que, par un aveu judiciaire, la société [Adresse 8] reconnaît que l'indemnité transactionnelle ne constitue pas une rémunération
En application des articles 4 et 954 du code de procédure civile, la cour ne statuera pas sur cette demande qui ne constitue pas une prétention au sens de l'article 4 mais un moyen à l'appui de sa demande de confirmation du jugement querellé.
Sur la demande de la société Librairie de la place tendant au paiement par la société La Harpe 2 de la somme de 403.333, 40 € au titre du solde de l'indemnité transactionnelle
L'article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
En l'espèce , les articles 2,4 et 5 du protocle conclu entre les parties le 12 janvier 2021 stipulent :
'Article 2.
En contrepartie du paiement de l'indemnité définie à l'article 4 des présentes et de la restitution du dépôt de garantie dans les conditions prévues à l'article 3 :
2.1 Le preneur renonce irrévocablement à toute contestation portant sur la validité de la vente de l'immeuble sis [Adresse 3], intervenue le 2 juin 2020, notamment en raison d'une absence de purge de quelque droit de préemption que ce soit, susceptible d'avoir existé à son profit.
2.2 Le preneur s'engage irrévocablement à libérer l'ensemble des locaux qu'il occupe en vertu du bail dans l'immeuble sis [Adresse 3] et à les restituer libres de toute occupation, de lui-même ou de son chef et vides de tout meuble au plus tard le 31 mars 2021, en contrepartie du paiement de l'indemnité définie à l'article 4 des présentes et de la restitution du dépôt de garantie dans les conditions prévues à l'article 3.
Les parties précisent en tant que de besoin que les équipements mentionnés à l'annexe 3 du bail ont le caractère d'immeuble par destination en applications des dispositions de l'article 524 du code civil notamment et ne sont donc pas considérés comme du mobilier au sens de la présente clause.
Article 4.
4.1 En contrepartie des concessions du preneur, les parties conviennent de fixer le montant de l'indemnité transactionelle revenant au preneur et visée à l'article 2 des présentes, à la somme toutes taxes comprises, globale, forfaitaire et définitive, de deux millions quatre cent vingt mille euros (2.420.000,00 €) TTC (ci-après également 'l'indemnité') laquelle somme sera versée au preneur selon les modalités définies à l'article 5 des présentes.
4.2 En contrepartie du règlement au preneur de l'indemnité transactionnelle fixée à l'article 4.1, et de la restitution du dépôt de garantie dans les conditions stipulées à l'article 3, le preneur se déclare intégralement rempli de l'ensemble de ses droits et renonce expressément et irrévocablement à toute réclamation à l'encontre du bailleur, en relation directe ou indirecte avec la conclusion, l'exécution, la résiliation du bail ou la libération des locaux ayant fait l'objet du bail et/ou pour des faits antérieurs à la date de signature du présent protocole.
Article 5
5.1 Il est convenu que le versement au preneur de l'indemnité transactionnelle prévue à l'article 4.1 des présentes, soit la somme de deux millions quatre cent vingt mille euros (2.420.000,00 €)TTC sera versée au preneur le jour de la restitution des clefs matérialisant la libération effective des locaux objet du présent protocle, soit le 31 mars 2021, dans les conditions déterminées à l'article 5.2 ci-après.
5.2 Le preneur a remis au bailleur un état des inscriptions de privilège et nantissement ne révélant aucune inscription sur le fonds exploité dans les locaux loués en vertu du bail.
Il sera remis au bailleur par le preneur, le jour de la libération effective des lieux, un état des inscriptions sur le fonds exploité dans les locaux loués en vertu du bail.
En l'absence d'inscription sur le fonds de commerce exploité dans les locaux loués en vertu du bail à la date de restitution effective des lieux qui interviendra le 31 mars 2021, l'indemnité transactionnelle sera directement versée par le bailleur au preneur, au moyen d'un chèque de banque libellé à l'ordre de la société [Adresse 8]. Ce chèque sera remis le jour de la restitution des locaux loués, en contrepartie de la restitution de l'intégralité des clefs des locaux.
S'il ressort de cet état des inscriptions (...).'
Il est acquis que le 31 mars 2021, il n'existait pas d'inscription de privilège ou de nantissement sur le fonds de commerce exploité par la société Librairie de la place dans les locaux loués, que la société [Adresse 8] a libéré les locaux et remis l'intégralité des clefs à la société La Harpe 2 qui, en retour, a remis un chèque, et non un chèque de banque, à la société [Adresse 8], d'un montant de 2.420.000 €, en lui demandant de ne pas l'encaisser.
Par la suite, la société La Harpe 2 a réglé à la société [Adresse 8] la somme de 2.016.666,67 € au titre de l'indemnité transactionnelle, retenant la somme de 403.333,40 € dans l'attente de l'établissement par la société Librairie de la place d'une facture mentionnant une TVA de 20 %.
Alors que le litige entre les parties porte sur l'application de la TVA à l'indemnité transactionnelle prévue dans le protocole du 12 janvier 2021, étant rappelé que la société [Adresse 8] considère que la TVA n'est pas applicable s'agissant d'une indemnité qui répare un préjudice qu'elle subit et que la société La Harpe 2 estime que la TVA s'applique au motif que l'indemnité est la contrepartie de la libération anticipée des locaux qui constitue un service rendu par la locataire à la bailleresse, il résulte de l'examen des pièces produites aux débats que ce sujet n'a jamais été abordé entre les parties lors des pourparlers précontractuels.
A la suite d'un échange de courriels, les parties se sont mises d'accord, le 21 octobre 2020, pour fixer le montant de l'indemnité à 2.420.000 € sans préciser si ce montant était HT ou TTC.
La société La Harpe 2, rédactrice du protocole, a ajouté la mention 'TTC' dès la première version de celui-ci transmise à la société [Adresse 8] le 23 novembre 2020, sans toutefois ni attirer l'attention de sa cocontractante sur cet ajout aux conséquences importantes, ni attirer son attention sur la fiscalité qu'elle considérait applicable à l'indemnité transactionnelle convenue entre les parties. Il est en outre relevé que la mention TTC n'est accompagnée d'aucun montant HT et d'aucun taux de TVA.
Dans ces conditions, la mention 'TTC' figurant dans le protocle du 12 janvier 2021 ne suffit pas à établir la commune intention des parties de soumettre l'indemnité transactionnelle prévue dans ce protocole à la TVA. Il est au contraire établi que la société Librairie de la place a toujours considéré que cette indemnité transactionnelle n'était pas soumise à la TVA, comme pouvait le lui laisser croire les vocables 'indemnité transactionnelle' et 'indemnité' utilisés par les parties ainsi que la remise d'un chèque d'un montant de 2.420.000 € par la société la Harpe 2 le 31 mars 2021.
A la suite de l'expression du désaccord entre les parties, après la libération des locaux, la société La Harpe 2 s'est adressée à l'administration fiscale.
Par avis du 21 octobre 2021, le pôle de contrôle et d'expertise [Localité 10] 8ème Roule-Hoche du pôle contrôle fiscal et affaires juridiques de la directtion départementale des finances publiques d'Ile de France et de [Localité 10] a répondu à la société la Harpe 2 : 'L indemnité transactionnelle versée par la SAS Saint Michel 5 ne peut être considérée comme la contrepartie d'une prestation de service.'
Par avis du 5 mai 2022, l'administration fiscale a répondu à la demande de second examen de la société la Harpe 2 comme suit : 'Réponse différente de celle à la demande de rescrit initiale : Non.'
L'administration fiscale motive son second avis ainsi :
' L'indemnité transactionnelle vise à compenser deux éléments distincts :
- la renonciation par la société [Adresse 8] de toute contestation portant sur la validité de la vente de l'immeuble sis [Adresse 1]. Cette quote-part de l'indemnité aurait pour objet de compenser un préjudice. Elle ne serait pas soumise à la TVA.
- la fin anticipée du bail. Cette partie est à soumettre à la TVA s'agissant d'un service rendu nettement individualisable.
Afin de déterminer le montant de TVA dû, il appartient donc à la société Saint Michel 5, en fonction des circonstances de fait, de déterminer la quote-part de l'indemnité pouvant s'analyser comme étant la compensation de la libération anticipée des locaux par la société [Adresse 9].
Il s'évince de ces deux avis que l'administration fiscale estime que l'indemnité transactionnelle convenue dans le protocole du 12 janvier 2021 n'est pas soumise à la TVA.
En dépit de ces avis, la société La Harpe 2 maintient une position contraire dans le cadre de la présente instance.
En application de l'article 256 du code général des impôts, pour qu'une indemnité soit imposée à la TVA, elle doit correspondre à des sommes perçues en contrepartie d'une prestation de services individualisée rendue à celui qui la verse ou d'une livraison de biens.
Il est relevé que contrairement à ce que soutient la société La Harpe 2, il résulte des articles 2 et 4 du protocole du 12 janvier 2021 que l'indemnité transactionnelle est la contrepartie non seulement de la libération anticipée des locaux loués par la société [Adresse 8] mais également de la renonciation de cette dernière à toute contestation portant sur la validité de la vente de l'immeuble situé [Adresse 3], intervenue le 2 juin 2020.
La chronologie de l'entrée en pourparlers des parties n'est pas de nature à contredire les termes clairs et dénués d'ambiguïté des articles 2 et 4 du protocole.
En outre, sans qu'il soit besoin pour la cour d'apprécier les chances de succès d'une éventuelle action de la société Librairie de la place en nullité de la vente intervenue le 2 juin 2020, il apparait que cette dernière n'avait pas renoncé, avant la signature du protocole du 12 janvier 2021, à se prévaloir des dispositions de l'article L. 145-46-1 du code de commerce pour contester la vente de l'immeuble. En effet, l'absence de réponse de la société [Adresse 8] au courriel de M. [O] du 8 juillet 2020, dans lequel celui-ci soutient que les dispositions de l'article L. 145-46-1 du code de commerce ne sont pas applicables à la vente intervenue le 2 juin 2020, ne vaut pas renonciation de la société Librairie de la place à contester la validité de ladite vente.
Aussi, en l'absence de ventilation entre la part qui indemnise la société [Adresse 8] du préjudice né de sa renonciation à contester la validité de la vente intervenue le 2 juin 2020 et la part qui la rémunère pour le service rendu à la bailleresse en acceptant la résiliation anticipée du bail, l'indemnité transactionnelle convenue dans le protocole du 12 janvier 2021 n'est pas soumise à la TVA.
Au vu de ces éléments, alors que les parties s'étaient mises d'accord sur une indemnité d'un montant de 2.420.000 € et que la société la Harpe 2 a ajouté de façon erronée la mention 'TTC' dans le protocole, la TVA n'étant pas applicable à cette indemnité, sans attirer l'attention de sa cocontractante sur cet ajout et ses éventuelles conséquences fiscales, il apparait que la société La Harpe 2 est bien redevable de la totalité de la somme de 2.420.000 € à l'égard de la société [Adresse 8]. Juger le contraire, comme le sollicite la société La Harpe 2, reviendrait à modifier l'accord des parties et à diminuer le montant de l'indemnité convenue entre les parties.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné la société Saint Michel 5 désormais dénommée La Harpe 2 à verser à la société [Adresse 8] la somme de 403.333,40 € majorée de l'intérêt légal à compter du 21 juin 2021, avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1343-2 du code civil.
Sur la demande de la société La Harpe 2 tendant à la condamnation de la société [Adresse 8] à lui remettre une facture mentionnant le montant de l'indemnité transactionnelle HT, le montant TTC et le montant de la TVA applicable
L'indemnité transactionnelle convenue dans le protocole du 12 janvier 2021 n'étant pas soumise à la TVA, il convient de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a débouté la société Saint Michel 5 désormais dénommée La Harpe 2 de cette demande.
Sur la demande subsidiaire de la société La Harpe 2
Sur l'exception d'irrecevabilité tirée des dispositions des articles 564 et suivants du code de procédure civile
L'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
En l'espèce, la société [Adresse 8] demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 novembre 2022 en ce qu'il a condamné la société Saint-Michel 5 désormais dénommnée La Harpe 2 à verser à la société [Adresse 8] la somme de 403.333,40 €.
Quant à la société La Harpe 2, elle demande à la cour, à titre subsidiaire, de condamer la société [Adresse 8] à lui rembourser la même somme qu'elle a réglée en exécution du jugement querellé au motif, dans l'hypothèse où la cour jugerait que l'indemnité transactionnelle n'est pas soumise à la TVA, que le montant de cette indemnité n'est que de 2.016.666,67 €, montant spontanément versé avant l'introduction de la première instance.
Il s'évince de la comparaison de ces demandes que la demande subsidiaire de la société La Harpe 2 ne fait que tendre à faire écarter la prétention de la société [Adresse 8].
Cette demande n'est donc pas irrecevable sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile.
Sur l'exception d'irrecevabilité tirée des dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile
L'article 910-4 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur du décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023, dispose qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
Néanmoins, et sans préjudice de l'alinea 2 de l'aticle 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
En l'espèce, la société La Harpe 2 n'avait pas formé de demande subsidiaire dans ses premières conclusions déposées et notifiées le 5 avril 2023.
Toutefois, cette demande s'analyse en une réplique aux conclusions de la société [Adresse 8] tendant à la confirmation du jugement querellé peu important que la société Librairie de la place n'ait pas changé de positionnement juridique entre la première instance et l'appel.
En conséquence, cette demande n'est pas irrecevable sur le fondement de l'article 910-4 du code de procédure civile.
Sur le fond
Ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, il résulte des termes du protocole d'accord que les parties se sont accordées sur une indemnité de 2.420.000 euros et non sur une indemnité de 2.016.666,67 €. Le fait que la société la Harpe 2 ait ajouté de façon erronée la mention 'TTC' dans le protocole d'accord, sans attirer l'attention de sa cocontractante sur cet ajout et ses éventuelles conséquences, n'est pas de nature à modifier le montant de l'indemnité convenue entre les parties que la société La Harpe 2 s'est engagée à payer.
En conséquence, il convient de rejeter la demande formée par la société La Harpe 2 à titre subsidiaire.
Sur la demande de la société [Adresse 8] au titre de la résistance abusive
La société Librairie de la place fonde sa demande sur l'article 32-1 du code de procédure civile qui dispose que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10.000€ sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
La société [Adresse 8] allègue un préjudice lié aux désagréments d'une procédure 'lourde' sans toutefois justifier d'un préjudice distinct de ses frais irrépétibles au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a débouté la société Librairie de la place de cette demande.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
La société La Harpe 2 succombe en première instance et en appel. En conséquence, il convient, en application de l'article 696 du code de procédure civile, de confirmer le jugement querellé en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance et de la condamner aux dépens de la procédure d'appel.
Par ailleurs, l'équité commande de confirmer les dispositions du jugement querellé relatives aux frais irrépétibles et de condamner la société La Harpe 2 à payer à la société [Adresse 8] la somme de 10.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés par cette dernière en appel.
En application des articles 1231-7 et 1343-2 du code de procédure civile et conformément à la demande de la société Librairie de la place, les condamnations de la société La Harpe 2 aux dépens de la procédure d'appel et au paiement de la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisant intérêts.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt rendu contradictoirement et en dernier ressort ;
Déclare irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la société [Adresse 8],
Confirme en toutes ses dispositions soumises à la cour le jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 novembre 2022 (RG 2021043998) ;
Y ajoutant,
Déclare recevable la demande de la société La Harpe 2 anciennement dénommée Saint Michel 5, formée à titre subsidiaire, tendant au remboursement par la société [Adresse 8] de la somme de 403.333,40€ ;
Déboute la société La Harpe 2 de cette demande ;
Condamne la société La Harpe 2 anciennement dénommée Saint Michel 5 aux dépens de la procédure d'appel, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Condamne la société La Harpe 2 anciennement dénommée Saint Michel 5 à payer à la société [Adresse 8] la somme de 10.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Ordonne la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière.
La greffière, La présidente,