CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 3 juillet 2025, n° 24/05670
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-2
ARRÊT AU FOND
DU 03 JUILLET 2025
Rôle N° RG 24/05670 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BM673
[F] [U]
C/
S.C.P. [K] [L]
M.LE PROCUREUR GÉNÉRAL
Copie exécutoire délivrée
le : 3 juillet 2025
à :
Me Philippe BRUZZO
Me Florent LADOUCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de Draguignan en date du 23 Avril 2024 enregistré au répertoire général sous le n° 2023/2390.
APPELANT
Monsieur [F] [U]
né le [Date naissance 7] 1977 à [Localité 18] (13), de nationalité Française, demeurant [Adresse 6]
représenté par Me Philippe BRUZZO de la SELAS SELAS BRUZZO DUBUCQ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Etienne FEILDEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMES
S.C.P. [K] [L]
prise en la personne de Maître [C] [K], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société [15]., demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Florent LADOUCE, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
EN PRESENCE DE :
Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL,
demeurant [Adresse 12]
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 19 Mars 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame MIQUEL, Conseillère fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre
Madame Muriel VASSAIL, Conseillère
Mme Isabelle MIQUEL, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Madame Chantal DESSI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2025.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2025,
Signé par Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La SARLU [15] a été créée en 2012 et a son siège social à [Localité 21]. Elle a pour gérant et associé unique M. [F] [U]. Son objet social est le «'commerce de voitures et de véhicules automobiles légers'».
À compter de l'année 2019, des véhicules revendus par la société [15] ont été déclarés volés et saisis et les acquéreurs se sont retournés contre la société [15]. Une enquête pénale est en cours.
Par jugement en date du 18 janvier 2022, le tribunal de commerce de Draguignan, saisi par assignation d'un créancier, M. [E] [G], a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [15] et fixé la date de cessation des paiements au 2 août 2021.
Par jugement en date du 22 février 2022, le tribunal de commerce de Draguignan a converti la procédure en liquidation judiciaire et a désigné Maître [C] [K] en qualité de liquidateur.
Par jugement en date du 23 avril 2024, le tribunal de commerce de Draguignan, saisi par assignation du liquidateur, a :
- débouté Monsieur [U] de sa demande de sursis à statuer';
- condamné Monsieur [U] à payer au liquidateur ès qualités la somme de 100 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif';
- condamné Monsieur [U] à payer au liquidateur la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';
- condamné Monsieur [U] aux dépens';
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Pour prendre leur décision, les premiers juges ont constaté une insuffisance d'actifs d'un montant de 396'565,96 euros et ont notamment considéré que':
- M. [U] s'est fautivement abstenu de déclarer l'état de cessation des paiements de sa société alors qu'il ne pouvait ignorer la situation de son entreprise compte tenu de l'ordonnance d'injonction de paiement qui venait d'être notifiée à sa société et de la rupture des concours bancaires, ce d'autant qu'il avait précédemment été gérant d'une autre société liquidée en avril 2022, ce qui faisait de lui un gérant averti';
- M. [U] a sciemment poursuivi une activité déficitaire laissant le passif augmenter alors que les dettes se sont accumulées depuis au moins le mois d'avril 2021';
- M. [U] a attendu le dernier moment pour présenter les bilans des années 2020 à 2022 sans les communiquer au liquidateur'; soit ces éléments ont été tenus régulièrement par M. [U] et alors il ne pouvait ignorer la situation largement déficitaire de la société et il a toutefois poursuivi cette activité, laissant le passif augmenter, soit ces éléments n'ont pas été tenus régulièrement dans les délais légaux et il s'agit d'une faute de gestion, car le dirigeant ne disposait pas d'éléments précis pouvant lui permettre de gérer efficacement la société';
- il existe un lien de causalité entre ces fautes et l'insuffisance d'actif';
- il n'appartient pas au tribunal de commerce d'ordonner la radiation de l'hypothèque judiciaire.
Selon déclaration d'appel en date du 30 avril 2024, M. [U] a interjeté appel de la décision.
Selon conclusions notifiées par la voie du RPVA le 25 juin 2024, M. [U] demande à la cour de':
- Infirmer le jugement du 23 avril 2024 en toutes ses dispositions faisant grief à l'appelant, notamment en ce qu'il a :
- dit recevable l'action fondée sur l'article L 651-1 à L 651-5 du code de commerce';
- retenu l'existence de fautes de gestion à l'encontre de Monsieur [F] [U] consistant en une déclaration tardive de l'état de cessation des paiements, et une prétendue poursuite d'activité déficitaire';
- condamné Monsieur [F] [U] à payer la somme de 100'000 euros à la SCP [17], prise en la personne de Maître [C] [K], ès qualités de mandataire de justice à la liquidation judiciaire de la SARLU [15]';
- débouté Monsieur [F] [U] de sa demande de mainlevée d'hypothèque judiciaire';
- condamné Monsieur [F] [U] à payer la somme de 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';
- condamné Monsieur [F] [U] aux entiers dépens';
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision, et la publicité légale en pareille matière';
- liquidé les frais du greffe à la somme de 33,46 euros T.T.C';
- Confirmer le jugement du 23 avril 2024 en ce qu'il a écarté l'existence d'une faute de gestion tenant à l'absence de tenue de comptabilité';
Et statuant à nouveau,
- Dire et juger que les circonstances du dossier justifient qu'il ne soit pas prononcé de sanction à l'encontre de Monsieur [U]';
- Débouter en conséquence SCP [17], prise en la personne de Maître [C] [K] ès qualités de liquidateur de la société [15] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,';
- Ordonner la radiation de l'hypothèque judiciaire provisoire prise par la SCP [16], prise en la personne de Maître [C] [K] de liquidateur de la société [15] sur les biens immobiliers appartenant à Monsieur [F] [U] sis sur la commune de Nans-les-Pins (83860), cadastré lieu-dit « Meregrand » Section C n°[Cadastre 2], lieu-dit «Le Poirac» Section C n°[Cadastre 8] et lieu-dit « [Adresse 20] » Section C n°[Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5]';
- Condamner la SCP [17], prise en la personne de Maître [C] [K] ès qualités de liquidateur de la société [15] à payer à Monsieur [F] [U] la somme de 3 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';
- Condamner la SCP [17], prise en la personne de Maître [C] [K] de liquidateur de la société [15] aux entiers dépens de l'instance.
A l'appui de ses demandes, M. [U] fait valoir en premier lieu que le retard dans la déclaration de cessation des paiements qui lui est reproché ne s'établit facialement qu'à 4 mois à peine, qu'il s'explique par la bonne foi et la volonté de Monsieur [U] de gérer jusqu'à son terme l'enquête pénale sur l'escroquerie dont a été victime la société [14] et que ses clients puissent tous être indemnisés. Il ajoute qu'il est techniquement impossible que ce décalage dans l'ouverture de la liquidation judiciaire ait pu aggraver l'insuffisance d'actif dès lors que la société [15] a dû cesser son activité dès le mois de juin 2021, n'avait plus d'activité entre septembre 2021 à janvier 2022 et ne pouvait de ce fait générer de nouvelles dettes d'activité.
En réponse au grief de poursuite déficitaire d'activité, M. [U] fait valoir que sa société n'a été en déficit qu'à partir de l'année 2020, non pas en raison d'une déficience du modèle économique de l'activité, mais uniquement en raison de circonstances conjoncturelles consistant dans la crise de trésorerie causée par la vente de véhicules déclarés volés et le remboursement des clients lésés, créant de grandes difficultés pour reconstituer les stocks et la crise sanitaire survenue durant l'année 2020. Il fait également valoir que sa société qui n'avait plus d'activité depuis le mois de juin 2021 n'a pu générer une activité déficitaire et que les quelques dettes évoquées par le liquidateur, devenues exigibles au cours de l'année 2021 ne sont pas le résultat d'un maintien de l'activité de la société, mais résultent de conséquences de contrats conclus bien antérieurement, à une époque où la société [15] était largement bénéficiaire.
M. [U] conteste le défaut de tenue de comptabilité, produit l'intégralité des bilans détaillés de la société de 2013 à 2022 et soutient que le non-dépôt des comptes 2020 et 2021 n'est qu'une simple négligence impropre à caractériser une faute de gestion.
Il soutient que la somme sollicitée par le liquidateur comme la somme au paiement de laquelle il a été condamné sont disproportionnées au regard de la faible gravité des griefs reprochés, de son attitude exemplaire et de sa situation patrimoniale actuelle qui ne lui permet pas de faire face à la condamnation des premiers juges.
Enfin, au visa de l'article R.533-6 du code des procédures civiles d'exécution, il soutient que le tribunal de commerce était compétent pour prononcer la radiation de l'hypothèque judiciaire provisoire prise par le liquidateur sur le bien lui appartenant et fait valoir que l'exception d'incompétence soulevée par le liquidateur est irrecevable car n'étant pas présentée in limine litis.
Selon conclusions notifiées par la voie électronique le 25 juillet 2024, le liquidateur demande à la cour de':
- débouter Monsieur [F] [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions';
- condamner Monsieur [F] [U] à payer la somme de 5'000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner Monsieur [F] [U] aux dépens.
Il fait valoir que dès le 2 août 2021, date à laquelle a été signifiée à la société [15] un commandement de payer la somme figurant à l'ordonnance d'injonction de payer obtenue par M. [G], la société n'était plus en état de payer, ce que le dirigeant ne pouvait méconnaître d'autant que la société a dû cesser son activité dès le mois de juin 2021 suite à la déchéance des concours bancaires par sa banque.
Il soutient que les déclarations de créance mettent en évidence des difficultés depuis l'exercice 2019, que la société n'avait plus d'activité depuis 2021 et que le dirigeant sachant qu'il ne pourrait rembourser les sommes que lui réclamaient ses trois clients acheteurs de véhicules saisis dans le cadre d'une procédure pénale, aurait dû cesser l'activité de la société.
Il fait valoir ensuite qu'en première instance, M. [U] a déclaré ne plus tenir de comptabilité depuis 2020 et que l'absence de bilans l'a privé d'une analyse comptable qui lui aurait permis de voir que son activité était déficitaire.
Le liquidateur soutient que ces fautes sont en lien direct avec le passif et conteste toute disproportion entre la gravité des fautes et sa demande de sanction.
Enfin, il conclut que le juge de l'exécution qui avait autorisé l'inscription d'hypothèque n'a pas été saisi d'une demande de rétractation et que le tribunal étant entré en voie de condamnation, a ratifié le bien-fondé de cette hypothèque.
Le parquet général, selon avis notifié le 27 janvier 2025, demande la confirmation du jugement de première instance suivant les arguments du liquidateur et observe que':
- l'appelant a déjà fait l'objet d'une liquidation judiciaire s'agissant de la société [19] et a tout à fait opportunément, dans la suite de cette procédure, élargi l'objet social de la SARLU [15]';
- la situation financière de la société, contrairement à ce qui est avancé n'a jamais affiché une solidité particulière'; le résultat net des années précédant 2019 n'a jamais atteint les 40 000 euros, la plaçant dans l'incapacité d'assumer des dépenses lourdes inattendues sauf augmentation du CA en rapport'; les dettes se sont accumulées depuis 2018, alors que l'appelant indique que dès 2020, la société cessait son activité';
- le responsable de la société aurait fait preuve d'un aveuglement complet s'il avait envisagé sérieusement de se maintenir sans ouverture de procédure, ne serait-ce que de prévention';
- pourtant c'est ce qu'il est advenu et la question n'est pas de savoir si une déclaration de cessation des paiements intervenue quatre mois plus tôt aurait changé l'importance du passif ou l'absence d'actifs, mais plutôt de savoir combien de temps l'appelant aurait encore évité la procédure si un tiers n'était pas intervenu, laissant ses créanciers sans réponse pour autant de mois';
- les fautes de gestion sont distinctes des fautes pénales'et sont caractérisées.
Les parties ont été avisées le 30 mai 2024 de la fixation de l'affaire à bref délai à l'audience du 19 mars 2025 et de la date prévisible de la clôture.
La clôture a été prononcée le 20 février 2025.
MOTIFS
Sur l'insuffisance d'actif
L'article L.651-2 du code de commerce dispose que': « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.'»
En application du texte susvisé, pour que l'action initiée par le liquidateur ès qualités puisse prospérer, il faut que soient établis':
1. une insuffisance d'actif,
2. une ou plusieurs fautes de gestion, excédant la simple négligence, imputables à Monsieur [U],
3. un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif.
Ces fautes de gestion ne relèvent pas d'une qualification pénale.
Le dirigeant peut être déclaré responsable même si la faute de gestion n'est qu'une des causes de l'insuffisance d'actif et qu'il en est de même si la faute n'est à l'origine que de l'une des parties des dettes de la société.
Le passif déclaré à ce jour est de 396'565,96 euros, il n'est pas contesté.
Aucune réalisation d'actifs n'a pu être réalisée à ce jour.
Il s'ensuit que l'insuffisance d'actif sera arrêtée à 396 565,96 euros.
Sur l'existence de fautes de gestion imputables à M. [U]
- Sur le défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans un délai de 45 jours
En application de l'article L.631-4 du code de commerce, «'l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements s'il n'a pas, dans ce délai, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.'»
La date de cessation des paiements a été fixée par le tribunal de la procédure collective au 2 août 2021, par jugement en date du 18 janvier 2022.
M. [U] aurait donc dû déclarer l'état de cessation des paiements au plus tard le 16 septembre 2021, mais il n'en a rien fait et la procédure a été ouverte sur l'assignation d'un créancier le 18 janvier 2022.
M. [U] n'ignorait nullement l'état de cessation des paiements de sa société dès lors que par courrier en date du 4 juin 2021, la [9] a notifié la résiliation de toutes les conventions de compte souscrites par la société [15] et prononcé l'exigibilité anticipée du PGE d'un montant de 150'375 euros à laquelle la société ne pouvait faire face au vu de son actif disponible. Il a en outre déjà fait l'objet d'une liquidation judiciaire s'agissant de la société [19] et était donc parfaitement avisé.
L'omission, en connaissance de cause, de déclarer l'état de cessation des paiements dans le délai prescrit par la loi est caractérisée et ne saurait être qualifiée de négligence.
- Sur la poursuite de l'activité déficitaire
Il résulte de l'article L.651-2 du code de commerce que la faute de gestion consistant pour un dirigeant social à poursuivre une activité déficitaire n'est pas subordonnée à la constatation d'un état de cessation des paiements antérieur ou concomitant à cette poursuite (Cass com 29 juin 2022 n°21-12.998).
Le bilan de l'année 2020 mentionne une perte de 120'119 euros, le bilan de l'année 2021 mentionne une perte de 101'415 euros et le bilan de l'année 2022 mentionne une perte de 23'190 euros.
Il résulte des créances déclarées qu'une partie du passif de la société est né courant 2021':
- le 28 avril 2021, M. [E] [G] a obtenu d'une ordonnance d'injonction de payer devenue exécutoire, la somme de 4'881,52 euros à l'encontre de la société [15]';
- par jugement du 23 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Draguignan a condamné la société [15] à payer à Mme [Y] la somme de 22'412,76 euros au titre de la restitution du prix de vente d'un véhicule acquis le 23 septembre 2019';
- la [10]a déclaré les sommes suivantes au titre des intérêts'des prêts ayant fait l'objet de déchéances du terme':
* au titre du prêt professionnel n°08703288': 4 échéances impayées d'un montant total de 3755,32 euros et des intérêts échus pour la période du 6 juin 2021 au 22 février 2022': 456,94 euros'; M. [U] soutient que le prêt est en passe d'être intégralement soldé par ses soins en sa qualité de caution mais le document qu'il produit qui consiste en un échéancier ne portant aucun visa de la banque ni le numéro du contrat de prêt ne constitue pas une preuve suffisante de ce paiement'; dès lors il n'en sera pas tenu compte';
* au titre du prêt professionnel 08728545': 3 échéances impayées d'un montant de 2663,49 euros et des intérêts échus pour la période du 22 juin 2021 au 22 février 2022': 758,16 euros
* au titre du PGE, la somme globale de 790,97 euros au titre des intérêts pour la période du 4 juin 2021 au 22 février 2022
- le créancier [11]a déclaré la somme de 2'347,92 euros au titre des loyers, indemnités sur impayés et intérêts de retard pour la période du mois d'août 2021 au mois de novembre 2021':
- le créancier [13]a déclaré la somme de 631,48 euros au titre d'une facture impayée du 1er décembre 2021 au 31 janvier 2022.
Il résulte sans conteste des éléments qui précèdent que M. [U] a sciemment poursuivi l'activité déficitaire de sa société à compter du début de l'année 2021, a minima, et qu'à compter du mois de juin 2021, de nouvelles dettes sont nées d'un montant de 11'404,28 euros.
Alors que M. [U] n'espérait lui-même aucune amélioration de la situation puisqu'il dit lui-même avoir cessé l'activité de sa société en juin 2021, il a pour autant laisser les dettes s'accumuler entre 2021 et 2022 de sorte que l'exercice 2022 a été déficitaire.
- Sur le défaut de comptabilité
L'article L.123-12 dispose que «'Toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement.
Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l'entreprise.
Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable.'»
L'absence de tenue de comptabilité constitue une faute de gestion susceptible d'être sanctionnée par la condamnation d'un dirigeant de droit ou de fait à supporter l'insuffisance d'actif de la personne morale.'
M. [U] produit l'intégralité des bilans détaillés de son entreprise pour les exercices 2013 à 2022.
Il ne conteste pas n'avoir pas fait procéder au dépôt et à la publication des comptes 2020 et 2021, mais ce manquement à ses obligations déclaratives n'est pas constitutif d'une faute de gestion de nature à entraîner une condamnation à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif.
La faute de gestion tenant à l'absence de tenue de comptabilité doit donc être écartée.
Sur le lien de causalité qui existe entre les fautes commises et l'insuffisance d'actif
Contrairement à ce que soutient M. [U], son abstention fautive de déclarer l'état de cessation des paiements et la poursuite de l'activité déficitaire ont conduit à l'aggravation du passif.
Cependant, en l'absence d'élément complémentaire communiqué par le mandataire, demandeur à l'action, l'aggravation du passif en lien avec ces fautes doit être limitée à la somme de 11'400 euros compte tenu du fait que la plupart des créances déclarées ont des origines antérieures à l'année 2021. En effet, la créance de M. [G] correspond à des frais de carte grise suite à l'achat d'un véhicule le 15 mai 2019, la créance de Mme [Y] est en lien avec l'achat d'un véhicule du 23 septembre 2019 et les autres acquéreurs de véhicules ayant déclaré leurs créances ont acquis les dits véhicule en mars et août 2019.
Ces manquements à des obligations essentielles du dirigeant normalement diligent ne sauraient constituer de simples négligences compte tenu de la durée du comportement fautif, notamment s'agissant de la poursuite d'une activité déficitaire.
La cour dispose d'éléments suffisants pour considérer que la déclaration tardive de l'état de cessation des paiements et la poursuite d'une activité déficitaire représentent au minimum 11'400 euros de l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire, somme que M. [U] devra supporter.
En conséquence, le jugement querellé sera infirmé en ce qu'il a condamné M. [U] à supporter l'insuffisance d'actif à hauteur de 100'000 euros et, statuant à nouveau, la cour condamnera l'intéressé à supporter l'insuffisance d'actif à hauteur de 11 400 euros.
Sur la demande de radiation de l'hypothèque provisoire
Compte tenu de la condamnation de M. [U] à supporter une partie de l'insuffisance d'actif, la demande de main-levée d'hypothèque provisoire prise par le liquidateur formée par l'appelant sera rejetée.
Sur les demandes accessoires
M. [U] succombant en cause d'appel, le jugement querellé sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
M. [U] sera condamné aux dépens d'appel.
M. [U] succombant se trouve infondé en ses prétentions au titre des frais irrépétibles et en sera débouté.
Au vu des circonstances de l'espèce, il serait inéquitable de laisser supporter à Me [K], membre de la SCP [K]-Cressend, l'intégralité des frais qu'il a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.
M. [U] sera condamné à lui payer la somme de'2 000 euros'du chef de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire, prononcée par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement querellé, sauf en ce qu'il a condamné M. [F] [U] à payer à la SCP [K]-Cressend prise en la personne de Me [C] [K], ès qualités de liquidateur, la somme de 100 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif';
Statuant à nouveau et y ajoutant
Fixe la contribution de M. [F] [U] à l'insuffisance d'actif de la société [15] à la somme de 11 400 euros';
Condamne en conséquence M. [F] [U] à payer à la SCP [17] prise en la personne de Me [C] [K], ès qualités de liquidateur, la somme de 11'400 euros au titre de l'insuffisance d'actif';
Condamne M. [F] [U] à payer à la SCP [17] prise en la personne de Me [C] [K], ès qualités de liquidateur, la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles';
Déboute M. [F] [U] de sa demande de radiation de l'hypothèque provisoire';
Déboute M. [F] [U] de sa demande au titre des frais irrépétibles';
Condamne M. [F] [U] aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
Chambre 3-2
ARRÊT AU FOND
DU 03 JUILLET 2025
Rôle N° RG 24/05670 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BM673
[F] [U]
C/
S.C.P. [K] [L]
M.LE PROCUREUR GÉNÉRAL
Copie exécutoire délivrée
le : 3 juillet 2025
à :
Me Philippe BRUZZO
Me Florent LADOUCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de Draguignan en date du 23 Avril 2024 enregistré au répertoire général sous le n° 2023/2390.
APPELANT
Monsieur [F] [U]
né le [Date naissance 7] 1977 à [Localité 18] (13), de nationalité Française, demeurant [Adresse 6]
représenté par Me Philippe BRUZZO de la SELAS SELAS BRUZZO DUBUCQ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Etienne FEILDEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMES
S.C.P. [K] [L]
prise en la personne de Maître [C] [K], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société [15]., demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Florent LADOUCE, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
EN PRESENCE DE :
Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL,
demeurant [Adresse 12]
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 19 Mars 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame MIQUEL, Conseillère fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre
Madame Muriel VASSAIL, Conseillère
Mme Isabelle MIQUEL, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Madame Chantal DESSI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2025.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2025,
Signé par Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La SARLU [15] a été créée en 2012 et a son siège social à [Localité 21]. Elle a pour gérant et associé unique M. [F] [U]. Son objet social est le «'commerce de voitures et de véhicules automobiles légers'».
À compter de l'année 2019, des véhicules revendus par la société [15] ont été déclarés volés et saisis et les acquéreurs se sont retournés contre la société [15]. Une enquête pénale est en cours.
Par jugement en date du 18 janvier 2022, le tribunal de commerce de Draguignan, saisi par assignation d'un créancier, M. [E] [G], a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [15] et fixé la date de cessation des paiements au 2 août 2021.
Par jugement en date du 22 février 2022, le tribunal de commerce de Draguignan a converti la procédure en liquidation judiciaire et a désigné Maître [C] [K] en qualité de liquidateur.
Par jugement en date du 23 avril 2024, le tribunal de commerce de Draguignan, saisi par assignation du liquidateur, a :
- débouté Monsieur [U] de sa demande de sursis à statuer';
- condamné Monsieur [U] à payer au liquidateur ès qualités la somme de 100 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif';
- condamné Monsieur [U] à payer au liquidateur la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';
- condamné Monsieur [U] aux dépens';
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Pour prendre leur décision, les premiers juges ont constaté une insuffisance d'actifs d'un montant de 396'565,96 euros et ont notamment considéré que':
- M. [U] s'est fautivement abstenu de déclarer l'état de cessation des paiements de sa société alors qu'il ne pouvait ignorer la situation de son entreprise compte tenu de l'ordonnance d'injonction de paiement qui venait d'être notifiée à sa société et de la rupture des concours bancaires, ce d'autant qu'il avait précédemment été gérant d'une autre société liquidée en avril 2022, ce qui faisait de lui un gérant averti';
- M. [U] a sciemment poursuivi une activité déficitaire laissant le passif augmenter alors que les dettes se sont accumulées depuis au moins le mois d'avril 2021';
- M. [U] a attendu le dernier moment pour présenter les bilans des années 2020 à 2022 sans les communiquer au liquidateur'; soit ces éléments ont été tenus régulièrement par M. [U] et alors il ne pouvait ignorer la situation largement déficitaire de la société et il a toutefois poursuivi cette activité, laissant le passif augmenter, soit ces éléments n'ont pas été tenus régulièrement dans les délais légaux et il s'agit d'une faute de gestion, car le dirigeant ne disposait pas d'éléments précis pouvant lui permettre de gérer efficacement la société';
- il existe un lien de causalité entre ces fautes et l'insuffisance d'actif';
- il n'appartient pas au tribunal de commerce d'ordonner la radiation de l'hypothèque judiciaire.
Selon déclaration d'appel en date du 30 avril 2024, M. [U] a interjeté appel de la décision.
Selon conclusions notifiées par la voie du RPVA le 25 juin 2024, M. [U] demande à la cour de':
- Infirmer le jugement du 23 avril 2024 en toutes ses dispositions faisant grief à l'appelant, notamment en ce qu'il a :
- dit recevable l'action fondée sur l'article L 651-1 à L 651-5 du code de commerce';
- retenu l'existence de fautes de gestion à l'encontre de Monsieur [F] [U] consistant en une déclaration tardive de l'état de cessation des paiements, et une prétendue poursuite d'activité déficitaire';
- condamné Monsieur [F] [U] à payer la somme de 100'000 euros à la SCP [17], prise en la personne de Maître [C] [K], ès qualités de mandataire de justice à la liquidation judiciaire de la SARLU [15]';
- débouté Monsieur [F] [U] de sa demande de mainlevée d'hypothèque judiciaire';
- condamné Monsieur [F] [U] à payer la somme de 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';
- condamné Monsieur [F] [U] aux entiers dépens';
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision, et la publicité légale en pareille matière';
- liquidé les frais du greffe à la somme de 33,46 euros T.T.C';
- Confirmer le jugement du 23 avril 2024 en ce qu'il a écarté l'existence d'une faute de gestion tenant à l'absence de tenue de comptabilité';
Et statuant à nouveau,
- Dire et juger que les circonstances du dossier justifient qu'il ne soit pas prononcé de sanction à l'encontre de Monsieur [U]';
- Débouter en conséquence SCP [17], prise en la personne de Maître [C] [K] ès qualités de liquidateur de la société [15] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,';
- Ordonner la radiation de l'hypothèque judiciaire provisoire prise par la SCP [16], prise en la personne de Maître [C] [K] de liquidateur de la société [15] sur les biens immobiliers appartenant à Monsieur [F] [U] sis sur la commune de Nans-les-Pins (83860), cadastré lieu-dit « Meregrand » Section C n°[Cadastre 2], lieu-dit «Le Poirac» Section C n°[Cadastre 8] et lieu-dit « [Adresse 20] » Section C n°[Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5]';
- Condamner la SCP [17], prise en la personne de Maître [C] [K] ès qualités de liquidateur de la société [15] à payer à Monsieur [F] [U] la somme de 3 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';
- Condamner la SCP [17], prise en la personne de Maître [C] [K] de liquidateur de la société [15] aux entiers dépens de l'instance.
A l'appui de ses demandes, M. [U] fait valoir en premier lieu que le retard dans la déclaration de cessation des paiements qui lui est reproché ne s'établit facialement qu'à 4 mois à peine, qu'il s'explique par la bonne foi et la volonté de Monsieur [U] de gérer jusqu'à son terme l'enquête pénale sur l'escroquerie dont a été victime la société [14] et que ses clients puissent tous être indemnisés. Il ajoute qu'il est techniquement impossible que ce décalage dans l'ouverture de la liquidation judiciaire ait pu aggraver l'insuffisance d'actif dès lors que la société [15] a dû cesser son activité dès le mois de juin 2021, n'avait plus d'activité entre septembre 2021 à janvier 2022 et ne pouvait de ce fait générer de nouvelles dettes d'activité.
En réponse au grief de poursuite déficitaire d'activité, M. [U] fait valoir que sa société n'a été en déficit qu'à partir de l'année 2020, non pas en raison d'une déficience du modèle économique de l'activité, mais uniquement en raison de circonstances conjoncturelles consistant dans la crise de trésorerie causée par la vente de véhicules déclarés volés et le remboursement des clients lésés, créant de grandes difficultés pour reconstituer les stocks et la crise sanitaire survenue durant l'année 2020. Il fait également valoir que sa société qui n'avait plus d'activité depuis le mois de juin 2021 n'a pu générer une activité déficitaire et que les quelques dettes évoquées par le liquidateur, devenues exigibles au cours de l'année 2021 ne sont pas le résultat d'un maintien de l'activité de la société, mais résultent de conséquences de contrats conclus bien antérieurement, à une époque où la société [15] était largement bénéficiaire.
M. [U] conteste le défaut de tenue de comptabilité, produit l'intégralité des bilans détaillés de la société de 2013 à 2022 et soutient que le non-dépôt des comptes 2020 et 2021 n'est qu'une simple négligence impropre à caractériser une faute de gestion.
Il soutient que la somme sollicitée par le liquidateur comme la somme au paiement de laquelle il a été condamné sont disproportionnées au regard de la faible gravité des griefs reprochés, de son attitude exemplaire et de sa situation patrimoniale actuelle qui ne lui permet pas de faire face à la condamnation des premiers juges.
Enfin, au visa de l'article R.533-6 du code des procédures civiles d'exécution, il soutient que le tribunal de commerce était compétent pour prononcer la radiation de l'hypothèque judiciaire provisoire prise par le liquidateur sur le bien lui appartenant et fait valoir que l'exception d'incompétence soulevée par le liquidateur est irrecevable car n'étant pas présentée in limine litis.
Selon conclusions notifiées par la voie électronique le 25 juillet 2024, le liquidateur demande à la cour de':
- débouter Monsieur [F] [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions';
- condamner Monsieur [F] [U] à payer la somme de 5'000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner Monsieur [F] [U] aux dépens.
Il fait valoir que dès le 2 août 2021, date à laquelle a été signifiée à la société [15] un commandement de payer la somme figurant à l'ordonnance d'injonction de payer obtenue par M. [G], la société n'était plus en état de payer, ce que le dirigeant ne pouvait méconnaître d'autant que la société a dû cesser son activité dès le mois de juin 2021 suite à la déchéance des concours bancaires par sa banque.
Il soutient que les déclarations de créance mettent en évidence des difficultés depuis l'exercice 2019, que la société n'avait plus d'activité depuis 2021 et que le dirigeant sachant qu'il ne pourrait rembourser les sommes que lui réclamaient ses trois clients acheteurs de véhicules saisis dans le cadre d'une procédure pénale, aurait dû cesser l'activité de la société.
Il fait valoir ensuite qu'en première instance, M. [U] a déclaré ne plus tenir de comptabilité depuis 2020 et que l'absence de bilans l'a privé d'une analyse comptable qui lui aurait permis de voir que son activité était déficitaire.
Le liquidateur soutient que ces fautes sont en lien direct avec le passif et conteste toute disproportion entre la gravité des fautes et sa demande de sanction.
Enfin, il conclut que le juge de l'exécution qui avait autorisé l'inscription d'hypothèque n'a pas été saisi d'une demande de rétractation et que le tribunal étant entré en voie de condamnation, a ratifié le bien-fondé de cette hypothèque.
Le parquet général, selon avis notifié le 27 janvier 2025, demande la confirmation du jugement de première instance suivant les arguments du liquidateur et observe que':
- l'appelant a déjà fait l'objet d'une liquidation judiciaire s'agissant de la société [19] et a tout à fait opportunément, dans la suite de cette procédure, élargi l'objet social de la SARLU [15]';
- la situation financière de la société, contrairement à ce qui est avancé n'a jamais affiché une solidité particulière'; le résultat net des années précédant 2019 n'a jamais atteint les 40 000 euros, la plaçant dans l'incapacité d'assumer des dépenses lourdes inattendues sauf augmentation du CA en rapport'; les dettes se sont accumulées depuis 2018, alors que l'appelant indique que dès 2020, la société cessait son activité';
- le responsable de la société aurait fait preuve d'un aveuglement complet s'il avait envisagé sérieusement de se maintenir sans ouverture de procédure, ne serait-ce que de prévention';
- pourtant c'est ce qu'il est advenu et la question n'est pas de savoir si une déclaration de cessation des paiements intervenue quatre mois plus tôt aurait changé l'importance du passif ou l'absence d'actifs, mais plutôt de savoir combien de temps l'appelant aurait encore évité la procédure si un tiers n'était pas intervenu, laissant ses créanciers sans réponse pour autant de mois';
- les fautes de gestion sont distinctes des fautes pénales'et sont caractérisées.
Les parties ont été avisées le 30 mai 2024 de la fixation de l'affaire à bref délai à l'audience du 19 mars 2025 et de la date prévisible de la clôture.
La clôture a été prononcée le 20 février 2025.
MOTIFS
Sur l'insuffisance d'actif
L'article L.651-2 du code de commerce dispose que': « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.'»
En application du texte susvisé, pour que l'action initiée par le liquidateur ès qualités puisse prospérer, il faut que soient établis':
1. une insuffisance d'actif,
2. une ou plusieurs fautes de gestion, excédant la simple négligence, imputables à Monsieur [U],
3. un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif.
Ces fautes de gestion ne relèvent pas d'une qualification pénale.
Le dirigeant peut être déclaré responsable même si la faute de gestion n'est qu'une des causes de l'insuffisance d'actif et qu'il en est de même si la faute n'est à l'origine que de l'une des parties des dettes de la société.
Le passif déclaré à ce jour est de 396'565,96 euros, il n'est pas contesté.
Aucune réalisation d'actifs n'a pu être réalisée à ce jour.
Il s'ensuit que l'insuffisance d'actif sera arrêtée à 396 565,96 euros.
Sur l'existence de fautes de gestion imputables à M. [U]
- Sur le défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans un délai de 45 jours
En application de l'article L.631-4 du code de commerce, «'l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements s'il n'a pas, dans ce délai, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.'»
La date de cessation des paiements a été fixée par le tribunal de la procédure collective au 2 août 2021, par jugement en date du 18 janvier 2022.
M. [U] aurait donc dû déclarer l'état de cessation des paiements au plus tard le 16 septembre 2021, mais il n'en a rien fait et la procédure a été ouverte sur l'assignation d'un créancier le 18 janvier 2022.
M. [U] n'ignorait nullement l'état de cessation des paiements de sa société dès lors que par courrier en date du 4 juin 2021, la [9] a notifié la résiliation de toutes les conventions de compte souscrites par la société [15] et prononcé l'exigibilité anticipée du PGE d'un montant de 150'375 euros à laquelle la société ne pouvait faire face au vu de son actif disponible. Il a en outre déjà fait l'objet d'une liquidation judiciaire s'agissant de la société [19] et était donc parfaitement avisé.
L'omission, en connaissance de cause, de déclarer l'état de cessation des paiements dans le délai prescrit par la loi est caractérisée et ne saurait être qualifiée de négligence.
- Sur la poursuite de l'activité déficitaire
Il résulte de l'article L.651-2 du code de commerce que la faute de gestion consistant pour un dirigeant social à poursuivre une activité déficitaire n'est pas subordonnée à la constatation d'un état de cessation des paiements antérieur ou concomitant à cette poursuite (Cass com 29 juin 2022 n°21-12.998).
Le bilan de l'année 2020 mentionne une perte de 120'119 euros, le bilan de l'année 2021 mentionne une perte de 101'415 euros et le bilan de l'année 2022 mentionne une perte de 23'190 euros.
Il résulte des créances déclarées qu'une partie du passif de la société est né courant 2021':
- le 28 avril 2021, M. [E] [G] a obtenu d'une ordonnance d'injonction de payer devenue exécutoire, la somme de 4'881,52 euros à l'encontre de la société [15]';
- par jugement du 23 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Draguignan a condamné la société [15] à payer à Mme [Y] la somme de 22'412,76 euros au titre de la restitution du prix de vente d'un véhicule acquis le 23 septembre 2019';
- la [10]a déclaré les sommes suivantes au titre des intérêts'des prêts ayant fait l'objet de déchéances du terme':
* au titre du prêt professionnel n°08703288': 4 échéances impayées d'un montant total de 3755,32 euros et des intérêts échus pour la période du 6 juin 2021 au 22 février 2022': 456,94 euros'; M. [U] soutient que le prêt est en passe d'être intégralement soldé par ses soins en sa qualité de caution mais le document qu'il produit qui consiste en un échéancier ne portant aucun visa de la banque ni le numéro du contrat de prêt ne constitue pas une preuve suffisante de ce paiement'; dès lors il n'en sera pas tenu compte';
* au titre du prêt professionnel 08728545': 3 échéances impayées d'un montant de 2663,49 euros et des intérêts échus pour la période du 22 juin 2021 au 22 février 2022': 758,16 euros
* au titre du PGE, la somme globale de 790,97 euros au titre des intérêts pour la période du 4 juin 2021 au 22 février 2022
- le créancier [11]a déclaré la somme de 2'347,92 euros au titre des loyers, indemnités sur impayés et intérêts de retard pour la période du mois d'août 2021 au mois de novembre 2021':
- le créancier [13]a déclaré la somme de 631,48 euros au titre d'une facture impayée du 1er décembre 2021 au 31 janvier 2022.
Il résulte sans conteste des éléments qui précèdent que M. [U] a sciemment poursuivi l'activité déficitaire de sa société à compter du début de l'année 2021, a minima, et qu'à compter du mois de juin 2021, de nouvelles dettes sont nées d'un montant de 11'404,28 euros.
Alors que M. [U] n'espérait lui-même aucune amélioration de la situation puisqu'il dit lui-même avoir cessé l'activité de sa société en juin 2021, il a pour autant laisser les dettes s'accumuler entre 2021 et 2022 de sorte que l'exercice 2022 a été déficitaire.
- Sur le défaut de comptabilité
L'article L.123-12 dispose que «'Toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement.
Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l'entreprise.
Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable.'»
L'absence de tenue de comptabilité constitue une faute de gestion susceptible d'être sanctionnée par la condamnation d'un dirigeant de droit ou de fait à supporter l'insuffisance d'actif de la personne morale.'
M. [U] produit l'intégralité des bilans détaillés de son entreprise pour les exercices 2013 à 2022.
Il ne conteste pas n'avoir pas fait procéder au dépôt et à la publication des comptes 2020 et 2021, mais ce manquement à ses obligations déclaratives n'est pas constitutif d'une faute de gestion de nature à entraîner une condamnation à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif.
La faute de gestion tenant à l'absence de tenue de comptabilité doit donc être écartée.
Sur le lien de causalité qui existe entre les fautes commises et l'insuffisance d'actif
Contrairement à ce que soutient M. [U], son abstention fautive de déclarer l'état de cessation des paiements et la poursuite de l'activité déficitaire ont conduit à l'aggravation du passif.
Cependant, en l'absence d'élément complémentaire communiqué par le mandataire, demandeur à l'action, l'aggravation du passif en lien avec ces fautes doit être limitée à la somme de 11'400 euros compte tenu du fait que la plupart des créances déclarées ont des origines antérieures à l'année 2021. En effet, la créance de M. [G] correspond à des frais de carte grise suite à l'achat d'un véhicule le 15 mai 2019, la créance de Mme [Y] est en lien avec l'achat d'un véhicule du 23 septembre 2019 et les autres acquéreurs de véhicules ayant déclaré leurs créances ont acquis les dits véhicule en mars et août 2019.
Ces manquements à des obligations essentielles du dirigeant normalement diligent ne sauraient constituer de simples négligences compte tenu de la durée du comportement fautif, notamment s'agissant de la poursuite d'une activité déficitaire.
La cour dispose d'éléments suffisants pour considérer que la déclaration tardive de l'état de cessation des paiements et la poursuite d'une activité déficitaire représentent au minimum 11'400 euros de l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire, somme que M. [U] devra supporter.
En conséquence, le jugement querellé sera infirmé en ce qu'il a condamné M. [U] à supporter l'insuffisance d'actif à hauteur de 100'000 euros et, statuant à nouveau, la cour condamnera l'intéressé à supporter l'insuffisance d'actif à hauteur de 11 400 euros.
Sur la demande de radiation de l'hypothèque provisoire
Compte tenu de la condamnation de M. [U] à supporter une partie de l'insuffisance d'actif, la demande de main-levée d'hypothèque provisoire prise par le liquidateur formée par l'appelant sera rejetée.
Sur les demandes accessoires
M. [U] succombant en cause d'appel, le jugement querellé sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
M. [U] sera condamné aux dépens d'appel.
M. [U] succombant se trouve infondé en ses prétentions au titre des frais irrépétibles et en sera débouté.
Au vu des circonstances de l'espèce, il serait inéquitable de laisser supporter à Me [K], membre de la SCP [K]-Cressend, l'intégralité des frais qu'il a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.
M. [U] sera condamné à lui payer la somme de'2 000 euros'du chef de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire, prononcée par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement querellé, sauf en ce qu'il a condamné M. [F] [U] à payer à la SCP [K]-Cressend prise en la personne de Me [C] [K], ès qualités de liquidateur, la somme de 100 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif';
Statuant à nouveau et y ajoutant
Fixe la contribution de M. [F] [U] à l'insuffisance d'actif de la société [15] à la somme de 11 400 euros';
Condamne en conséquence M. [F] [U] à payer à la SCP [17] prise en la personne de Me [C] [K], ès qualités de liquidateur, la somme de 11'400 euros au titre de l'insuffisance d'actif';
Condamne M. [F] [U] à payer à la SCP [17] prise en la personne de Me [C] [K], ès qualités de liquidateur, la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles';
Déboute M. [F] [U] de sa demande de radiation de l'hypothèque provisoire';
Déboute M. [F] [U] de sa demande au titre des frais irrépétibles';
Condamne M. [F] [U] aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE