CA Montpellier, 4e ch. civ., 3 juillet 2025, n° 23/04766
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
X
Défendeur :
Epilogue (SARL), Franfinance (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soubeyran
Conseillers :
M. Bruey, Mme Franco
Avocats :
Me Agie, Me Assorin Alessi, Me Boulaire, Me Dubois, Me Ramahandriarivelo
FAITS ET PROCÉDURE
1- Suivant bon de commande du 5 janvier 2015, Monsieur [S] [U] a confié à la SARL U.N.A.H- S.F.A.H la pose et la mise en service de panneaux photovoltaïques pour un montant de 19 900 € TTC, suite à un démarchage à domicile.
2- Le même jour, M. [U] a souscrit un contrat de crédit affecté d'une somme de 19 900 € auprès de la SA Franfinance.
3- Par jugement du 20 décembre 2015, le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert une procédure de liquidation judiciaire contre la société U.N.A.H ' S.F.A.H. La SELARL Balincourt et la SARL Epilogue interviennent en qualité de mandataire liquidateurs.
4- Faisant grief de ce que l'installation n'a pas satisfait ses promesses de rendement, M. [U], par actes d'huissier des 16 et 18 mai 2022, M. [U] a assigné la société Balincourt, ès qualité de mandataire liquidateur de la société UNAH-SFAH, et la société Franfinance devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Montpellier afin de prononcer la nullité des contrats de vente et de prêt.
5- Par jugement réputé contradictoire du 16 mai 2023, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Montpellier a :
- Déclaré irrecevable l'action de M. [U] formée à l'encontre de la société Balincourt, ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL U.N.A.H-S.F.A.H et de la société Franfinance ;
- Condamné M. [U] aux entiers dépens ;
- Condamné M. [U] à verser à la société Franfinance la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;
6- M. [U] a relevé appel de ce jugement le 27 septembre 2023.
PRÉTENTIONS
7- Par dernières conclusions remises par voie électronique le 25 mars 2025, M. [U] demande en substance à la cour, au visa des anciens articles 1109 et 116 du Code civil (1130 et 1137), L.221-5 et suivants, L.111-1 et R.111-1 du Code de la consommation, de :
- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
- Déclarer les demandes de M. [U] recevables et bien fondées;
- Prononcer la nullité du contrat de vente conclu entre la société U.N.A.H ' S.F.A.H et M. [U] ;
- Prononcer la nullité du contrat de prêt affecté conclu entre M.[U] et la société Franfinance ;
- Constater que la société Franfinance a commis une faute dans le déblocage des fonds et doit être privée de sa créance de restitution du capital emprunté, et la condamner à procéder au remboursement de l'ensemble des sommes versées par M. [U] au titre de l'exécution normale du contrat de prêt litigieux ;
- Condamner la société Franfinance à verser à M. [U] l'intégralité des sommes suivantes:
- 19 900 € correspondant à l'intégralité du prix de vente de l'installation ;
- 14 716,34 € correspondant aux intérêts conventionnels et frais payés par M. [U] à la société Franfinance en exécution du prêt souscrit ;
- 5 000 € au titre du préjudice moral ;
- 4 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
- Prononcer la déchéance du droit aux intérêts contractuels à l'encontre de la société Franfinance ;
- Débouter la société Franfinance et la société U.N.A.H-S.F.A.H de l'intégralité de leurs prétentions, fins et conclusions contraires ;
- Condamner la société Franfinance à supporter les dépens de l'instance.
8- Par dernières conclusions remises par voie électronique le 7 avril 2025, la société Franfinance demande en substance à la cour, au visa des articles 1315 et 2224 du Code civil, L.312-56 du Code de la consommation, et 9 du Code de procédure civile, de :
à titre principal :
- Confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, en ce compris celle relatives à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Débouter en conséquence M. [U] de l'intégralité de ses moyens et demandes,
à titre subsidiaire :
- Dire et juger que la société Franfinance n'est pas partie au contrat principal par application de l'article 1165 du Code civil, alors qu'il lui est fait interdiction de s'immiscer dans la gestion des emprunteurs ou de rendre compte de l'exécution par le prestataire, ni n'est tenue d'une obligation contractuelle de vérification de la régularité du bon de commande, de contrôle des prestations accomplies, ou d'assistance du maître d'ouvrage à la réception,
- Dire et juger que la privation pour le prêteur de son droit à restitution du capital suppose en application de l'article L.312-48 du Code de la consommation, que la prestation commandée n'ait pas été exécutée, ce qui n'est pas le cas de M. [U] dont les obligations envers le prêteur ont pris effet depuis la mise en service en 2015, fait tenu pour constant par les parties,
- Débouter en conséquence M. [U] de ses moyens et demandes,
- Le condamner à payer à la société Franfinance, au titre des remises en état et restitution du capital mis à disposition, la somme de 19 900 € avec déduction des échéances déjà versées,
En toute hypothèse,
- Condamner M. [U] à payer à la société Franfinance la somme de 3 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
9- La société UNAH-SFAH, représentée par la société Balincourt, puis par la société Epilogue, n'a pas constitué avocat. La déclaration d'appel a été signifiée à la société Balincourt par acte délivré le 8 novembre 2023 par remise à personne morale (tiers sur place).
Les conclusions initiales de M. [U] ont été signifiées à la société Epilogue suivant acte délivré le 3 janvier 2024 par remise à personne morale (tiers sur place).
Les conclusions initiales de la société Franfinance on été signifiées à la société Balincourt par acte délivré le 28 mars 2024 par remise à personne morale (tiers sur place).
10- Vu l'ordonnance de clôture en date du 14 avril 2025.
Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
11- pour écarter la demande de nullité pour dol formée par M.[U], le premier juge a retenu au visa des articles 1304 et 2224 du code civil la fin de non-recevoir opposée par la banque tirée de la prescription en retenant que M. [U] avait eu connaissance des faits lui permettant d'exercer l'action à la date de réception de la première facture de production d'électricité d'EDF, laquelle intervient au plus tard un an après la mise en service, soit en mai 2016.
12- M. [U] critique cette motivation qui résulterait d'une erreur d'appréciation du premier juge en ce qu'il faisait valoir que le raccordement n'a pas été fait en 2015, qu'il a été dans l'impossibilité de faire modifier le contrat de rachat avec EDF suite à une panne de l'onduleur dont le remplacement a été nécessaire en mai 2016.
13- Toutefois, il s'induit de cette affirmation que les promesses de rentabilité de l'installation sur lesquelles M. [U] fonde son moyen de nullité ont pu être constatées par lui dès mai 2016, date à laquelle il a fait remplacer l'onduleur selon facture du cabinet d'étude Novaxis, rendant l'installation fonctionnelle. Il ne justifie en rien de l'impossibilité de modifier le contrat d'achat EDF qu'il allègue et sauf à faire preuve d'un abandon complet du suivi de ses affaires, il est inenvisageable que l'installation restait dysfonctionnelle, l'expert privé mandaté par son avocat dans le cadre de l'instance ne l'écrivant d'ailleurs pas, se limitant à une projection de la durée d'amortissement de l'installation. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré cette action en nullité pour dol irrecevable.
13- M. [U] fait ensuite grief au premier juge d'avoir déclaré son action en nullité du bon de commande pour irrégularités formelles irrecevable en ce que ce bon, reproduisant les dispositions des articles L.121-23 du code de la consommation, l'informait pleinement des causes de nullité encourues, de telle sorte que le point de départ de la prescription se situe au jour du bon de commande, soit le 5 janvier 2015.
14- Toutefois, si la cour de céans a pu apprécier comme de nombreuses autres, à l'instar du premier juge, que l'information des causes de nullité était donnée au consommateur par la reproduction lisible des dispositions de l'article L. 121-23 du code de la consommation et fixer le point de départ de la prescription au jour de la signature du bon de commande, il ne peut désormais qu'en aller différemment.
15- En effet, au visa des articles L. 121-17 et L. 121-18-1 dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 et 2224 du code civil, la première chambre civile de la Cour de cassation vient de rendre trois arrêts selon lesquels
' Il résulte de ces textes que le point de départ du délai de prescription de l'action en annulation du contrat conclu hors établissement, fondée sur la méconnaissance par le professionnel de son obligation de faire figurer sur le contrat, à peine de nullité, les informations mentionnées à l'article L. 121-17 susvisé, se situe au jour où le consommateur a connu ou aurait dû connaître les défauts d'information affectant la validité du contrat.
La reproduction sur le contrat, même lisible, des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à un contrat conclu hors établissement ne permet pas au consommateur d'avoir une connaissance effective du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions et de caractériser la confirmation tacite de ce contrat, en l'absence de circonstances, qu'il appartient au juge de relever, permettant de justifier d'une telle connaissance.' 1re Civ 28 mai 2025 n°24613.702 ; n° 24-13-869 ; n° 24-15353.
16- Ces principes appliqués à l'espèce, la cour ne peut que constater qu'au-delà de rappels du principe de droit tiré de la primauté de la sécurité juridique, Franfinance, débitrice de la preuve du point de départ de la prescription qu'elle oppose à l'action de l'emprunteur ne justifie en rien que M. [U] avait eu ou aurait dû avoir connaissance des irrégularités du bon de commande à la date de sa signature. L'action sera donc jugée recevable et le jugement infirmé de ce chef.
17- Franfinance s'oppose au fond à cette action en nullité en faisant valoir la confirmation de l'acte nul par son exécution volontaire en ce que M. [U] a signé le procès-verbal de réception des travaux et donné ordre de débloquer les fonds entre les mains de l'installateur, en ce qu'il a laissé celui-ci exécuter ses prestations, en ce qu'il a perdu depuis 2015 les bénéfices de sa centrale, exécuté le contrat de crédit sans contestation depuis 8 ans.
18- Toutefois, l'application de l'article 1338 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 nécessite que la confirmation d'un acte nul procède de son exécution volontaire en connaissance du vice qui l'affecte.
Que les actes d'exécution soient pris dans leur individualité ou dans leur globalité, permettant l'usage ou l'exploitation des biens installés, il n'en demeure pas moins qu'aucun de ces actes d'exécution ne révèle la connaissance qu'avait ou qu'aurait du avoir M. [U] des vices affectant la régularité matérielle du bon de commande au regard des dispositions d'ordre public du code de la consommation.
Le moyen n'est donc pas fondé.
19- Le bon de commande comporte en l'espèce au moins une irrégularité formelle flagrante en violation des dispositions des articles L. 1111-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable aux contrats conclus à partir du 14 juin 2014. Alors que ce texte fixe l'obligation pour le professionnel de communiquer au consommateur de manière lisible et compréhensible, en l'absence d'exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s'engage à livrer le bien ou à exécuter le service, il est mentionné au bon de commande que 'la livraison sera effectuée dans un délai maximal de six mois.'
Alors que le bon de commande porte non seulement sur la livraison de la centrale photovoltaïque mais aussi sur la réalisation des démarches administratives, la stipulation d'un tel délai qui ne distingue en rien les deux opérations est suffisamment imprécise pour ne donner aucune information utile au consommateur, lequel reste dans l'incertitude de la date à laquelle le fournisseur/installateur accomplira chacune de ses obligations.
Le bon de commande encourt donc la nullité qui sera prononcée.
20- Par application des dispositions de l'article L. 311-32 du code de la consommation alors en vigueur, l'annulation du contrat principal entraîne de plein droit l'annulation du crédit affecté. Ces annulations conduisent à la remise des parties dans l'état où elles se trouvaient antérieurement, ce qui impose en principe à l'emprunteur de restituer le capital emprunté, même lorsque les fonds ont été directement versés entre les mains du vendeur, sous réserve d'échapper à une telle restitution s'il parvient à démontrer que le prêteur a commis une faute en libérant les fonds.
21- Il est constant en l'espèce que la société Franfinance, professionnelle du crédit et notamment du financement des opérations de vente et d'installations photovoltaïques n'a procédé à aucune vérification même sommaire du bon de commande qui lui était transmis, ce qui lui aurait révélé l'irrégularité relevée. Elle ne le conteste d'ailleurs pas puisqu'elle revendique au contraire ne pas avoir à le faire.
22- S'agissant du préjudice en lien de causalité avec la faute de la banque qu'il appartient à l'emprunteur de caractériser, la cour ne peut que constater que par le jeu des annulations de contrat, M.[U] n'est plus propriétaire de l'installation photovoltaïque, quand bien même la situation de fait devrait conduire à le maintenir en sa possession, seule la fiction juridique envisageant une demande de restitution du liquidateur et une prise en charge des frais de remise en état de la toiture par la procédure collective et que par cet autre effet de cette procédure ouverte à l'encontre de la société UNAH-SFAH, il ne pourra obtenir la restitution du prix auprès du liquidateur.
23- La faute de la banque ayant contribué à cette situation selon le principe de l'équivalence des conditions, le principe d'un préjudice est caractérisé.
24- Toutefois, il convient d'apprécier ce préjudice à une proportion moindre que la privation de la totalité du remboursement du capital prêté par la banque dès lors que la cohérence du dossier veut que M. [U] bénéficie d'une installation fonctionnelle, puisque le seul grief qu'il lui a fait est celui d'un défaut de rentabilité.
La banque sera privée de sa créance de restitution à concurrence de moitié, soit 9950€, somme de laquelle devront être déduites l'ensemble des sommes versées en exécution du contrat de crédit.
25- Le surplus du préjudice revendiqué par M. [U] au titre des intérêts conventionnels et frais payés dont le chiffrage reste obscur puisque le tabelau d'amortissement démontre que le crédit est toujours en cours lorsqu'il est statué et le préjudice moral non étayé sera rejeté.
26- Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société Franfinance supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt réputé contradictoire
Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable comme étant prescrite la demande en nullité du bon de commande pour dol.
L'infirme sur le surplus et statuant à nouveau
Déclare recevable l'action de M. [S] [U] en nullité du bon de commande fondée sur ses irrégularités formelles
Prononce la nullité du bon de commande du 5 janvier 2015 passé entre la société U.N.A.H-S.F.A.H et M. [U] et la nullité subséquente du contrat de crédit affecté.
Prive la société Franfinance de sa créance de restitution du capital prêté à hauteur de moitié.
Condamne en conséquence la société Franfinance à payer à M.[S] [U] la somme de 9950€, déduction à faire de toutes les sommes versées, à quelque titre que ce soit, en exécution du contrat de crédit affecté.
Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires.
Condamne la société Franfinance aux dépens de première instance et d'appel.
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.