CA Paris, Pôle 4 ch. 9, 3 juillet 2025, n° 24/00827
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Unifor France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Durand
Conseillers :
Mme Arbellot, Mme Coulibeuf
Avocats :
Me Ambault-Schleicher, SCP Veliot Fenet-Garde Ambault
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 28 février 2018, Mme [J] [W] a passé commande auprès de la société Unifor France pour l'achat et la pose de meubles de cuisine « Molteni Dada » au prix de 12 950 euros.
Les meubles ont été livrés le 31 mai 2018 et la facture totalement acquittée.
Faisant état de non-conformités constatées à l'occasion de la pose de la cuisine et par acte de commissaire de justice délivré le 25 mai 2023, Mme [W] a fait assigner la société Unifor France devant le tribunal judiciaire de Paris en paiement du prix de la somme de 3 055,06 euros en réparation du préjudice matériel subi outre 2 500 euros en réparation de son préjudice moral et 1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement réputé contradictoire rendu le 13 septembre 2023, le tribunal a débouté Mme [W] de toutes ses demandes et lui a laissé la charge des dépens.
Il a retenu que Mme [W] avait listé des non-conformités qui avaient été reprises par son assureur sans que pour autant soit constatée par celui-ci la réalité des griefs invoqués et sans qu'il ait jamais convoqué la société à une éventuelle expertise amiable contradictoire.
Il a considéré qu'elle ne faisait ni la preuve de l'existence des désordres qu'elle invoquait ni des préjudices qu'elle subissait.
Mme [W] a interjeté appel de ce jugement le 22 décembre 2023.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées par RPVA le 22 mars 2024 par voie électronique, elle demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- statuant à nouveau,
- de la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes,
- en conséquence de condamner la société Unifor à lui payer la somme de 3 055,06 euros en réparation de son préjudice matériel, la somme de 2 500 euros au titre de son préjudice moral, la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la société Unifor aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Olivia Ambault dans les conditions des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses prétentions fondées sur les articles 1217 et 1112-1 du code civil, Mme [W] explique s'être plainte dès le 16 décembre 2018 de la non-conformité de certains éléments de sa cuisine concernant :
- les tablettes en verre du mur haut abritant la hotte Gruppo Incasso n'étant pas aux bonnes dimensions,
- le bruit de la hotte et sa difficulté d'utilisation,
- l'absence de télécommande.
Elle ajoute avoir reçu des réponses le 19 décembre 2018 et le 13 juin 2019 de la société Unifor, contestant les désordres et faisant état de son choix personnel pour la hotte, celle livrée correspondant à celle commandée, de l'absence de télécommande fournie avec ce type de produit et de l'existence d'un jeu admissible de plusieurs millimètres pour les tablettes.
Elle indique avoir fait appel à sa compagnie d'assurance qui a retenu que les non-conformités dénoncées subsistaient et que l'ensemble des interventions n'avait pas permis de solutionner les griefs dénoncés'; elle reprend les arguments de son assureur selon lesquels la société Unifor aurait dû lui proposer une hotte adaptée à sa plaque de cuisson et à sa cuisine, au regard de son obligation de conseil.
Elle soutient par ailleurs que la société Unifor qui s'était engagée à déplacer la hotte pour remédier ainsi au jeu des tablettes, n'y a jamais procédé.
Elle souligne avoir envoyé deux mises en demeure à la société Unifor le 28 novembre 2019 et le 18 décembre 2020, afin que soit réparé le panier endommagé de la colonne de rangement et que soit remplacée la hotte aspirante mais précise que la solution proposée par la société Unifor ne lui a pas convenu.
Elle estime donc que la société Unifor a manqué à son obligation d'information préalable en ne lui conseillant pas un modèle de hotte adaptée à la table de cuisson et en lui livrant une télécommande dysfonctionnant ; qu'ainsi la société Unifor a engagé sa responsabilité.
Elle estime également que les tablettes d'étagère qui ont été remplacées trois fois n'ont jamais été à la bonne dimension et que ce défaut de dimensionnement de la tablette en verre est une non-conformité contractuelle engageant la responsabilité contractuelle de la société Unifor.
Elle souligne enfin que cette dernière n'a jamais contesté les griefs qui lui sont faits et les a même reconnus dans son courrier du 11 février 2021.
S'agissant des préjudices subis, elle considère être bien fondée à réclamer le remplacement de la hotte selon devis pour une hotte silencieuse avec bandeau rétractable couvrant toute la surface de la table de cuisson outre une somme de 2 500 euros pour tous les tracas occasionnés par cette affaire.
Par acte de commissaire de justice délivré le 26 mars 2024 à étude, la société Unifor a reçu signification de l'acte d'appel et des conclusions de l'appelante. Elle n' a pas constitué avocat.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des appelants, il est renvoyé aux écritures de ceux-ci conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 janvier 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 20 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Selon l'article 472 du code de procédure civile, lorsque le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond, le juge ne fait droit à la demande que s'il l'estime régulière, recevable et bien fondée.
Il résulte de l'article 954 dernier alinéa du code de procédure civile que la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs.
Sur l'existence de malfaçons et la responsabilité contractuelle
En application de l'article 1103 du code civil, dans sa version applicable au litige, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Aux termes de l'article 1217 du même code, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut, notamment, demander réparation des conséquences de l'inexécution. L'article 1231-1 prévoit que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'inexécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
L'article 9 du code de procédure civile rappelle qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Sur l'existence de désordres
Le premier juge a débouté Mme [W] de toutes ses demandes au motif qu'elle échouait à établir l'existence de désordres lors de l'installation de la cuisine.
Cependant, il résulte de la correspondance entre les parties, et en particulier de la réponse du gérant de la société Unifor du 8 août 2019, que la société Unifor a reconnu des désordres affectant deux tablettes en verre : « concernant les tablettes en verre nous avons expliqué qu'un jeu est nécessaire afin de ne pas fragiliser la structure de la hotte qui est soumise à des écarts de températures importants. Nous avons en effet changé les premières tablettes qui ne correspondaient pas. Les dernières sont conformes ».
Par ailleurs, elle a admis que la hotte nécessitait une intervention : « nous devons en effet retourner chez Mme [W] pour visser deux attaches de la hotte sur son support mural. Cette opération aura lieu dès qu'un de nos techniciens viendra à [Localité 5] pour une assistance. Au mois de septembre 2019. Nous vous communiquerons la date précise au retour des congés d'été. Pour l'instant la hotte tient au mur et dans la structure du meuble hotte et n'a aucun risque de se décrocher. La hotte reste tout à fait utilisable ».
Enfin, toujours dans ce même courrier, elle a indiqué ne pas être au courant d'un problème de fixation de paniers dans le rangement mais s'engager à changer le panier et à récupérer « celui défectueux pour une analyse en usine ».
S'agissant d'un accessoire de la hotte, elle précise que « la hotte a été commandée sans télécommande. Nous avons fait un geste commercial en offrant la télécommande à Mme [W]. Notre technicien analysera le problème lors de sa prochaine visite à [Localité 5] ».
Dès lors, il est acquis que la cuisine présentait des désordres lors de son installation ; il convient désormais de rechercher si ces désordres persistent et s'ils constituent des non-conformités ou s'ils peuvent engager la responsabilité contractuelle de la société.
Sur la hotte et le panier
Mme [W] se plaint que la société Unifor ne lui ait pas conseillé un modèle de hotte adaptée à la table de cuisson et lui ait livré une télécommande dysfonctionnant.
Sur l'obligation de conseil, la cour relève que sur le bon de commande du 27 février 2018 composé de 25 pages, aucune préconisation n'est notée pour la hotte et sont présentés en page 16 deux modèles de hotte : la hotte E01TWI0050 et la hotte E01TWI0055, les deux comportant « une boite à boutons de commande électronique » ; en dernière page, les deux mêmes modèles sont à nouveau présentés.
Mme [W] produit une documentation sur une hotte « Gruppo Incasso Murano » ( pièce n° 9) sans expliciter s'il s'agit de la hotte finalement posée ou s'il s'agit du modèle qu'elle souhaite voir poser.
Le devis ne précise pas quelle hotte a été choisie, la première page du bon de commande qu'elle produit en copie est quasiment complètement masquée par les tickets de carte bleue « commerçant » et la facture ne mentionne que « mobilier modèle in Daca » mais aucune mention n'apparaît sur l'électroménager.
Même en l'absence de précision sur le bon de commande, il est de toutes façons établi que c'est un modèle avec télécommande qui a été choisi, comme l'affirme Mme [W], mais dont les dimensions sont inconnues ; en tout état de cause, il n'est pas contesté que la société Unifor a adressé, certes avec retard, la télécommande à Mme [W] et dans l'échange de mails entre la compagnie d'assurance de Mme [W] et la société Unifor, reprenant les griefs de la cliente, en date des 3, 24 octobre et 28 novembre 2019, il n'est plus question de dysfonctionnement de la télécommande qui n'est réévoqué sans plus de précisions que dans les conclusions de l'avocat du 18 décembre 2020.
Il convient donc de considérer que ce désordre ne persiste plus.
S'agissant du caractère inadapté de la hotte aux plaques de cuisson de la cuisine de Mme [W], il doit être relevé que la table de cuisson n'a pas été fournie par la société mais par Mme [W], qu'il n'est nulle part justifié de sa taille qui serait selon le courrier de la compagnie d'assurances du 28 novembre 2019 de 65 cms de largeur.
La hotte quant à elle est, selon le modèle choisi proposé dans le bon de commande, de :
- 562 mm de largeur pour le modèle E01TWI0050,
- 635 mm de largeur pour le modèle E0ITWI0055,
- alors que la compagnie d'assurances de Mme [W] dans son courrier du 28 novembre 2019 évoque une largeur de la hotte posée de 48,5 cms.
Les dessins annexés au bon de commande présentent une hotte couvrant les plaques de cuisson ; la société Unifor insiste dans ses mails (celui du 8 août 2019 et celui du 24 octobre 2019) sur son incompréhension face à la demande de Mme [W] et sur les critères sur lesquels elle se base pour critiquer la taille de la hotte, en ce qu'il s'agit d'une hotte classique, adaptée à une plaque de cuisson classique telle que celle installée par la cliente.
Mme [W] ne produit à l'appui de ses prétentions ni clichés photographiques, ni constat de commissaire de justice ni expertise pour démontrer que la hotte ne couvrirait pas toute la plaque de cuisson'et serait ainsi sous-dimensionnée.
Il ne peut donc être retenu de manquement de la société Unifor à son obligation de conseil ou à tout autre engagement contractuel dès lors qu'il n'est pas établi que la hotte ne correspondrait pas à l'implantation de la cuisine.
S'agissant du bruit anormal et excessif que produirait la hotte lors de son usage, dont il est fait état pour la première fois dans le courrier de l'assureur de Mme [W] du 28 novembre 2019, Mme [W] ne produit aucune pièce à l'appui de ce qu'elle présente comme un désordre.
En revanche, il n'est pas contesté par la société Unifor que lors du remplacement de deux tablettes en verre du meuble haut abritant la hotte, celle-ci a été dévissée et n'a pu être correctement revissée, qu'elle s'est engagée, aux termes de plusieurs courriers, à intervenir pour compléter la fixation du carter de la hotte avec deux vis.
Cette réclamation de Mme [W] a perduré et devait donner lieu à une réparation en septembre 2019 dont il n'est pas démontré qu'elle ait eu lieu. Cependant elle ne formule aucune demande de ce chef.
Ainsi, toutes les demandes relatives à la hotte doivent être rejetées, la responsabilité de la société Unifor ne pouvant être engagée la concernant.
Sur le panier endommagé de la colonne de rangement, la société Unifor évoque une photographie qui aurait été jointe à la réclamation de Mme [W] ne démontrant aucun problème apparent, mais qui n'est pas versée au dossier, qu'en tout état de cause, la société venderesse s'est engagée à changer le panier'« qui semble cassé » selon le courriel du 24 octobre 2019. Cependant le courrier de l'avocat de Mme [W] du 18 décembre 2020 n'en fait plus état démontrant ainsi que le problème a été solutionné.
Sur la non-conformité des deux tablettes
Pour savoir si les désordres dénoncés, liés aux tablettes qui ne seraient pas conformes aux dimensions d'encastrement, sont caractérisés, il convient de comparer le bon de commande et le devis aux éléments fournis par Mme [W] pour étayer ses allégations.
Mme [W] produit aux débats pour fonder sa demande, un ensemble de 25 pages comportant le bon de commande n° BC151932 avec ses annexes / la désignation du mobilier / son coût, la facture acquittée, des échanges de courriels ou de courriers entre les parties, un devis du fabricant et une documentation sur la hotte Gruppo Incasso Murano.
Il résulte du bon de commande, dont la première page est quasiment totalement masquée par les tickets carte bleue commerçant, qu'une étude de la cuisine a été faite par la société Unifor puisque :
- on distingue sur la première page du bon de commande la mention « ci-joint, le devis détaillé signé du 28 fév 2018 avec dessins »,
- sur les pages suivantes figure la mention « projet 28 février 2018 » correspondant à la date du devis signé,
- sur la page 3 apparaît un « plan client » avec un plan sommaire de la cuisine sans mesure visible,
- sur la page 9 un plan de coupe de la partie de la cuisine contenant des équipements électroménagers encastrables avec plaque de cuisson et un dessin de la hotte au-dessus avec l'inscription « hotte intégrée », évier, four et réfrigérateur,
- sur la page 11, est mentionnée la précision « plan de travail fourni par le client', épaisseur du champ H 30 mm »,
tous ces éléments démontrant que ce document n'est pas stéréotypé mais adapté à la situation de la cuisine de Mme [W].
Par ailleurs, sur la dernière page du devis, dans l'encart « observations » est noté « ce devis a été rédigé sans vérification dimensionnelle de notre part, elle sera toutefois indispensable lors de la finalisation de la commande ».
Il n'est cependant pas évoqué par Mme [W] qu'elle n'aurait pas eu lieu, il doit donc être considéré que des mesures ont été prises.
Si la société Unifor reconnaît dans son courriel du 8 août 2019 que les premières tablettes livrées n'étaient pas conformes, elle indique les avoir changées et que désormais elles le sont, que le jeu existant est nécessaire afin de permettre la dilatation.
Mme [W] évoque quant à elle un jeu dans les tablettes de 1,2 pour l'une et de 0,5 cms pour l'autre.
Cependant, elle ne verse à son dossier aucun élément permettant de constater la persistance du désordre et que les tablettes ne seraient pas conformes aux dimensions d'encastrement, et ce alors que son assureur évoque dans son courrier du 25 juin 2019 des données précises, 28,3 x 14,6 (-2 mm = 28,1 x 14,4 pour la tablette) et 45,8 x 28,3 ( - 2mm = 45,6 x 28,3 pour la tablette) et une photographie qui n'est pas produite. Ce jeu de 2 mm est insuffisant pour constituer un désordre et répond à la nécessité de prévoir un espace permettant la dilatation de la hotte.
En conséquence, aucun élément du dossier ne caractérise un manquement de la société Unifor à ses obligations contractuelles et Mme [W] sera déboutée de l'ensemble de ses demandes et la jugement de première instance sera totalement confirmé.
Sur les autres demandes
Les dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles doivent être confirmées.
Mme [W], succombante, doit supporter les dépens d'appel et il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant par arrêt rendu par défaut et en dernier ressort,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déboute Mme [J] [W] de l'ensemble de ses demandes ;
Laisse les dépens d'appel à la charge de [J] [W].