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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 3 juillet 2025, n° 24/05448

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 24/05448

3 juillet 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2

ARRÊT AU FOND

DU 03 JUILLET 2025

Rôle N° RG 24/05448 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BM6G3

[N] [E]

(AJ Totale numéro 2024-003347 du 14/05/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 6])

C/

[P] [S]

M.LE PROCUREUR GÉNÉRAL

Copie exécutoire délivrée

le : 3 juillet 2025

à :

Me Laurène ASTRUC-COHEN

PG

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce d'ANTIBES en date du 19 Mars 2024 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 2023002375.

APPELANT

Monsieur [N] [E]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2024-003347 du 14/05/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 6])

né le [Date naissance 2] 1949 à [Localité 11], de nationalité française, demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Laurène ASTRUC-COHEN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, substituée par Me Blandine DALLOT, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Maître [P] [S]

Es qualité de Mandataire liquidateur de Monsieur [B] [U] [E], demeurant [Adresse 3]

défaillant

Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL,

demeurant [Adresse 8]

défaillant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 14 Mai 2025 en audience publique devant la cour composée de :

Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre, magistrate rapporteure

Madame Muriel VASSAIL, Conseillère

Mme Isabelle MIQUEL, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Madame Chantal DESSI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2025.

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2025,

Signé par Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffière à laquellel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Par jugement du 6 août 2021, le tribunal de commerce d'Antibes a ouvert, sur assignation d'un créancier, une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de M. [N] [E], exerçant depuis avril 1972 à Saint-Laurent-du-Var (06), une activité de vente de véhicule et pièces détachées d'occasion, en nom propre, sous l'enseigne [12], la date de cessation des paiements étant fixée au 6 février 2020. Me [P] [S] a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire.

Par requête déposée le 13 mars 2023, le ministère public a saisi le tribunal de commerce d'Antibes aux fins qu'il soit prononcé une sanction personnelle à l'encontre de M. [N] [E] pour une durée de 12 ans en raison de fautes de gestion lui faisant encourir une mesure de faillite personnelle':

- M. [N] [E] n'a produit aucun document comptable ni aucun des documents dont la remise est imposée par la loi, notamment la liste des créanciers en dépit des relances de Me [P] [S],

- une absence volontaire de coopération avec les organes de la procédure (non réponse aux convocations du commissaire-priseur qui n'a pu mener l'inventaire,

- poursuite de son activité durant la liquidation judiciaire alors que celle-ci était suspendue.

et de fautes de gestion lui faisant encourir une interdiction de gérer':

- absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal,

- absence volontaire de remise de la liste des créanciers.

Par jugement du 19 mars 2024 le tribunal de commerce d'Antibes retenant l'ensemble des griefs invoqués par le ministère public a prononcé une mesure de faillite personnelle d'une durée de 12 ans à l'encontre de M. [N] [E], condamnation assortie de l'exécution provisoire.

Le tribunal a retenu à l'encontre de M. [N] [E]':

au titre des fautes lui faisant encourir une faillite personnelle':

- le fait de n'avoir produit aucun document comptable ni aucun des autres documents dont la remise est obligatoire et notamment la liste des créanciers à Me [P] [S] ès qualités, en dépit des multiples relances et qu'il apparaît dès lors qu'il s'est volontairement abstenu de produire une comptabilité ce qui constitue une faute de gestion,

- une absence de coopération avec les organes de la procédure, cette résistance à toute coopération s'expliquant par une volonté de ne pas avoir à assumer sa responsabilité dans la gestion de son entreprise

- le débiteur a poursuivi son activité alors que celle-ci avait été suspendue ce qui a entraîné le retrait de l'autorisation accordée pour l'exploitation d'une installation classée pour la protection de l'environnement

- de s'être désintéressé de la procédure, du sort de l'entreprise et de ses créanciers en ignorant les demandes du commissaire-priseur qui a été empêché de réaliser l'inventaire, ce qui a empêché la réalisation des actifs et fait obstacle au bon déroulement de la procédure

- de s'être abstenu de tenir une comptabilité alors que les textes lui en font obligation, et n'a pu présenter aucune comptabilité au liquidateur judiciaire.

Au titre des fautes sanctionnées par une interdiction de gérer':

- l'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements alors qu'il est manifestement dans l'incapacité depuis plusieurs mois de faire face à son passif exigible avec son actif disponible,

- ne pas avoir informé le liquidateur judiciaire des mesures d'interdiction d'exercer son activité depuis le 23 août 2019, date de l'arrêté préfectoral

- ne pas avoir remis la liste des créanciers au liquidateur.

Par conclusions déposées et signifiées par RPVA le 27 juin 2024, M. [N] [E] demande à la cour de :

- juger recevable l'appel interjeté par Monsieur [N] [E] à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce d'Antibes le 19 mars 2024 ;

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce d'Antibes le 19 mars 2024 ;

Statuant à nouveau :

In limine litis ;

- constater qu'une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'encontre de Monsieur [E] le 14 novembre 2008 ;

- constater que la requête du Ministère Public a été déposée au greffe du Tribunal de commerce le 13 mars 2023 ;

- juger que la date d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire constitue le point de départ du délai de prescription de l'article L.653-1 du Code de commerce,

En conséquence,

- rejeter l'action engagée par le Ministère Public aux fins de voir prononcer la faillite personnelle à l'encontre de Monsieur [E], comme étant prescrite ;

A titre principal ;

- constater que l'état de santé de Monsieur [E] ne lui permettait pas de fournir sa comptabilité;

- constater que Monsieur [E] a coopéré avec les organes de la procédure en ce qu'il a initié des procédures judiciaires aux fins de voir diminuer le montant du passif admis ;

En conséquence,

- rejeter l'action engagée par le Ministère Public aux fins de voir prononcer la faillite personnelle à l'encontre de Monsieur [E] comme étant infondée

Subsidiairement, si par extraordinaire la cour d'appel devait prononcer la faillite personnelle à l'encontre de Monsieur [E] ;

- limiter sa durée à trois années ;

En tout état de cause :

- condamner le Ministère Public à verser à Maître Valentine Wirig avocat de Monsieur [E] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 alinéa 2 du code de procédure civile ainsi qu'au entiers dépens.

Aux termes d'un avis déposé le 16 avril 2025, le ministère public indique que M. [N] [E], placé initialement en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Antibes du 14 novembre 2008 a été placé en liquidation judiciaire le 6 août 2021'; que le passif s'est élevé à 563 294,65 euros et que seuls 144,94 euros ont été recouvrés.

Sur la prescription de l'action en sanction soulevée par l'appelant, le ministère public demande à la cour de retenir comme point de départ du délai pour engager l'action en sanction, la date du jugement de liquidation judiciaire et non, comme soutenu par l'appelant, celle du redressement judiciaire, de sorte que la prescription n'est pas acquise. Sur le fond, la décision est justifiée comme l'atteste le rapport du mandataire liquidateur du 23 septembre 2022 versé aux débats': M. [N] [E] n'a produit aucune comptabilité au liquidateur judiciaire, a exercé son activité contrairement à une interdiction en relation avec un arrêté préfectoral du 23 août 2019 et s'est abstenu volontairement de collaborer avec les organes de la procédure collective, en ne remettant pas notamment au mandataire la liste des créanciers.

Il requiert la confirmation du jugement entrepris.

Me [P] [S] ès qualités de liquidateur judiciaire, cité à domicile, n'a pas constitué avocat.

L'affaire a été fixée à bref délai suivant avis de fixation du 30 mai 2024 pour être examinée à l'audience du 24 avril 2025.

La clôture a été prononcée le 24 avril 2025.

Le conseil de M. [E], autorisé par la présidente à transmettre en cours de délibéré le jugement arrêtant le plan de redressement et celui ouvrant la procédure de liquidation judiciaire, a adressé en cours de délibéré le jugement du tribunal de commerce d'Antibes du 6 août 2021 (n°2021 000227) ouvrant la procédure liquidation judiciaire à l'égard de M. [E] et indique dans sa note en délibéré en date du 11 juin 2025 n'avoir pu retrouver le jugement arrêtant le plan, mais qu'elle tient des déclarations de son client, M. [E], que le plan n'avait pu être suivi jusqu'à son terme, sans pouvoir toutefois vérifier ses propos.

Il sera renvoyé, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions respectives.

MOTIFS DE LA DECISION

Le jugement a été signifié le 25 mars 2024 à M. [N] [E] qui a déposé une demande d'aide juridictionnelle le 3 avril 2024 et a fait appel de cette décision le 25 avril 2024. Son appel sera déclaré recevable.

Sur la prescription

Suivant l'article L.653-1 II, les actions en sanction se prescrivent par trois ans à compter du jugement qui prononce l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.

L'appelant invoque la prescription de l'action en sanction estimant que le point de départ de l'action diligentée par le ministère public est le jugement d'ouverture du redressement judiciaire du 12 février 2008, et que la requête du parquet de [Localité 9] ayant été déposée le 13 mars 2023, l'action est prescrite en application de l'article L.653-1 II du code de commerce.

Il résulte des éléments de la procédure, que le jugement d'ouverture du 14 novembre 2008 a donné lieu le 2 octobre 2009 à l'arrêt d'un plan de redressement'd'une durée de 10 ans ; qu'en l'absence de résolution du plan, celui-ci étant arrivé à échéance au plus tard le 18 octobre 2019, la procédure collective initiale est parvenue à son terme à cette date.

La seconde procédure collective (liquidation judiciaire) a été ouverte sur assignation d'un créancier, par jugement du 6 août 2021. C'est donc à cette date que doit être fixé le point de départ de la prescription de l'action en sanction prévue aux articles L.653-1 et suivants du code de commerce. La requête en sanction a été déposée au greffe du tribunal de commerce le 13 mars 2023, soit avant l'expiration du délai de prescription.

La fin de non-recevoir soulevée par M. [N] [E] sera donc écartée.

Sur le fond,

Le tribunal a retenu à l'encontre de M. [N] [E]' au titre des griefs lui faisant encourir la sanction de faillite personnelle, pour l'essentiel, trois fautes':

- s'être abstenu de tenir une comptabilité alors que les textes lui en font obligation, et n'a pu présenter aucune comptabilité au liquidateur judiciaire.

En sa qualité de commerçant, M. [N] [E] était tenu aux obligations comptables prévues aux articles L.123-12 et suivants du code de commerce et notamment, de procéder à l'enregistrement comptable et chronologique des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise, établir un inventaire, au moins une fois tous les douze mois, de l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l'entreprise et établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable.

M. [N] [E] ne conteste pas aux termes de ses écritures, ne pas avoir observé les obligations comptables auxquelles il était astreint, mais invoque des problèmes de santé récurrents qui s'inscrivent dans un contexte judiciaire particulièrement éprouvant en raison d'un litige qui l'oppose à sa s'ur qui lui réclame 85'951,10 euros dont elle poursuit le recouvrement à son encontre depuis juillet 2003.

A supposer qu'il ait été confronté à des problèmes de santé, la tenue d'une comptabilité pouvait être confiée à un expert comptable extérieur et sur ce point, M. [N] [E] n'apporte aucune explication sur sa carence.

- avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement

M. [N] [E] répond, aux griefs invoqués à son encontre, à savoir':

- n'avoir produit aucun document comptable ni aucun des autres documents dont la remise est obligatoire, dont la liste des créanciers, au liquidateur judiciaire en dépit des relances qui lui ont été faite,

- n'avoir pas informé celui-ci des procédures en cours notamment avoir fait l'objet d'une mesure d'interdiction d'exercer son activité prise par arrêté préfectoral du 23 août 2019,

- n'avoir pas répondu aux sollicitations du commissaire-priseur en vue de la réalisation de l'inventaire, comme avoir omis de déclarer l'existence de biens immobiliers en indivision avec sa s'ur, attitude qui manifeste un désintérêt de sa part de la procédure collective et du sort de l'entreprise, qui a entravé le bon déroulement de celle-ci empêchant l'établissement de l'inventaire et la réalisation des actifs,

qu'il souffrait d'une maladie qui a eu des répercussions sur son travail et ses capacités de gestion, minimise son défaut de coopération en affirmant avoir participé, auprès du liquidateur judiciaire, à la vérification des créances et avoir interjeté appel des ordonnances du juge commissaire les ayant admises en totalité.

La cour observe toutefois qu'aucun justificatif sur son état de santé n'a été produit et que l'appelant, tout en cherchant à les minimiser, ne conteste pas formellement la matérialité des griefs énoncés ci-dessus.

Quant au grief tenant à l'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal prescrit à l'article L631-4 du code de commerce, retenu par le tribunal M. [N] [E], celui-ci résulte de ce que la date de cessation des paiements fixée a été fixée par le jugement d'ouverture au 6 février 2020. L'omission déclarative ne peut être considérée comme une simple négligence et revêt un caractère intentionnel compte tenu du délai de 18 mois écoulé entre le jugement d'ouverture et l'état de cessation des paiements, M. [E] ne pouvant ignorer alors les dettes qui s'accumulaient et aggravaient le passif non contesté par le débiteur, supérieur à 100'000 euros. L'omission intentionnelle de déclarer l'état de cessation des paiements ne peut toutefois donner lieu qu'au prononcé d'une interdiction de gérer conformément à l'article L.653-8 du code de commerce.

M. [N] [E] est âgé de 75 ans et en situation de cesser à terme ses activités de commerçant.

Si les manquements reprochés, justifient de par leur gravité et leur pluralité, le prononcé d'une mesure de faillite personnelle, il y a lieu de réduire la durée de celle-ci à cinq années.

Sur les demandes accessoires.

M. [N] [E] succombant n'est pas fondé en ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens. Il en sera débouté.

M. [N] [E] sera condamné à supporter les dépens de la procédure d'appel conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe,

Déclare M. [N] [E] recevable en son appel';

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en sanction invoquée par l'appelant';

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il'a':

- retenu à l'encontre de M. [N] [E] les griefs de s'être abstenu de tenir une comptabilité alors que les textes lui en font obligation et d'avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement et prononcé à son encontre une mesure de faillite personnelle,'en application des dispositions des articles L.653-1, L.653-2 et L.653-5 5° et 6° du code de commerce';

- ordonné l'exécution provisoire du jugement';

- dit les dépens en frais privilégiés et liquidés en ce compris les frais de greffe';

L'infirme pour le surplus';

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Prononce à l'encontre de M. [N] [E] né le [Date naissance 2] 1949 à [Localité 10] (06) exerçant son activité en nom propre à l'enseigne [12] immatriculé au RCS d'[Localité 7] sous le n° [N° SIREN/SIRET 1], dont le siège social est sis [Adresse 4] à [Localité 13], une mesure de faillite personnelle'pour une durée de cinq ans';

Ordonne qu'en application des articles L.128-1 et suivants et R.128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fasse l'objet d'une inscription au fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du conseil national des greffiers des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du règlement (UE) 2016679 du parlement européen et du conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

Laisse les dépens à la charge du Trésor public.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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