CA Versailles, ch. com. 3-2, 8 juillet 2025, n° 23/03715
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 34A
Chambre commerciale 3-2
ARRET N°
PAR DEFAUT
DU 08 JUILLET 2025
N° RG 23/03715 - N° Portalis DBV3-V-B7H-V4X3
AFFAIRE :
[K] [D]
C/
[S] [T]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Avril 2023 par le TJ de [Localité 14]
N° Chambre : 1
N° RG : 22/02772
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Jean-françois LOUIS
Me Stéphanie TERIITEHAU
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT JUILLET DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
APPELANT :
Monsieur [K] [D]
[Adresse 9]
[Localité 7]
Représentant : Me Jean-françois LOUIS de la SCP SCP SOUCHON - CATTE - LOUIS - PLAINGUET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P0452 - N° du dossier E0001QK0
****************
INTIMES :
Monsieur [S] [T]
né le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 12] (MAROC)
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 11]
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL STEPHANIE TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20230228
Plaidant : Me Yves-marie JOUBEAUD de la SAS JOUBEAUD ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0221 -
SOCIETE CIVILE [C] [A]
N° Siret 429 252 919 RCS [Localité 15]
Ayant son siège
[Adresse 1]
[Localité 8]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL STEPHANIE TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20230228
Plaidant : Me Yves-marie JOUBEAUD de la SAS JOUBEAUD ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0221 -
Monsieur [G] [T]
né le [Date naissance 4] 1944 à [Localité 13] (MAROC)
[Adresse 5]
[Localité 8] / FRANCE
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL STEPHANIE TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20230228
Plaidant : Me Yves-marie JOUBEAUD de la SAS JOUBEAUD ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0221 -
S.C. FINANCIERE DES CHAIS
Ayant son siège
[Adresse 3]
[Localité 10]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Défaillant - déclaration d'appel signifiée par PV 659
***************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 27 Mai 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Cyril ROTH, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,
Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,
Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN,
EXPOSE DU LITIGE
Créée le 12 décembre 1988, la SCI Financière des chais, ayant pour co-gérants M. [G] [T] et M. [D], a pour associés :
- M. [D], détenant 50 % des parts sociales et des droits de vote ;
- la SCI [C] [A], détenant 25 % des parts sociales et des droits de vote ;
- M. [S] [T], détenant 25 % des parts sociales et des droits de vote.
Le 26 septembre 2007, le tribunal de commerce de Paris a prononcé une interdiction de gérer d'un délai de cinq ans à l'encontre de M. [G] [T].
Les 4, 10 et 23 mars 2022, M. [D] a assigné MM. [S] et [G] [T], ainsi que les sociétés [C] [A] et Financière des chais devant le tribunal judiciaire de Nanterre en dissolution de la société Financière des Chais.
Le 17 juin 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre, saisi par M. [S] [T] et la société [C] [A], a désigné la SELARL V&V, en qualité de mandataire ad hoc de la société Financière des chais.
Le 12 avril 2023, par jugement réputé contradictoire, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes ;
- débouté MM. [S] et [G] [T], ainsi que la société [C] [A], de leur demande de condamnation de M. [D] à leur verser des dommages et intérêts en raison du caractère abusif de la procédure ;
- condamné M. [D] aux dépens ;
- condamné M. [D] à verser à MM. [S] et [G] [T], ainsi qu'à la société [C] [A], la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rappelé que le présent jugement est exécutoire à titre provisoire.
Le 7 juin 2023, M. [D] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il l'a :
- débouté de l'ensemble de ses demandes, et notamment de sa demande de dissolution judiciaire de la société Financière des Chais et de sa demande de désignation d'un mandataire judiciaire en qualité de liquidateur pour procéder aux opérations de liquidation ;
- condamné aux dépens ;
- condamné au paiement d'une somme de 3 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile aux 3 intimés.
Le 6 juin 2024, le président de la chambre a offert aux parties d'ordonner une médiation ; cette proposition, acceptée par l'appelant le 13 juin suivant, a été déclinée par les intimés le 25 juin 2024.
Par dernières conclusions du 6 septembre 2023, M. [D] demande à la cour de :
- le déclarer recevable en son appel ;
Y faisant droit :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
- ordonner la dissolution judiciaire de la société Financière des Chais ;
- désigner un mandataire judiciaire en qualité de liquidateur pour procéder aux opérations de liquidation ;
- rejeter l'appel incident des intimés ;
- débouter les intimés de l'ensemble de leurs demandes ;
- condamner solidairement MM. [S] et [G] [T] ainsi que la société [C] [A] aux entiers dépens de l'instance, qui seront recouvrés directement par la société Souchon-Catté-Louis, agissant par Maître Louis, avocat au Barreau de Paris, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement MM. [S] et [G] [T] ainsi que la société [C] [A] à lui payer une somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions d'intimés et d'appelants incidents du 5 décembre 2023, MM. [S] et [G] [T] ainsi que la société [C] [A] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement du 12 avril 2023 en ce qu'il a débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- confirmer le jugement du 12 avril 2023 en ce qu'il a condamné M. [D] à leur verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- faire droit à leur appel incident ;
- infirmer le jugement du 12 avril 2023 en ce qu'il les a déboutés de leur demande de condamnation de M. [D] à leur verser sur le fondement de l'article 1240 du code civil la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
En conséquence :
- condamner M. [D] sur le fondement de l'article 1240 du code civil à leur verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Y ajoutant :
- condamner M. [D] à leur verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [D] aux entiers dépens.
La déclaration d'appel a été signifiée à la société Financière des Chais le 10 août 2023 par procès-verbal de recherches. Les conclusions de l'appelant lui ont été signifiées le 12 décembre 2023 selon les mêmes modalités. Celle-ci n'a pas constitué avocat.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 27 mars 2025.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.
MOTIFS
Sur la demande de dissolution
M. [D] fait valoir que la société Financière des chais est détenue par deux groupes d'associés à 50% chacun : lui-même et la famille [T], composée de la société SCI [C] [A] et par M. [S] [T], ce qui rend toute prise de décision impossible en cas de désaccord ; qu'il a également sollicité la dissolution de deux autres SCI où ils sont également associés égalitaires et dont les administrateurs ad hoc désignés décision de justice n'ont pas pu remplir leur mission.
Il expose que M. [G] [T], qui était initialement son co-gérant, a démissionné le 27 septembre 2012 à la suite de sa condamnation en 2007 à une interdiction de gérer, mais que de fait, il a continué à assurer la gestion de la SCI via la société SATEG, qu'il contrôle ; que lui-même n'a pas pu exercer normalement son mandat de gérant faute d'avoir obtenu les archives et la comptabilité de M. [G] [T] ; que les assemblées générales destinées à approuver les comptes n'ont pas pu être convoquées ; que c'est à tort que, pour rejeter sa demande, les premiers juges ont retenu qu'il était responsable de la situation de blocage, alors que l'origine de la mésentente est indifférente.
Il soutient que l'affectio societatis a disparu, ce qui justifie également la dissolution ; qu'il ne souhaite plus en effet être associé, même indirectement, avec M. [G] [T], en raison de sa condamnation pour des irrégularités graves de gestion et de la perte de confiance qui en résulte.
Les intimés soutiennent que c'est en raison de sa condamnation à une interdiction de gérer que M. [G] [T] a cessé d'agir comme gérant le 27 septembre 2007 ; que cette condamnation, prononcée pour un simple retard de déclaration de cessation des paiements d'une autre société, ne constitue pas une faute grave justifiant une dissolution de la SCI en 2022 ; que c'est M. [D] seul gérant restant, qui a tardé jusqu'en 2012 à effectuer les formalités nécessaires au registre du commerce et des sociétés ; qu'il était parfaitement au courant que la société SATEG assurait la gestion des biens et la comptabilité de la SCI, mission confiée avec son accord dès la constitution de la société ; que M. [G] [T] n'est ni gérant de droit ni de fait de la SATEG ; que M. [D] a mis fin à la mission de SATEG en 2013, mais refusé de récupérer les documents comptables malgré des demandes répétées ; qu'ils ont été déposés chez un huissier en 2016, où il ne les a toujours pas retirés ; que l'absence de tenue de la comptabilité et de convocation des assemblées générales est entièrement imputable à M. [D] et à son refus délibéré d'exercer ses obligations de gérant ; que M. [D] a fait obstacle à une ordonnance de référé de juin 2022 ayant désigné un mandataire ad hoc pour établir les comptes et convoquer une assemblée générale ; que la dissolution doit être refusée lorsque l'associé qui la demande est à l'origine de la mésentente ou des difficultés de fonctionnement ; qu'il n'y a d'ailleurs pas d'opposition avérée sur l'affectation des bénéfices, puisque M. [D] n'a jamais permis de débattre de cette question en assemblée ; que la dissolution ne serait justifiée qu'en cas de paralysie totale de la société, qui fonctionne normalement dans son activité essentielle de location et d'encaissement de loyers ; que l'argument pris de la disparition de l'affectio societatis liée à l'interdiction de gérer subie par M. [G] [T] en 2007 est tardif ; que le véritable objectif de M. [D] est d'organiser la transmission de patrimoine à ses enfants en forçant la liquidation des trois SCI communes sans leur accord.
Réponse de la cour
Selon l'article 1832 du code civil, le but d'une société est de partager un bénéfice.
Aux termes de l'article 1844-7 du code civil, la société prend fin 5° Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.
Si la Cour de cassation a énoncé en 2014 que la circonstance que l'associé qui exerce l'action est à l'origine de la mésentente qu'il invoque était de nature à faire obstacle à ce que celle-ci soit regardée comme un juste motif de dissolution de la société (Com., 16 sept. 2014, n° 13-20.083, publié), par un arrêt plus récent, elle s'est attachée aux conséquences objectives de la mésentente sur le fonctionnement de l'entreprise plus qu'à son imputabilité au demandeur à la dissolution (Com., 10 avr. 2019, n° 17-20.506).
En effet, une mésentente entre associés ne suffit pas à caractériser la paralysie du fonctionnement d'une société (Ch. Mixte, 16 décembre 2005, n° 04-18.986). De la même manière, une mésentente entre associés à parts égales ne peut davantage à elle seule constituer un juste motif de dissolution (Com. 21 octobre 1997, n° 95-21.156 ; Com., 5 avril 2018, n° 16-19.829). La mésentente doit aboutir à la paralysie du fonctionnement de la société (Com., 3 mars 2021, n° 19-10.69).Il est constant que la société civile immobilière en cause, créée en 1988, a pour associés, d'une part, à 50%, M. [D], d'autre part, chacun pour 25%, M. [S] [T] et la société [C] [A], contrôlée par son frère [G] [T] ; qu'elle avait initialement pour co-gérants M. [D] et M. [G] [T].
La SCI est pour ses associés un véhicule d'investissement dans les murs de locaux donnés à bail commercial, situés dans le XVIe arrondissement de Paris.
En 2007, M. [G] [T] ayant fait l'objet d'une mesure d'interdiction de gérer, M. [D] est devenu l'unique gérant de la SCI.
Le 17 juin 2022, à la demande des consorts [T], le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a désigné à la SCI un mandataire ad hoc afin d'établir les comptes des années 2013 à 2021, de procéder à sa réinscription au registre du commerce et des sociétés et de convoquer l'assemblée générale pour approuver les comptes des années 2008 à 2021 ; il a en outre fait injonction à M. [D] de communiquer sous astreinte à ce mandataire divers documents financiers.
Les parties ont indiqué à l'audience que cette astreinte avait été liquidée à deux reprises par le juge de l'exécution sans que ces documents n'aient été communiqués ; que la comptabilité n'a pas été établie et que les assemblées générales n'ont pas été tenues.
L'existence de ces injonctions judiciaires, la désignation du mandataire ad hoc, les instances opposant les associés à propos de la gestion de deux autres SCI, le refus de toute médiation au cours de la présente instance démontrent une perte totale d'affectio societatis et une mésentente irrémédiable entre les associés.
En raison de cette mésentente, la société se trouve depuis une quinzaine d'années dans l'incapacité complète de prendre une décision sur sa stratégie, de tenir une assemblée générale, d'approuver ses propres comptes, de décider d'une distribution de dividendes ou d'un report à nouveau ; que les consorts [T], associés à 50%, sont privés de la possibilité de contrôler l'usage d'une partie de leur patrimoine.
Tous ces éléments et en particulier l'impossibilité avérée de distribuer des dividendes témoignent d'une paralysie totale du fonctionnement de la société, constituée dans le but d'en partager.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de prononcer la dissolution de la société selon les modalités prévues au dispositif.
Sur la demande de dommages-intérêts
L'issue du litige implique le rejet de la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formulée par les intimés.
Sur les demandes accessoires
L'équité commande de n'allouer d'indemnité de procédure à aucune des parties et de laisser à M. [D] la charge des dépens.
PAR CES MOTIFS,
la cour, statuant par défaut,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Prononce la dissolution de la société Financière des chais ;
Désigne la société Alliance, mandataire judiciaire, en la personne de Mme [N], pour procéder aux opérations de liquidation ;
Condamne M. [D] ;
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
DE
VERSAILLES
Code nac : 34A
Chambre commerciale 3-2
ARRET N°
PAR DEFAUT
DU 08 JUILLET 2025
N° RG 23/03715 - N° Portalis DBV3-V-B7H-V4X3
AFFAIRE :
[K] [D]
C/
[S] [T]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Avril 2023 par le TJ de [Localité 14]
N° Chambre : 1
N° RG : 22/02772
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Jean-françois LOUIS
Me Stéphanie TERIITEHAU
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT JUILLET DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
APPELANT :
Monsieur [K] [D]
[Adresse 9]
[Localité 7]
Représentant : Me Jean-françois LOUIS de la SCP SCP SOUCHON - CATTE - LOUIS - PLAINGUET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P0452 - N° du dossier E0001QK0
****************
INTIMES :
Monsieur [S] [T]
né le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 12] (MAROC)
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 11]
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL STEPHANIE TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20230228
Plaidant : Me Yves-marie JOUBEAUD de la SAS JOUBEAUD ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0221 -
SOCIETE CIVILE [C] [A]
N° Siret 429 252 919 RCS [Localité 15]
Ayant son siège
[Adresse 1]
[Localité 8]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL STEPHANIE TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20230228
Plaidant : Me Yves-marie JOUBEAUD de la SAS JOUBEAUD ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0221 -
Monsieur [G] [T]
né le [Date naissance 4] 1944 à [Localité 13] (MAROC)
[Adresse 5]
[Localité 8] / FRANCE
Représentant : Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL STEPHANIE TERIITEHAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20230228
Plaidant : Me Yves-marie JOUBEAUD de la SAS JOUBEAUD ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0221 -
S.C. FINANCIERE DES CHAIS
Ayant son siège
[Adresse 3]
[Localité 10]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Défaillant - déclaration d'appel signifiée par PV 659
***************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 27 Mai 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Cyril ROTH, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,
Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,
Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN,
EXPOSE DU LITIGE
Créée le 12 décembre 1988, la SCI Financière des chais, ayant pour co-gérants M. [G] [T] et M. [D], a pour associés :
- M. [D], détenant 50 % des parts sociales et des droits de vote ;
- la SCI [C] [A], détenant 25 % des parts sociales et des droits de vote ;
- M. [S] [T], détenant 25 % des parts sociales et des droits de vote.
Le 26 septembre 2007, le tribunal de commerce de Paris a prononcé une interdiction de gérer d'un délai de cinq ans à l'encontre de M. [G] [T].
Les 4, 10 et 23 mars 2022, M. [D] a assigné MM. [S] et [G] [T], ainsi que les sociétés [C] [A] et Financière des chais devant le tribunal judiciaire de Nanterre en dissolution de la société Financière des Chais.
Le 17 juin 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre, saisi par M. [S] [T] et la société [C] [A], a désigné la SELARL V&V, en qualité de mandataire ad hoc de la société Financière des chais.
Le 12 avril 2023, par jugement réputé contradictoire, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes ;
- débouté MM. [S] et [G] [T], ainsi que la société [C] [A], de leur demande de condamnation de M. [D] à leur verser des dommages et intérêts en raison du caractère abusif de la procédure ;
- condamné M. [D] aux dépens ;
- condamné M. [D] à verser à MM. [S] et [G] [T], ainsi qu'à la société [C] [A], la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rappelé que le présent jugement est exécutoire à titre provisoire.
Le 7 juin 2023, M. [D] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il l'a :
- débouté de l'ensemble de ses demandes, et notamment de sa demande de dissolution judiciaire de la société Financière des Chais et de sa demande de désignation d'un mandataire judiciaire en qualité de liquidateur pour procéder aux opérations de liquidation ;
- condamné aux dépens ;
- condamné au paiement d'une somme de 3 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile aux 3 intimés.
Le 6 juin 2024, le président de la chambre a offert aux parties d'ordonner une médiation ; cette proposition, acceptée par l'appelant le 13 juin suivant, a été déclinée par les intimés le 25 juin 2024.
Par dernières conclusions du 6 septembre 2023, M. [D] demande à la cour de :
- le déclarer recevable en son appel ;
Y faisant droit :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
- ordonner la dissolution judiciaire de la société Financière des Chais ;
- désigner un mandataire judiciaire en qualité de liquidateur pour procéder aux opérations de liquidation ;
- rejeter l'appel incident des intimés ;
- débouter les intimés de l'ensemble de leurs demandes ;
- condamner solidairement MM. [S] et [G] [T] ainsi que la société [C] [A] aux entiers dépens de l'instance, qui seront recouvrés directement par la société Souchon-Catté-Louis, agissant par Maître Louis, avocat au Barreau de Paris, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement MM. [S] et [G] [T] ainsi que la société [C] [A] à lui payer une somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions d'intimés et d'appelants incidents du 5 décembre 2023, MM. [S] et [G] [T] ainsi que la société [C] [A] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement du 12 avril 2023 en ce qu'il a débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- confirmer le jugement du 12 avril 2023 en ce qu'il a condamné M. [D] à leur verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- faire droit à leur appel incident ;
- infirmer le jugement du 12 avril 2023 en ce qu'il les a déboutés de leur demande de condamnation de M. [D] à leur verser sur le fondement de l'article 1240 du code civil la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
En conséquence :
- condamner M. [D] sur le fondement de l'article 1240 du code civil à leur verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Y ajoutant :
- condamner M. [D] à leur verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [D] aux entiers dépens.
La déclaration d'appel a été signifiée à la société Financière des Chais le 10 août 2023 par procès-verbal de recherches. Les conclusions de l'appelant lui ont été signifiées le 12 décembre 2023 selon les mêmes modalités. Celle-ci n'a pas constitué avocat.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 27 mars 2025.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.
MOTIFS
Sur la demande de dissolution
M. [D] fait valoir que la société Financière des chais est détenue par deux groupes d'associés à 50% chacun : lui-même et la famille [T], composée de la société SCI [C] [A] et par M. [S] [T], ce qui rend toute prise de décision impossible en cas de désaccord ; qu'il a également sollicité la dissolution de deux autres SCI où ils sont également associés égalitaires et dont les administrateurs ad hoc désignés décision de justice n'ont pas pu remplir leur mission.
Il expose que M. [G] [T], qui était initialement son co-gérant, a démissionné le 27 septembre 2012 à la suite de sa condamnation en 2007 à une interdiction de gérer, mais que de fait, il a continué à assurer la gestion de la SCI via la société SATEG, qu'il contrôle ; que lui-même n'a pas pu exercer normalement son mandat de gérant faute d'avoir obtenu les archives et la comptabilité de M. [G] [T] ; que les assemblées générales destinées à approuver les comptes n'ont pas pu être convoquées ; que c'est à tort que, pour rejeter sa demande, les premiers juges ont retenu qu'il était responsable de la situation de blocage, alors que l'origine de la mésentente est indifférente.
Il soutient que l'affectio societatis a disparu, ce qui justifie également la dissolution ; qu'il ne souhaite plus en effet être associé, même indirectement, avec M. [G] [T], en raison de sa condamnation pour des irrégularités graves de gestion et de la perte de confiance qui en résulte.
Les intimés soutiennent que c'est en raison de sa condamnation à une interdiction de gérer que M. [G] [T] a cessé d'agir comme gérant le 27 septembre 2007 ; que cette condamnation, prononcée pour un simple retard de déclaration de cessation des paiements d'une autre société, ne constitue pas une faute grave justifiant une dissolution de la SCI en 2022 ; que c'est M. [D] seul gérant restant, qui a tardé jusqu'en 2012 à effectuer les formalités nécessaires au registre du commerce et des sociétés ; qu'il était parfaitement au courant que la société SATEG assurait la gestion des biens et la comptabilité de la SCI, mission confiée avec son accord dès la constitution de la société ; que M. [G] [T] n'est ni gérant de droit ni de fait de la SATEG ; que M. [D] a mis fin à la mission de SATEG en 2013, mais refusé de récupérer les documents comptables malgré des demandes répétées ; qu'ils ont été déposés chez un huissier en 2016, où il ne les a toujours pas retirés ; que l'absence de tenue de la comptabilité et de convocation des assemblées générales est entièrement imputable à M. [D] et à son refus délibéré d'exercer ses obligations de gérant ; que M. [D] a fait obstacle à une ordonnance de référé de juin 2022 ayant désigné un mandataire ad hoc pour établir les comptes et convoquer une assemblée générale ; que la dissolution doit être refusée lorsque l'associé qui la demande est à l'origine de la mésentente ou des difficultés de fonctionnement ; qu'il n'y a d'ailleurs pas d'opposition avérée sur l'affectation des bénéfices, puisque M. [D] n'a jamais permis de débattre de cette question en assemblée ; que la dissolution ne serait justifiée qu'en cas de paralysie totale de la société, qui fonctionne normalement dans son activité essentielle de location et d'encaissement de loyers ; que l'argument pris de la disparition de l'affectio societatis liée à l'interdiction de gérer subie par M. [G] [T] en 2007 est tardif ; que le véritable objectif de M. [D] est d'organiser la transmission de patrimoine à ses enfants en forçant la liquidation des trois SCI communes sans leur accord.
Réponse de la cour
Selon l'article 1832 du code civil, le but d'une société est de partager un bénéfice.
Aux termes de l'article 1844-7 du code civil, la société prend fin 5° Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.
Si la Cour de cassation a énoncé en 2014 que la circonstance que l'associé qui exerce l'action est à l'origine de la mésentente qu'il invoque était de nature à faire obstacle à ce que celle-ci soit regardée comme un juste motif de dissolution de la société (Com., 16 sept. 2014, n° 13-20.083, publié), par un arrêt plus récent, elle s'est attachée aux conséquences objectives de la mésentente sur le fonctionnement de l'entreprise plus qu'à son imputabilité au demandeur à la dissolution (Com., 10 avr. 2019, n° 17-20.506).
En effet, une mésentente entre associés ne suffit pas à caractériser la paralysie du fonctionnement d'une société (Ch. Mixte, 16 décembre 2005, n° 04-18.986). De la même manière, une mésentente entre associés à parts égales ne peut davantage à elle seule constituer un juste motif de dissolution (Com. 21 octobre 1997, n° 95-21.156 ; Com., 5 avril 2018, n° 16-19.829). La mésentente doit aboutir à la paralysie du fonctionnement de la société (Com., 3 mars 2021, n° 19-10.69).Il est constant que la société civile immobilière en cause, créée en 1988, a pour associés, d'une part, à 50%, M. [D], d'autre part, chacun pour 25%, M. [S] [T] et la société [C] [A], contrôlée par son frère [G] [T] ; qu'elle avait initialement pour co-gérants M. [D] et M. [G] [T].
La SCI est pour ses associés un véhicule d'investissement dans les murs de locaux donnés à bail commercial, situés dans le XVIe arrondissement de Paris.
En 2007, M. [G] [T] ayant fait l'objet d'une mesure d'interdiction de gérer, M. [D] est devenu l'unique gérant de la SCI.
Le 17 juin 2022, à la demande des consorts [T], le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a désigné à la SCI un mandataire ad hoc afin d'établir les comptes des années 2013 à 2021, de procéder à sa réinscription au registre du commerce et des sociétés et de convoquer l'assemblée générale pour approuver les comptes des années 2008 à 2021 ; il a en outre fait injonction à M. [D] de communiquer sous astreinte à ce mandataire divers documents financiers.
Les parties ont indiqué à l'audience que cette astreinte avait été liquidée à deux reprises par le juge de l'exécution sans que ces documents n'aient été communiqués ; que la comptabilité n'a pas été établie et que les assemblées générales n'ont pas été tenues.
L'existence de ces injonctions judiciaires, la désignation du mandataire ad hoc, les instances opposant les associés à propos de la gestion de deux autres SCI, le refus de toute médiation au cours de la présente instance démontrent une perte totale d'affectio societatis et une mésentente irrémédiable entre les associés.
En raison de cette mésentente, la société se trouve depuis une quinzaine d'années dans l'incapacité complète de prendre une décision sur sa stratégie, de tenir une assemblée générale, d'approuver ses propres comptes, de décider d'une distribution de dividendes ou d'un report à nouveau ; que les consorts [T], associés à 50%, sont privés de la possibilité de contrôler l'usage d'une partie de leur patrimoine.
Tous ces éléments et en particulier l'impossibilité avérée de distribuer des dividendes témoignent d'une paralysie totale du fonctionnement de la société, constituée dans le but d'en partager.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de prononcer la dissolution de la société selon les modalités prévues au dispositif.
Sur la demande de dommages-intérêts
L'issue du litige implique le rejet de la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formulée par les intimés.
Sur les demandes accessoires
L'équité commande de n'allouer d'indemnité de procédure à aucune des parties et de laisser à M. [D] la charge des dépens.
PAR CES MOTIFS,
la cour, statuant par défaut,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Prononce la dissolution de la société Financière des chais ;
Désigne la société Alliance, mandataire judiciaire, en la personne de Mme [N], pour procéder aux opérations de liquidation ;
Condamne M. [D] ;
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT