Livv
Décisions

CA Nîmes, 5e ch. soc. ph, 8 juillet 2025, n° 23/03152

NÎMES

Arrêt

Autre

CA Nîmes n° 23/03152

8 juillet 2025

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 23/03152 - N° Portalis DBVH-V-B7H-I6Z6

CRL/JLB

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'ANNONAY

11 septembre 2023

RG :22/00032

S.A.S.U. STS COMPOSITES FRANCE

C/

[J]

Grosse délivrée le 08 JUILLET 2025 à :

- Me FREISSES

- Me JANIN

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 08 JUILLET 2025

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANNONAY en date du 11 Septembre 2023, N°22/00032

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

GREFFIER :

Madame Delphine OLLMANN, Greffière lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l'audience publique du 11 Février 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 28 Avril 2025 puis prorogée au 02 juin 2025 puis au 08 juillet 2025.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

S.A.S.U. STS COMPOSITES FRANCE

[Adresse 10]

[Localité 1]

Représentée par Me Marius BUSCARINI de la SELAS FACTORHY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

Représentée par Me Lucas FREISSES, avocat au barreau de NIMES

INTIMÉ :

Monsieur [E] [J]

né le 20 Avril 1991 à [Localité 9]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Denis JANIN, avocat au barreau de LYON

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 08 Juillet 2025, par mise à disposition au greffe de la cour.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

La SASU STS Composites France est spécialisée dans la fabrication d'équipements automobiles. Elle applique la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie (IDCC 650).

Le 19 octobre 2015, la SASU STS Composites France a engagé M. [E] [J] par contrat à durée déterminée en qualité d'ingénieur méthode, statut cadre, position I, indice 80. La relation de travail s'est poursuivie à compter du 9 février 2017 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de superviseur, statut cadre, position I, indice 84.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [E] [J] a occupé le poste d'expert Lean Manufacturing Manager, statut cadre, position II, coefficient 100, moyennant un salaire de référence de 3.550,88 euros bruts.

Le 27 août 2021, M. [J] a été placé en arrêt de travail au titre de l'assurance maladie.

Formulant divers griefs à l'encontre de l'employeur, par requête en date du 17 mai 2022, M. [E] [J] a saisi le conseil de prud'hommes d'Annonay aux fins de voir juger qu'il a été victime de harcèlement moral, d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et la condamnation subséquente de la SASU STS Composites France au versement de diverses sommes indemnitaires. La procédure a été enregistrée sous le numéro RG 22 00032.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 28 septembre 2022, le salarié a notifié à la SASU STS Composites France la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur.

Par une seconde requête en date du 6 octobre 2022, M. [E] [J] a saisi le conseil de prud'hommes d'Annonay aux fins de faire juger que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul et à tout le moins sans cause réelle et sérieuse. La procédure a été enregistrée sous le numéro RG 23 00067.

Par jugement en date du 11 septembre 2023, le conseil de prud'hommes d'Annonay a :

- ordonné la jonction des deux instances sous le numéro de RG 22/00032 et constaté que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [E] [J] est devenue sans objet du fait de la prise d'acte intervenue ultérieurement.

- reconnu l'existence d'une situation de harcèlement moral exercée à l'encontre de M. [E] [J] par M. [G] [P] et l'absence de mesures de protection prises par la SAS STS Composites France.

- dit que la prise d'acte de rupture de M. [E] [J] produit les effets d'un licenciement nul.

- fixé le salaire mensuel de référence de M. [E] [J] à 3 550,88 euros.

- condamné la société STS Composites France à payer à M. [E] [J] les sommes suivantes:

- 6 140,06 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 10 652,64 euros au titre de l'indemnité de préavis,

- 1 065,26 euros au titre des congés payés afférents,

- 23 000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- débouté la société STS Composites France de ses demandes reconventionnelles.

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

- dit que les condamnations prononcées sont assorties des intérêts de droit conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil.

- dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire autre que celles de droit.

- condamné la société STS Composites France aux entiers dépens.

Par acte du 6 octobre 2023, la SASU STS Composites France a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance en date du 8 octobre 2024, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet différé au 13 janvier 2025 à 16 heures. L'affaire a été fixée à l'audience du 11 février 2025.

En l'état de ses dernières écritures en date du 9 décembre 2024, la SAS STS Composites France demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 11 septembre 2023 par le conseil de prud'hommes d'Annonay en ce qu'il a :

- reconnu l'existence d'une situation de harcèlement moral exercée à l'encontre de M. [E] [J] par M. [N] [P] et l'absence de mesures de protection prise par la société SAS STS Composites France.

- dit que la prise d'acte de rupture de MR [J] [E] produit les effets d'un licenciement nul.

- fixé le salaire mensuel de référence de M. [E] [J] à 3 550,88€.

- condamné la société SAS STS Composites France à payer à M. [E] [J] les sommes suivantes:

- 6 140,06 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 10 652,64 euros bruts correspondant à 3 mois de salaire au titre de l'indemnité de préavis,

- 1 065,26 euros bruts au titre des congés payés afférents au titre de l'indemnité de préavis,

- 23 000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 1500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- dit que les condamnations prononcées sont assorties des intérêts de droit conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil,

- dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire autre que celles de droit,

- condamné la société SAS STS Composites France aux entiers dépens.

A titre principal,

- juger que M. [E] [J] n'a pas été victime de harcèlement moral ;

- juger qu'elle a respecté son obligation de sécurité ;

- juger que la prise d'acte de la rupture par M. [E] [J] produit les effets d'une démission ;

- en conséquence, débouter M. [E] [J] de l'intégralité de ses demandes et fins,

A titre subsidiaire, si par impossible la cour jugeait que la prise d'acte de rupture du contrat de travail de M. [E] [J] devait produire les effets d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse :

- juger que M. [E] [J] ne justifie d'aucun préjudice tiré de la rupture de son contrat ;

- juger que M. [E] [J] échoue à établir l'existence et l'importance du préjudice qu'il allègue ;

- en conséquence, réduire le montant des dommages et intérêts à allouer à M. [E] [J] à 10.652,63 euros bruts, soit 3 mois de salaire si la prise d'acte produit les effets d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

- réduire le montant des dommages et intérêts à de plus justes proportions si la prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul soit 6 mois de salaire.

A titre reconventionnel,

- juger que la prise d'acte de M. [E] [J] produisant les effets d'une démission est intervenue avec effet immédiat ;

- en conséquence, condamner M. [E] [J] à verser la somme de 10.652,16 euros au titre de l'indemnité de préavis due.

En tout état de cause,

- débouter M. [E] [J] de sa demande au titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

- débouter M. [E] [J] de sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [E] [J] à la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [E] [J] aux entiers dépens.

Au soutien de ses demandes, la SASU STS Composites France fait valoir que :

- la prise d'acte de M. [E] [J] doit produire les effets d'une démission en l'absence de caractérisation des griefs qu'il énonce,

- M. [E] [J] prétend avoir été victime de harcèlement moral de la part de M. [P] du 5 juillet au 25 août 2021 alors qu'il se trouvait en congés payés du 23 juillet 2021 au soir au 23 août 2021;

- les faits dénoncés sont caractéristiques d'un management directif et le dossier médical ne permet pas de laisser supposer l'existence de faits constitutifs de harcèlement moral,

- un avis d'aptitude sans réserve a été rendu par le médecin du travail en date du 12 mars 2022, alors que le médecin du travail dans le cas d'une situation de harcèlement moral aurait émis un avis d'inaptitude temporaire,

- les attestations produites par M. [E] [J] ne décrivent aucun fait précis et daté et sont donc dépourvues de tout effet probant, et M. [E] [J] se fonde quasi exclusivement sur ses propres déclarations,

- les termes de l'attestation de Mme [B] sont identiques à ceux utilisés par M. [E] [J] dans sa prise d'acte et dans son compte rendu,

- ni l'inspection du travail saisie par M. [E] [J], ni le délégué syndical, ni l'infirmerie n'ont jugé utile de lui signaler la dénonciation de M. [E] [J], ce dont il se déduit que son alerte n'était pas sérieuse,

- l'article de presse dont se prévaut M. [E] [J] concerne les négociations annuelles obligatoires sur les salaires et non pas la dénonciation des conditions de travail contrairement à ce qui est soutenu par M. [E] [J],

- elle n'a nullement manqué à son obligation de sécurité, ayant dès sa prise de connaissance des faits dénoncés, entrepris d'organiser la tenue d'une enquête menée objectivement par le cabinet externe ACCA qui a conclu que : 'suite à l'étude des différents documents communiqués et la prise en compte des éléments collectés lors des différents entretiens, les faits ne semblent pas être constitutifs de harcèlement moral', étant rappelé que M. [E] [J] a refusé de participer à cette enquête, et que contrairement à ce que soutient ce dernier ses écrits ont été pris en compte dans cette enquête,

- subsidiairement, en cas de requalification de la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, la demande indemnitaire de M. [E] [J] ne repose sur aucune démonstration d'un préjudice qui justifierait de lui allouer que le seuil de 3 mois de salaire prévu légalement, étant rappelé que M. [E] [J] a été embauché par un nouvel employeur un mois après sa prise d'acte,

- à titre reconventionnel, dès lors que la prise d'acte sera requalifiée en démission, M. [E] [J] est débiteur d'une indemnité compensatrice des trois mois de préavis qu'il n'a pas exécuté, soit la somme de 10.652,64 euros

- aucune exécution déloyale du contrat de travail ne lui est imputable, elle a immédiatement réagi à sa dénonciation en mandatant un cabinet extérieur qui a procédé à une enquête malgré le refus de M. [E] [J] d'être entendu, et aucune des alertes dont se prévaut M. [E] [J] n'a été considérée comme sérieuse, ni l'infirmerie, ni l'inspection du travail ni les instances représentatives du personnel n'ayant estimé devoir lui faire remonter cette alerte.

Aux termes de ses dernières conclusions contenant appel incident en date du 16 septembre 2024, M. [E] [J] demande à la cour de :

A titre principal

- confirmer le jugement rendu le 11 septembre 2023 par le conseil de prud'hommes d'Annonay en ce qu'il a :

- reconnu l'existence d'une situation de harcèlement moral exercée à son encontre et l'absence de mesures de protection prises par la société STS Composites France ;

- jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit produire les effets d'un licenciement nul ;

- condamné la société STS Composites France au paiement des sommes suivantes : * 6.140,06 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

* 10 652,64 euros à titre d'indemnité de préavis ;

* 1 065,26 euros au titre des congés payés afférents.

- infirmer le jugement rendu le 11 septembre 2023 par le conseil de prud'hommes d'Annonay en ce qu'il a condamné la société STS Composites France au paiement des sommes suivantes :

* 23 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

- condamner la société STS Composites France au paiement des sommes suivantes :

* 24.856,16 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul;

* 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

A titre subsidiaire

- juger que la société STS Composites France a manqué à son obligation de sécurité ;

- juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- par conséquent, condamner la société STS Composites France au paiement des sommes suivantes :

* 6.140,06 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

* 10 652,64 euros à titre d'indemnité de préavis ;

* 1 065,26 euros au titre des congés payés afférents ;

* 24.856,16 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

En tout état de cause,

- débouter la société STS Composites France de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner la société STS Composites France au versement de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure de première instance, outre 2 000 € au titre de la procédure d'appel ;

- la condamner aux entiers dépens de l'instance ;

- juger que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal.

Au soutien de ses demandes, M. [E] [J] fait valoir que :

- il a été victime de faits constitutifs de harcèlement moral caractérisés notamment du fait que M. [P], même en l'absence de lien hiérarchique avant septembre 2021, a fait preuve d'une autorité hiérarchique à son égard l'ayant conduit à dénoncer ces agissements auprès du service de santé au travail dès le 8 juillet 2021 ; M. [P] a adopté un comportement inacceptable à son égard et à l'égard de sa collègue de travail, Mme [B], s'illustrant notamment le concernant par des irruptions inopinées dans leurs bureaux, par des courriels à répétitions ou des propos dénigrants et menaces les ayant conduit à se présenter de nouveau au service de santé au travail le 13 juillet 2021 ; ces comportements se sont poursuivis alors qu'il était placé en arrêt de travail par l'envoi de courriels 'pour information' ou 'pour prise en compte', mais également aux fins d'organiser une réunion,

- malgré les alertes qu'il a exprimées, la société a fait preuve d'une inertie en violation de son obligation de sécurité,

- du fait de cette situation, son état de santé s'est fortement dégradé,

- il a pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison de ces graves manquements de son employeur à son égard,

- il peut en conséquence prétendre aux indemnisations dues en cas de licenciement nul ainsi qu'aux dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

MOTIFS

Demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

* Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du Code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du Code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, M. [E] [J] soutient avoir subi une situation de harcèlement moral illustrée par des agissements inappropriés et répétés adoptés à son égard par M. [P], dans le contexte d'une réorganisation de la société, soit :

- en se plaçant en supérieur hiérarchique à son égard de façon anticipée, celui-ci ayant officiellement été promu directeur des opérations en charge du service lean au mois de septembre 2021 ;

- en faisant preuve d'un comportement inacceptable se traduisant par des irruptions inopinées dans son bureau sans dire mot et avec pour unique objectif de le perturber dans la réalisation de son travail ; des courriers à répétition et ce même durant ses congés ; des propos dénigrants à son égard et sur ses qualités professionnelles et des menaces de bouleverser l'organisation du service;

- en persistant dans ces agissements pendant son arrêt de travail.

M. [E] [J] affirme que la SASU STS Composites France a fait preuve d'une inertie malgré ses alertes sur la situation et le contexte de conflit social en réaction au management général depuis la reprise par le groupe germano-italien.

Au soutien de sa demande, M. [E] [J] verse aux débats:

- son contrat de travail et ses avenants ainsi que ses bulletins de paie du mois de janvier 2021 au mois de décembre 2021;

- les échanges par notes en délibéré auprès du conseil de prud'hommes d'Annonay du 25 mai 2023, lors desquels la société STS Composites France affirme que 'dès l'acquisition le 1er juillet 2021 du Groupe STS par le Groupe APG, une réorganisation s'opère et Monsieur [G] [P], toujours directeur des opérations, devient supérieur hiérarchique de Monsieur [K] [F], senior lean and industrial manager et donc par la force des choses de Monsieur [E] [J], ce qui ressort de l'organigramme de septembre 2021 et contredit donc les propos de Monsieur [E] [J] qui a indiqué lors de votre audience que M. [G] [P] se serait octroyé seul la direction du service lean', ce à quoi le salarié répond 'ce n'est que dans le cadre de l'organigramme de septembre 2021 que Monsieur [P] apparaît en qualité de directeur des opérations en charge du service lean. Or les faits dénoncés (...) se sont produits au cours de l'été 2021, avant que Monsieur [P] n'accède aux fonctions de directeur des opérations et qu'un lien hiérarchique soit officialisé entre ce dernier et Monsieur [J]' ;

- un document intitulé ' point du 08/07/21 à l'infirmerie', dans lesquels sont retranscrits les propos attribués à M. [P] à son encontre: 'vous avez un problème', 'vous êtes des gens de bureau et de fichier excel','vous n'avez pas de réseau et manquez de présence sur le terrain', 'le lean n'est pas que de l'audit', 'vous n'êtes pas capable de dire bonjour', 'le service lean BU est juste un titre pompeux', 'vous avez une mauvaise communication au sein de votre service', 'vous travaillez dans une tour d'ivoire', 'les actions de productivité que vous menez ne sont pas une priorité', 'vous n'avez pas la bonne vision', 'vous ne savez pas vous remettre en question', 'vos actions de productivité et le PDCA financier ne sont pas connus du service finance et n'ont aucune valeur', 'la prestation attendue sur les sites n'est pas la prestation que vous proposez';

- le copie de son dossier médical auquel est annexé le précédent document et deux autres du même type, établis par M. [E] [J],

- une attestation de Mme [L] [B] qui indique : 'j'ai subi des pressions et du harcèlement psychologique de la part de M. [P], dès l'absence de mon responsable (arrêt maladie depuis la semaine 27 de 2021). En effet, le 06/07 de 2021 alors que j'étais en déplacement avec mon homologue [E] [J] sur le site de [Localité 5] (à la demande de M. [P]), celui-ci nous a pris a partie [E] [J] et moi dans une salle pendant plus d'une heure, nous infligeant divers reproches sur la qualité de notre travail et reproches personnels. Nous avons tenté de fuir cette situation en coupant court à cette situation, mais étions dans l'incapacité de le faire sous l'emprise et la domination de M. [P]. J'ai été fortement perturbée par cet événement et nous avons dû nous soutenir mutuellement pour ne pas craquer. S'en est suivi dans les semaines suivantes divers événements sur le site de [Localité 8], où M. [P] a maintenu sur nous une pression constante avec des mails, appels et plusieurs visites inopinées dans notre bureau pour nous exposer sa vision et ses demandes et parfois même en nous regardant sans rien dire avant de partir. Je me sentais sans cesse surveillée et sous pression jusqu'à mes congés en semaine 30 2021, et j'ai posé ma démission afin de fuir cette situation devenue invivable. Au retour des congés, je découvre sur un mail que M. [P] devient mon responsable N+2, et s'en suit le 25/08 une réunion de préparation d'audit TATF à laquelle j'ai été convoquée en présence notamment de M. [P]. Après quelques minutes d'échange, celui-ci me demande de manière très virulente de sortir de la salle pour être seul avec [E] [J]. Ce même jour j'ai subi du chantage de la part de M. [P], j'ai fait la demande de réduire mon préavis pour quitter au plus tôt l'entreprise et il m'a dit 'OK à la seule condition que tu termines ta mission à 100% en déplacement sur le site d'[Localité 7]'. J'ai formalisé à 3 reprises l'ensemble de ces événements auprès de la médecine du travail, et j'ai terminé mon préavis en arrêt maladie afin de protéger ma santé' ;

- le courriel en date du 29 juillet 2021 de la direction de la société informant les salariés de la nouvelle organisation business Unit Europe & Amérique du Nord et du placement de M. [P] en qualité de directeur des opérations au sein de la société ;

- son avis d'aptitude à son poste en date du 18 mars 2022 émis par le Dr [M], sans réserve ou restriction quant à une souffrance au travail,

- son arrêt de travail initial en date du 27 août 2021 établi par le Dr [W] [S], et ses prolongations jusqu'au 30 septembre 2022, mentionnant initialement un 'épuisement professionnel' puis un 'syndrome anxiodépressif suite épuisement professionnel' ;

- des courriels de M. [P] envoyés au salarié durant la période de suspension de son contrat de travail pour arrêt maladie, ayant pour objet'pour prise en compte svp' ou informant du report d'une réunion ;

- le courrier de M. [T] [U] du 27 septembre 2021 à son attention, rédigé en ces termes 'nous allons ouvrir un poste de Project Quality Leader dont je souhaiterais te parler. Une très bonne opportunité selon moi'. Pourrais-tu me rappeler pour en parler '';

- des échanges de courriels en date du 13 décembre 2021 avec la direction des ressources humaines de la société par lesquels il dénonce la situation de harcèlement moral qu'il estime avoir subie, et la réponse du directeur des ressources humaines l'informant de la mise en oeuvre d'une enquête auprès d'un organisme externe;

- des échanges de courriels avec l'Inspection du travail à compter du 12 janvier 2022, dans lesquels il prend attache avec les services territorialement compétents afin de pouvoir 'exposer [son] problème' ;

- un courrier du 8 février 2022 de son conseil à la société reprenant la chronologie des faits dénoncés et formulant le souhait de trouver une solution amiable au litige ainsi que le courrier de réponse de la société du 24 février 2022 réaffirmant la volonté d'ouvrir une enquête sur les faits allégués par un organisme externe ;

- une attestation médicale incapacité - invalidité 'gestion déléguée'de son médecin traitant, le Dr [W] [S], en date du 3 mars 2022, mentionnant : 'anxiété avec agitation - trouble du sommeil - syndrome dépressif - troubles digestifs - douleur abdo - selles glaireuses' ;

- un courrier du Dr [W] [S] du 20 juin 2022 à un confrère mentionnant : 'j'ai reçu en consultation Mr [J] [E], 31 ans, en août 2021 pour un problème d'anxiété majeure avec agitation, irritabilité, troubles du sommeil et troubles digestifs, syndrome dépressif. Ce patient a pour antécédents des troubles digestifs avec selles glaires sanglantes. Devant ce tableau psychologique, j'ai établi un arrêt de travail que j'ai prolongé régulièrement vu la persistance des troubles anxieux et dépressifs - psychothérapique depuis début mai. En effet un suivi régulier semble nécessaire vu la procédure lourde en cours avec son employeur qui déstabilise Mr [J] au niveau psychologique. Dans ces conditions, la reprise du travail ne m'a pas semblé possible sans mettre en péril sa santé, ce qui a été confirmé par le médecin-conseil de la CPAM';

- une attestation du Dr [R] [I] en date du 21 juin 2022 certifiant recevoir M. [E] [J] en suivi psychothérapeutique depuis le 4 mai 2022 ;

- un courriel du 28 juillet 2022 du Dr [A] [O] relatif à un examen du salarié le 8 septembre 2022 dans le cadre de son arrêt de travail, et les conclusions médicales du 12 octobre 2022: 'le médecin conseil a souhaité vérifier votre incapacité actuelle à reprendre une activité professionnelle et nous vous remercions d'avoir accédé à sa demande. Le rapport d'expertise médicale a confirmé que votre incapacité temporaire de travail est médicalement justifiée jusqu'à votre sortie des effectifs fixée au 28/09/2022" ;

- un article intitulé 'grève illimitée chez STS composites à [Localité 8], [Localité 4] et [Localité 6]' du Dauphiné Libéré;

- sa requête en date du 17 mai 2022 en vue de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail auprès du conseil de prud'hommes d'Annonay ;

- ses échanges de courriels du 18 octobre 2021 avec M. [P] concernant le paiement de notes de frais dont la réponse de ce dernier ' je suis sur site demain et les donne signées à [H] dans la foulée. Cordialement' ;

- ses échanges avec M. [Y] en sa qualité de délégué syndical, lequel écrit dans un courriel du 31 août 2021 'de notre côté on a fait un tract, et on a demandé en CSE de mandater le C2SCT pour une enquête sur les risques psychosociaux. [D] et [X] [Z] ont souhaité que la direction participe à ces auditions ou enquête (réflexions en cours) ... Nous avons refusé, de ce fait nous regardons si légalement ils sont dans leur droit (de demander à participer), si c'est le cas nous ferons autrement... On a à faire à de curieux personnages, ils sont sur la défensive'.

Ces éléments pris dans leur ensemble ne permettent pas de présumer de l'existence d'une situation de harcèlement moral dès lors que la majorité des pièces produites ne fait que reprendre les propos de M. [E] [J] qui ne sont objectivés par aucun élément dans la mesure où l'unique attestation produite, établie par Mme [L] [B] ne fait que décrire sa propre situation et ses griefs envers son employeur.

Les documents présentés par M. [E] [J] comme étant la synthèse des faits qu'il dénonce et qui sont également annexés à son dossier médical ne font également que reprendre ses propres déclarations.

Les trois courriels adressés à M. [E] [J] pendant son arrêt de travail produits aux débats n'appelaient pas de réponse de sa part et avaient vocation à le tenir informé de la situation de son service pendant son absence, en perspective de son retour.

Les éléments médicaux, s'ils caractérisent une dégradation de l'état de santé de M. [E] [J], ne font que reprendre également ses propres déclarations quant à leur imputation à son activité professionnelle.

La décision déférée, qui a conclu à une situation de harcèlement moral sera infirmée en ce sens.

* Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

M. [E] [J] sollicite la somme de 10.000 euros de dommages-intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail par la société STS Composites France du fait de l'absence de réaction de l'employeur et, au-delà, son attitude suspicieuse adoptée face à ses alertes.

M. [E] [J] expose qu'il a alerté à de multiples reprises sa direction à compter du courriel du 13 décembre 2021, sur son incapacité à exercer ses fonctions depuis le 27 août 2021 et être en arrêt maladie depuis cette date du fait qu'il ait subi des pressions et un harcèlement psychologique de la part de M. [P].

La SASU STS Composites France conteste tout manquement de sa part à son obligation de sécurité, Monsieur [V], directeur des ressources humaines par intérim de la société depuis début décembre 2021 s'étant immédiatement rapproché du salarié par courrier en date du 6 janvier 2022 afin de prendre connaissance de la teneur et de l'ampleur de la situation décrite après la fermeture de la société durant les deux dernières semaines du mois de décembre 2021, et une enquête a été confiée à un organisme externe par courriel du 25 janvier 2022, lequel a conclu: 'suite à l'étude des différents documents communiqués et la prise en compte des éléments collectés lors des différents entretiens, les faits ne semblent pas être constitutifs de harcèlement moral, bien que ce rapport à lui seul et les prérogatives d'ACCA ne permettent pas de le qualifier ou non en l'espèce. Il ressort des entretiens que Monsieur [J], tout comme les autres membres de l'équipe Lean, ne semble pas avoir accepté et/ou compris le changement d'orientation du travail de l'équipe demandé par la direction de l'entreprise. Il ressort également que M. [P] est un directeur des opérations qui intervient dans un contexte complexe : redresser les usines dans un marché compliqué. M. [P] a un niveau d'exigence important pour atteindre les résultats qui lui sont demandés. Concernant M. [J] et le management à son égard, M. [P] qui est de fait devenu son manager direct suite à l'absence de [C] [F], a eu un management parfois brusque, manquant de formes, avec une communication très directe. Des entretiens, il ressort que ce type de management est celui de M. [P] avec ses différentes équipes'.

Il résulte de ces éléments que l'employeur a réagi rapidement à la dénonciation de M. [E] [J], en faisant le choix d'une enquête confiée à un cabinet extérieur, garantissant une plus grande impartialité qu'en cas de recours à une enquête interne.

Le fait que l'enquête se déroule sur plusieurs mois ne remet pas en cause les diligences accomplies à bref délai par l'employeur étant observé que sur cette période, M. [E] [J] était en arrêt maladie et qu'il le restera jusqu'à la rupture de son contrat de travail.

Par ailleurs, l'attitude suspicieuse de son employeur à son égard dénoncée par M. [E] [J] relève de son ressenti et n'est objectivée par aucun élément.

M. [E] [J] sera par conséquent débouté de sa demande 10.000 euros de dommages-intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail par la société STS Composites France.

La décision déférée sera infirmée en ce sens.

Demandes relatives à la rupture du contrat de travail

La prise d'acte est un mode de rupture du contrat par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des griefs qu'il impute à son employeur.

Pour que cette prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les manquements invoqués par le salarié doivent non seulement être établis, mais ils doivent de surcroît être suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

C'est au salarié, et à lui seul, qu'il incombe d'établir les faits allégués à l'encontre de l'employeur. S'il n'est pas en mesure de le faire ou s'il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l'appui de sa prise d'acte, celle-ci doit produire les effets d'une démission. Le contrôle de la juridiction porte sur l'ensemble des faits invoqués par le salarié.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige, et il convient d'examiner tous les manquements de l'employeur invoqués par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés par écrit.

En l'espèce, M. [E] [J] a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier recommandé avec accusé de réception du 28 septembre 2022 aux motifs que :

'Embauché au sein de votre entreprise le 19 octobre 2015 en qualité d'Ingénieur Méthodes, j'y exerce au dernier état les fonctions d'Ingénieur Amélioration Continue.

Je vous notifie par la présente la prise d'acte de la rupture de mon contrat de travail à vos torts exclusifs

Mes conditions de travail ont fait l'objet d'une dégradation brutale à partir de l'été 2021, du fait d'agissements inappropriés et répétés de Monsieur [P] à mon égard, sous couvert de la direction des ressources humaines.

La nouvelle organisation mise en place à partir de l'été 2021 m'a en effet conduit à être placé sous la responsabilité directe de ce dernier, les faits de harcèlement et la position de subordination ayant commencé avant l'entrée en vigueur officielle de la nouvelle organisation, suite à l'absence de mon N+1.

Dans ce cadre, j'ai subi des agissements répétés ayant eu pour effet de dégrader mes conditions de travail dans des conditions rendant impossible la poursuite de la relation contractuelle.

A titre d'illustrations, j'ai pu déplorer les comportements suivants :

- irruptions inopinées dans mon bureau, sans dire le moindre mot et avec pour unique objectif de me perturber dans la réalisation de mon travail

- courriels à répétition et ce, même pendant mes congés

- propos dénigrants à mon égard et remise en cause de mes qualités professionnelles et personnelles

- menaces de bouleverser l'organisation du service

Au dernier état et au cours d'une réunion qui s'est tenue le 25 août 2021, Monsieur [P] m'a indiqué que je ne disposais pas de souplesse intellectuelle et que j'allais devoir me plier à sa vision pour travailler avec lui.

Ce contexte m'a contraint d'être placé en arrêt de travail à compter du 27 août 2021.

Malgré la suspension de mon contrat de travail, Monsieur [P] n'a pas hésité à me solliciter en m'adressant des courriels 'pour information' ou 'pour prise en compte', ou encore aux fins d'organiser une réunion.

Dans le même temps, la direction des ressources humaines attirait mon attention sur l'ouverture d'un nouveau poste constituant une prétendue 'très belle opportunité', me poussant ainsi au départ, par courriel reçu sur mes adresses professionnelle et personnelle.

Dans ce contexte, le 6 décembre 2021, j'ai été informé du départ de Monsieur [U], directeur des ressources humaines, et de son remplacement par Monsieur [V].

J'ai profité de ce remaniement partiel de l'équipe de direction pour alerter la nouvelle direction des ressources humaines sur ma situation et dénoncer expressément, par courriel du 13 décembre 2021, les 'pressions' et le 'harcèlement psychologique' subis de la part de Monsieur [P].

A défaut de réponse opérante, j'ai dû procéder à une relance le 18 janvier 2022.

Il m'a été indiqué en réponse, par courriel du 21 janvier 2022, qu'une enquête allait être mise en oeuvre sur les faits de harcèlement dénoncés.

Pour autant, votre société n'a pas manqué de dissimuler sa suspicion en reproduisant in extenso la teneur des dispositions issues du Code pénal relatives à la formulation de fausses accusations.

Alors que j'avais d'ores et déjà expressément illustré les faits de harcèlement moral dénoncés, vous m'avez de nouveau invité à préciser les manquements constatés.

J'ai immédiatement confirmé, par l'intermédiaire de mon conseil, la teneur des faits constatés.

Une nouvelle fois, votre société a prétendu ouvrir une enquête sur les faits allégués.

Dans ce cadre, vous avez néanmoins persisté à me demander de fournir des explications que j'avais d'ores et déjà formulés, alors même que vous étiez avisés de l'intervention de mon conseil.

J'estime en définitive avoir été victime de harcèlement moral dans des conditions largement portées à votre connaissance.

A tout le moins, l'absence totale de prise en compte des faits que j'ai dénoncés caractérise un manquement de votre société à son obligation de sécurité et de prévention des risques.

Ces faits sont caractérisés par ma situation personnelle et largement illustrés, au-delà, par cette de ma binôme, Madame [B], qui a présenté sa démission aux fins d'échapper au harcèlement qu'elle a également subi e la part de Monsieur [P].

Je déplore enfin le non-paiement de ma dernière note de frais.

Ces différents manquement rendent impossible la poursuite de l'exécution de mon contrat de travail.

Ils m'ont conduit, en premier lieu, à saisir la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de mon contrat de travail aux torts de votre entreprise.

Une nouvelle fois et en dépit de l'engagement de cette procédure, je suis contraint de constater que vous n'entendez pas prendre en compte ma position, ni adopter la moindre mesure de nature à permettre la poursuite de la relation contractuelle.

C'est pourquoi je prends acte de la rupture de mon contrat de travail à vos torts exclusifs.

Cette rupture sera effective à la date d'envoi de la présente lettre.

Je vous remercie de bien vouloir me transmettre, en LRAR, mon certificat de travail, mon attestation PÔLE EMPLOI et mon solde de tout compte, et également de bien vouloir faire le nécessaire s'agissant de la portabilité de la mutuelle et de la prévoyance dont je souhaite bénéficier'.

Les griefs invoqués par M. [E] [J] au soutien de sa prise d'acte sont identiques à ceux pour lesquels il a été débouté de ses demandes de dommages et intérêts au titre de l'exécution de son contrat de travail.

Il dénonce également le non paiement de sa dernière note de frais.

Ceci étant les seuls documents produits sont un échange de courriel dans lequel lui-même demande la validation de sa note de frais le 18 octobre 2021 à M. [P] qui lui répond immédiatement ' je suis sur site demain et les donne signées à [H] dans la foulée. Cordialement', ce qui ne peut caractériser le refus de paiement dénoncé.

Au surplus il n'est présenté aucune demande indemnitaire spécifique à ce titre, ce dont il se déduit que la situation a été régularisée.

Par suite, en l'absence de caractérisation des griefs ainsi invoqués, la prise d'acte en date du 28 septembre 2022 produit les effets d'une démission et M. [E] [J] sera débouté de l'ensemble de ses demandes indemnitaires présentées au titre de la rupture de son contrat de travail

* Demande de la SASU STS Composites France en paiement d'une indemnité au titre du préavis non exécuté.

En cas de démission, l'article L.1237-1 du code du travail dispose que l'existence et la durée du préavis sont fixées par la loi, ou par convention ou accord collectif de travail, et qu'en l'absence de dispositions légales, de convention ou accord collectif de travail relatifs au préavis, son existence et sa durée résultent des usages pratiqués dans la localité et dans la profession.

Il se déduit de ce texte que l'obligation de respecter le délai-congé s'impose aux parties au contrat de travail sans mise en demeure préalable.

Lorsqu'il n'en a pas été dispensé, le salarié qui n'a pas exécuté son préavis doit à l'employeur une indemnité compensatrice. Même si la prise d'acte entraîne la cessation immédiate du contrat de travail, de sorte que le salarié n'est pas tenu d'exécuter un préavis, la prise d'acte de la rupture du contrat qui n'est pas justifiée produit les effets d'une démission, et il en résulte que le salarié doit à l'employeur le montant de l'indemnité compensatrice de préavis résultant de l'application de l'article L. 1237-1 du code du travail ( Soc., 8 juin 2011, pourvoi n° 09-43.208) le droit de l'employeur au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis n'est subordonné ni à une manifestation de volonté de l'employeur d'exiger que le salarié effectue un préavis ou à une information qu'il le considérait comme démissionnaire , ni à la preuve d'un lien de causalité, ni à la démonstration d'un préjudice ( Soc., 15 avril 2015, pourvoi n° 13-25.815 ).

Cette jurisprudence connaît toutefois une exception: aucune indemnité compensatrice de préavis ne peut être mise à la charge du salarié s'étant trouvé, du fait de sa maladie, dans l'incapacité d'effectuer le préavis ( Soc., 24 novembre 2021, pourvoi n° 20-13.502 ). Il en va de même lorsque l'employeur a dispensé le salarié, qui avait proposé de l'effectuer, de l'exécution du préavis.

La SASU STS Composites France sollicite le paiement par M. [E] [J] d'une indemnité compensatrice du préavis qu'il n'a pas exécuté, correspondant conformément à la convention collective à trois mois de salaire, soit la somme de 10.652,64 euros.

M. [E] [J] s'oppose à cette demande en faisant valoir que la prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement nul et à tout le moins sans cause réelle et sérieuse.

La prise d'acte étant requalifiée de démission et M. [E] [J] ne contestant pas à titre subsidiaire le montant sollicité à ce titre par la SASU STS Composites France , il sera fait droit à la demande.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;

Infirme le jugement rendu le 11 septembre 2023 par le conseil de prud'hommes d'Annonay sauf en ce qu'il a ordonné la jonction des deux instances sous le numéro de RG 22/00032 et constaté que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [E] [J] est devenue sans objet du fait de la prise d'acte intervenue ultérieurement,

et statuant à nouveau,

Déboute M. [E] [J] de l'ensemble de ses demandes,

Condamne M. [E] [J] à verser à la SASU STS Composites France la somme de 10.652,64 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

Juge n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette les demandes plus amples ou contraires ;

Rappelle en tant que de besoin que le présent arrêt infirmatif tient lieu de titre afin d'obtenir le remboursement des sommes versées en vertu de la décision de première instance assortie de l'exécution provisoire,

Condamne M. [E] [J] aux dépens de première instance et de la procédure d'appel.

Arrêt signé par le président et par le greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site