CA Versailles, ch. com. 3-2, 8 juillet 2025, n° 24/04067
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
JBA Audit & Conseil (SARL)
Défendeur :
Performance Pierre (SCS), x
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerlot
Vice-président :
M. Roth
Conseiller :
Mme Cougard
Avocats :
Me Debray, Me Cenac, Me Archange, Me Pedroletti, Me Bonate
EXPOSE DU LITIGE
Le 9 octobre 2014, par l'intermédiaire de la société JBA Audit et Conseil (la société JBA), M. [N] [Y] et son épouse, Mme [C], ont souscrit au capital de la société Performance Pierre.
Fin 2014, les époux [N] [Y] ont cédé l'usufruit de leurs parts sociales à leur fils, M. [E].
Les 1er et 10 mars 2023, M. et Mme [N] [Y] et M. [T] (ensemble, les consorts [Y]) ont assigné les sociétés Performance Pierre et respectivement JBA Audit et Conseil devant le tribunal de commerce de Versailles en annulation de leur souscription et en indemnisation du préjudice né pour eux de l'effondrement de la valeur des parts de la société Performance Pierre.
Le 22 mai 2024, par jugement contradictoire, ce tribunal a :
- débouté M. et Mme [N] [Y] ainsi que M. [E] de leur demande de nullité ;
- débouté les sociétés Performance Pierre et JBA Audit et Conseil de leurs fins de non-recevoir ;
- condamné la société JBA Audit et Conseil à payer à M. et Mme [N] [Y] la somme de 111 840,81 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
- condamné la société JBA Audit et Conseil à payer à M. [T] la somme de 14 020,77 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
- ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
- condamné la société JBA Audit et Conseil à payer aux époux [N] [Y] et à M. [E], à part égale, la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société JBA Audit et Conseil aux dépens.
Le 26 juin 2024, la société JBA Audit et Conseil a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il l'a :
- déboutée de ses fins de non-recevoir ;
- condamnée à payer à M. et Mme [N] [Y] la somme de 111 840,81 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
- condamnée à payer à M. [T] la somme de 14 020,77 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
- ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
- condamnée à payer aux époux [N] [Y] et à M. [E], à part égale, la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamnée aux dépens dont les frais de greffe s'élèvent à la somme de 129,82 euros.
Le 23 septembre 2024, les consorts [Y] ont assigné la société Performance Pierre en appel provoqué.
Par dernières conclusions du 12 novembre 2024, la société JBA Audit et Conseil demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a :
déboutée de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action ;
condamnée à payer la somme de 111 840,81 euros avec intérêts au taux légal ;
condamnée à payer la somme de 14 020,77 euros avec intérêt au taux légal ;
ordonné la capitalisation des intérêts ;
condamnée à payer la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700, outre les dépens ;
- débouter M. et Mme [N] [Y] ainsi que M. [M] de leur appel incident ;
Ce faisant, statuant à nouveau,
- juger prescrites les demandes fondées sur le dol et sur le manquement à l'obligation d'information et de conseil ;
- déclarer en conséquence irrecevables les demandes formées par M. et Mme [N] [Y] ainsi que M. [M] ;
- débouter sinon M. et Mme [N] [Y] ainsi que M. [M] de toutes leurs demandes comme mal fondées ;
- condamner M. et Mme [N] [Y] ainsi que M. [M] à lui verser la somme de 2 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. et Mme [N] [Y] ainsi que M. [M] aux entiers dépens de 1ere instance et d'appel.
Par dernières conclusions du 20 décembre 2024, la société Performance Pierre demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa fin de non-recevoir ;
Statuant de nouveau,
- juger irrecevable la demande d'annulation de la souscription de 562 de ses parts sociales par M. et Mme [N] [Y] en raison de sa prescription ;
Subsidiairement,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. et Mme [N] [Y] et M. [E] de leur demande de nullité ;
En tout état de cause,
- débouter M. et Mme [N] [Y] et M. [E] de l'ensemble de leurs demandes formées à titre principal ou à titre subsidiaire à son encontre ;
- condamner M. et Mme [N] [Y] et M. [E] à lui payer la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. et Mme [N] [Y] et M. [E] aux entiers dépens dont le montant sera recouvré par Mme Pedroletti, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions d'intimés et d'appelants incidents du 12 février 2025, M. et Mme [N] [Y] et M. [E] demandent à la cour de :
- débouter les sociétés JBA Audit et Conseil et Performance Pierre de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il les a déboutés de leur demande de nullité pour dol de l'achat des 562 parts de la société Performance Pierre et de leur demande de restitution y afférente, ainsi que du quantum exact des dommages et intérêts réclamés ;
- prononcer la nullité pour dol de l'achat des 562 parts de la société Performance Pierre par les époux [N] [Y] ;
- condamner la société Performance Pierre à leur restituer la somme de 119 103,36 euros à ce titre, soit 169 948,80 euros en remboursement des sommes versées à l'achat, déduction faite de la somme de 50 845,44 euros versée en rémunération de ce placement jusqu'à fin décembre 2020 ;
- condamner la JBA Audit et Conseil à garantir la restitution de ladite somme aux époux [N] [Y] ;
- ordonner aux époux [N] [Y] de restituer les 562 parts de la société Performance Pierre dès qu'ils auront perçu ladite somme par la société Performance Pierre ;
- condamner in solidum les sociétés Performance Pierre et JBA Audit et Conseil à payer :
aux époux [N] [Y] la somme de 50 845,44 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice subi concernant la perte de revenus de 6% l'an sur la somme investie pendant 5 ans ;
à M. [E], en sa qualité d'usufruitier, la somme de 48 556,80 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de chance de percevoir une telle rémunération de leur investissement pour les années 2021 à 2026 ;
A titre infiniment subsidiaire,
- condamner in solidum les sociétés Performance Pierre et la JBA Audit et Conseil :
à payer aux époux [N] [Y], du fait de la perte de valeur de leurs 562 parts, une somme de 149 121,08 euros à titre de dommages et intérêts ;
à payer à M. [E], du fait de la perte de chance de percevoir une rémunération de 6% l'an de l'investissement pour les années 2021 à 2026, une somme de 48 556,80 euros ;
- confirmer le jugement entrepris pour le surplus ;
Y ajoutant,
- condamner in solidum les sociétés Performance Pierre et JBA Audit et Conseil à leur payer la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile concernant leurs frais irrépétibles d'appel ;
- condamner in solidum les sociétés Performance Pierre et JBA Audit et Conseil aux entiers frais et dépens de l'appel.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 avril 2025.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.
MOTIFS
Sur la prescription
La société JBA soutient que les demandes des consorts [Y] sont irrecevables comme prescrites ; que la prescription a couru du jour de la souscription du contrat, son rôle d'intermédiaire ayant cessé au moment de la conclusion de l'opération ; qu'ils avaient connaissance des risques dès la remise de la fiche technique décrivant l'opération, le 12 août 2014, qui mentionnait un "risque élevé" de 7/10, l'absence de garantie en capital et le risque de perte partielle ou totale de l'investissement ; que, bien que la fiche de connaissance client signée le 9 octobre 2014 précise que l'investissement ne correspondait pas à leur profil, ils ont expressément refusé toute analyse de leur situation patrimoniale par une mission de conseil en investissement financier, se contentant d'une "prestation d'information et de recherche" ; qu'elle n'était donc tenue envers eux à aucune obligation de conseil personnalisé.
La société Performance Pierre soutient elle aussi que la demande des consorts [Y] est prescrite ; que la fiche technique leur ayant été remise mentionnait lisiblement qu'elle était "réservée aux professionnels" et que les informations qu'elle contenait ne constituaient pas un conseil en investissement ; que les relations de MM. [O] et [Z] [A] avec le groupe Horizon n'existaient pas encore au moment de la souscription ; qu'[O] [A] n'était pas salarié du groupe Horizon en août 2014 et agissait dans le seul intérêt de la société JBA ; qu'elle n'a jamais démarché directement les investisseurs, son rôle étant de communiquer avec les professionnels de la gestion de patrimoine ; que les man'uvres dolosives alléguées par les consorts [Y] émaneraient du conseiller en gestion de patrimoine, avec lequel sa collusion n'est pas prouvée.
Les consorts [Y] prétendent que la prescription quinquennale n'a commencé à courir que le jour où ils ont découvert la chute brutale de la valeur de leurs parts sociales et les risques liés à leur acquisition, soit par un courriel du conseiller en gestion de patrimoine du 3 décembre 2021 ; que, profanes en matière de droit des sociétés et d'investissement capitalistique, ils n'ont pas pu apprécier initialement la portée de leur engagement concernant la convention de compte courant d'associé, qui masquait l'absence de versement de dividendes ; qu'ils pensaient bénéficier du rendement de 6% promis et n'avaient pas de raison de s'inquiéter du fait que les dividendes leur étaient versés sous formes de prêts plutôt que de qu'en numéraire ; que le mécanisme frauduleux consistant à faire croire qu'un revenu était versé alors qu'il s'agissait d'un prêt remboursable était prévu dès le départ par la société Performance Pierre, et que cette information déterminante leur a été cachée lors de la conclusion de l'acte d'achat ; que les interconnexions entre les sociétés et les rôles de MM. [O] et [Z] [A] leur ont été dissimulés ; que le point de départ de la prescription d'une action en responsabilité pour manquement aux devoirs d'information et de conseil court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime.
Réponse de la cour
L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Selon l'article 1109 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été surpris par dol.
Selon l'article 1304, devenu 1144, de ce code, le délai de prescription de l'action en nullité pour erreur ou dol ne court que du jour où ils ont été découverts.
Un conseiller en gestion de patrimoine est tenu envers ses clients d'une obligation d'information, de conseil et de mise de garde (voir par exemple (Com., 10 mars 2021, n°19-16.302 ; 21 juin 2023, n°21-19.853, publié ; 21 juin 2023, n°21-16.716, publié ; 1re Civ., 26 septembre 2019, n° 18-23.165 et n°18-21.402).
Le délai de prescription de l'action en responsabilité engagée par un acquéreur contre un conseiller en gestion de patrimoine court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance. (Com., 5 mars 2025, n° 23-23.918, publié).
En qualité de conseiller en gestion de patrimoine, la société JBA était tenue envers les époux [Y] d'une obligation d'information, de conseil et de mise en garde.
Le document qu'elle [que la société JBA, conseiller en gestion de patrimoine] leur a fait signer le 12 août 2014, intitulé « refus de délivrance des informations », par lequel ils indiquent ne pas souhaiter pas répondre à certaines questions, de sorte que « la mission ne pourra être personnalisée » et que « les procédures CIF ne s'appliqueront plus », est à cet égard dépourvu de toute portée.
Il n'est pas contesté que les époux [Y] ont été démarchés par M. [Z] [A], co-gérant de la société JBA, et par son père, M. [O] [A], à leur domicile, constitué par le logement de fonction de Mme [Y], gardienne d'immeuble ; que la société JBA savait que M. [Y] était retraité ; que c'est à cette occasion que M. [Z] [A] leur a fait signer une « fiche de connaissance client » sur laquelle la cour constate qu'ils ont indiqué n'avoir aucun revenus de valeurs mobilières, ne pas gérer eux-mêmes de portefeuille et se considérer comme des investisseurs profanes ; que le fils de M. et Mme [Y], usufruitier des parts de ses parents, exerce la profession de tatoueur.
Le devoir d'information, de conseil et de mise en garde incombant à la société JBA était donc d'autant plus grand qu'elle savait avoir affaire à des investisseurs à l'évidence non avertis, qui n'étaient pas en mesure d'apprécier le risque qu'impliquait pour eux le produit d'investissement auquel ils ont souscrit ni la proposition leur ayant été faite chaque année après cette souscription de ne pas toucher de dividendes, mais plutôt de réinvestir dans la société Performance Pierre sous forme de créance en compte courant.
Le 3 décembre 2021, la société JBA a écrit aux investisseurs pour leur rendre compte de l'assemblée générale de la société Performance Pierre, leur indiquer que celle-ci n'était pas en bonne posture, que l'espoir de redressement était « très compliqué » et qu'il existait des « pertes dramatiques pour les actionnaires ».
Ce n'est qu'à cette date que les consorts [Y], investisseurs sans expérience, ont découvert les faits qui donnent lieu à leur action et été en mesure d'apprécier rétrospectivement le comportement des sociétés JBA et Performance Pierre, puis de rechercher quels étaient les liens entre ces deux sociétés qui ne leur avaient pas été révélés en 2014.
Le dommage invoqué par des consorts [Y] ne s'est réalisé qu'en décembre 2021, lorsqu'ils ont appris la chute brutale de la valeur de leurs parts sociales. Leur action, introduite en 2023, est donc recevable tant en ce qu'elle est fondée sur un dol ou une erreur que sur des manquements de la société JBA à son devoir de conseil, si bien qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a « débouté les sociétés Performance Pierre et JBA Audit et Conseil de leurs fins de non-recevoir », c'est-à-dire déclaré l'action recevable.
Sur la demande d'annulation du contrat de souscription
Les consorts [Y] soutiennent que MM. [O] et [Z] [A], père et fils, ont agi de concert pour leur placer un produit à haut risque, dissimulant le lien de M. [Z] [A] avec la société Horizon Asset Management, gérant de la société Performance Pierre ; que cette société Horizon Asset Management et ses dirigeants, dont M. [Z] [A], ont été sanctionnés par l'AMF pour des fautes de gestion ; qu'ils ont été victimes d'un dol par réticence d'informations ou, à titre subsidiaire, pour erreur sur les qualités substantielles du contrat.
La société Performance Pierre prétend que M. [O] [A] n'était pas salarié du Groupe Horizon en août 2014 et n'a pas agi pour son compte lors de la conférence de présentation du produit ; que M. [O] [A] a agi dans le seul intérêt de la société JBA en présentant son fils ; qu'elle-même n'a jamais proposé ses parts directement aux investisseurs, mais communiquait avec des professionnels de la gestion de patrimoine ; que seule la société JBA a fait la proposition d'investissement aux époux [Y] ; qu'il n'existe pas "collusion frauduleuse" entre elle et la société JBA ; qu'il n'existe donc pas de dol.
Elle poursuit que l'erreur sur les qualités substantielles ne peut être retenue que lorsqu'une société n'est pas en mesure de poursuivre son activité ou de réaliser son objet social au moment de l'acquisition des parts ; qu'elle a réalisé son objet social pendant plusieurs années, l'absence de dividendes étant due à des "déconvenues opérationnelles" conjoncturelles (Covid-19, défaillance de Dolphin Trust) ; que la décision de l'AMF du 5 septembre 2023 à l'encontre d'Horizon Asset Management est jugée sans incidence sur le bien-fondé de leurs demandes, car elle concerne des manquements formels ou postérieurs à l'investissement et n'a causé aucun préjudice à ses associés porteurs de parts.
La société JBA prétend que M. [O] [A] a mis M. [N] [Y] en relation avec son fils [Z] [A] car le souhait d'investir dans le Groupe Horizon était déjà arrêté par M. [Y]. Elle souligne que M. [Z] [A] n'avait aucune fonction au sein du Groupe Horizon au moment de la souscription et n'est devenu directeur général d'Horizon Assets Management qu'en avril 2015. Elle ajoute que la relation père-fils ne constitue pas en soi une collusion frauduleuse, et que les sanctions de l'AMF contre M. [Z] [A] concernent ses activités postérieures au sein d'Horizon Assets Management, sans lien avec la société JBA ou le litige actuel ; qu'elle n'a jamais revendiqué l'existence d'un mandat de représentation de la société Performance Pierre, à qui elle était liée par un contrat d'apporteur d'affaires.
Réponse de la cour
L'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, dispose que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les man'uvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces man'uvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'il ne se présume pas et doit être prouvé.
Pour écarter le dol, le tribunal a retenu que les époux [Y] n'avaient jamais été démarchés par la société Performance Pierre ; que M. [O] [A] n'était ni le préposé de celle-ci ni celui d'Horizon Asset Management à la date de la souscription litigieuse ; que la preuve d'une relation de connivence entre les sociétés Performance Pierre et JBA n'est pas établie.
La cour constate qu'il est constant que M. [N] [Y] a, le 12 août 2014, assisté à une conférence de présentation du produit Performance Pierre donnée par M. [O] [A], ce dont il résulte que celui-ci agissait pour le compte de cette société. Il est indifférent à cet égard qu'il n'en ait pas été le préposé à cette date, ni celui de la société Horizon Asset Management, créée en avril 2015 et devenue la gérante de la société Performance Pierre. La thèse selon laquelle il agissait à l'époque pour le compte de Performance Pierre est corroborée par sa fiche Viadeo, sur laquelle il indique être « responsable des investisseurs institutionnels » chez Horizon Asset Management depuis 2014, soit depuis une date à laquelle cette société n'avait pas d'existence légale.
Il n'est pas contesté que c'est M. [Z] [A], présent à cette conférence, alors dirigeant de la société JBA et fils de M. [O] [A], qui a fait signer à M. [N] [Y] un document promotionnel intitulé « Fiche technique ' La micro-promotion, une solution à la pénurie de logements » présentant les avantages de l'investissement dans la société Performance Pierre.
Les consorts [Y] établissent que M. [O] [A] et son fils avaient été associés jusqu'en janvier 2011 d'une SARL Europe Epargne ayant notamment pour objet social la vente de tous biens et services auprès de toutes personnes physiques ou morales dans les domaines immobilier et financier ; qu'ils étaient en outre en 2013 les deux seuls associés d'une SARL Conseil Management Corporate Investissement (ou CMC Investissement) ayant notamment pour objet social le conseil en gestion de patrimoine et en investissement financier ainsi l'intermédiation de produits immobiliers. Il n'est pas contesté que ces relations d'affaires passées entre le père et le fils, précisément dans le domaine du conseil en investissement dans le secteur de l'immobilier, n'avaient pas été révélées aux époux [Y] au jour de la souscription en cause.
La fiche technique remise à M. [N] [Y] le 12 août 2014 comporte trois pages, outre une page de garde. Si la société JBA et la société Performance Pierre prétendent qu'elle était destinée au seuls professionnels, elle contient in fine, sous le titre « Avantage Investisseur », un cadre prérempli invitant à renseigner les mentions « remis le » « à », « Nom et prénom », « signature précédée de la mention manuscrite 'Bon pour accord'».
Cette fiche était donc manifestement destinée aux particuliers investisseurs et non aux professionnels, contrairement à ce que soutiennent la société JBA et la société Performance Pierre ; la présence de particuliers tel que M. [N] [Y] à la conférence du 12 août 2014 corrobore cette thèse et contredit celle de la société Performance Pierre selon laquelle cette conférence n'était destinée qu'à des professionnels. La présentation de cette fiche comme destinée aux seuls professionnels est donc destinée surtout à la faire échapper au contrôle préalable de l'information donnée aux investisseurs particuliers sur certains produits financiers à risque.
Le fait de faire signer à M. [N] [Y] cette fiche technique précédée de la mention « bon pour accord », dépourvue de toute valeur contractuelle, mais laissant penser à un particulier dépourvu de connaissances et d'expérience en matière d'investissement financiers qu'il s'était engagé à souscrire au produit présenté, constitue une man'uvre.
De même, le fait de faire signer le 12 août 2014 à M. [N] [Y] un document dépourvu de toute portée juridique au regard de l'obligation de conseil du conseiller en gestion de patrimoine, intitulé « refus de délivrance des informations », constitue une man'uvre visant à prévenir la survenance de toute interrogation légitime sur la nature et la performance des produits d'investissement proposés et sur leur adaptation à sa situation personnelle et à ses objectifs en tant qu'investisseur, mais aussi sur les devoirs de la société JBA en sa qualité de conseiller en gestion de patrimoine.
Ce document était également de nature à exempter la société JBA de toute ses devoirs en tant que conseiller en investissements financiers au regard des articles 325-1A et suivants du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, invoqué à juste titre par les consorts [Y].
Les sanctions infligées le 7 septembre 2023 par l'Autorité des marchés financiers à la société Horizon Asset Management, en sa qualité de société de gestion de portefeuille, et à M. [Z] [A] personnellement, qui en était le dirigeant, ne sont pas sans lien avec la présente action, puisque l'AMF a retenu que jusqu'en 2019, cette société n'avait mis en place aucune procédure écrite de valorisation des actifs immobiliers. Ce constat accrédite la thèse selon laquelle les informations contenues dans la fiche technique signée par M. [N] [Y] étaient dépourvus de toute fiabilité. La remise de cette fiche à M. [N] [Y] constituait donc une man'uvre destinée à présenter sous un jour favorable un support d'investissement aux perspectives incertaines.
Les consorts [Y] établissent d'ailleurs par la production d'un extrait du site internet de presse d'information sur les arnaques financières destiné au grand public que l'un des supports dans lequel la société Performance Pierre a investi l'argent de ses associés, Dolphin Trust, était une pyramide de Ponzi ayant entraîné quelque 1,5 milliard d'euros de dettes et des enquêtes pénales en Allemagne à compter de 2020.
Le jour même de la conférence de présentation du produit « Performance Pierre » du 12 août 2014, M. [N] [Y] a également signé un mandat de recherche par lequel il a, en tant qu' « acquéreur éventuel », mandaté la société JBA pour lui proposer des projets d'investissement immobiliers et financiers. Mais il n'est pas allégué que la société JBA lui ait jamais présenté d'autre option d'investissement que l'achat de parts de la société Performance Pierre, à laquelle la mention « bon pour accord » susvisée pouvait lui laisser penser qu'il était déjà engagé. Les consorts [Y] sont donc bien fondés à soutenir que ce prétendu mandat de recherche n'était qu'illusoire.
Il n'est pas contesté que le bon de souscription litigieux a été signé le 9 octobre 2014 à l'occasion d'un déjeuner au domicile des époux [Y] auquel participaient tant M. [Z] [A], représentant de la société JBA, que son père, M. [O] [A], qui agissait nécessairement à cette occasion pour le compte de la société Performance Pierre comme il l'avait fait lors de la conférence du 12 août précédent.
Le fait pour le conseiller en gestion de patrimoine d'avoir démarché ses clients à domicile en présence d'un mandataire de la société dans laquelle il proposait à ses clients d'investir constitue une man'uvre dolosive. La cour estime que si M. [O] [A] était présent à ce déjeuner, c'était dans le but de convaincre les époux [Y] d'investir dans la société Performance Pierre, pour le compte de laquelle il agissait, comme il l'avait fait en donnant la conférence du 12 août 2014.
La cour retient que la société Performance Pierre, par l'organe de M. [O] [A], et la société JBA, par l'organe de M. [Z] [A], agissant de concert, ont man'uvré de manière frauduleuse à l'égard des époux [Y] pour les conduire à un investissement inadapté à leur besoin, en leur faisant espérer un rendement important ne reposant sur aucune hypothèse financière sérieuse ; que ces man'uvres délibérées ont été déterminantes dans leur consentement à la souscription litigieuse.
Tous les éléments constitutifs d'un dol imputable à la société JBA et à la société Performance Pierre au préjudice des consorts [Y] sont ainsi réunis.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il a rejeté la demande des consorts [Y] tendant à l'annulation du bon de souscription de 562 parts de la société Performance Pierre du 9 août 2014.
Sur les conséquences de la nullité
Les consorts [Y] soutiennent qu'en conséquence de la nullité de la souscription, il convient condamner la société Performance Pierre à leur restituer la somme de 119 103,36 euros et la société JBA à garantir cette restitution ; de leur ordonner de restituer les parts de la société Performance Pierre dès qu'ils auront perçu cette somme de la société Performance Pierre ; de condamner in solidum les sociétés Performance Pierre et JBA à payer aux époux [N] [Y] la somme de 50 845,44 euros à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice subi concernant la perte de revenus de 6% l'an sur la somme investie pendant 5 ans ; à M. [E], en sa qualité d'usufruitier, la somme de 48 556,80 euros à titre de dommages-intérêts correspondant à la perte de chance de percevoir une telle rémunération de son investissement pour les années 2021 à 2026.
La société JBA soutient, pour le cas où la nullité de l'opération serait prononcée, qu'en l'absence de collusion frauduleuse avec la société Performance Pierre, il est exclu qu'elle soit tenue à la moindre garantie ; que ne peuvent être cumulés annulation et demande indemnitaire fondée sur la rentabilité projetée de l'investissement ; que de surcroît, cette rentabilité n'a jamais été garantie, mais soumise à aléa ; que la demande au titre d'une perte de chance de percevoir la rémunération espérée ne peut donner lieu au versement des sommes réclamées ; qu'il n'existe pas de lien de causalité entre le manquement à l'obligation d'information et de conseil qui lui est reproché et le préjudice allégué de non-perception des fruits escomptés par leur fils à l'avenir ; que rien ne permet de dire que les époux [Y] auraient conservé leur investissement au-delà de la durée conseillée de 6 à 8 ans ; que si une perte de chance était reconnue, elle ne pourrait dépasser 5%.
La société Performance Pierre admet qu'en cas de nullité elle devrait restituer 169 948,80 euros aux consorts [Y], et eux restituer les parts sociales ; que la somme de 50 845,44 euros serait compensée avec le prix d'acquisition ; que les demandes indemnitaires au titre d'une perte de rentabilité escomptée sont mal fondées, dès lors qu'il n'y a pas de lien de causalité entre l'annulation de l'investissement et la non-perception d'une rentabilité annuelle de 6%, jamais promis ; que la demande au titre d'une perte de chance de percevoir une telle rémunération jusqu'en 2026 est également infondée, puisque, si les consorts [Y] n'avaient pas investi, ils n'auraient pas pu prétendre à des revenus de cet investissement ; qu'il n'est pas établi qu'il existait en 2014 un placement sans risque en capital offrant une rentabilité annuelle garantie de 6% pendant 10 ans ; qu'elle n'était tenue à aucune obligation d'information envers les investisseurs ; que la perte de valeur des parts sociales n'est pas un préjudice direct et personnel distinct de celui de la société elle-même.
Réponse de la cour
L'annulation d'un contrat implique la remise en état des parties.
Il convient donc de condamner la société Performance Pierre à restituer aux consorts [Y] la somme de 169 948,80 euros correspondant au montant de leur investissement, mais la demande de ce chef étant limitée à la somme de 119 103,36 euros, dont le calcul n'est pas discuté, elle sera accueillie en totalité.
Le solde non réclamé de 50 4845,44 euros correspond selon les consorts [Y] aux sommes ayant fait l'objet de conventions de compte courant au profit de M. [F] [Y] entre 2016 et 2020.
La demande des consorts [Y] tendant à voir condamner la société JBA à leur « garantir la restitution » de la somme de 119 103,36 euros par la société Performance Pierre ne peut être comprise comme tendant au prononcé d'une condamnation solidaire des sociétés Performance Pierre et JBA ; seule la société Performance est tenue à restitution de cette somme, qu'elle sera condamnée à payer aux consorts [Y].
Les consorts [Y] ne peuvent demander eux-mêmes à être condamnés à la restitution des parts, et il n'existe aucune demande en ce sens de la société Performance Pierre. La cour leur donne acte de ce qu'ils s'engagent à restitution dès paiement intégral.
Le préjudice directement lié pour les consorts [Y] au dol qu'ils ont subi, imputable aux sociétés Performance Pierre et JBA, n'est pas constitué par une perte de chance de voir leur investissement fructifier au taux qu'ils espéraient, mais par la privation de ces quelque 170 000 euros de trésorerie entre 2014 et ce jour.
Il convient de fixer forfaitairement ce préjudice à la somme globale de 40 000 euros, que les sociétés Performance Pierre et JBA seront condamnées solidairement à leur verser.
Sur les demandes accessoires
L'équité commande d'allouer aux consorts [Y] l'intégralité de l'indemnité de procédure qu'ils réclament.
PAR CES MOTIFS,
la cour, statuant contradictoirement,
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a dit recevable l'action des consorts [Y] et a condamné la société JBA Audit et Conseil à leur payer la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau,
Annule la souscription du 9 octobre 2014 ;
Condamne la société Performance Pierre à payer à M. et Mme [N] [Y] et à M. [E] la somme globale de 119 103,36 euros ;
Condamne solidairement les sociétés Performance Pierre et JBA Audit et Conseil à payer à M. et Mme [N] [Y] et à M. [E] la somme globale de 40 000 euros ;
Condamne solidairement la société Performance Pierre et la société JBA Audit et Conseil aux dépens d'appel :
Condamne solidairement la société Performance Pierre et la société JBA Audit et Conseil à verser à M. et Mme [N] [Y] et à M. [E] la somme globale de 8 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens ;
Rejette le surplus des demandes.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
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