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Décisions

CA Montpellier, 5e ch. civ., 8 juillet 2025, n° 22/05389

MONTPELLIER

Arrêt

Autre

CA Montpellier n° 22/05389

8 juillet 2025

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

5e chambre civile

ARRET DU 08 JUILLET 2025

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 22/05389 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PSZC

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 SEPTEMBRE 2022

Tribunal Judiciaire de MONTPELLIER

N° RG 20/00202

APPELANTS :

SYNDICAT PATRONAL CHAMBRE SYNDICALE DES ARTISANS ET DES PETITES ENTREPRISES DU BATIMENT L'[Localité 7] (CAPEB DE L'[Localité 7])

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Laurence Marie FOURRIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

assisté de Me Thomas DES PREZ DE LA MORLAIS, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Laurence Marie FOURRIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

SYNDICAT PATRONAL CONFEDERATION DE L'ARTISANAT ET DES PETITES ENTREPRISES DU BATIMENT - (CAPEB)

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Laurence Marie FOURRIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

assisté de Me Thomas DES PREZ DE LA MORLAIS, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Laurence Marie FOURRIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

INTIMEE :

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentée par Me Arnaud LAURENT de la SCP SVA, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant non plaidant

Ordonnance de clôture du 30 Avril 2025

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 MAI 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre

M. Emmanuel GARCIA, Conseiller

Mme Corinne STRUNK, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvie SABATON

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre, et par Madame Sylvie SABATON, greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE

L'Association Régionale de Formation de l'Artisanat du Bâtiment (A.R.F.A.B) Languedoc-Roussillon a été constituée le 24 mars 2004. Selon ses statuts, elle était composée des Confédérations des Artisans et Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB) de l'Hérault, de l'Aude, de la Lozère, du Gard et des Pyrénées-Orientales, ainsi que de membres bénéficiaires des formations professionnelles qu'elle avait pour objet d'organiser en faveur des entreprises du bâtiment et des travaux publics.

Par jugement du 5 juillet 2006, le tribunal de grande instance de Montpellier a déclaré la liquidation judiciaire de l'A.R.F.A.B. Languedoc-Roussillon, nommant Me [A] [Z], en qualité de liquidateur. Ce dernier a délivré une assignation aux administrateurs et dirigeants de ladite association, afin qu'ils soient condamnés solidairement à combler l'insuffisance du passif.

Par jugement du 23 novembre 2010, le tribunal de grande instance de Montpellier a, entre autres, condamné solidairement Messieurs [N] [L] et [V] [R] et la CAPEB de l'Hérault à payer à I'A.R.F.A.B. du Languedoc-Roussillon, la somme de 415.220,92 euros, au titre de l'insuffisance d'actif révélée par la procédure de liquidation judiciaire.

La CAPEB de l'Hérault a été interjeté appel de la décision le 1er décembre 2010. Par arrêt du 11 septembre 2012, la cour d'appel de Montpellier a condamné in solidum la CAPEB de l'Hérault et Messieurs [N] [L] et [V] [R] à payer à I'A.R.F.A.B. du Languedoc-Roussillon, la somme de 358.174,20 euros.

Sur pourvoi formé par M. [N] [L], la cour de cassation a, par arrêt rendu le 23 septembre 2014, cassé et annulé partiellement l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier avec renvoi devant la même cour autrement composée, en ce que, confirmant le jugement de ce chef, la cour avait rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [N] [L], et l'infirmant partiellement, avait condamné in solidum la CAPEB de l'Hérault, Messieurs [V] [R] et [N] [L] à payer à Me [A] [Z], ès qualités, la somme de 358.174,20 euros.

L'arrêt de la cour d'appel a été cassé d'une part pour avoir énoncé que le tribunal avait procédé à l'audition personnelle de chacun des mis en cause, alors que le jugement de première instance énonçait le contraire s'agissant de M. [N] [L] et d'autre part pour avoir retenu que M. [N] [L] avait été dirigeant de droit de l'association, après avoir constaté qu'il avait été embauché comme directeur salarié de l'association et qu'il ne faisait partie ni du conseil d'administration ni du bureau désigné par lui. La Cour de Cassation a retenu que la cour d'appel n'avait pas recherché, après avoir constaté le fait d'un tiers ayant créé des obstacles rendant impossible l'exécution par l'exposant de sa mission de gestion, si M. [N] [L] n'avait pas mis en 'uvre tous les moyens en vue de résister à cette situation.

Le 8 décembre 2014, la CAPEB de l'Hérault a saisi la cour d'appel de Montpellier de ce renvoi de cassation, intimant seulement Me [A] [Z], M. [V] [R] et M. [N] [L].

Ce dernier a aussi saisi la présente cour d'appel de renvoi, le 9 décembre 2014.

Par arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 8 septembre 2016, le jugement du tribunal de grande instance de Montpellier prononcé le 23 novembre 2010, a été infirmé, mais seulement en ce qu'il a :

Rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'irrégularité de sa convocation pour son audition personnelle invoquée par M. [N] [L],

Condamné ce dernier solidairement avec M. [V] [R] et la CAPEB de l'Hérault à payer à Me [A] [Z], en sa qualité de liquidateur de l'ARFAB Languedoc-Roussillon, la somme de 415.220,92 euros, au titre de l'insuffisance d'actif de l'ARFAB Languedoc-Roussillon,

Condamné M. [N] [L], solidairement avec les autres défendeurs condamnés en première instance, à payer à Me [A] [Z], pris en sa qualité de liquidateur de l'ARFAB Languedoc-Roussillon, la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, la cour d'appel de Montpellier a notamment :

Rejeté la demande du liquidateur judiciaire tendant à voir ordonner l'audition préalable aux débats devant la cour de M. [N] [L],

Déclarée irrecevable l'action en paiement des dettes sociales issues de l'insuffisance d'actif constatée lors de la liquidation judiciaire de l'association AFARB Languedoc-Roussillon, dirigée par Me [A] [Z], ès-qualité, contre M. [N] [L], pour la somme réclamée de 358.174,20 euros,

Rejeté la fin de non-recevoir invoquée par la CAPEB de l'Hérault, tirée de l'irrégularité de sa convocation en vue de son audition personnelle préalable à l'audience du 11 mai 2010,

Condamné solidairement M. [V] [R] et la CAPEB de l'Hérault à payer à Me [A] [Z], en sa qualité de liquidateur judiciaire de l'association AFARB Languedoc-Roussillon, la somme de 89.543,55 euros au titre des dettes sociales, en raison des fautes de gestions commises ayant entraîné l'insuffisance d'actif relevée,

Condamné la CAPEB de l'Hérault, seule, à payer à Me [A] [Z], liquidateur de l'association AFARB Languedoc-Roussillon, la somme de 268.630,65 euros au titre des dettes sociales, en raison des fautes de gestions commises ayant entraîné l'insuffisance d'actif relevée,

Condamné solidairement M. [V] [R] et la CAPEB de l'Hérault à payer la somme supplémentaire de 6.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par acte d'huissier de justice du 20 décembre 2019, la Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB) et la CAPEB de l'Hérault ont assigné l'Agent Judiciaire du Trésor, devant le tribunal judiciaire de Montpellier, afin d'engager la responsabilité de l'Etat pour dysfonctionnement du service public de la justice, tenant l'irrégularité résultant de l'absence dans la convocation de M. [N] [L], d'une mention non-équivoque précisant qu'il serait procédé à son audition personnelle préalable par le tribunal.

Le jugement contradictoire rendu le 30 septembre 2022, par le tribunal judiciaire de Montpellier :

Déboute la CAPEB de l'Hérault de sa demande d'indemnisation par l'Agent Judiciaire de l'Etat du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice ;

Condamne la CAPEB et la CAPEB de l'Hérault aux dépens de l'instance ;

Condamne in solidum la CAPEB et la CAPEB de l'Hérault à payer à l'Agent Judiciaire de l'Etat 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que la présente décision sera assortie de l'exécution provisoire.

Le premier juge retient que la CAPEB et la CAPEB de l'Hérault ne rapportent pas la preuve de la perte de chance de voir prononcer la condamnation partagée de la CAPEB de l'Hérault avec M. [N] [L], au titre du passif de l'association.

Il note que la faute lourde tenant au fonctionnement défectueux du service public de la justice s'apprécie au regard de l'importance des conséquences dommageables de cette erreur. Il ajoute que la gravité de cette faute doit également être appréciée à la date de sa commission, sans que l'on puisse tenir compte des événements survenus depuis.

Il relève qu'au moment de sa commission, l'erreur non régularisable du greffe tenant à la convocation de M. [N] [L], a constitué une faute lourde de l'Etat qui engage sa responsabilité pour dysfonctionnement du service public de la justice.

Il constate cependant, qu'il résulte de l'arrêt de cassation du 23 septembre 2014, que la première décision d'appel n'a pas été cassée sur le seul moyen tenant à l'irrégularité de la convocation, mais également sur deux moyens de fond, tenant à la violation de l'article L.651-2 du code de commerce, au titre desquels M. [N] [L] ne pouvait pas être tenu au passif de l'association.

A ce titre, il relève que l'arrêt de la cour d'appel du 11 septembre 2012, a été cassé sur le fond, d'une part, pour avoir retenu que M. [N] [L] avait été un dirigeant de droit de l'association, alors que ladite cour constatait que celui-ci avait été embauché comme directeur salarié de l'association et qu'il ne faisait partie ni du conseil d'administration, ni du bureau désigné par lui. D'autre part, pour ne pas avoir recherché si M. [N] [L] avait mis en 'uvre tous les moyens en vue de résister à la gestion de fait de la CAPEB de l'Hérault, notamment en dénonçant cette situation, alors que ladite cour avait constaté que le fait d'un tiers avait créé des obstacles rendant impossible l'exécution par M. [N] [L] de sa mission de gestion.

Le Syndicat patronal Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB) et le Syndicat patronal Chambre Syndicale des Artisans et des Petites Entreprises du Bâtiment et des Activités Annexes de l'Hérault (CAPEB de l'Hérault), tous deux pris en la personne de leur représentant légal en exercice, ont relevé appel de la décision par déclaration au greffe du 24 octobre 2022.

Dans leurs dernières conclusions du 28 novembre 2022, le Syndicat patronal Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB) et le Syndicat patronal Chambre Syndicale des Artisans et des Petites Entreprises du Bâtiment et des Activités Annexes de l'Hérault (CAPEB de l'Hérault), tous deux pris en la personne de leur représentant légal en exercice demandent à la cour de :

Réformer le jugement rendu le 30 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Montpellier en qu'il :

Déboute la CAPEB de l'Hérault de sa demande d'indemnisation par l'Agent Judiciaire de l'Etat du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice,

Condamne la CAPEB et la CAPEB de l'Hérault aux dépens de l'instance,

Condamne in solidum la CAPEB et la CAPEB de l'Hérault à payer à l'Agent Judiciaire de l'Etat 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Juger qu'en l'absence, dans la convocation de M. [N] [L], d'une mention non équivoque précisant qu'il serait procédé à son audition personnelle préalable par le tribunal, cet acte était irrégulier ;

Juger que cette irrégularité est une faute (lourde) de l'Etat engageant sa responsabilité ;

Juger que M. [N] [L] aurait pu supporter le passif de la liquidation en tout ou partie ;

Déclarer le requérant fondé à se prévaloir des dispositions de l'article L.141-1, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire pour le placement en détention provisoire ;

Juger que les faits présentement dénoncés constituent la faute lourde telle que prévue par l'article L.141-1, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire ;

Juger en conséquence, qu'ils ouvrent droit à la garantie de l'Etat pour dysfonctionnement du service public de la justice ;

Condamner l'Etat représenté par l'Agent Judiciaire du Trésor, au paiement d'une somme de 120.000 euros au profit de la CAPEB de l'Hérault en réparation du préjudice subi ;

Condamner l'Etat représenté par l'Agent Judiciaire du Trésor, au paiement d'une somme de 5.000 euros au profit de la CAPEB de l'Hérault au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner l'Agent Judiciaire du Trésor aux entiers dépens.

La CAPEB et la CAPEB de l'Hérault concluent à la faute de l'Etat.

Les appelantes soutiennent l'existence d'un lien de causalité entre le dysfonctionnement allégué et le préjudice qu'elles estiment avoir subi. A ce titre, elles font valoir que les autres moyens de cassation soulevés n'ont pas été examinés par la Cour de cassation et ne le seront jamais, de sorte qu'il est impossible d'affirmer que l'arrêt aurait pu ou non être cassé ou annulé sur un autre moyen.

Elles prétendent que M. [N] [L], en l'absence d'erreur commise par le greffe, aurait été susceptible de supporter le passif de l'association.

Les appelantes soutiennent que la faute de convocation de l'Etat est établie par l'arrêt rendu le 23 septembre 2014 par la Cour de cassation, affirmant que la cassation partielle de l'arrêt de la cour d'appel du 11 septembre 2012, a été prononcée en raison de l'irrégularité de la convocation à comparaître, adressée à M. [N] [L], pour son audition préalable devant le tribunal de grande de Montpellier. Elles font ainsi valoir que cette erreur de convocation est imputable à l'Etat français dans la mesure où elle a été commise par le greffe du dit tribunal.

Elles concluent à l'existence d'un préjudice, sollicitant une indemnisation à hauteur de 120.000 euros. A ce titre, elles soutiennent qu'à la suite de l'arrêt rendu le 8 septembre 2016 par la cour d'appel de renvoi, dont résulte l'irrecevabilité définitive de l'action en paiement des dettes sociales dirigées contre M. [N] [L], la CAPEB a été contrainte de restituer la somme de 120.000 euros à ce dernier, correspondant au paiement de sa condamnation en première instance. Elles font ainsi valoir que cette restitution est la conséquence directe de la faute de l'Etat dans la convocation de M. [N] [L].

Dans ses dernières conclusions du 9 février 2023, l'Agent Judiciaire de l'Etat, pris en la personne de son représentant légal en exercice, demande à la cour de :

Confirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 30 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Montpellier ;

Débouter la CAPEB et la CAPEB de l'Hérault de l'intégralité de leurs demandes ;

Condamner la CAPEB et la CAPEB de l'Hérault solidairement à verser à l'Agent Judiciaire de l'Etat une somme de 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la CAPEB et la CAPEB de l'Hérault solidairement aux entiers dépens de l'instance.

A titre principal, l'Agent Judiciaire de l'Etat conclut au rejet de la responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice. A ce titre, il soutient que les appelantes ne démontrent pas que l'erreur commise constitue une faute lourde ou un déni de justice au sens de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire.

L'intimé fait valoir qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le dysfonctionnement allégué et le préjudice subi, dans la mesure où d'autres moyens, suffisant à faire annuler l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 11 septembre 2012, ont été soulevés et non examinés, de sorte que les appelantes ne peuvent affirmer que l'arrêt n'aurait pas été cassé ou annulé sur un autre moyen.

Il prétend que l'erreur de convocation a été corrigée par l'exercice des voies de recours.

Il soutient également que l'augmentation de la condamnation des appelantes, du fait de la décision de la cour d'appel de renvoi, ne constitue pas une faute lourde au sens de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire.

A titre subsidiaire, l'intimé conclut au rejet de la demande d'indemnisation des appelantes, arguant l'absence de lien causalité entre le préjudice qu'elles invoquent et l'erreur commise. Il estime que le prétendu préjudice n'est que la conséquence directe et certaine de la liquidation judiciaire de l'association ARFAB. Il ajoute que la condamnation solidaire aurait permis de réclamer à la CAPEB l'intégralité de la somme et qu'en l'absence d'information quant à la solvabilité de M. [N] [L], il ne peut être établi qu'en se retournant contre lui elle aurait obtenu le remboursement de sa part.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 30 avril 2025.

MOTIFS:

En application des dispositions de l'article L141-1 du code de l'organisation judiciaire 'L'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.'

Constitue une faute lourde, toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi. Le texte ne distingue pas selon que le fonctionnement défectueux est intervenu dans l'acte juridictionnel ou non et il convient donc d'examiner si les juges ont commis, dans leur décision, une ou plusieurs fautes lourdes.

La preuve incombe à celui qui invoque la faute lourde. Elle doit donc être prouvée par le requérant qui doit également démontrer l'existence d'un préjudice direct et certain en relation de causalité avec la faute lourde.

Le champ d'application de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire comprend l'activité de l'ensemble des membres du service public proprement dit de la justice judiciaire, non seulement celle des juges mais également celle des greffes.

En l'espèce, les appelantes recherchent la responsabilité de l'Etat en raison d'une convocation irrégulière de M. [L] dans le cadre d'une procédure en comblement de passif engagée devant le tribunal de grande instance de Montpellier par le liquidateur Maître [Z], suite au prononcé de la liquidation de l'association régionale de formation de l'artisanat et du bâtiment (ARFAB) composée en autre de la CAPEB de l'Hérault et des régions avoisinantes.

L'article L651-2 du code de commerce énonce que 'Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables...' . Est considéré comme dirigeant de fait, celui qui exerce une activité positive et indépendante dans l'administration de la société.

L'article R651-2 dudit code précise que la procédure applicable dans les actions fondées sur l'article L651-2 , doit être similaire à celle prévu à l'article R631-4 du même code, à savoir le président du tribunal doit, par les soins du greffier, convoquer le débiteur par lettre recommandée avec avis de réception à comparaître.

La convocation du dirigeant de la personne morale pour être entendu personnellement par le tribunal est un préalable obligatoire aux débats et son omission fait obstacle à toute condamnation puisqu'elle constitue une fin de non recevoir qui peut être régularisée par une audition effective de celui ci préalablement aux débats.

Par assignations délivrées en août 2008, Maître [Z] a sollicité du tribunal de grande instance de Montpellier la condamnation solidaire des dirigeants et administreurs de l'association.

Par jugement du 23 novembre 2010, la juridiction a condamné solidairement Messieurs [L] et [R], et la CAPEB à lui payer la somme de 415 220,92euros au titre de l'insuffisance d'actif et Messieurs [O], [S], [D], [P], [I], [G] et [W], Mesdames [K] et [F] et les CAPEB, du Gard, de Lozère, de l'Aude et des Pyrénées orientales la somme de 103 805,24euros et solidairement les mêmes à payer la somme de 5 000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt du 11 septembre 2012, la cour d'appel de Montpellier a notamment condamné Messieurs [L] et [R] et la CAPEB à payer à Maître [Z], ès qualités, la somme 358 174euros.

Or la Cour de Cassation par une décision rendue le 23 septembre 2014 a censuré cet arrêt en relevant que pour rejeter la fin de non recevoir tirée de l'irrégularité de la convocation de M. [L] et le condamner, la cour d'appel a retenu qu'il avait été entendu personnellement par le tribunal lors de l'audience du 11 mai 2010, ainsi que cela ressortait du jugement alors que la décision rendue par la juridiction de premier degré si elle mentionnait l'audition des mis en cause, en excluait expressément M. [L].

Par arrêt du 8 septembre 2016, la cour d'appel de Montpellier, en sa qualité de cour de renvoi, a notamment infirmé le jugement du 23 novembre 210 en ce qu'il avait rejeté la fin de non recevoir soulevé par M. [L] en raison de l'irrégularité de la procédure et l'a condamné solidairement avec M. [R] [V] et la CAPEB de l'[Localité 7] à payer une somme de 415 220,92euros et solidairement avec les autres défendeurs la somme de 5 000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et statuant à nouveau, a déclaré irrecevable l'action en comblement de passif dirigée à l'encontre de M. [L].

Ainsi que l'a retenu le juge de première instance, l'erreur de convocation concernant M. [L] a privé la CAPEB de l'[Localité 7] de la possibilité de voir condamner ce denier in solidum avec elle à assumer la dette de la société à hauteur de la condamnation en comblement de passif. Or cette erreur de convocation constitue incontestablement un fonctionnement défectueux de la justice qui a été à l'origine de la censure opérée par la cour de cassation.

La CAPEB sollicite la condamnation de l'Agent judiciaire du Trésor à lui payer la somme de 120 000euros correspondant aux sommes restituées à M. [L].

Toutefois il incombe à la CAPEB de l'[Localité 7] de justifier d'un lien de causalité certain et direct entre le dysfonctionnement dénoncé et établi et préjudice dont elle réclame indemnisation.

Or il résulte de la lecture de l'arrêt du 23 septembre 2014, que M. [L] a soulevé deux autres moyens à l'appui de sa demande de cassation en sus de celui qui a prospéré. Il a soutenu d'une part que seules les dirigeants de droit des personnes morales pouvaient se voir condamner à combler l'insuffisance d'actif de celles ci, qu'un dirigeant se définit comme un mandataire désigné par les membres de la personne morale qui dispose d'une indépendance et prend des décisions d'orientation et de représentation de la personne morale et que tel ne pouvait être son cas puisque engagé en qualité de salarié de l'association, il ne faisait pas partie du bureau ou du conseil d'administration.

D'autre part, même à le considérer comme un dirigeant, il convenait de caractériser sa passivité éventuelle et de rechercher s'il n'avait mis en oeuvre tous les moyens pour résister à une situation de fait où un tiers l'aurait empêché l'exécution de sa mission de gestion.

Dès lors, il résulte de la lecture de ce pourvoi qu'il n'est nullement établi qu'une convocation régulière aurait permis de façon certaine d'obtenir une condamnation solidaire de M. [L].

Par arrêt du 8 septembre 2016 la cour d'appel de Montpellier a déclaré irrecevable l'action en paiement des dettes issues de l'insuffisance d'actif constatée lors de la liquidation de l'association AFARB dirigée par Maître [Z] és qualités contre M. [L].

Dès lors, la CAPEB de l'Hérault a certes perdu la chance de voir la demande dirigée à l'encontre de M. [L] examinée au fond, sans pour autant que la perspective d'une condamnation de ce dernier puisse être affirmée. La chance de voir la demande de Maître [Z] dirigée contre M. [L] prospérer et aboutir à une condamnation ne peut être qualifiée que d'hypothétique et éventuelle, en l'état de la procédure et nullement certaine et réelle, tant les aléas restaient nombreux avant de parvenir à une décision de condamnation.

Dès lors, le lien de causalité entre l'absence de condamnation solidaire de M. [L] et l'irrégularité de la convocation faisant défaut, il convient de confirmer la décision du juge de première instance.

Par ces motifs, la cour statuant par arrêt contradictoire :

Confirme le jugement rendu le 30 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Montpellier,

Condamne la CAPEB et la CAPEB de l'Hérault à payer à l'agent judiciaire de l'état la somme de 900euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la CAPEB et la CAPEB de l'Hérault aux entiers dépens.

Le Greffier La Présidente

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