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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 8, 8 juillet 2025, n° 24/20733

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/20733

8 juillet 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRÊT DU 8 JUILLET 2025

(n° / 2025 , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/20733 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKQS3

Décision déférée à la Cour : Jugement du 5 décembre 2024 -Tribunal de commerce d'EVRY - RG n° 2024P00929

APPELANTE

S.A.S.U. [Adresse 11], société par actions simplifiée à associé unique, prise en la personne de son Président, Monsieur [H] [I], domicilié en cette qualité audit siège, exerçant ses droits en qualité de débiteur,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'EVRY sous le numéro 852 551 613,

Dont le siège social est situé [Adresse 1]

[Localité 9]

Représentée et assistée de Me Alexandre KOENIG, avocat au barreau de PARIS, toque : E2081,

INTIMÉS

Madame [K] [U] [G] [Z]

Née le [Date naissance 5] 1986 à [Localité 10] (Portugal)

De nationalité française

Demeurant [Adresse 6]

[Localité 9]

Non constituée

Maître [M] [A], en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS MAISON DES GOURMANDISES,

Dont l'étude est située [Adresse 3]

[Localité 8]

Représenté par Me Fabrice DALAT de la SELEURL DALAT - WERNERT - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0367, subxtituée par Me Elena ADER, avocat au barreau de PARIS, toque P 367,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 906 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Juin 2025, en audience publique, devant la cour, composée de:

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,

Madame Constance LACHEZE, conseillère,

Monsieur François VARICHON, conseiller,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur François VARICHON dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de proécdure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

FAITS ET PROCÉDURE

La société par actions simplifiée [Adresse 11] a été constituée en 2019. Elle exerce une activité de boulangerie-pâtisserie dans des locaux situés à [Localité 12] (91).

Par jugement contradictoire du 5 décembre 2024, le tribunal de commerce d'Evry, statuant sur l'assignation de Mme [J] [Z] qui se prévalait d'une créance de condamnation prud'homale exigible de 11.956,67 euros, a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Maison des Gourmandises, fixé la date de cessation des paiements au 3 juin 2023 au regard de la date du jugement rendu par le conseil des prud'hommes le 31 mars 2023, désigné Maître [A] en qualité de mandataire liquidateur et dit que les dépens seront portés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Le 5 décembre 2024, la société [Adresse 11] a relevé appel de ce jugement en intimant Mme [J] [Z] et Maître [A] ès qualités.

Par ordonnance du 20 février 2025, le premier président a arrêté l'exécution provisoire du jugement dont appel.

Aux termes de ses conclusions n°2 déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 12 mai 2025, la société Maison des Gourmandises demande à la cour de:

- infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions;

- prononcer le redressement judiciaire de la société [Adresse 11] sans désignation d'un administrateur judiciaire;

- désigner Maître [A] en qualité de mandataire judiciaire;

- fixer provisoirement au 5 décembre 2024 la date de la cessation des paiements;

- dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.

Aux termes de ses conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 22 avril 2025, Maître [A] ès qualités demande à la cour de:

- lui donner acte qu'il s'en rapporte à justice sur la demande d'infirmation du jugement;

- condamner la société Maison des Gourmandises à lui payer 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [J] [Y], à laquelle l'appelante a fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions par actes respectivement délivrés les 28 janvier et 27 mars 2025, n'a pas constitué avocat.

L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 20 mai 2025.

SUR CE

Sur la demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire

A l'appui de sa demande, la société [Adresse 11] fait valoir:

- qu'elle a rencontré des difficultés consécutives à l'importante augmentation du prix de l'électricité en 2022 et 2023 ainsi qu'en raison de contentieux prud'homaux engagés par les anciens salariés du fonds de commerce qu'elle a acquis en 2019, qui ont conduit au prononcé de plusieurs condamnations à son encontre;

- qu'au jour de l'audience devant le tribunal, son passif exigible s'élevait à 57.417,67 euros; que le prononcé de la liquidation judiciaire a rendu exigible le solde non échu de divers prêts, qu'elle remboursait régulièrement, pour un montant total de 164.444,31 euros; qu'elle entend de surcroît contester certaines créances déclarées auprès du liquidateur;

- que son redressement n'est pas manifestement impossible; qu'en effet, depuis sa création en 2019, son chiffre d'affaires et son résultat bénéficiaire n'ont cessé de croître; que dans le cadre de son dernier exercice, elle avait dû supporter des charges exceptionnelles constituées de deux condamnations prud'homales d'un montant de 46.826 euros et de frais de travaux dans sa boutique, d'un montant de 86.223 euros, qu'elle n'aura plus à supporter lors des prochains exercices;

- que les quatre salariés qu'elle employait ont fait l'objet d'un licenciement à la suite du prononcé de la liquidation judiciaire, réduisant ainsi sa masse salariale; que l'exploitation du fonds a pu être reprise grâce au travail de son dirigeant et de sa mère et permet de dégager un résultat bénéficiaire; qu'au 5 mai 2025, elle disposait en ses caisses de la somme de 14.726 euros en numéraires; qu'elle bénéficie en outre, au 30 novembre 2024, d'un crédit de TVA de 39.852 euros;

- qu'elle était à jour du paiement des loyers lors du jugement d'ouverture et s'en acquitte de nouveau depuis qu'elle a pu reprendre son activité à la suite de l'ordonnance d'arrêt de l'exécution provisoire rendue par le premier président le 20 février 2025; qu'elle est également à jour du paiement des factures d'électricité; qu'elle a obtenu du tribunal de commerce d'Evry la mise en place d'un échéancier pour régler la somme de 34.837 euros réclamée par la société Axiane Meunerie;

- qu'au vu du prévisionnel d'activité et de trésorerie qu'elle produit, elle sera en mesure de payer le passif sur cinq ou dix ans

Maître [A] ès qualités indique:

- que le passif déclaré s'élève à la somme de 345.283,11 euros, étant observé que le délai de déclaration des créances n'a pas encore expiré au jour de ses conclusions;

- qu'il ne dispose pas de fonds de l'appelante sur son compte ouvert auprès de la Caisse des dépôts et consignations;

- qu'il n'est pas opposé à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire sous réserve de la communication de la preuve de disponibilités bancaires et d'un prévisionnel d'exploitation et de trésorerie mensuel.

Aux termes de l'article L. 640-1 du code de commerce, il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.

L'article L. 631-1 du code de commerce définit la cessation des paiements comme l'impossibilité pour le débiteur de faire face au passif exigible avec son actif disponible. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.

La preuve de l'état de cessation des paiements doit être rapportée par celui qui demande l'ouverture de la procédure alors que la preuve de l'existence de réserves de crédit ou de moratoires lui permettant de faire face à son passif exigible incombe au débiteur.

En cas d'appel, l'état de cessation des paiements s'apprécie au jour où la cour statue.

Sur l'état de cessation des paiements

Maître [A] ès qualités verse aux débats un état des situations en cours dont il ressort que le montant des créances déclarées au passif de la société [Adresse 11] s'élève à la somme totale de 345.283,11 euros.

Pour la détermination du passif exigible, il y a lieu de déduire de la somme précitée:

- le montant du passif mentionné comme étant à échoir dans l'état des situations en cours, soit 44.668,73 euros;

- la créance de la société Axiane Meunerie d'un montant de 24.956,80 euros au titre du solde d'un prêt pour laquelle l'appelante justifie que le tribunal de commerce d'Evry lui a accordé un délai de paiement de 24 mois par jugement du 5 septembre 2023;

- les créances déclarées par la Société Générale, la société Moulin Soufflet et la Caisse d'Epargne Ile-de-France pour un montant total de 164.444,31 euros au titre de prêts consentis à la société [Adresse 11], dont le mandataire judiciaire ne conteste pas qu'elles sont devenues exigible du seul fait de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire et qui n'ont, de ce fait, pas vocation à être prise en compte pour la détermination du passif exigible.

Il n'y a pas lieu, en revanche, de retrancher du passif exigible les créances que la société Maison des Gourmandises indique avoir l'intention de contester sans toutefois établir l'existence d'une contestation effective à ce jour.

Au vu de ces éléments, il convient de chiffrer le passif exigible de l'appelante à la somme de 111.213,27 euros (345.283,11 euros - 44.668,73 euros - 24.956,80 euros - 164.444,31 euros).

Face à ce passif exigible, la société [Adresse 11] ne dispose tout au plus que de la somme de 14.726 euros correspondant au solde de trésorerie que son dirigeant atteste détenir en caisse à la date du 5 mai 2025.

Le passif exigible (111.213,27 euros) étant supérieur à l'actif disponible (14.726 euros ), la société Maison des Gourmandises est en état de cessation des paiements. Elle relève par conséquent d'une procédure collective, ce que l'intéressée ne conteste pas au demeurant puisqu'elle sollicite le bénéficie d'une procédure de redressement judiciaire.

Sur les possibilités de redressement de l'entreprise

Il ressort des données communiquées par Maître [A] ès qualités que la société [Adresse 11], depuis la fin de sa première année d'activité, est parvenue à dégager chaque année un résultat d'exploitation bénéficiaire, dont le montant n'a par ailleurs cessé de croître de même que celui son chiffre d'affaires:

- exercice 2022: chiffre d'affaires: 525.692 euros; résultat d'exploitation: 11.038 euros;

- exercice 2023: chiffre d'affaires: 532.700 euros; résultat d'exploitation: 14.064 euros;

- exercice 2024: chiffre d'affaires: 724.171 euros; résultat d'exploitation: 18.654 euros;

En procédant au licenciement de plusieurs salariés après le jugement d'ouverture, l'entreprise a réduit ses charges tout en conservant une capacité de production.

La société Maison des Gourmandises verse aux débats un compte de résultat établi par son expert-comptable pour la période courant du 1er mars 2025, date de la reprise de son activité à la suite de l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement ordonné par le premier président de la cour d'appel, au 20 avril 2025, dont il ressort que l'entreprise, sur cette durée d'un peu plus d'un mois et demi, est parvenue à réaliser un résultat d'exploitation de 13.523 euros.

L'appelante produit également un prévisionnel d'activité établi par son expert-comptable pour l'exercice courant du 1er avril 2025 au 31 mars 2026 qui mentionne, d'une part, un résultat d'exploitation de 136.146 euros, ce qui n'apparaît pas incohérent au regard du compte de résultat précité, d'autre part, un solde trésorerie de 166.877 euros en mars 2026.

Par ailleurs, le dirigeant de la société [Adresse 11] atteste détenir en caisse une somme de 14.726 euros au 5 mai 2025, qu'il s'engage à représenter, si besoin sur ses deniers personnels, en cas de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire. En outre, l'appelante justifie qu'elle disposait, à la fin de l'exercice 2024, d'un crédit de TVA de 39.852 euros qu'elle pourra mobiliser à son profit à l'occasion de la poursuite de son activité.

Enfin, il n'est pas allégué l'existence d'un passif nouveau constitué par l'entreprise après le jugement d'ouverture.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la société Maison des Gourmandises apparaît en mesure de poursuivre son activité tout en acquittant le passif dans le cadre d'un plan.

Le redressement de la société [Adresse 11] n'étant pas manifestement impossible, il convient d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, d'ouvrir un redressement judiciaire.

Le chiffre d'affaires et le nombre de salariés de la société Maison des Gourmandises sont inférieurs aux seuils prévus aux articles L. 621-4 et R. 621-11 du code de commerce et il n'y a pas lieu d'user de la faculté offerte par le premier texte de désigner néanmoins un administrateur judiciaire.

Sur la date de cessation des paiements

La date de cessation des paiements sera fixée au 5 décembre 2024, date du jugement dont appel

Sur les dépens

Les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure collective.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement du 5 décembre 2024 en toutes ses dispositions,

Et, statuant nouveau et y ajoutant,

Ouvre une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [Adresse 11], immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Evry sous le numéro 852 551 613, dont le siège social est [Adresse 2],

Fixe la date de cessation des paiements au 5 décembre 2024,

Ouvre une période d'observation de six mois à compter du présent arrêt,

Désigne Maître [A], [Adresse 4] en qualité de mandataire judiciaire,

Désigne Maître [O] [B], [Adresse 7] en qualité de commissaire-priseur afin de réaliser, s'il y a lieu, l'inventaire prévu par l'article L. 622-6 du code de commerce et la prisée de l'actif du débiteur,

Invite les délégués du personnel ou les salariés s'il en existe à désigner un représentant dans les conditions prévues par les articles L. 621-4 et L. 621-6 du code de commerce et à en communiquer le nom et l'adresse au greffe du tribunal de commerce de Paris,

Fixe à huit mois à compter du présent arrêt le délai de dépôt, par le mandataire judiciaire, de la liste des créances mentionnée à l'article L. 624-1 du code de commerce,

Renvoie l'affaire devant le tribunal de commerce d'Evry pour la poursuite de la procédure et la désignation du juge-commissaire,

Rappelle que le greffe du tribunal de commerce d'Evry devra procéder aux mentions et publicités prévues par la loi,

Ordonne l'emploi des dépens de première instance et d'appel en frais privilégiés de procédure collective.

Liselotte FENOUIL

Greffière

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

Présidente

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