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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 8 juillet 2025, n° 24/01124

CHAMBÉRY

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CA Chambéry n° 24/01124

8 juillet 2025

GS/SL

N° Minute

[Immatriculation 3]/442

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 08 Juillet 2025

N° RG 24/01124 - N° Portalis DBVY-V-B7I-HRMY

Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Grande Instance d'ANNECY en date du 17 Octobre 2018

Appelante

Mme [S] [T]

née le 30 Mars 1976 à [Localité 4], demeurant [Adresse 2]

Représentée par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentée par la SARL CABINET SEAUMAIRE AVOCAT-CONSEIL, avocats plaidants au barreau d'ANNECY

Intimé

Syndicat des copropriétaires [Adresse 7] représenté par son syndic en exercice, dont le siège social est situé [Adresse 1]

Représenté par Me Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représenté par la SELARL C. & D. PELLOUX, avocats plaidants au barreau d'ANNECY

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Date de l'ordonnance de clôture : 14 Avril 2025

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 20 mai 2025

Date de mise à disposition : 08 juillet 2025

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Composition de la cour :

Audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, par Mme Nathalie HACQUARD, Présidente de Chambre, qui a entendu les plaidoiries, en présence de M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller, avec l'assistance de Sylvie LAVAL, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

- Mme Nathalie HACQUARD, Présidente,

- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,

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Faits et procédure

Suivant acte authentique en date du 18 juin 2010, Mme [S] [T] a fait l'acquisition au sein de la copropriété [Adresse 7], membre de l'union de syndicats des copropriétaires Union du Jourdil, sis sur la commune de [Localité 5] ( 74), d'un appartement constituant le lot n°104 de type T5z, d'une surface de 93,76 m2 situé au rez de chaussée dans l'angle sud ouest de l'ensemble immobilier, comprenant notamment un séjour avec balcon.

Par courrier en date du 7 juillet 2010, Mme [T] a sollicité l'autorisation du syndic afin d'installer une véranda identique à celle des autres copropriétaires de l'immeuble. Cette autorisation lui a été accordée par le syndic le 6 août 2010.

Informé de ce que Mme [T] aurait, sous couvert de cette autorisation, démoli une partie du mur donnant sur l'extérieur, modifiant ainsi la façade sud de l'immeuble, afin d'agrandir son appartement sur une partie commune de la copropriété, le syndic a, par courrier en date du 10 août 2010, mis en demeure l'intéressée de remettre en état les lieux.

Mme [T] n'a pas déféré à cette mise en demeure et a proposé, lors de l'assemblée générale des copropriétaires du 3 mars 2015, d'augmenter les tantièmes de son lot.

Suivant ordonnance de référé du 31 juillet 2015, un huissier de justice a été autorisé à pénétrer dans l'appartement de Mme [T] pour décrire les travaux entrepris par cette dernière et a notamment constaté de manière contradictoire, le 2 novembre 2015, que la partie du mur de façade du balcon séparant le séjour du balcon avait été enlevée et qu'il avait été posé des cloisons vitrées de type véranda côté Sud et Ouest, le long du garde-corps, créant une extension de 7,85 m2 de surface.

Par exploit en date du 4 juillet 2016, le syndicat des copropriétaires, faisant grief à Mme [T] d'avoir procédé à des modifications au niveau des parties communes sans autorisation de l'assemblée générale, a fait assigner l'intéressée devant le tribunal de grande instance d'Annecy aux fins d'obtenir sa condamnation à remettre les lieux en état sous astreinte, ainsi qu'à lui payer des dommages et intérêts.

Par jugement en date du 17 octobre 2018, le tribunal de grande instance d'Annecy, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a :

- Dit que les travaux sur le balcon outre les installations extérieures de traitement de l'air posées en façade, réalisées par Mme [T] dans son appartement constituant le lot n°104 situé au rez de chaussée dans l'angle sud-ouest de l'ensemble immobilier copropriété [Adresse 7], ont porté atteinte, sans autorisation préalable de l'assemblée générale des copropriétaires, aux façades et balcons, parties communes générales de l'immeuble ;

- Condamné par conséquent Mme [T] à remettre en son état initial le mur de façade sud de la copropriété avec remise en place des ouvertures existantes, remise en état du revêtement de sol qui a été rehaussé par elle et ce, sans autorisation préalable de l'assemblée générale, de même qu'à retirer la grille circulaire et les installations extérieures de la centrale de traitement d'air qu'elle a mis en place sur le mur de façade ouest de l'immeuble de copropriété, et ce dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement, sous astreinte provisoire de 150 euros par jour de retard passé ce délai courant sur une durée de six mois ;

- Condamné Mme [T] à verser au syndicat des copropriétaires Les Jabirus la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

- Condamné Mme [T] à verser au syndicat des copropriétaires Les Jabirus une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- Condamné Mme [T] aux dépens de l'instance.

Aux motifs que :

' les balcons et les murs de façade de l'immeuble sont expressément classés dans les parties communes générales aux termes de l'article 38 du règlement de copropriété ;

' il se déduit du constat d'huissier dressé le 2 novembre 2015 que les travaux initialement demandés par Mme [T] en vue de créer une véranda sur le balcon ont en réalité consisté en un agrandissement de la partie séjour de son appartement, avec une atteinte portée aux balcons et façades, parties communes, sans autorisation ;

' le syndicat des copropriétaires justifie d'un préjudice lié à l'augmentation de la surface de chauffe de l'appartement de Mme [T], consécutive à ces travaux d'agrandissement de son séjour, sans modification des tantièmes.

Mme [T] a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

Par un arrêt du 19 janvier 2021, la première section de la chambre civile de la cour d'appel de Chambéry a :

- Déclaré l'appel de Mme [T] irrecevable,

- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit du syndicat des copropriétaires,

- Condamné Mme [T] aux dépens d'appel.

Au visa principalement des motifs suivants :

' En l'espèce, la demande d'aide juridictionnelle présentée par Mme [T] le 12 novembre 2020 a fait l'objet d'une décision de rejet en date du 7 décembre 2020 et le recours qu'elle a formé contre cette décision, d'une ordonnance d'irrecevabilité rendue par la première présidente en date du 12 janvier 2020 ;

' Mme [T] n'étant pas bénéficiaire de l'aide juridictionnelle et ne s'étant pas acquitté du droit prévu à l'article 1635 bis P du code général des impôts, son appel sera déclaré irrecevable.

Mme [T] a formé pourvoi contre cet arrêt.

Par un arrêt du 28 mars 2024, la deuxième chambre civile de la cour de cassation a :

- Cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry,

- Remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyés devant la cour d'appel de Chambéry autrement composée,

- Condamné le syndicat des copropriétaires Les Jabirus, représenté par son syndic, le cabinet Charvin Megevand, aux dépens,

- En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamné le syndicat des copropriétaires Les Jabirus, représenté par son syndic, le cabinet Charvin Megevand, à payer à la société Françoise Fabiani - [Localité 6] Pinatel la somme de 3.000 euros,

- Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé.

Au visa principalement des motifs suivants :

' Pour déclarer l'appel de Mme [T] irrecevable, l'arrêt retient que sa demande d'aide juridictionnelle présentée le 1er novembre 2020 a été rejetée le 7 décembre 2020 et que son recours a fait l'objet d'une ordonnance d'irrecevabilité du premier président du 12 janvier 2021 ;

' En statuant ainsi, avant l'expiration du délai d'un mois suivant la date à laquelle le rejet de la demande d'aide juridictionnelle est devenu définitif, Ia cour d'appel a violé l'article 963 alinéa 3 du code de procédure civile.

Le 31 juillet 2024, Mme [T] a saisi la présente juridiction sur renvoi de

cassation.

Prétentions et moyens des parties

Aux termes de ses dernières écritures du 31 mars 2025, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, Mme [T] sollicite l'infirmation de la décision et demande à la cour, statuant à nouveau, de :

- Juger que le règlement de copropriété ne stipule pas que les balcons s'analysent en des parties communes ;

- Juger que le Syndicat des copropriétaires Les Jabirus ne démontre pas que les travaux qu'elle a effectués portent atteinte aux parties communes, au sens du règlement de copropriété ;

- Juger que le procès-verbal de constat établi par l'huissier ne rapporte nullement la preuve que les travaux qu'elle a effectués portent atteinte aux parties communes, au sens du règlement de copropriété ;

- Juger que le Syndicat des copropriétaires Les Jabirus ne démontre pas que les travaux auraient affecté les parties communes, et plus précisément le gros-'uvre ;

- Juger que le Syndicat des copropriétaires Les Jabirus ne démontre pas que les travaux effectués sur les parties privatives portent atteinte à la destination de l'immeuble, à la solidité de l'immeuble ou aux droits des copropriétaires voisins ;

En conséquence,

- Dire et juger que sont illicites les dispositions du règlement de copropriété et du règlement intérieur, qui portent atteinte au principe posé par les articles 8 et 9 de la même loi selon lesquels chaque copropriétaire jouit librement des parties privatives de son lot dans la limite du respect de la destination de l'immeuble et des droits des autres copropriétaires et qu'il ne peut y être apporté de restrictions que si celles-ci sont justifiées par la destination de l'immeuble, et plus précisément l'article 38 du règlement de copropriété qui stipule « les parties communes générales sont composées notamment d'une part par "le gros 'uvre de la construction (fondations, gros murs de façade et de refend, murs pignons, les couvertures et terrasses[..]", d'autre part par "les ornements des façades, les balcons et loggias (à l'exclusion des gardes corps et bar d'appui) » ;

- Dire et juger que la résolution n°12 du procès-verbal d'assemblée générale de la copropriété [Adresse 7] du 14 mars 2011, par laquelle le syndicat des copropriétaires lui a accordé un délai jusqu'à fin 2011 pour remettre en place les parties de façades supprimées doit être elle-même déclarée non écrite ;

- Débouter le Syndicat des copropriétaires [Adresse 7] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

En tout état de cause,

- Débouter le Syndicat des copropriétaires [Adresse 7] du surplus de ses demandes, fins et prétentions ;

- Condamner le Syndicat des copropriétaires Les Jabirus à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner le même aux entiers dépens sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile avec distraction au profit de Me Seaumaire, avocat, pour ceux de première instance et au profit de la société Bollonjeon, Avocat associé, pour les dépens d'appel.

Au soutien de ses prétentions, Mme [T] fait notamment valoir que :

' son balcon constitue une partie privative, dès lors qu'elle en a un usage exclusif ;

' les clauses du règlement de copropriété sont contraires aux articles 9 et 43 de la loi du 10 juillet 1965, en ce qu'elles rangent parmi les parties communes les balcons, alors qu'elle en a la jouissance exclusive ;

' les copropriétaires sont libres d'effectuer tous travaux sur leurs parties privatives, sous réserve qu'ils ne portent atteinte ni à la destination de l'immeuble, ni a sa solidité, ni aux droits des autres copropriétaires ;

' les travaux qu'elle a réalisés, et qui étaient nécessaires pour garantir l'isolation thermique de son bien, n'ont pas porté atteinte à un mur faisant partie intégrante du gros 'uvre de l'immeuble et elle n'a fait qu'aménager une partie privative ;

' le Syndicat des copropriétaires Les Jabirus ne démontre pas qu'il y aurait une atteinte aux parties communes, ni à l'harmonie de l'immeuble.

Dans ses dernières écritures du 18 mars 2025, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, le Syndicat des copropriétaires Les Jabirus demande de son côté à la présente juridiction de :

- Juger recevables et bien fondées ses demandes ;

- Juger irrecevables comme nouvelles les prétentions de Mme [T] en ce qu'elle sollicite de voir juger illicites et donc non écrites les dispositions du règlement de copropriété et du règlement intérieur et plus précisément l'article 38 du règlement de copropriété et de voir juger non écrite la résolution n° 12 du procès-verbal d'assemblée générale du 14 mars 2011 ;

A titre subsidiaire, en tout état de cause,

- Juger infondées les demandes de Mme [T] à ce titre ;

En tout état de cause,

- Juger que les balcons et les murs de façades constituent des parties communes ;

- Juger que les travaux de démolition du mur porteur de façade Sud et la mise en place d'une grille circulaire dans la façade extérieure Ouest de l'immeuble en copropriété affectent des parties communes de l'immeuble et l'aspect extérieur de l'immeuble et emportent même modification de l'usage des parties communes en ce qui concerne les balcons ;

- Juger que ces travaux auraient dès lors dû faire l'objet d'une autorisation préalable de l'assemblée générale en application des articles 25 et 26 de la loi du 10 juillet 1965 ;

- Constater que Mme [T] n'a jamais été autorisée par l'assemblée générale des copropriétaires à réaliser de tels travaux ;

En conséquence,

- Confirmer le jugement rendu le 17 octobre 2018 en ce qu'il a condamné Mme [T], sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé le délai de deux mois de la signification de la décision, à remettre en son état initial le mur de façade Sud de la copropriété avec remise en place des ouvertures existantes et remise en état du revêtement de sol qui a été rehaussé par elle et ce, sans autorisation préalable de l'assemblée générale.

- Confirmer le jugement rendu le 17 octobre 2018 en ce qu'il a condamné Mme [T], sous astreinte de 150 euros par jour de retard dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement, à retirer la grille circulaire et le tuyau qu'elle a mis en place sur le mur de façade Ouest de l'immeuble en copropriété et ce, sans autorisation préalable ;

- Réformer le jugement rendu en ce qu'il a limité l'astreinte à une durée de six mois et juger que cette astreinte courra tant que les travaux n'auront pas été réalisés ;

- Confirmer sur le principe le jugement rendu en ce qu'il a retenu son préjudice ;

- Réformer la décision en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts qui lui a été alloué et condamner Mme [T] à lui verser une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice par lui subi ;

A titre subsidiaire,

- Condamner Mme [T], sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, à faire procéder à ses frais exclusifs à la modification du cahier des charges et règlement de copropriété en date du 5 octobre 1972 afin que ses tantièmes de chauffage correspondent à la surface effective de chauffe de son appartement ;

- Condamner Mme [T] à lui verser une somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la même aux entiers dépens d'instance et d'appel avec application au profit de Me Dormeval des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

- Débouter Mme [T] de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires.

Au soutien de ses prétentions, le Syndicat des copropriétaires Les Jabirus fait notamment valoir que :

' le règlement de copropriété peut librement qualifier les diverses parties de l'immeuble de parties communes ou privatives;

' l'article 38 du règlement de copropriété précise expressément que les balcons et les murs de façade sont des parties communes;

' tout copropriétaire qui entend effectuer des travaux affectant les parties communes doit obtenir l'autorisation de l'assemblée générale ;

' Mme [T] n'a pas été autorisée par l'assemblée générale des copropriétaires à détruire le mur de façade Sud de l'immeuble pas plus qu'à percer le mur ouest qui sont des parties communes,

' les demandes de Mme [T] tendant à voir déclarer non écrites les dispositions du règlement de copropriété ainsi que la résolution n°12 votée lors de l'assemblée générale du 14 mars 2011 sont irrecevables dans la mesure où elles constituent des prétentions nouvelles en appel ;

' les dispositions légales relatives à la détermination des parties privatives et des parties communes ne sont pas d'ordre public et Mme [T] a en tout état de cause porté atteinte aux murs de façade, qui font partie du gros 'uvre de la construction ;

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance du 14 avril 2025 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 20 mai 2025.

Motifs de la décision

I - Sur les demandes nouvelles formées par Mme [T] en cause d'appel

Sur la recevabilité

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, 'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait'. L'article 565 du même code précise quant à lui que 'les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent'. L'article 566 permet enfin aux parties d'ajouter aux prétentions soumises au premier juge 'les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire'.

La cour d'appel est tenue d'examiner, au regard de chacune des exceptions prévues aux textes susvisés, au besoin d'office, si la demande nouvelle est recevable (voir sur ce point notamment Cour de cassation Civ 2ème, 17 septembre 2020, n°19-17.449). Par ailleurs, toute différence d'objet n'implique pas, selon une jurisprudence constante, le caractère nouveau de la demande soumise au juge d'appel, ce dernier devant identifier le but recherché par le plaideur à travers sa prétention initiale.

En l'espèce, il est constant que Mme [T], dans les dernières conclusions qu'elle a déposées en première instance, n'a soumis au premier juge aucune demande tendant expressément à voir déclarer non écrites les clauses du règlement de copropriété, notamment son article 38, qui qualifie les balcons de parties communes, ainsi que la résolution n°12 du procès-verbal d'assemblée générale de la copropriété [Adresse 7] du 14 mars 2011, par laquelle le syndicat des copropriétaires lui a accordé un délai jusqu'à fin 2011 pour remettre en place les parties de façades.

Force est de constater, cependant, que ces demandes qu'elle forme en cause d'appel s'inscrivent dans le fil de son argumentation initiale, qui tend depuis l'origine à voir écarter les prétentions adverses tendant à obtenir la remise en état des lieux, au motif que son balcon constituerait une partie privative et non commune, dès lors qu'elle en aurait la jouissance exclusive, et qu'elle n'aurait pas porté atteinte au gros 'uvre de l'immeuble. Ces demandes tendent ainsi bien à faire écarter les prétentions adverses, et constituent, par ailleurs, l'accessoire, la conséquence ou le complément de ses demandes initiales au sens de l'article 566 du code de procédure civile.

La fin de non-recevoir soulevée de ce chef par le syndicat des copropriétaires sera donc rejetée.

Sur le fond

Aux termes de l'article 43 de la loi du 10 juillet1965, « toutes clauses contraires aux dispositions des articles 1er, 1-1, 4, 6 à 37, 41-1 à 42-1 et 46 et celles du décret prises pour leur application sont réputées non écrites ». L'appelante soutient, en l'espèce, que les dispositions du règlement de copropriété et du règlement intérieur qui lui sont opposées porteraient atteinte au principe posé par les articles 8 et 9 de la loi, selon lesquels chaque copropriétaire jouit librement des parties privatives de son lot dans la limite du respect de la destination de l'immeuble et des droits des autres copropriétaires et qu'il ne peut y être apporté de restrictions que si celles-ci sont justifiées par la destination de l'immeuble.

Il convient d'observer, tout d'abord, que si Mme [T] vise dans ses conclusions, de manière imprécise, des clauses non déterminées du règlement de copropriété et du règlement intérieur, elle se réfère de fait uniquement à l'article 38 du règlement de copropriété qui stipule que « les parties communes générales sont composées notamment d'une part par "le gros 'uvre de la construction (fondations, gros murs de façade et de refend, murs pignons, les couvertures et terrasses[..]", d'autre part par "les ornements des façades, les balcons et loggias (à l'exclusion des gardes corps et bar d'appui) ».

Or, force est de constater que cette clause n'aménage nullement une quelconque restriction à l'utilisation, par les copropriétaires, de leurs parties privatives, mais tend uniquement à déterminer quelles sont les parties respectivement communes et privatives de la copropriété. Et à cet égard, comme le fait observer l'intimé, les dispositions légales relatives à une telle détermination, à savoir les articles 2 et 3 de la loi du 10 juillet 1965, ne sont pas d'ordre public, de sorte qu'un règlement de copropriété peut y déroger.

Il est par ailleurs jugé de manière constante, s'agissant des balcons, que ces derniers peuvent être librement qualifiés par le règlement de copropriété de partie exclusivement commune (Cour de cassation, Civ 3ème, 3 novembre 1975), ou de partie commune dont la jouissance exclusive est concédée aux copropriétaires (Cour de cassation, Civ 1ère, 9 janvier 1967, Bull civ I, n°10, p.7).

Quant la résolution n°12 du procès-verbal d'assemblée générale de la copropriété [Adresse 7] du 14 mars 2011, par laquelle le syndicat des copropriétaires lui a accordé un délai jusqu'à fin 2011 pour remettre en place les parties de façades, Mme [T] ne développe aucune argumentation juridique qui serait susceptible de la rendre non écrite, alors qu'elle n'a formé aucun recours en nullité contre cette résolution, et qu'elle admet, en outre, que les façades étaient bien des parties communes.

Les demandes formées de ce chef par l'appelante ne pourront donc qu'être rejetées.

II - Sur la remise en état des lieux

L'article 8 I, alinéa 1er de la loi du 10 juillet 1965 énonce expressément qu'« un règlement conventionnel de copropriété, incluant ou non l'état descriptif de division, détermine la destination des parties tant privatives que communes, ainsi que les conditions de leur jouissance; il fixe également, sous réserve des dispositions de la présente loi, les règles relatives à l'administration des parties communes. Il énumère, s'il y a lieu, les parties communes spéciales et celles à jouissance privative».

Sont privatives, selon l'article 2 de la loi du 10 juillet 1965, les parties du bâtiment et les terrains réservés à l'usage exclusif d'un copropriétaire déterminé. Sont communes (article 3) les parties de ces mêmes bâtiments et terrains affectés à l'usage ou à l'utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d'entre eux. Comme il a été précédemment exposé, les dispositions de ces deux articles n'ont cependant qu'un caractère supplétif, de sorte qu'un règlement de copropriété peut parfaitement procéder à une répartition qui s'affranchisse des règles légales, sous réserve toutefois que sa rédaction soit claire et ne laisse place à aucune ambiguïté. Dans le silence ou la contradiction des titres, les juridictions se réfèrent aux articles 2 et 3 de la loi de 1965 pour déterminer, selon les circonstances de chaque espèce, si une installation litigieuse d'un immeuble constitue une partie privative ou une partie commune.

En l'espèce, l'article 38 du règlement de copropriété du 5 octobre 1972, qui était annexé à l'acte de vente de Mme [T], dont celle-ci a déclaré avoir pris connaissance et dont elle s'est engagée à respecter les charges, clauses et conditions, prévoit expressément que « les parties communes générales sont composées notamment d'une part par "le gros 'uvre de la construction (fondations, gros murs de façade et de refend, murs pignons, les couvertures et terrasses[..]", d'autre part par "les ornements des façades, les balcons et loggias (à l'exclusion des gardes corps et bar d'appui) ».

Il se déduit nécessairement de cette clause, qui est claire et précise, que le balcon sur lequel Mme [T] a fait aménager une véranda en 2010 constitue une partie commune, bien que sa jouissance lui ait été confiée de manière exclusive.

Il doit être observé en effet qu'il arrive assez fréquemment qu'une partie commune d'un immeuble soit en même temps réservée à l'usage exclusif d'un seul propriétaire. Le règlement de copropriété peut ainsi tenir en échec les dispositions de l'article 2 de la loi de 1965 qui présument parties privatives celles réservées à l'usage exclusif d'un copropriétaire déterminé. La partie d'immeuble dont la jouissance exclusive a été confiée à un ou plusieurs copropriétaires demeure donc une partie commune.

L'article 25 b) de la loi du 10 juillet 1965 prévoit que ne sont adoptées qu'à la majorité des voix de tous les copropriétaires les décisions concernant l'autorisation donnée à certains copropriétaires d'effectuer à leurs frais des travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble, et conformes à la destination de celui-ci.

L'article 41 du règlement de copropriété prévoit en outre que ne pourra être modifié tout ce qui contribue à l'harmonie de l'ensemble sans le consentement de l'assemblée générale des copropriétaires.

Il se déduit en l'espèce des pièces qui sont versées aux débats que dans son courrier en date du 7 juillet 2010, Mme [T] n'a sollicité l'autorisation du syndic (et non de l'assemblée générale des copropriétaires) que pour « installer une véranda identique à celle des autres copropriétaires de l'immeuble, comme les voisins du RDC et des différents étages ».

Or, le constat qui a été dressé de manière contradictoire à son domicile le 2 novembre 2015 met notamment en exergue que :

- la partie du mur de façade Est du balcon (séparant le séjour du balcon) a été enlevée ;

- il a été posé des cloisons vitrées (type véranda) coté Sud et Ouest, le long du garde-corps du balcon, créant ainsi une extension du séjour de 7, 85 m² de surface ;

- le radiateur a été déplacé sur le mur Est ;

- le pan de façade Sud a été cassé aux fins de réalisation de la véranda ;

- en façade Ouest, il a été noté la présence d'un trou avec grille circulaire correspondant à la sortie d'air de la centrale de traitement de l'air.

L'appelante n'apporte aucun élément susceptible de remettre en cause ces constatations et elle ne conteste du reste nullement la matérialité des travaux qu'elle a entrepris, tels qu'ils sont décrits par l'huissier, et qui ont consisté, sous couvert de l'autorisation donnée par le syndic, à réaliser un agrandissement de la partie séjour de son appartement, avec une destruction d'une partie du mur de la façade Sud, outre percement du mur de la façade ouest pour y installer une sortie d'air.

Comme l'a relevé par ailleurs le premier juge, il résulte des plans de masse et du plan de l'appartement qui sont versés aux débats, ainsi que des photographies annexées au constat d'huissier, qu'avant les travaux litigieux réalisés en 2010, un mur, situé entre deux porte-fenêtres, séparait la partie séjour du balcon. C'est ce mur, faisant partie intégrante de la façade, qui a été détruit par l'appelante pour agrandir son séjour. Et contrairement à ce qu'indique Mme [T], sans apporter le moindre élément au soutien d'une telle thèse, il est manifeste que ce mur constitue un élément du gros 'uvre de l'immeuble et, à ce titre, une partie commune.

Il est pourtant de jurisprudence constante que les travaux de percement, d'agrandissement de fenêtres ou d'ouvertures dans les murs extérieurs ne peuvent être réalisés sans l'autorisation préalable de l'assemblée générale (Cour de cassation, Civ 3ème, 14 décembre 1976).

Il se déduit nécessairement de ces constatations que Mme [T] a réalisé, sans autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires, des travaux affectant les parties communes générales de l'immeuble, ainsi que son aspect extérieur.

L'appelante prétend, enfin, que les travaux qu'elle a réalisés étaient nécessaires pour remédier aux problèmes d'isolation thermique affectant son appartement, lesquels lui causent des problèmes de santé. Une telle argumentation est cependant manifestement inopérante, alors qu'elle ne fait état d'aucune demande ou mise en demeure qu'elle aurait adressé sur ce point au syndic, qu'elle ne justifie en outre nullement des problèmes d'isolation dont elle se prévaut (les trois photographies produites étant sur ce point dépourvues de la moindre valeur probante) et qu'elle n'explique pas non plus en quoi les travaux qu'elle a entrepris auraient permis de remédier aux problèmes d'humidité qu'elle allègue.

Le syndicat des copropriétaires apparaît ainsi fondé à exiger la remise en état des lieux et le jugement entrepris ne pourra qu'être confirmé de ce chef.

Afin d'assurer l'exécution effective de cette obligation de faire, à laquelle Mme [T] se dérobe depuis près de quinze ans, une astreinte provisoire, pendant huit mois, d'un montant de 500 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de deux mois suivant la signification du présent arrêt sera ordonnée. Le jugement sera donc infirmé s'agissant du point de départ de l'astreinte, dès lors que cette dernière serait dépourvue de tout caractère incitatif si elle devait commencer à courir à compter du jugement de première instance.

III - Sur les dommages et intérêts

Le syndicat des copropriétaires réclame à Mme [T] une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Il se déduit clairement de ce qui vient d'être exposé que l'intéressée résiste abusivement, depuis près de quinze ans, à la remise en état des lieux, malgré les nombreuses mises en demeure qui lui ont été adressées, dès le mois d'août 2010. Par ailleurs, il est acquis que l'augmentation de la surface habitable de son appartement, sans que l'isolation thermique ne soit adaptée, entraîne mécaniquement une surconsommation de chauffage collectif à la charge de la copropriété, et ce alors que le règlement de copropriété n'a pas été modifié en ce qui concerne les tantièmes de Mme [T].

La cour dispose d'éléments suffisants pour évaluer le préjudice subi de ce chef par le syndicat des copropriétaires depuis 2010 à hauteur d'une somme de 3.000 euros, que Mme [T] sera condamnée à lui payer.

IV - Sur les demandes accessoires

En tant que partie perdante, l'appelante sera condamnée aux dépens d'appel, avec distraction au profit de Maître Dormeval, ainsi qu'à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais qu'il a exposés en cause d'appel.

La demande formée à ce titre par l'appelante sera enfin rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,

Déclare recevables les demandes formées en cause d'appel par Mme [S] [T] et tendant à voir :

- dire et juger que sont illicites les dispositions du règlement de copropriété et du règlement intérieur, qui portent atteinte au principe posé par les articles 8 et 9 de la même loi selon lesquels chaque copropriétaire jouit librement des parties privatives de son lot dans la limite du respect de la destination de l'immeuble et des droits des autres copropriétaires et qu'il ne peut y être apporté de restrictions que si celles-ci sont justifiées par la destination de l'immeuble, et plus précisément l'article 38 du règlement de copropriété qui stipule « les parties communes générales sont composées notamment d'une part par "le gros 'uvre de la construction (fondations, gros murs de façade et de refend, murs pignons, les couvertures et terrasses[..]", d'autre part par "les ornements des façades, les balcons et loggias (à l'exclusion des gardes corps et bar d'appui) »,

- dire et juger que la résolution n°12 du procès-verbal d'assemblée générale de la copropriété [Adresse 7] du 14 mars 2011, par laquelle le syndicat des copropriétaires lui a accordé un délai jusqu'à fin 2011 pour remettre en place les parties de façades supprimées doit être elle-même déclarée non écrite,

Rejette ces demandes,

Infirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Annecy le 17 octobre 2018 en ce qu'il a :

- condamné Mme [S] [T] à remettre en son état initial le mur de façade sud de la copropriété avec remise en place des ouvertures existantes, remise en état du revêtement de sol qui a été rehaussé par elle et ce, sans autorisation préalable de l'assemblée générale, de même qu'à retirer la grille circulaire et les installations extérieures de la centrale de traitement d'air qu'elle a mis en place sur le mur de façade ouest de l'immeuble de copropriété, et ce dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement, sous astreinte provisoire de 150 euros par jour de retard passé ce délai courant sur une durée de six mois,

- condamné Mme [S] [T] à verser au syndicat des copropriétaires Les Jabirus la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

Et statuant à nouveau,

Condamne Mme [S] [T] à remettre en son état initial le mur de façade sud de la copropriété avec remise en place des ouvertures existantes, remise en état du revêtement de sol qui a été rehaussé par elle et ce, sans autorisation préalable de l'assemblée générale, de même qu'à retirer la grille circulaire et les installations extérieures de la centrale de traitement d'air qu'elle a mis en place sur le mur de façade ouest de l'immeuble de copropriété, et ce dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt, sous astreinte provisoire, pendant huit mois, de 500 euros par jour de retard passé ce délai,

Condamne Mme [S] [T] à verser au syndicat des copropriétaires de la copropriété « [Adresse 7] » la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice,

Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Mme [S] [T] aux dépens d'appel, avec distraction au profit de Maître Dormeval,

Condamne Mme [S] [T] à payer au syndicat des copropriétaires de la copropriété « [Adresse 7] » la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en cause d'appel,

Rejette la demande formée à ce titre par Mme [S] [T].

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 08 juillet 2025

à

la SELARL BOLLONJEON

Me Clarisse DORMEVAL

Copie exécutoire délivrée le 08 juillet 2025

à

la SELARL BOLLONJEON

Me Clarisse DORMEVAL

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