Cass. com., 9 juillet 2025, n° 24-16.778
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMM.
HM
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 9 juillet 2025
Cassation partielle sans renvoi
M. PONSOT, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 395 F-D
Pourvoi n° G 24-16.778
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 JUILLET 2025
1°/ La société [J] f&c, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ la société MJ synergie, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], représentée par M. [M] [T], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société [J] f&c,
ont formé le pourvoi n° G 24-16.778 contre l'arrêt rendu le 7 mars 2024 par la cour d'appel de Lyon (3e chambre A), dans le litige les opposant à la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme-Ardèche, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseillère, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de la société [J] f&c, de la société MJ synergie, ès qualités, de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme-Ardèche, et l'avis de M. Bonthoux, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 mai 2025 où étaient présents M. Ponsot, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ducloz, conseillère rapporteure, Mme Graff-Daudret, conseillère, et M. Doyen, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 7 mars 2024), le 12 juillet 2014, la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche (la Caisse) a consenti un prêt de 295 000 euros à la société par actions simplifiée TF&C2, détenue en totalité par la société à responsabilité limitée [J] f&c (la société [J]).
2. Le même jour, la société [J] s'est rendue caution solidaire de ce prêt, l'associé unique de la société ayant, lors de l'assemblée générale du 10 juillet 2014, autorisé ce cautionnement.
3. Les 27 juin et 25 juillet 2018, la société TF&C2 a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires.
4. Le 27 juin 2018, la société [J] a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde, la Selarl MJ synergie étant désignée mandataire judiciaire.
5. Le 5 septembre 2018, la Caisse a déclaré sa créance au passif de la procédure collective de la société [J].
6. Le 15 mars 2019, la Selarl MJ synergie, ès qualités, a informé la Caisse de ce que la société [J] contestait sa créance, soutenant que le cautionnement auquel elle avait consenti était contraire à l'intérêt social.
7. Le 15 octobre 2019, le juge-commissaire de la procédure de sauvegarde de la société [J] a admis la créance de la Caisse au titre du cautionnement du 12 juillet 2014.
8. Un arrêt d'une cour d'appel du 11 juin 2020 a annulé l'ordonnance du 15 octobre 2019, sursis à statuer quant à l'existence de la créance de la Caisse, en retenant que la validité du cautionnement de la société [J] soulevait une difficulté sérieuse, et a enjoint cette société de saisir le juge compétent.
9. Le 3 juillet 2020, la société [J] et la Selarl MJ synergie, ès qualités, ont assigné la Caisse, à titre principal, en nullité du cautionnement, et à titre subsidiaire, en déchéance du droit aux intérêts contractuels pour manquement de la Caisse à son obligation d'information annuelle de la caution.
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
10. La société [J] et la Selarl MJ synergie, ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter la demande de nullité du cautionnement, alors :
« 1° / que le cautionnement donné par une société n'est valable que s'il entre directement dans son objet social ; qu'en l'espèce, l'objet social de la SARL [J] F&C est "le négoce de poêles, cheminées et accessoires de chauffage, matériels de cuisson. Travaux d'installation des matériels de chauffage et cuisson, travaux de ramonage et fumisterie" et toutes opérations industrielles, commerciales, financières ou civiles pouvant se rattacher à cet objet social ; que le fait de se porter caution d'une société tierce, serait-elle une filiale, est totalement étranger au négoce de poêles, cheminées et accessoires de chauffage, matériels de cuisson, travaux d'installation des matériels de chauffage et cuisson, travaux de ramonage et fumisterie ; qu'en retenant pourtant que le cautionnement par la société [J] des dettes de la société TF&C2 entre dans son objet social, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en la cause ;
2°/ que la société [J] soutenait, dans ses conclusions, que ce n'est que sous l'empire d'une contrainte que son associé unique, M. [J], l'avait autorisée à se porter caution des dettes de la société TF&C2, cependant que M. [J] souhaitait en réalité que les deux sociétés poursuivent une activité autonome et séparée ; qu'en jugeant valable le cautionnement du 12 juillet 2014 au prétexte que selon procès-verbal du 10 juillet 2014, M. [J], associé unique de la société [J] F&C, avait autorisé cette dernière à se porter caution, sans répondre au moyen pris de ce que cette autorisation avait été viciée par la contrainte, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3° / qu'est contraire à l'intérêt social le cautionnement souscrit par une société de nature à compromettre son existence même ; qu'en l'espèce, les exposantes soulignaient que le cautionnement du 12 juillet 2014 était d'un montant si excessif au regard des résultats de son activité qu'il était de nature à compromettre son existence ; qu'en retenant pourtant que le cautionnement ne serait pas contraire à l'intérêt social de la société [J] sans rechercher s'il n'était pas ruineux au point de compromettre son existence même, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-18 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
11. Ayant exactement énoncé que, serait-elle établie, la contrariété à l'intérêt social de la sûreté souscrite par une société à responsabilité limitée en garantie de la dette d'un tiers n'est pas, par elle-même, une cause de nullité de cet engagement, et retenu, à bon droit, que le cautionnement consenti par la société [J] pour l'acquisition, par sa filiale, d'un fonds de commerce de vente et pose de cheminées, entrait dans son objet social, lequel est le négoce de poêles, cheminées et accessoires de chauffage et toute opération commerciale se rattachant directement ou indirectement à cet objet, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à de simples allégations, dépourvues d'offres de preuve, tirées de l'existence d'une contrainte, et qui n'avait pas à se livrer à la recherche invoquée par la troisième branche, en a exactement déduit que le cautionnement en litige était valable.
Mais sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
12. La Caisse fait grief à l'arrêt de déclarer recevable sa créance pour la somme de 122 367,72 euros outre intérêts au taux conventionnel de 2,91 % l'an à compter du 5 septembre 2018, alors « que si le juge-commissaire constate l'existence de la contestation sérieuse d'une créance déclarée et renvoie l'une des parties à en saisir la juridiction compétente, les pouvoirs du juge compétent régulièrement saisi se limitent à l'examen de cette contestation ; qu'en l'espèce, un arrêt du 11 juin 2020, statuant sur l'appel formé contre l'ordonnance du 15 octobre 2019 du juge-commissaire admettant la créance de la banque, a décidé que le moyen de la caution pris de la nullité de son engagement constituait une contestation qui, en raison de son caractère sérieux, devait être examinée par la juridiction compétente ; que, saisie dans ces circonstances, la cour d'appel de Lyon ne pouvait se prononcer que sur la validité du cautionnement ; qu'en statuant également sur l'exécution par la banque de son obligation annuelle d'information de la caution, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs en violation des articles L. 624-2 et R. 624-5 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 624-2 et R. 624-5 du code de commerce :
13. Il résulte de ces textes que, sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet des créances déclarées et que, après une décision d'incompétence du juge-commissaire pour trancher une contestation, les pouvoirs du juge compétent régulièrement saisi se limitent à l'examen de cette contestation.
14. Pour déclarer recevable la créance de la Caisse pour la somme de 122 367,72 euros outre intérêts au taux conventionnel de 2,91 % l'an à compter du 5 septembre 2018, l'arrêt, après avoir relevé que la cour d'appel était saisie par la société [J] et la Selarl MJ synergie, ès qualités, de la contestation relative à la validité du cautionnement, jugée sérieuse par un arrêt d'une cour d'appel du 11 juin 2020, retient que la Caisse ne démontre pas l'envoi, pour les années 2016, 2017 et 2018, des lettres informant la caution de la situation du débiteur principal au 31 décembre de l'année précédente. L'arrêt en déduit que, pour ces périodes, la Caisse est déchue du droit aux intérêts.
15. En statuant ainsi, alors que ses pouvoirs se limitaient à trancher la contestation relative à la validité du cautionnement, soulevée par la société [J] et la Selarl MJ synergie, ès qualités, et sur laquelle le juge-commissaire s'était déclaré incompétent, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
18. Il résulte de ce qui précède d'une part, que l'engagement de caution de la société Théry est valable, d'autre part, que les demandes de cette société et de la Selarl MJ synergie, ès qualités, en déchéance du droit aux intérêts contractuels pour manquement de la Caisse à son obligation d'information annuelle de la caution, sont irrecevables.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi principal, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il déclare recevable la créance de la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche, à titre chirographaire, pour la somme de 122 367,72 euros outre intérêts au taux conventionnel de 2,91 % l'an à compter du 5 septembre 2018, l'arrêt rendu le 7 mars 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare valable l'engagement de caution de la société [J] f&c ;
Déclare irrecevables les demandes de la société [J] f&c et de la Selarl MJ synergie, en sa qualité de mandataire judiciaire de la société [J] f&c, en déchéance du droit aux intérêts contractuels pour manquement de la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche à son obligation d'information annuelle de la caution ;
Renvoie les parties à saisir le juge-commissaire pour qu'il statue sur l'admission ou le rejet de la créance ;
Condamne la société [J] f&c et la Selarl MJ synergie, ès qualités, aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [J] f&c et la Selarl MJ Synergie, ès qualités, et les condamne à payer à la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire Drôme Ardèche la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le neuf juillet deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.