Cass. com., 9 juillet 2025, n° 24-22.654
COUR DE CASSATION
Arrêt
QPC autres
PARTIES
Demandeur :
Brenntag (SA)
Défendeur :
Brenntag SE (Sté), Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'économie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
M. Regis
Avocat général :
Mme Texier
Avocats :
SCP Melka-Prigent-Drusch, SCP Duhamel
Faits et procédure
1. Par une décision n° 17-D-27 du 21 décembre 2017 relative à des pratiques d'obstruction mises en uvre par Brenntag, l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) a retenu qu'il était établi que la société Brenntag SA, en tant qu'auteure directe de l'infraction, et la société Brenntag AG, devenue Brenntag SE, en sa qualité de société mère, avaient enfreint les dispositions du V de l'article L. 464-2 du code de commerce en faisant obstruction à l'instruction de la saisine n° 07/0076F, et leur a infligé solidairement une amende de 30 millions d'euros.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
2. A l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 21 novembre 2024 par la cour d'appel de Paris ayant rejeté son recours, la société Brenntag SA a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« L'article L. 464-2, V, second alinéa, du code de commerce, est-il contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution :
- en ce qu'il prévoit la possibilité pour l'Autorité de sanctionner – sévèrement – une entreprise pour obstruction à l'investigation ou à l'instruction, en violation du droit de se taire et du droit de ne pas s'auto-incriminer, qui découlent tous deux de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ;
- et en ce qu'il prévoit que l'Autorité peut, à la demande du rapporteur général, et après avoir entendu l'entreprise en cause et le commissaire du Gouvernement, décider d'infliger une sanction pécuniaire pour obstruction, sans prévoir les garanties, en particulier l'absence du rapporteur général et du rapporteur au délibéré, permettant d'assurer le respect des principes d'indépendance et d'impartialité exigeant la séparation des fonctions de poursuite, d'instruction et de sanction, découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
3. Le second alinéa du V de l'article L. 464-2 du code de commerce, dans sa version issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, dispose :
« Lorsqu'une entreprise a fait obstruction à l'investigation ou à l'instruction, notamment en fournissant des renseignements incomplets ou inexacts, ou en communiquant des pièces incomplètes ou dénaturées, l'Autorité peut, à la demande du rapporteur général, et après avoir entendu l'entreprise en cause et le commissaire du Gouvernement, décider de lui infliger une sanction pécuniaire. Le montant maximum de cette dernière ne peut excéder 1 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en uvre. »
4. Cette disposition est applicable au litige, qui concerne la sanction des sociétés Brenntag SA et Brenntag SE pour des faits d'obstruction à une enquête de l'Autorité.
5. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
6. Cependant, en premier lieu, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
7. En second lieu, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.
8. En effet, d'une part, le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 2016-552 QPC du 8 juillet 2016, déclaré conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit l'article L. 450-3 du code de commerce, au motif que le droit reconnu aux agents des services d'instruction de l'Autorité d'exiger la communication d'informations et de documents, prévu par cette disposition, tend à l'obtention non de l'aveu de la personne contrôlée, mais de documents nécessaires à la conduite de l'enquête de concurrence et ne porte donc pas atteinte au principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser. Dès lors, l'article L. 464-2, V, second alinéa, du code de commerce, qui sanctionne le refus d'une entreprise de communiquer ces informations et documents, ne saurait porter atteinte à ce même principe.
9. D'autre part, si, dans sa décision n° 2021-892 QPC du 26 mars 2021, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le second alinéa du paragraphe V de l'article L. 464-2 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017, laquelle est formellement identique à celle applicable à la présente affaire, c'est après avoir rejeté les griefs tirés de la violation des droits de la défense et des principes de présomption d'innocence, de séparation des pouvoirs et d'impartialité.
10. Il convient d'ajouter qu'il résulte de l'application combinée des articles L. 462-5, L. 464-2, V, second alinéa, et L. 463-7, dernier alinéa, du code de commerce que, lorsque le rapporteur général demande au collège de sanctionner une entreprise pour obstruction à une investigation ou instruction portant sur des pratiques dont l'Autorité a été saisie en application du premier de ces textes, ni le rapporteur général ni les rapporteurs ayant procédé, sous son contrôle, à cette investigation ou instruction, ne peuvent assister au délibéré du collège.
11. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le neuf juillet deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.