CA Versailles, ch. com. 3-2, 8 juillet 2025, n° 24/05414
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 53I
Chambre commerciale 3-2
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 08 JUILLET 2025
N° RG 24/05414 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WWVO
AFFAIRE :
[L] [R] [U] épouse [G]
C/
S.A. SOCIETE GENERALE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Juin 2024 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre : 1
N° RG : 2023F00285
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Julie GOURION-RICHARD
Me Frédérique LEPOUTRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT JUILLET DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
APPELANT :
Madame [L] [R] [U] épouse [G]
née le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 6] ((94))
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Julie GOURION-RICHARD, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51 - N° du dossier 2241500
Plaidant : Me Ahmed HARIR de la SELARL AHMED HARIR, avocat au barreau d'ARDENNES -
****************
INTIMEE :
S.A. SOCIETE GENERALE
N° SIRET : 552 120 222 RCS [Localité 7]
Ayant son siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Frédérique LEPOUTRE de la SCP SOCIÉTÉ CIVILE PROFESSIONNELLE D'AVOCATS LEPOUTRE, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 709 - N° du dossier 222111
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 27 Mai 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Cyril ROTH, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,
Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,
Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN
EXPOSE DU LITIGE
Les 10 décembre 2018 et 30 avril 2019, la Société Générale (la banque) a consenti à la société Société d'exploitation des établissements [G] deux prêts, l'un d'un montant de 57 500 euros, l'autre de 14 400 euros.
Le 3 février 2021, Mme [G], dirigeante de cette société, s'est portée caution solidaire de ses engagements dans la limite de 390 000 euros et d'une durée de 10 ans.
Le 2 juin 2022, le tribunal de commerce de Nanterre a converti la procédure de redressement judiciaire de la Société d'exploitation des établissements [G] en liquidation.
Le 21 juin 2022, la banque a déclaré ses créances entre les mains du liquidateur.
Le 20 janvier 2023, elle a assigné Mme [G] devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Le 12 juin 2024, par jugement contradictoire, ce tribunal a :
- condamné Mme [G] à payer à la Société Générale la somme de 390 000 euros, outre les intérêts au taux légal en vigueur à compter du 22 juin 2022 et avec anatocisme ;
- condamné Mme [G] à payer à la Société Générale la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Mme [G] aux entiers dépens.
Le 12 août 2024, Mme [G] a interjeté appel de ce jugement en tous ses chefs de disposition.
Par dernières conclusions du 14 avril 2025, elle demande à la cour de :
- réformer le jugement ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- prononcer la nullité de son engagement de caution souscrit selon acte sous seing privé du 3 février 2021 ;
En conséquence,
- débouter purement et simplement la Société Générale de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
A titre subsidiaire,
- juger que la Société Générale a commis une faute en lui faisant souscrire un engagement de caution selon acte sous seing privé du 3 février 2021 ;
En conséquence,
- condamner la Société Générale à lui payer :
dommages-intérêts : 400 000 euros ;
- débouter purement et simplement la Société Générale de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- débouter purement et simplement la Société Générale de ses demandes formées à titre subsidiaire, et de celles formées à titre infiniment subsidiaire, à défaut d'avoir sollicité l'infirmation du jugement dans le dispositif de ses conclusions d'intimée ;
En tout état de cause,
- condamner la Société Générale à lui payer :
indemnité de l'article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros ;
- condamner la Société Générale entiers dépens tant de première instance que d'appel ;
- dire qu'ils pourront être directement recouvrés par Maître Gourion-Richard, avocat.
Par dernières conclusions du 29 avril 2025, la banque demande à la cour de :
A titre principal,
- déclarer Mme [G] mal fondée en son appel et l'en débouter ;
En conséquence,
- confirmer le jugement du 12 juin 2024 en toutes ses dispositions ;
- débouter Mme [G] de ses demandes de rejet de ses demandes subsidiaires et à titre subsidiaire comme étant mal fondées ;
Y ajoutant en cause d'appel,
- condamner Mme [G] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [G] aux entiers dépens ;
- débouter Mme [G] de ses demandes de rejet de ses demandes subsidiaires et à titre subsidiaire comme étant mal fondées ;
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement du 12 juin 2024 ;
- déclarer valable l'acte de caution en date du 3 juin 2021 donné par Mme [G] ;
En conséquence,
- condamner Mme [G] à lui payer la somme de 390 000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2022 et avec anatocisme ;
- débouter Mme [G] de sa demande de la voir condamnée à lui payer des dommages et intérêts à hauteur de la somme de 400 000 euros pour faute ;
A titre très subsidiaire,
- confirmer le jugement du 12 juin 2024 ;
- condamner Mme [G] à lui payer la somme de 390 000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2022 et avec anatocisme ;
- débouter Mme [G] de sa demande de la voir condamnée à hauteur de la somme de 400 000 euros comme étant injustifiée en son quantum ;
- ordonner la compensation entre la somme éventuellement retenue par la présence juridiction au titre des dommages et intérêts et le montant du cautionnement de 390 000 euros en principal ;
En tout état de cause,
- condamner Mme [G] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [G] aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 mai 2025.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.
MOTIFS
Sur la demande d'annulation
Mme [G], invoquant les dispositions de l'article 1169 du code civil, soutient que son engagement de caution est nul pour dol, dès lors qu'il était dépourvu de contrepartie, la caution ayant été consentie en garantie de prêts déjà accordés au débiteur principal ; que le jugement entrepris est insuffisamment motivé sur ce point.
La banque réplique que le cautionnement est un contrat unilatéral ; qu'il n'existe pas de dol.
Réponse de la cour
L'appelante n'allègue ni man'uvre, ni mensonges, ni dissimulation, de sorte que c'est de manière inopérante qu'elle se prévaut d'un dol, ce vice du consentement étant défini à l'article 1137, non à l'article 1169 du code civil, qu'elle n'invoque pas.
L'article 1169 dispose en effet qu'un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire.
De surcroît, comme le relève justement la banque, ce texte ne trouve application que dans les contrats synallagmatiques, ce qui exclut le cautionnement.
Le jugement entrepris ne peut en conséquence qu'être confirmé en ce que, implicitement mais nécessairement, en accueillant la demande en paiement de la banque, il a écarté la demande d'annulation de l'acte de cautionnement formulée par la caution fondée sur les dispositions de l'article 1169 du code civil ; il convient de réparer d'office l'omission de statuer que comporte sur ce point son dispositif.
Sur la demande indemnitaire
Mme [G], invoquant les dispositions de l'article 1240 du code civil, prétend que la banque a commis une faute à son égard en lui faisant souscrire un engagement de caution alors qu'elle savait la situation de la société cautionnée irrémédiablement compromise ; que cette faute lui a causé un préjudice équivalent au montant de l'engagement de caution, majoré des intérêts.
La banque soutient que sa responsabilité ne peut être engagée que dans les conditions prévues à l'article L. 650-1 du code de commerce, qui sont sans application à l'action de la caution contre elle ; que Mme [G] était une caution avertie. Pour le cas où sa faute serait retenue, elle souligne que la déclaration de cessation des paiements est du 21 mars 2022 alors que le cautionnement a été souscrit le 3 février 2021, de sorte qu'il ne peut être affirmé que cet acte n'avait pour but que de couvrir les encours de la société cautionnée ; que la société cautionnée avait des comptes dans plusieurs autres banques, de sorte que l'évolution de son compte dans ses livres ne pouvait refléter sa situation financière ; qu'il n'est pas démontré que la situation de la société était irrémédiablement compromise au jour de l'engagement de caution. Enfin, elle fait valoir que le préjudice né du manquement d'une banque à son obligation de conseil n'est qu'une perte de chance.
Réponse de la cour
L'article L. 650-1 du code de commerce dispose :
Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.
Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge.
Antérieurement à l'entrée en vigueur de l'article L. 650-1, issu de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 dite de sauvegarde des entreprises et portant réforme des procédures collectives, la responsabilité du dispensateur de crédit pour soutien ou concours abusif relevait du droit commun de la responsabilité civile délictuelle (Com., 25 avril 2006, n° 04-17.462 ; Com., 11 juillet 2006, n° 05-11.710 ; Com., 27 février 2007, n° 06-13.649, publié).
La caution qui recherche la responsabilité d'une banque pour soutien ou concours abusif doit établir que les concours sont fautifs ; lorsqu'une procédure collective est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis qu'en cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou de disproportion des garanties prises, et si les concours consentis sont en eux-mêmes fautifs (Com. 20 septembre 2017 n° 16-12.939).
La caution non avertie peut rechercher la responsabilité du créancier en cas de fourniture de crédit inopportun ou excessif au débiteur principal, ou de manquement à son obligation de mise en garde, laquelle porte soit sur l'inadaptation de l'engagement de la caution à ses propres capacités financières, soit sur le risque d'endettement lié pour la caution au risque de défaillance caractérisé du débiteur principal (voir par exemple Com., 28 janv. 2014, n° 12-27.703, publié).
Inversement, une caution avertie n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de la banque à raison de la faute commise par celle-ci lors de l'octroi d'un crédit abusif au débiteur principal (Com., 28 janv. 2014, n° 12-27.703, publié).
Une caution est avertie si elle est en capacité de mesurer le risque encouru en s'engageant (Com, 29 nov. 2017, n°16-19.416). Le caractère averti d'une caution ne peut être déduit de sa seule qualité de dirigeant et associé de la société débitrice principale (Com, 22 mars 2016, déjà cité).
C'est au créancier d'établir qu'une caution est avertie et, si elle ne l'est pas, de prouver qu'il s'est acquitté de son obligation de mise en garde (Com, 22 mars 2016, n° 14-20.216, publié).
C'est à la caution non avertie soutenant que la banque était tenue à son égard d'une obligation de mise en garde d'établir qu'à la date à laquelle son engagement a été souscrit, il existait un risque d'endettement né de l'octroi du prêt, lequel résultait de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur (Com., 9 mars 2022, n° 20-16.277, publié ; 5 fév. 2020, n° 18-21.444 ; Com., 3 nov. 2015, n° 14-17.727).
Constitue un dol le fait pour une banque, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise, de s'abstenir de porter cette information à la connaissance de la caution (1ère Civ., 10 mai 1989, n°87-14.294, publié ; 1re civ., 18 févr. 1997, n° 95-11.816, publié ; voir aussi Com, 1er oct. 2002, n° 00-13.189, publié ; Com. 16 juin 2015 n° 14-10.375 ; Com. 4 juillet 2018 n° 16-21.787 16-21.743).
Inversement, une cour d'appel qui rejette l'action en responsabilité formée par une caution assignée en paiement et dirigée contre une banque sur le fondement des fautes qui auraient été commises dans l'octroi de crédits à une société, après avoir constaté qu'à aucun moment la banque n'avait accordé ou maintenu un crédit à une entreprise dont elle savait ou aurait dû savoir, en faisant preuve d'une diligence normale, que la situation était irrémédiablement compromise, ou octroyé en connaissance de cause un crédit dont le coût était insupportable pour l'équilibre de la trésorerie de l'entreprise et incompatible avec toute rentabilité, a légalement justifié sa décision (Com., 24 sept. 2003, n° 00-19.067, publié).
Il résulte des mentions du jugement, page 6 in alto, que, devant le tribunal de commerce, par l'organe de son avocat, Mme [X] a reconnu qu'elle était une caution avertie.
Elle ne peut être admise à soutenir à présent, au cours de la même instance, que la banque était tenue à son égard d'un devoir de mise en garde, qui supposerait la reconnaissance de sa qualité de caution non avertie.
Au reste, le 16 mai 2022, l'administrateur judiciaire désigné par le tribunal de commerce pour assister Mme [G] au cours du redressement judiciaire a dressé un bilan économique, social et environnemental dans lequel il a relevé que Mme [G], principale associée de la holding et de la société opérationnelle composant le groupe [G], en assurait la direction depuis 2015 ; que le groupe était spécialisé dans la réhabilitation d'immeubles ; qu'au 31 juin 2021, la société opérationnelle en cause avait un bilan de plus de 6 millions d'euros, sa holding de plus d'1,1 million ; que la holding comptait 6 salariés, la société opérationnelle en cause 54, dont 12 CDD.
De là résulte qu'au jour de l'engagement litigieux, Mme [G], chef d'entreprise expérimentée, était une caution avertie, envers qui la banque n'était tenue d'aucun devoir de mise en garde.
Il résulte en outre de ce rapport que, comme le relève la banque, la société en cause était titulaire en 2021 de comptes ouverts dans les livres de la Société Générale, mais aussi dans ceux de la banque BNP Paribas, au CIC, au Crédit Coopératif, un contrat de factoring avec la filiale ad hoc du CIC et une ligne Dailly auprès de la banque Delubac. La banque est ainsi bien fondée à soutenir que la seule connaissance, par la Société Générale, de l'état des comptes de la société ne lui permettait pas une vision complète de sa situation financière. Il n'est donc pas établi que la banque avait, au jour de l'engagement de caution en cause connaissance de ce que la situation de la société débitrice principale était obérée.
Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé en ce que, implicitement mais nécessairement, il a écarté la demande indemnitaire formulée par la caution ; il convient de réparer d'office l'omission de statuer que comporte sur ce point son dispositif.
Sur les demandes accessoires
L'appel étant dilatoire, l'équité commande d'allouer à l'intimée l'indemnité de procédure prévue au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
la cour, statuant contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Rejette la demande d'annulation de l'acte de cautionnement ;
Rejette la demande de dommages-intérêts formulée par Mme [G] ;
Condamne Mme [G] aux dépens d'appel ;
Condamne Mme [G] à payer à la Société Générale une somme de 2 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
DE
VERSAILLES
Code nac : 53I
Chambre commerciale 3-2
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 08 JUILLET 2025
N° RG 24/05414 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WWVO
AFFAIRE :
[L] [R] [U] épouse [G]
C/
S.A. SOCIETE GENERALE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Juin 2024 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre : 1
N° RG : 2023F00285
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Julie GOURION-RICHARD
Me Frédérique LEPOUTRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT JUILLET DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
APPELANT :
Madame [L] [R] [U] épouse [G]
née le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 6] ((94))
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Julie GOURION-RICHARD, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51 - N° du dossier 2241500
Plaidant : Me Ahmed HARIR de la SELARL AHMED HARIR, avocat au barreau d'ARDENNES -
****************
INTIMEE :
S.A. SOCIETE GENERALE
N° SIRET : 552 120 222 RCS [Localité 7]
Ayant son siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Frédérique LEPOUTRE de la SCP SOCIÉTÉ CIVILE PROFESSIONNELLE D'AVOCATS LEPOUTRE, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 709 - N° du dossier 222111
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 27 Mai 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Cyril ROTH, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,
Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,
Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN
EXPOSE DU LITIGE
Les 10 décembre 2018 et 30 avril 2019, la Société Générale (la banque) a consenti à la société Société d'exploitation des établissements [G] deux prêts, l'un d'un montant de 57 500 euros, l'autre de 14 400 euros.
Le 3 février 2021, Mme [G], dirigeante de cette société, s'est portée caution solidaire de ses engagements dans la limite de 390 000 euros et d'une durée de 10 ans.
Le 2 juin 2022, le tribunal de commerce de Nanterre a converti la procédure de redressement judiciaire de la Société d'exploitation des établissements [G] en liquidation.
Le 21 juin 2022, la banque a déclaré ses créances entre les mains du liquidateur.
Le 20 janvier 2023, elle a assigné Mme [G] devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Le 12 juin 2024, par jugement contradictoire, ce tribunal a :
- condamné Mme [G] à payer à la Société Générale la somme de 390 000 euros, outre les intérêts au taux légal en vigueur à compter du 22 juin 2022 et avec anatocisme ;
- condamné Mme [G] à payer à la Société Générale la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Mme [G] aux entiers dépens.
Le 12 août 2024, Mme [G] a interjeté appel de ce jugement en tous ses chefs de disposition.
Par dernières conclusions du 14 avril 2025, elle demande à la cour de :
- réformer le jugement ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- prononcer la nullité de son engagement de caution souscrit selon acte sous seing privé du 3 février 2021 ;
En conséquence,
- débouter purement et simplement la Société Générale de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
A titre subsidiaire,
- juger que la Société Générale a commis une faute en lui faisant souscrire un engagement de caution selon acte sous seing privé du 3 février 2021 ;
En conséquence,
- condamner la Société Générale à lui payer :
dommages-intérêts : 400 000 euros ;
- débouter purement et simplement la Société Générale de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- débouter purement et simplement la Société Générale de ses demandes formées à titre subsidiaire, et de celles formées à titre infiniment subsidiaire, à défaut d'avoir sollicité l'infirmation du jugement dans le dispositif de ses conclusions d'intimée ;
En tout état de cause,
- condamner la Société Générale à lui payer :
indemnité de l'article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros ;
- condamner la Société Générale entiers dépens tant de première instance que d'appel ;
- dire qu'ils pourront être directement recouvrés par Maître Gourion-Richard, avocat.
Par dernières conclusions du 29 avril 2025, la banque demande à la cour de :
A titre principal,
- déclarer Mme [G] mal fondée en son appel et l'en débouter ;
En conséquence,
- confirmer le jugement du 12 juin 2024 en toutes ses dispositions ;
- débouter Mme [G] de ses demandes de rejet de ses demandes subsidiaires et à titre subsidiaire comme étant mal fondées ;
Y ajoutant en cause d'appel,
- condamner Mme [G] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [G] aux entiers dépens ;
- débouter Mme [G] de ses demandes de rejet de ses demandes subsidiaires et à titre subsidiaire comme étant mal fondées ;
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement du 12 juin 2024 ;
- déclarer valable l'acte de caution en date du 3 juin 2021 donné par Mme [G] ;
En conséquence,
- condamner Mme [G] à lui payer la somme de 390 000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2022 et avec anatocisme ;
- débouter Mme [G] de sa demande de la voir condamnée à lui payer des dommages et intérêts à hauteur de la somme de 400 000 euros pour faute ;
A titre très subsidiaire,
- confirmer le jugement du 12 juin 2024 ;
- condamner Mme [G] à lui payer la somme de 390 000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2022 et avec anatocisme ;
- débouter Mme [G] de sa demande de la voir condamnée à hauteur de la somme de 400 000 euros comme étant injustifiée en son quantum ;
- ordonner la compensation entre la somme éventuellement retenue par la présence juridiction au titre des dommages et intérêts et le montant du cautionnement de 390 000 euros en principal ;
En tout état de cause,
- condamner Mme [G] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [G] aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 mai 2025.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.
MOTIFS
Sur la demande d'annulation
Mme [G], invoquant les dispositions de l'article 1169 du code civil, soutient que son engagement de caution est nul pour dol, dès lors qu'il était dépourvu de contrepartie, la caution ayant été consentie en garantie de prêts déjà accordés au débiteur principal ; que le jugement entrepris est insuffisamment motivé sur ce point.
La banque réplique que le cautionnement est un contrat unilatéral ; qu'il n'existe pas de dol.
Réponse de la cour
L'appelante n'allègue ni man'uvre, ni mensonges, ni dissimulation, de sorte que c'est de manière inopérante qu'elle se prévaut d'un dol, ce vice du consentement étant défini à l'article 1137, non à l'article 1169 du code civil, qu'elle n'invoque pas.
L'article 1169 dispose en effet qu'un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire.
De surcroît, comme le relève justement la banque, ce texte ne trouve application que dans les contrats synallagmatiques, ce qui exclut le cautionnement.
Le jugement entrepris ne peut en conséquence qu'être confirmé en ce que, implicitement mais nécessairement, en accueillant la demande en paiement de la banque, il a écarté la demande d'annulation de l'acte de cautionnement formulée par la caution fondée sur les dispositions de l'article 1169 du code civil ; il convient de réparer d'office l'omission de statuer que comporte sur ce point son dispositif.
Sur la demande indemnitaire
Mme [G], invoquant les dispositions de l'article 1240 du code civil, prétend que la banque a commis une faute à son égard en lui faisant souscrire un engagement de caution alors qu'elle savait la situation de la société cautionnée irrémédiablement compromise ; que cette faute lui a causé un préjudice équivalent au montant de l'engagement de caution, majoré des intérêts.
La banque soutient que sa responsabilité ne peut être engagée que dans les conditions prévues à l'article L. 650-1 du code de commerce, qui sont sans application à l'action de la caution contre elle ; que Mme [G] était une caution avertie. Pour le cas où sa faute serait retenue, elle souligne que la déclaration de cessation des paiements est du 21 mars 2022 alors que le cautionnement a été souscrit le 3 février 2021, de sorte qu'il ne peut être affirmé que cet acte n'avait pour but que de couvrir les encours de la société cautionnée ; que la société cautionnée avait des comptes dans plusieurs autres banques, de sorte que l'évolution de son compte dans ses livres ne pouvait refléter sa situation financière ; qu'il n'est pas démontré que la situation de la société était irrémédiablement compromise au jour de l'engagement de caution. Enfin, elle fait valoir que le préjudice né du manquement d'une banque à son obligation de conseil n'est qu'une perte de chance.
Réponse de la cour
L'article L. 650-1 du code de commerce dispose :
Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.
Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge.
Antérieurement à l'entrée en vigueur de l'article L. 650-1, issu de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 dite de sauvegarde des entreprises et portant réforme des procédures collectives, la responsabilité du dispensateur de crédit pour soutien ou concours abusif relevait du droit commun de la responsabilité civile délictuelle (Com., 25 avril 2006, n° 04-17.462 ; Com., 11 juillet 2006, n° 05-11.710 ; Com., 27 février 2007, n° 06-13.649, publié).
La caution qui recherche la responsabilité d'une banque pour soutien ou concours abusif doit établir que les concours sont fautifs ; lorsqu'une procédure collective est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis qu'en cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou de disproportion des garanties prises, et si les concours consentis sont en eux-mêmes fautifs (Com. 20 septembre 2017 n° 16-12.939).
La caution non avertie peut rechercher la responsabilité du créancier en cas de fourniture de crédit inopportun ou excessif au débiteur principal, ou de manquement à son obligation de mise en garde, laquelle porte soit sur l'inadaptation de l'engagement de la caution à ses propres capacités financières, soit sur le risque d'endettement lié pour la caution au risque de défaillance caractérisé du débiteur principal (voir par exemple Com., 28 janv. 2014, n° 12-27.703, publié).
Inversement, une caution avertie n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de la banque à raison de la faute commise par celle-ci lors de l'octroi d'un crédit abusif au débiteur principal (Com., 28 janv. 2014, n° 12-27.703, publié).
Une caution est avertie si elle est en capacité de mesurer le risque encouru en s'engageant (Com, 29 nov. 2017, n°16-19.416). Le caractère averti d'une caution ne peut être déduit de sa seule qualité de dirigeant et associé de la société débitrice principale (Com, 22 mars 2016, déjà cité).
C'est au créancier d'établir qu'une caution est avertie et, si elle ne l'est pas, de prouver qu'il s'est acquitté de son obligation de mise en garde (Com, 22 mars 2016, n° 14-20.216, publié).
C'est à la caution non avertie soutenant que la banque était tenue à son égard d'une obligation de mise en garde d'établir qu'à la date à laquelle son engagement a été souscrit, il existait un risque d'endettement né de l'octroi du prêt, lequel résultait de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur (Com., 9 mars 2022, n° 20-16.277, publié ; 5 fév. 2020, n° 18-21.444 ; Com., 3 nov. 2015, n° 14-17.727).
Constitue un dol le fait pour une banque, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise, de s'abstenir de porter cette information à la connaissance de la caution (1ère Civ., 10 mai 1989, n°87-14.294, publié ; 1re civ., 18 févr. 1997, n° 95-11.816, publié ; voir aussi Com, 1er oct. 2002, n° 00-13.189, publié ; Com. 16 juin 2015 n° 14-10.375 ; Com. 4 juillet 2018 n° 16-21.787 16-21.743).
Inversement, une cour d'appel qui rejette l'action en responsabilité formée par une caution assignée en paiement et dirigée contre une banque sur le fondement des fautes qui auraient été commises dans l'octroi de crédits à une société, après avoir constaté qu'à aucun moment la banque n'avait accordé ou maintenu un crédit à une entreprise dont elle savait ou aurait dû savoir, en faisant preuve d'une diligence normale, que la situation était irrémédiablement compromise, ou octroyé en connaissance de cause un crédit dont le coût était insupportable pour l'équilibre de la trésorerie de l'entreprise et incompatible avec toute rentabilité, a légalement justifié sa décision (Com., 24 sept. 2003, n° 00-19.067, publié).
Il résulte des mentions du jugement, page 6 in alto, que, devant le tribunal de commerce, par l'organe de son avocat, Mme [X] a reconnu qu'elle était une caution avertie.
Elle ne peut être admise à soutenir à présent, au cours de la même instance, que la banque était tenue à son égard d'un devoir de mise en garde, qui supposerait la reconnaissance de sa qualité de caution non avertie.
Au reste, le 16 mai 2022, l'administrateur judiciaire désigné par le tribunal de commerce pour assister Mme [G] au cours du redressement judiciaire a dressé un bilan économique, social et environnemental dans lequel il a relevé que Mme [G], principale associée de la holding et de la société opérationnelle composant le groupe [G], en assurait la direction depuis 2015 ; que le groupe était spécialisé dans la réhabilitation d'immeubles ; qu'au 31 juin 2021, la société opérationnelle en cause avait un bilan de plus de 6 millions d'euros, sa holding de plus d'1,1 million ; que la holding comptait 6 salariés, la société opérationnelle en cause 54, dont 12 CDD.
De là résulte qu'au jour de l'engagement litigieux, Mme [G], chef d'entreprise expérimentée, était une caution avertie, envers qui la banque n'était tenue d'aucun devoir de mise en garde.
Il résulte en outre de ce rapport que, comme le relève la banque, la société en cause était titulaire en 2021 de comptes ouverts dans les livres de la Société Générale, mais aussi dans ceux de la banque BNP Paribas, au CIC, au Crédit Coopératif, un contrat de factoring avec la filiale ad hoc du CIC et une ligne Dailly auprès de la banque Delubac. La banque est ainsi bien fondée à soutenir que la seule connaissance, par la Société Générale, de l'état des comptes de la société ne lui permettait pas une vision complète de sa situation financière. Il n'est donc pas établi que la banque avait, au jour de l'engagement de caution en cause connaissance de ce que la situation de la société débitrice principale était obérée.
Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé en ce que, implicitement mais nécessairement, il a écarté la demande indemnitaire formulée par la caution ; il convient de réparer d'office l'omission de statuer que comporte sur ce point son dispositif.
Sur les demandes accessoires
L'appel étant dilatoire, l'équité commande d'allouer à l'intimée l'indemnité de procédure prévue au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
la cour, statuant contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Rejette la demande d'annulation de l'acte de cautionnement ;
Rejette la demande de dommages-intérêts formulée par Mme [G] ;
Condamne Mme [G] aux dépens d'appel ;
Condamne Mme [G] à payer à la Société Générale une somme de 2 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT