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Décisions

CA Riom, ch. com., 9 juillet 2025, n° 24/00247

RIOM

Arrêt

Autre

CA Riom n° 24/00247

9 juillet 2025

COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N°257

DU : 09 juillet 2025

N° RG 24/00247 - N° Portalis DBVU-V-B7I-GECR

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Arrêt rendu le neuf juillet deux mille vingt cinq

décision dont appel : Jugement au fond du tribunal de Commerce de Clermont Ferrand en date du 1er Février 2024, enregistrée sous le n° 202201261

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Sophie NOIR, Conseiller

Madame Anne Céline BERGER, Conseiller

En présence de : Mme Valérie SOUILLAT, Greffier, lors de l'appel des causes et du prononcé

ENTRE :

M. [X] [I]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représenté par Me Jean-Michel DE ROCQUIGNY de la SCP COLLET DE ROCQUIGNY CHANTELOT BRODIEZ GOURDOU & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND - et par Me Laure PACLOT, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

ET :

La société [20] prise en la personne de Maître [L] [M]

SELARL immatriculée au RCS de [Localité 15] sous le n° [N° SIREN/SIRET 7]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Es qualités de liquidateur judiciaire de [28]

SAS immatriculée au RCS de [Localité 14] sous le nu° [N° SIREN/SIRET 8]

[Adresse 1]

[Localité 4]

désignée à ces fonctions par jugement du tribunale de commerce de CLERMONT-FERRAND en date du 05 décembre 2019

Représentée par Me Philippe CRETIER de la SELARL CLERLEX, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMÉE

DEBATS : A l'audience publique du 20 Février 2025 Madame DUBLED-VACHERON a fait le rapport oral de l'affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 804 du CPC. La Cour a mis l'affaire en délibéré au 09 Avril 2025, a prorogé le délibéré au 28 mai 2025 puis au 11 juin 2025, puis au 09 juillet 2025.

ARRET :

Prononcé publiquement le 09 juillet 2025, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Valérie SOUILLAT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu la communication du dossier au ministère public le 24 mai 2024 et son avis écrit reçu au greffe de la troisième chambre civile et commerciale le 04 juin 2024 dûment communiqué par la communication électronique le jour même aux parties qui ont eu la possibilité d'y répondre utilement.

En 2022, le groupe [I] dont M. [C] [I] est le président, a repris via la holding [26] (détenue à 100% par ce dernier) l'intégralité du capital de la société [28], ayant pour activité principale la fourniture de prestations d'ingénierie du territoire.

La société [28] détenait trois sociétés de la branche « tourisme » : [27], [22], et [11]. Ces sociétés intervenaient comme intermédiaires et sous-traitants pour permettre la mise en 'uvre de projets intégrés, ces projets étant réalisés dans le cadre de délégation de service public en partenariat avec la Caisse des dépôts et consignation (dite « CDC ») qui apportait des financements publics.

La SAS [28] contrôlait également cinq sociétés de la branche « énergie » : [13], [19], [10], [24] et la société [12] (dite « [12] ») dont le capital était détenu à hauteur de 50% par la holding [26] et à hauteur de 22,50% par la CDC.

Fin 2018, la CDC s'est désengagée de l'ensemble des projets développés par [28] au motif que M. [I] se serait livré à des agissements frauduleux au préjudice de la [12] dont la CDC détient 22,5% du capital. La société [12] ([12]) créée en 2016 en tant que maître d'ouvrage avait pour vocation de porter un projet de collecte biomasse forestière et de transformation en pellets torréfiés pour la construction d'une unité de production.

La CDC a mandaté la société [25] pour une mission d'audit afin d'apporter des informations et des preuves de réalisations engagées par [12] et de justifier les dépenses classées en actifs immatériels dans les comptes [12].

La société [25] a remis, à ce titre, deux rapports d'audit.

Dans le cadre de ce litige, la CDC a assigné la société [12] devant le tribunal de commerce de Limoges, qui par ordonnance de référé du 5 juillet 2019 a désigné la SELARL [W] en tant qu'administrateur provisoire de la société [12].

La SELARL [W] a établi un rapport sur la situation de la [12] après consultation de [21] qui a été chargé de réaliser une revue indépendante des flux comptables entre la société [12] et les autres sociétés du groupe [28]. L'administrateur a attrait différentes sociétés du groupe dont la société [28] devant le tribunal de commerce de Limoges qui, par ordonnance de référé du 8 janvier 2021, a ordonné une mesure d'expertise judiciaire confiée à M. [Y].

Le 31 mai 2022, M. [Y] a rendu son rapport définitif.

Par un jugement du 9 juillet 2019, le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a placé la SAS [28] en redressement judiciaire. Cette procédure a été ensuite convertie en liquidation judiciaire par jugement du 5 décembre 2019. La SELARL [20], prise en la personne de son représentant légal [L] [M], a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS [28].

Par acte d'huissier du 7 mars 2022, la SELARL [20], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [28] a assigné M. [I] devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand afin :

- de le voir condamné à lui payer la somme de 18.921.114,12 euros correspondant à l'insuffisance d'actif de la société [28] ainsi qu'à une interdiction de diriger, gérer ou administrer directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale pour une durée de 15 ans.

Par jugement du 1er février 2024, le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a :

- condamné M. [I] à payer à la SELARL [20] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [28], la somme de 10.637.456 euros au titre de l'insuffisance d'actif ;

- débouté la SELARL [20], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [28], du surplus de sa demande au titre de l'insuffisance d'actif ;

- prononcé en application des articles L.653-4 du code de commerce, une interdiction de gérer, administrer ou contrôler indirectement ou directement, toute exploitation agricole et toute personne morale pour une durée de 15 ans à l'encontre de M. [I] ;

- condamné M. [I] à payer à la SELARL [20], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [28], la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a rappelé le contexte dans lequel la société [12] partenaire historique de [28] avait dans le cadre d'un projet de création d'une unité de production, fait appel à ses partenaires (essentiellement des sociétés du groupe [28] ayant toutes pour président M. [I]). Dans le cadre de ce projet M. [I] a recherché des financeurs et la CDC est entrée au capital de [12] en 2018.Un différend est né au sujet d'un dépassement de budget de près de 3.2 M d'euros pour la phase d'ingénierie et sur une insuffisance de communication des comptes clos au 31.12.17 et 31.12.18.

Le tribunal a considéré :

- qu'il résulte de l'expertise [25] et de celle de M. [Y], que la société [28] a surfacturé à la société [12] une somme de 1 454 K€ sur deux exercices lui ayant permis de masquer la réalité de sa situation financière et de générer une trésorerie indue ;

- que les échanges de courriels entre M. [I] et sa fille ou encore le courriel de M. [Z] dévoilent une situation financière critique sur la période ;

- que la convention de centralisation de trésorerie signée le 4 janvier 2018 pour le compte de chaque société par M. [I] sans approbation du comité stratégique de la société [12] a permis à M. [I] d'avoir les mains libres pour effectuer des opérations de trésorerie et couvrir les besoins de sociétés en grandes difficultés financières ;

- que le projet mené par [16] ([16]) pour le compte de la commune de [Localité 23], a permis à M. [I] de récupérer de la trésorerie pour les sociétés de son groupe ;

- qu'il était démontré que M. [I] avait eu recours à des moyens de gestion ruineux ayant permis la poursuite d'activité déficitaire de la société [28].

- qu'il a frauduleusement augmenté le passif de la société [28].

Par déclaration du 13 février 2024, M. [I] a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions déposées et notifiées le 22 janvier 2025, M. [I] demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Dit la SELARL [20], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [28], recevable et partiellement fondée en sa demande,

- L'a condamné à payer à la SELARL [20], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [28], la somme de 10.637.456 euros au titre de l'insuffisance d'actif,

- Prononcé à son encontre, en application des articles L.653-4 et suivants du code de commerce, une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, et ce pour une durée de 15 ans, à son encontre,

- L'a condamné à payer à la SELARL [20], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [28], la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Ordonné les mentions, communications, et publications prescrites par la loi,

- Rejeté sa demande formulée de condamner la SELARL [20], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [28], au paiement de la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 CPC, et aux dépens ;

- L'a condamné aux dépens.

Statuant à nouveau,

- limiter à la somme maximale de 500.000 euros le montant de la condamnation,

- débouter le liquidateur de sa demande d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale pour une durée de 15 ans et le débouter de sa demande d'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la SELARL [20], ès-qualités de liquidateur de la société [28], au versement entre ses mains de la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions déposées et notifiées le 22 janvier 2025, la SELARL [20] ès-qualités demande à la cour de :

- confirmer la décision rendue en toutes ses dispositions à l'exception du quantum des condamnations mises à la charge de M. [I] au titre du comblement de l'insuffisance d'actif ;

- constater le désistement de M. [I] s'agissant de la demande de sursis à statuer ;

- dire et juger que M. [I] a incontestablement commis des fautes de gestion s'agissant du recours à des moyens tout aussi illicites que ruineux ; de la poursuite d'une activité en fait déficitaire ; de la poursuite de l'activité dans un intérêt personnel ;

- dire et juger que ces fautes ont pour corolaire la tenue d'une comptabilité manifeste incomplète et irrégulière ;

- dire et juger que ces fautes de gestion ont incontestablement contribué au passif de la société et par voie de conséquence à l'insuffisance d'actif ;

- réformer la décision rendue s'agissant des sommes mises à la charge de M. [I] au titre du comblement de l'insuffisance d'actif ;

Statuant à nouveau sur ce point,

- condamner dès lors M. [I] à lui payer la somme de : 500 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif de la société [28]

- condamner M. [I] à une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale, et ce pour une durée de 15 ans ;

- condamner par ailleurs M. [I] à lui payer une somme de 8.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

- condamner le même aux entiers dépens.

Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.

L'affaire a été communiquée au ministère public qui s'est en rapporté à la sagesse de la cour par une note du 31 mai 2024.

La clôture des débats a été prononcée le 4 juillet 2024. A la demande des parties l'ordonnance de clôture a été rabattue et l'affaire renvoyée à la mise en état pour fixation d'un nouveau calendrier de procédure.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 janvier 2025.

Avec l'accord des parties le dossier a été communiqué une seconde fois au parquet général en cours de délibéré. Ce dernier s'en est de nouveau remis à la sagesse de la cour.

Motivation :

M. [I] demande à la cour de ne pas prononcer d'interdiction de gérer à son encontre. Il rappelle qu'il lui est reproché :

- la poursuite d'une activité déficitaire

- le recours à des moyens ruineux

- une poursuite d'activité dans un intérêt personnel.

Il observe :

- que la thèse du liquidateur comme l'argumentation du tribunal reposent sur un seul et même élément factuel : l'absence de transmission des feuilles de temps individuelles des collaborateurs affectés aux projets litigieux qu'il dirigeait à [25] d'abord et à M. [Y] ensuite.

- que la créance de remboursement de la société [12], prétendument victime des surfacturations ne figure pas dans l'état du passif définitif.

M. [I] conteste toute valeur probante aux rapports de la société [25] sollicités par la CDC dans un contexte conflictuel et établis par un concurrent direct. Il dénie également toute valeur probante au rapport de M. [Y] considérant que ce dernier s'est largement servi du rapport [25] et ne disposait d'aucune compétence pour déterminer le travail fourni par [28] auprès de [12]. Il fait valoir que ce rapport est d'autant moins probant que la conclusion qu'il partage avec le rapport [25] procède de constatations opposées.

Il affirme par ailleurs ne pas avoir pu justifier auprès de l'expert des déclarations individuelles de temps des membres de l'équipe projet car le liquidateur qui avait la garde des archives [28] n'a pas permis la transmission des feuilles de temps des collaborateurs à l'expert ; il indique que le seul reproche qui peut lui être fait relève de la simple négligence tenant au fait de ne pas avoir conservé personnellement les fichiers papiers ou informatiques permettant d'attester des temps individuels de chaque salarié.

M. [I] considère qu'il est impossible de justifier les surfacturations sur le seul écart constaté par [25] ou encore sur les relations entre la CDC et le groupe [28] dès lors que la CDC avait pleine conscience du dépassement de budget avant son entrée au capital de [12] et que ce dépassement lui a servi de prétexte pour se désengager au moment où [12] a dû s'engager dans un contentieux administratif initié par des écologistes et parce qu'elle s'était engagée dans un projet concurrent. Il souligne que la société [12] a abandonné la créance de remboursement des sommes qui lui auraient prétendument été surfacturées et qui auraient été versées à tort.

Sur ce :

L'article L653-8 du code de commerce dispose que dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

Suivant l'article L653-3 1° du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne ayant poursuivi abusivement une exploitation déficitaire ayant conduit à la cessation des paiements. L'article L653-3 3° sanctionne de la même façon le fait d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de son actif ou frauduleusement augmenté son passif.

Ainsi que le rappelle M. [I], l'usage de moyens ruineux se caractérise par « tous les actes en inadéquation avec les possibilités financières de la société ayant pour but de se procurer des fonds pour retarder ou empêcher la constatation judiciaire de l'état de cessation des paiements. »

Cette faute est également caractérisée par un endettement excessif générant des charges insoutenables ou le recours à la « cavalerie » financière destinée à masquer l'état de cessation des paiements.

En l'espèce, la société [28] a fait l'objet d'un redressement judiciaire prononcé le 9 juillet 2019 par le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand et désigné la SELARL [9] comme administrateur.

Dans le cadre de sa mission, l'administrateur s'est livré aux constatations suivantes :

- la société [28] facturait trois types de prestations : une prestation externe d'ingénierie et deux prestations internes au groupe [28] que sont la partie ingénierie tourisme et la partie ingénierie interne énergie. Il est apparu que ces dernières prestations étaient en net recul depuis 2016 comme le chiffre d'affaires d'ingénierie externe. Les prestations d'ingénierie interne tourismes étaient quant à elles en augmentation depuis 2016.

Le 16 février 2017 la société [28] et la société [12] ont signé un contrat d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) prévoyant une rémunération forfaitaire de 900K€ au bénéfice de la société [28] (dont la Caisse des dépôts et consignations est associée).

Un litige s'est élevé entre la CDC et [28], la CDC reprochant à M. [I] d'utiliser la trésorerie de la SAS [12] pour masquer les difficultés des sociétés [13] et [28]. Une plainte a été déposée pour abus de biens sociaux et escroquerie la CDC invoquant des surfacturations importantes et s'appuyant sur deux rapports de la société [25].

Au regard des démarches entreprises par la CDC, il est ne peut être considéré comme le prétend M. [I] que la CDC a cherché à masquer sa volonté de se désengager d'un projet freiné par des recours administratifs par des accusations infondées. Il est effectivement relaté que la CDC a sollicité et obtenu la désignation de la SARL [17] en qualité d'administrateur provisoire de la société [12]. La SARL [17] a déposé un rapport sur les flux comptables entre la société administrée ([12]) et les autres sociétés du groupe. Elle a également attrait les sociétés du groupe devant le tribunal de commerce de Limoges et obtenu la désignation de M. [Y], en qualité d'expert.

Le liquidateur de la société [28] a plus particulièrement été saisi par la CDC d'une dénonciation des agissements de M. [I] s'agissant de l'utilisation pour le compte de [28] d'une somme de 2.4 millions d'euros versée par la CDC à la société [16] dans le cadre d'un contrat de promotion immobilière, somme répartie entre les sociétés du groupe (dont majoritairement la société [28]) pour faire face à leurs engagements financiers.

Ainsi au regard de cet historique, la SARL [20] se fonde :

- sur la dénonciation de la CDC

- le rapport de la SELARL [9]

- le rapport de la SARL [17]

- Le rapport [25]

- Le rapport de M. [Y]

M. [I] conteste toute force probante aux rapports de la société [25] et de M. [Y]. Sa défiance à l'égard des rapports [25] s'est exprimée dans les mêmes termes devant M. [Y] (manque d'indépendance et concurrence directe avec le groupe [28]). Ce dernier a pu rappeler que le groupe [25] est un groupe d'ingénierie pluridisciplinaire et international implanté dans une vingtaine de pays ; que ses expertises se réalisent dans une quarantaine de domaines. La cour fait donc siennes les observations de l'expert qui a justement considéré que dans ce contexte, il n'était pas recevable d'écarter les travaux de [25] au motif d'une concurrence de principe et générale avec les structures visées ; que de la même façon les interventions ponctuelles de [25] pour la CDC, institution financière aux domaines d'intervention multiples, ne suffisent pas à invalider le rapport [25].

Plus généralement la cour observe que M. [I] met systématiquement en cause l'action ou l'inaction de ses partenaires commerciaux ou encore celle des organes de la procédure pour justifier de son incapacité à justifier d'éléments factuels ou techniques permettant de critiquer utilement les deux rapports [25] et le rapport de M. [Y]. Il n'est en effet pas produit de rapport technique contraire à ceux-ci. M. [I] critique le rapport [25] en indiquant qu'il a été établi par un concurrent mais il ne formule aucune remarque constructive sur la méthodologie employée, les éventuelles erreurs d'analyse commises pour venir contredire le constat opéré par [25]. Il ne verse aucune étude concurrente permettant de considérer que l'analyse du cabinet [25] est erronée ou partisane. Le rapport [25] apparaît au contraire établi dans un souci de transparence et de sincérité la société [25] n'hésitant pas à laisser en suspens les questions pour lesquelles elle indique ne pas avoir de compétences (juridiques) nécessaires (Factures F 6050)

La cour observe que ces rapports exposent clairement la méthodologie adoptée :

- une approche essayant de lier chaque facture émise à une production correspondant aux intitulés de la facturation et en comparant les montants avec ceux estimés par [25] au regard des temps à passer ;

- une approche à partir des heures déclarées en production par les équipes d'ingénierie et les heures réellement facturées.

[25] reprend dans son rapport l'intégralité des factures disponibles de [28] en détaillant leur intitulé, le lot correspondant, le technicien dont la prestation est facturée, les ETP, et le prix.

Il fait de même pour les sociétés [13] et [19].

Les factures ont été comparées aux estimations de prix maximum de [25].

Il apparaît que [13] a largement surfacturé l'étude de process et données techniques, les études technico-économiques et montage. S'agissant des factures liées au jalons contractuels, soit 70% du montant « Etudes » du contrat, les documents trouvés n'ont pas justifié l'utilisation de 70 % du budget études du contrat. Concernant [28], les mêmes surfacturations peuvent être constatées. Pour exemple les factures liées à l'ICPE et au DDAE s'élèvent à 1 000 920 euros alors que le chef de projet de la partie « permitting environnement » a annoncé un coût de 430 000 euros et que les documents trouvés ont conduit [25] a évalué le coût réel à 413 500 euros. Les factures d'études de process et données techniques d'un montant global de 836 813 euros ne correspondent à aucun document [28], le personnel de [28] a été détaché chez [19] mais il n'y a pas eu contractualisation de ce détachement et les documents identifiés chez [19] ne justifient pas la facturation.

Le cabinet [25] observe d'importants écarts : les temps facturés représentent 3 à 6 fois les temps déclarés. Il indique que ces écarts sont un indice de surfacturation et concordent avec les conclusions

M. [I] se livre à une lecture parcellaire du rapport [Y] pour dénoncer certaines contradictions avec les conclusions [25]. En effet, [25] s'est livré à une estimation des temps nécessaires pour réaliser les prestations facturées et pour constater une surfacturation. M. [Y] constate une traçabilité des heures facturées par rapport aux heures déclarées (exposées dans les feuilles temps agrégées) mais il constate également l'impossibilité de recouper ces éléments avec les déclarations individuelles de temps des membres de l'équipe projet.

M. [I] reporte cette impossibilité sur les organes de la procédure et les archives de [Localité 18] et de [Localité 14]. Il explique que si l'accès aux archives situées à [Localité 18] et [Localité 15] a été autorisé par Me [W] et Me [M], l'archiviste de [Localité 18] lui a toutefois refusé l'accès et le second archiviste a préalablement réclamé des références détenues par les organes de la procédure qui ne lui ont jamais été fournies. La cour observe que M. [I] n'en justifie pas. Il a attendu la fin des opérations d'expertise pour indiquer qu'il était indispensable que Me [M] ès qualités produise certains documents et ouvre les archives des sociétés [28] [13] et [19] Les difficultés rencontrées avec les archives sont relatées par ses soins dans un courrier mais procèdent de ses seules allégations et ne sont étayées par aucun document.

L'expert indique en page 45 de son rapport que la possibilité pour M. [I] de renouveler ses démarches auprès des archives a été évoquée par Me [M] et cette proposition a été déclinée par M. [I].

Il apparaît que le rapport de M. [Y] est complémentaire à celui de [25], les deux experts ne disposant pas des mêmes compétences techniques. M. [Y] s'est ainsi approprié pleinement les compétences du premier expert dont les conclusions ont été débattues dans le cadre de son expertise, s'agissant de l'évaluation du temps nécessaire pour chaque prestation fournie.

Il résulte de ses constatations que la facturation est traçable mais non vérifiable ; que toutes les factures adressées à [12] par [28] et [13] ont été réglées mais que l'analyse [25] établit que 53% des sommes facturées sur la période 2016-2017 sont justifiées au regard des attendus techniques et des éléments produit, soit 2,8 M HT sur 5,3 M HT facturés.

L'expert observe que face à la demande de justification de la matérialité des temps facturés M. [I] n'a produit que des éléments partiels ne pouvant à eux seuls justifier un volume de 7.1 M€ HT

Le volume de facturation au titre des prestations 2018 n'a pu être vérifié. L'expert relève que le libellé des factures ne permet pas d'identifier les tâches réalisées justifiant les temps passés déclarés dans les feuilles temps agrégés. Ces volumes de temps interpellent l'expert puisque le projet a été mis à mal au cours de l'année 2018. Il relève qu'aucun stock de biomasse ne figure à l'actif de [12] au 31 décembre 2018 alors qu'il a été facturé 13% des besoins annuels contractuels sur 2018.

En retenant l'avis de [25], en qualité de sachant, l'expert estime que les prestations facturées par les sociétés [28] et [13] représentent 53 % des montants effectivement facturés.

L'intimé fait observer à juste titre qu'il n'existe pas de contradiction entre ces trois rapports.

Les deux rapports [25] et le rapport de M. [Y] doivent par ailleurs s'analyser à la lumière des rapports établis par l'administrateur provisoire de [12] (Me [W]) et de l'administrateur judiciaire de [28] (SELARL [9]).

Les inquiétudes des actionnaires de la société [12] face à un important dépassement budgétaire et une absence de communication des comptes clos au 31 décembre 2017 et au 31 décembre 2018 ont amené le président du tribunal de commerce de Limoges à désigner Me [W] en qualité d'administrateur provisoire de cette société.

Me [W] a eu pour mission d'administrer et gérer cette société. Il a communiqué un rapport sur la situation provisoire de cette société au 15 septembre 2020. Ce rapport permet de connaître le contexte dans lequel le rapport [25] a été établi.

Il rappelle qu'un comité stratégique a été constitué au sein de [12] dont la moitié des membres est désignée par [28] et l'autre moitié par les associés de [28] au sein de [12]. Les statuts prévoient que ce comité stratégique peut se saisir de toutes opérations liées à la gestion et doit autoriser au préalable certaines opérations. [28] s'est engagé aux termes du Pacte liant les associés à informer ces derniers de tout fait susceptible de mettre en péril la situation financière de [12] et de nature à compromettre la continuité de l'exploitation.

A l'origine le projet de collecte en Limousin de la biomasse forestière brute comprenait un budget d'investissement de 26M d'euros ramené à 15 M d'euros. Les opérations d'ingénierie intéressaient plusieurs sociétés toutes présidées par M. [I] ([12], [28], [13], [19]). Selon le business plan l'ingénierie représentait à elle seule un budget de 3,2 M d'euros. Suite à un recours le projet n'a pas dépassé le stade de l'ingénierie.

Les audits de la société [25] font suite aux demandes réitérées et vaines des associés minoritaires pour obtenir des informations sur un dépassement de près de 3M d'euros du budget prévu pour les études d'ingénierie.

Me [W] rappelle que le bureau d'études [25] a relevé : une absence de transmission de factures et / ou d'éléments justificatifs des prestations réglées par [12] aux sociétés [28], [13] et [19] au cours des exercices 2016 et 2017, des montants facturés qualifiés par [25] de surfacturations, des prestations supplémentaires facturées en dehors des contrats conclus entre ces 4 sociétés pour des marchés forfaitaires.

Les associés de [12] ont obtenu du président du tribunal de commerce de Limoges une mesure d'instruction in futurum et sollicité sur la base des documents saisis, un audit complémentaire de [25].

La cour observe que M. [I] s'est opposé systématiquement à toutes les mesures qui auraient permis aux associés d'obtenir les renseignements souhaités :

- transmission des comptes

- mesure in futurum (en demandant le séquestre des documents saisis dans le cadre de la mesure in futurum)

- refus de convoquer une assemblée générale.

- recours contre la désignation de Me [W].

Le 29 juillet 2019, celui-ci a pu obtenir les états financiers de 2018.

Le projet de bilan 2018 a amené plusieurs interrogations de la part des associés sur :

- un niveau de charges externes de 1 263 000 euros alors qu'il leur avait été indiqué au second semestre de 400 K euros de charges et qu'ils avaient demandé qu'aucune nouvelle charge ne soit engagée sans leur accord et que le projet était en fin de développement et bloqué.

Compte-tenu des doutes levés par les rapports [25] il a été décidé de faire établir par le cabinet [21] une revue indépendante des états financiers et flux de [12]. Ce rapport a été remis à l'administrateur le 22 avril 2020. (pièce 5 bis)

L'administrateur a pu relever qu'entre 2017 et 2018, le flux de trésorerie cumulé est négatif à hauteur de 306 K euros. Les prestations réalisées avec les sociétés du groupe [28] se sont élevées à 7 068 K euros au cours des exercices 2016, 2017 et 2018. Le groupe [28] a facturé en 2019 des prestations 2018.

Ainsi [28] a facturé des études, de la définition des ouvrages, des analyses, et de l'assistance, pour les catégories de personnel suivantes : Ingénieur sénior, expert, ingénieur d'étude, technicien, administratif, et ce pour 4 527 232 euros.

[13] a procédé de la même façon à concurrence de 3 307 788 euros ainsi que la société [19] à concurrence de 646 138 euros.

A la lumière d'une consultation avec Me [E], Me [W] a pu observer que les conclusions de [25] sur les temps réellement effectués par les salariés de [28] et [13] et les temps facturés étaient fondées sur les documents saisis dans le cadre de la mesure d'instruction in futurum. Me [W] a pu constater que ces conclusions étaient confortées par le mail du commissaire aux comptes du 6 juin 2017 qui relevait une erreur dans une facture [28] N° 6050 portant sur le détail de mois des techniciens (« 8,6 mois de techniciens ne formeraient qu'un total de 99 Keuros et non pas de 215 K euros. »). Me [W] a pu observer que cette facture avait été payée et non rectifiée.

Il a également confronté les constatations [25] à la lecture des mails échangés entre M. [I] et sa fille. Le mail du 25 avril 2018 montre que les facturations permettaient d'équilibrer les comptes « Pour [19] Ingen'r/ABI/ SBI il manque à justifier les stocks ( voir mail déjà envoyé.)

- Pour [13] : pour équilibrer les comptes il nous faut :

- une facture de prestations faites pour [28] d'environ 600 K euros

- R&D : justifier un montant d'environ 650 Keuros

- pas de travaux encours possible à justifier-donc variation d'encours de 1 142 497 euros.

Je n'ai pas encore les idées bien claires pour [28]. Je travaille dessus encore et je t'envoie quelque chose dès que possible. »

Le mail adressé le 5 mai 2017 par [T] [I] à son père pour les comptes [13] et [28] est du même ordre « j'ai ajouté une facture de prestation [13] à [28] de 800 000 € qui permet d'équilibrer le tout. »

Ces constats sont à rapprocher de ceux de la société [25] qui signale :

- un montage financier dangereux laissant à M. [I] président des 4 entités concernées par le projet, les pleins pouvoirs pour émettre les facturations des entreprises [28], [13], [19] et pour apprécier la prestation et valider le paiement en qualité de président de [12].

- des prestations facturées au double voire au triple de leur valeur.

- des prestations facturées à plusieurs reprises : ainsi la facture N°023-2/17 de 318 000 euros correspond à la remise des documents de base du projet. Or ce document de base du projet est identique à la revue détaillée de mars 2017 déjà imputé aux facturés 047-16 et 056-16.

- une facture d'acompte ( 011-2/17 ) alors que 70% du montant imputé aux études a été facturé et qu'il n'y a pas de trace de nombreuses prestations prévues dans le contrat au niveau étude.

Les rapports critiqués par M. [I] ne sont donc pas les seuls à caractériser l'existence d'une organisation laissant tout pouvoir à ce dernier et lui ayant permis de pallier les carences de trésorerie de ses sociétés au moyen de surfacturations dont l'existence est pleinement établie.

Le seul fait que la société [12] ait renoncé à déclarer sa créance pour 4 724 866 euros au passif de [28] ne suffit pas à combattre les constatations objectives des experts désignés ainsi que celles de l'administrateur provisoire de [12].

S'agissant de la situation de la société [28], il résulte du rapport de M. [Y] que cette société a facturé à [12] la somme de 446 200 euros au titre de l'exercice 2016 et 2 647 133 euros au titre de l'exercice 2017. Au titre de l'exercice 2017 la facturation de [28] s'est élevée à 2 647 133 euros. [25] observe qu'en comparant les temps réels déclarés de janvier à septembre 2017 aux temps utilisés pour la facturation 5, 169 mois ETP sont déclarés alors que 30,8 mois sont facturés.

En ayant eu recours à de la surfacturation, M. [I] a fait bénéficier ses sociétés, dont la société [28] d'une trésorerie indue qui lui a permis de masquer la situation déficitaire de celles-ci.

M. [I] conteste l'existence d'une situation déficitaire.

Il conteste au tribunal la possibilité de retraiter telle ou telle facture et affirme que pour que le paiement d'une facture puisse être qualifiée d'indu il eut fallu qu'une décision de justice soit rendue en ce sens. Il ajoute que [12] a déclaré au passif de [28] l'intégralité des honoraires facturés dans le cadre du projet de four à combustion ; qu'il a intégralement contesté cette créance qui ne figure pas dans l'état définitif du passif produit par le liquidateur.

Il indique que s'il convient de rectifier les résultats annuels de la société [28], pour déduire les prétendues surfacturations, il résulterait un résultat bénéficiaire pour l'année 2016 et pour 2018. Il fait observer que le liquidateur n'a jamais sollicité le report de la date d'état de cessation des paiements.

Il convient de rappeler qu'une créance résultant d'une surfacturation procède d'une exécution défectueuse du contrat. Elle est connexe avec la créance née du même contrat. Les sommes ainsi perçues peuvent être compensées ou neutralisées si elles ont été obtenues sans contrepartie réelle.

Le liquidateur fait justement observer que la surfacturation n'est la contrepartie d'aucun travail réel ou d'aucune charge engagée ; qu'il n'y a pas eu d'autres marchés puisque si tel avait été le cas M. [I] se serait abstenu de ce type de comportement. Le corollaire de cette surfacturation est une comptabilité irrégulière.

La cour fait sienne les observations du tribunal concernant le retraitement du résultat net, aux termes desquelles il apparaît qu'aux regards des comptes annuels la perte cumulée des exercices 2016 et 2017 avoisine 1 454 K€ en appliquant aux montant facturés le pourcentage de surfacturation retenu par les experts et en le déduisant des résultats nets obtenus sur les périodes considérées.

Il convient d'ajouter que cette pratique de surfacturation dépasse le cadre de la gestion de la seule société [28]. Les échanges de mail produits aux débats établissent le fait que M. [I] et sa fille ont effectivement jonglé avec la facturation pour répondre aux besoins de trésorerie des sociétés du groupe.

Mail du 23 avril 2018 de [T] [I] : « Si j'envoie ma demande de rapport au CAC sans autre explication ça ne passera pas car il va demander à vérifier la compta. Voilà ce que je propose : pour la facture [13] (') je passe un avoir qui l'annule sr [13] et je passe cette facture chez [28]. Cela me permet d'avoir 520 000 euros de dettes chez [28] et de passer cette compensation de créances. Je fais cela sur 2017 par contre pour ne pas dégrader les comptes [13] il faudra faire une facture de prestations entre [28] et [13]. »

Contrairement à ce qu'indique M. [I] la situation de [28] n'était pas florissante ainsi que le montre les mails échangés.

Mail du 16 Mai 2018 : « la trésorerie de [28] est très basse et nous avons plusieurs urgences :

- IS déclaré hier (..)

- MSA d'avril ( ..)

- CAC de [28](..)

- Egalement j'ai l'échéancier MSA à partir pour honorer les dettes du 4ème trimestre 2017 ( nous nous sommes engagés sur le respect de cet échéancier pour obtenir l'attestation)

-(..)

Ces échanges démontrent que les factures émises au sein du groupe pouvaient être établies pour des besoins de trésorerie de chaque structure afin de pallier les difficultés de trésorerie rencontrées. Ils témoignent tous ; ainsi que l'a indiqué le tribunal, d'une situation de trésorerie des différentes sociétés du groupe extrêmement critique sur la période qui ont nécessité sous couvert d'une convention de trésorerie, des virements fréquents entre les comptes des sociétés pour couvrir les besoins de financement.

Les flux financiers ont pu être réalisés au moyen d'une convention de centralisation de trésorerie qui n'a pas été autorisée par la CDC ( P 6) et qui n'a pas été portée à la connaissance du commissaire aux comptes. Ils ont concerné le projet [12] mais également un contrat de promotion immobilière avec [16]. La CDC a dénoncé le fait que cette opération avait été réglée pour 90% mais réalisée à concurrence de 25 à 30%. Le solde de trésorerie en possession de [16] dans le cadre de ce projet est remonté à [28] au moyen de cette convention de centralisation de trésorerie.

Les agissements frauduleux de M. [I], destinés à palier et surtout à masquer les difficultés des sociétés du groupe dont la société [28] ont été faits dans un intérêt personnel dès lors qu'il était associé et dirigeant de l'intégralité des sociétés du groupe.

Ces agissements ont également décrédibilisé le groupe et fait perdre à celui-ci la confiance d'investisseurs puisqu'il apparaît que c'est en découvrant ces agissements que la CDC a rompu sa collaboration. Il résulte du rapport de la SELARL [9] que ce dernier a considéré que la société devait s'orienter vers un plan de cession si elle souhaitait privilégier une solution par voie de continuation, en raison des incertitudes sur sa capacité à financer son activité. La fin du partenariat avec la CDC a entraîné le gel de toute activité ingenierie interne tourisme alors que cette activité avait généré 62% du CA de la société en 2018.

Ces fautes ont donc collaboré à la cessation des paiements de [28] et à son incapacité à envisager un redressement.

Le comportement de M. [I] ne s'analyse pas comme une simple négligence. Ce dernier était dirigeant de plusieurs sociétés ; il s'est inscrit dans un système organisé, élaboré au détriment des autres associés et des sociétés qu'il dirigeait. Cette attitude contraire à la rigueur et l'intégrité qui doivent présider le monde des affaires justifie pleinement la sanction d'interdiction de gérer prononcée par le tribunal à l'encontre de M. [I]. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

II- Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif :

La société [20] produit un état du passif définitivement admis d'un montant de 11 726 011,05 euros.

Le liquidateur indique que la créance de l'AGS doit faire l'objet d'un retraitement, ; que la créance déclarée au titre du compte courant de M et Mme [I] (ceux-ci ayant officiellement renoncé à celle-ci) doit être déduite du passif ; que la somme à échoir de 2 650 000 euros à échoir doit être neutralisée ; qu'il convient également de neutraliser les créances provisionnelles de la DGFIP à concurrence de 120 000 euros. Il précise en conséquence que le montant de l'insuffisance d'actif s'établit dès lors à 6 623 998, 71 euros. Il indique également que la société [12] a renoncé à sa créance de 4 724 866 euros.

Considérant que M. [I] a reconnu certains faits fautifs elle précise qu'elle entend ramener sa demande de condamnation à la somme de 500 000 euros.

M. [I] critique la première évaluation du passif faite par le liquidateur mais se rallie à l'évaluation donnée à hauteur de cour. En revanche, il évalue différemment l'actif réalisé et à réaliser pour conclure à une insuffisance d'actif de 5 640 449,76 euros. Il assure sans en justifier que le montant de cette possible insuffisance d'actif serait susceptible d'être intégralement couvert par les condamnations qui pourraient résulter de l'instance engagée contre la CDC.

Sur ce :

Aux termes des dispositions de l'article L 652-1 du code de commerce, au cours d'une procédure de liquidation judiciaire, le tribunal peut décider de mettre à la charge de l'un des dirigeants de droit ou de fait d'une personne morale la totalité ou une partie des dettes de cette dernière lorsqu'il est établi, à l'encontre de ce dirigeant, que l'une des fautes ci-après a contribué à la cessation des paiements :

1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.

Dans les cas visés au présent article, il ne peut être fait application des dispositions de l'article L. 651-2.

Au regard des éléments de motivation susvisés concernant la surfacturation pratiquée, il doit être considéré que la comptabilité de la société [28] était dépourvue de toute crédibilité et fiabilité. Ainsi que cela a été indiqué supra, les agissements de M. [I] ont conduit au désengagement de la CDC et sont en lien direct avec l'état de cessation des paiements de la société [28] et l'insuffisance d'actif constatée.

Le désaccord des parties sur le montant exact de cette insuffisance d'actif est sans incidence au regard des nouvelles demandes du liquidateur.

L'argument selon lequel les procédures engagées contre la CDC permettraient de combler cette insuffisance d'actif est purement hypothétique.

M. [I] indique que la seule faite commise consiste à ne pas avoir conservé les documents permettant de démontrer l'absence de facturation. Considérant les nouvelles demandes du liquidateur, il reconnait que cette faute a contribué à l'insuffisance d'actif et demande à la cour de limiter sa condamnation à la somme de 500 000 euros.

Au regard de ces éléments, la décision du tribunal sera infirmée dans son quantum et limitée à la somme de 500 000 euros.

III- Sur les autres demandes :

M. [I] succombant en son appel sera condamné aux dépens.

L'équité commande de ne pas laisser au liquidateur la charge des frais exposés pour la défense des intérêts des créanciers de la société [28]. M. [I] sera condamné à lui verser la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs :

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, par mise à disposition de l'arrêt au greffe ;

Confirme le jugement en toutes ses dispositions à l'exception de celle fixant le montant de la condamnation de M. [I] au versement d'une somme de 10 637 456 euros au titre de l'insuffisance d'actif ;

Statuant à nouveau ;

Condamne M. [C] [I] à verser à la SELARL [20] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [28] la somme de 500 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif ;

Condamne M. [C] [I] à verser à la SELARL [20] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [28] la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

M. [C] [I] aux dépens.

Le greffier La présidente

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