CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 juillet 2025, n° 23/05831
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Victory Cattle Limited (Sté)
Défendeur :
Copelveau (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Bellichach, Me Pihery, Me de Bazelaire de Lesseux, Me Sadot
FAITS ET PROCÉDURE
La société de droit irlandais Victory Cattle Limited (ci-après, « la société Victory ») avait pour activité principale, jusqu'à sa liquidation judiciaire prononcée par jugement du 17 mars 2025 du tribunal de commerce d'Alençon désignant en qualité de liquidateur judiciaire Maître [L] [K] qui était son mandataire judiciaire dans le cadre du redressement judiciaire ouvert le 16 septembre 2024, l'élevage, l'importation et l'exportation de bovins de race « [E] [D] » (ci-après, « [D] ») et commercialise l'[D] auprès de restaurants traditionnels et d'entreprise, de boucheries, de grossistes et d'enseignes françaises de la grande distribution alimentaire.
La société coopérative agricole Copelveau (ci-après, « la SCA Copelveau »), reconnue comme organisation de producteurs de viande bovine, est un groupement d'éleveurs qui a pour activité principale la collecte et la vente de bovins provenant exclusivement des exploitations des associés coopérateurs ainsi que l'approvisionnement des éleveurs et la fourniture de services à ces derniers.
Pour créer et développer la filière [D] dans le département de la Manche et les départements limitrophes les sociétés Copelveau et Victory se sont rapprochées courant 2016. Dans ce but, après avoir envisagé la création d'une structure commune, ces dernières ont conclu les 30 juin et 22 septembre 2020, et le 16 avril 2020 selon la société Victory, des contrats organisant la production par la société Victory, la reprise et le placement chez des éleveurs adhérents par la SCA Copelveau puis le rachat par la société Victory de mâles et de génisses de race [D].
Par courrier du 5 avril 2022, la SCA Copelveau alertait la société Victory sur l'existence d'un encours supérieur à 500 000 euros. Au cours d'une réunion organisée le 16 juin 2022, notamment pour évoquer cette difficulté, la société Victory révélait à la SCA Copelveau son résultat déficitaire de plus de 600 000 euros.
Les relations entre les parties se dégradaient et leurs échanges ne permettaient pas un règlement amiable du litige naissant portant sur la dette de la société Victory et sur le respect par la SCA Copelveau de son engagement d'achat. Aussi, par courrier de son conseil du 15 juillet 2022, la société Victory a mis en demeure la SCA Copelveau de reprendre la livraison des bovins tandis que celle-ci, qui contestait les manquements qui lui étaient imputés, a, par lettre de son conseil du 20 juillet 2022, sommé celle-là de lui payer la somme de 574 924 euros. Les parties maintenaient leurs positions respectives, la société Victory sollicitant le 27 juillet 2022 le paiement d'une somme de 163 872 euros au titre des bovins et génisses repris mais non réglés tandis que la SCA Copelveau lui réclamait le versement d'une somme de 413 646,81 euros, outre 22 722,41 au titre des pénalités de retard.
C'est dans ces circonstances que la société Victory a, par acte d'huissier signifié le 7 octobre 2022, assigné à bref délai la SCA Copelveau devant le tribunal de commerce de Rennes en indemnisation des préjudices causés par ses fautes contractuelles ainsi que par la rupture brutale des relations commerciales établies et sa soumission à un déséquilibre significatif.
Par jugement du 14 mars 2023, le tribunal de commerce de Rennes a statué en ces termes :
Déclare recevable la demande d'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société COPELVEAU ;
Rejette l'exception d'incompétence du Tribunal de Commerce de Rennes soulevée par la société COPELVEAU et se déclare Compéten ;
Dit que les demandes de la société VICTORY CATTLE LIMITED sont recevables ;
Dit qu'il n'y a pas eu rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l'article L 442-1 du Code de Commerce et déboute la société VICTORY CATTLE LIMITED de l'ensemble de ses demandes formées à ce titre ;
Condamne la société VICTORY CATTLE LIMITED à payer à la société COPELVEAU la somme de 413 646,81 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de signification du présent jugement et jusqu'à complet paiement ;
Déboute la société COPELVEAU de sa demande d'intérêts de retard en application de ses conditions générales de vente ;
Déboute la société COPELVEAU de sa demande d'indemnité de 12 280 euros, pour préjudice ;
Prononce la résiliation des contrats établis les 30 juin et 22 septembre 2020, entre les sociétés VICTORY CATTLE LIMITED et COPELVEAU, et fixe la fin définitive des relations contractuelles au 31 décembre 2022 ;
Condamne la société VICTORY CATTLE LIMITED à payer à la société COPELVEAU la somme de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Déboute les parties de leurs autres demandes, plus amples ou contraires ;
Fait droit à l'exécution provisoire du présent jugement ;
Condamne la société VICTORY CATTLE LIMITED aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration reçue au greffe le 25 mars 2023, la société Victory a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 31 octobre 2023, le délégataire du premier président a rejeté la demande de suspension de l'exécution provisoire présentée par la société Victory.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 9 avril 2025, la société Victory, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, demande à la cour, au visa des articles 455 du code de procédure civile, 1103, 1193, 1217, 1231-1, et 1231-2 du code civil, L 442-1 I et L 442-1 II du code de commerce et 700 du code de procédure civile :
- d'infirmer le jugement du 14 mars 2023 en ce qu'il a :
o dit qu'il n'y avait pas eu rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l'article L 442-1 du code de commerce et débouté la société Victory de l'ensemble de ses demandes formées à ce titre ;
o condamné la société Victory à payer à la SCA Copelveau la somme de 413 646,18 euros majoré des taux d'intérêt au taux légal à compter de la date de signification du présent jugement et jusqu'à complet paiement ;
o prononcé la résiliation des contrats établis les 30 juin et 22 septembre 2020, entre les sociétés Victory et Copelveau et fixé la fin définitive des relations contractuelles au 31 décembre 2022 ;
o débouté la société Victory de ses autres demandes plus amples ou contraires ;
o condamné la société Victory aux dépens à payer à la SCA Copelveau la somme de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
o fait droit à l'exécution provisoire du jugement ;
- de confirmer le jugement du 14 mars 2023 pour le surplus ;
- en conséquence, statuant à nouveau, de :
o juger que la SCA Copelveau a manqué à ses engagements contractuels en ne respectant pas ses obligations d'achat et de placement des génisses et en ne réglant pas à la société Victory les sommes qui lui sont contractuellement dues ;
o juger que la SCA Copelveau a rompu brutalement ses relations commerciales établies avec la société Victory ;
o juger que la SCA Copelveau a soumis la société Victory a un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;
o rejeter toutes les demandes de la SCA Copelveau ;
o condamner la SCA Copelveau à payer à la société Victory la somme de 163 872 euros hors taxe au titre des sommes qui lui sont dues contractuellement ;
o condamner la SCA Copelveau à payer à la société Victory la somme de 1 312 500 euros hors taxe à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices subis du fait des manquements contractuels commis par la SCA Copelveau ;
o condamner la SCA Copelveau à payer à la société Victory la somme de 78 750 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice subi du fait de la rupture brutale de relation commerciale établie commise par la SCA Copelveau ;
o condamner la SCA Copelveau à payer à la société Victory la somme de 288 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice subi du fait de sa soumission par la SCA Copelveau à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;
- en tout état de cause, de :
o débouter la SCA Copelveau de l'ensemble de ses demandes ;
o condamner la SCA Copelveau à payer à la société Victory la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
o condamner la SCA Copelveau aux entiers dépens.
En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 5 décembre 2024, la SCA Copelveau demande à la Cour, au visa des articles 1103 et 1104 du code civil et 122 du code de procédure civile :
- à titre principal, de confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 14 mars 2023 en ce qu'il a :
o dit qu'il n'y avait pas eu rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l'article L 442-1 du code de commerce et débouté la société Victory de l'ensemble de ses demandes formées à ce titre ;
o condamné la société Victory à payer à la SCA Copelveau la somme de 413 646,81 euros majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de signification du jugement et jusqu'à complet paiement ;
o prononcé la résiliation des contrats conclus les 30 juin et 22 septembre 2020 entre les sociétés Victory et Copelveau, et fixé la fin définitive des relations contractuelles au 31 décembre 2022 ;
o condamné la société Victory à payer à la SCA Copelveau la somme de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
o condamné la société Victory aux entiers dépens de l'instance ;
- d'infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a :
o débouté la SCA Copelveau de sa demande d'intérêts de retard en application de ses conditions générales de vente ;
o débouté la SCA Copelveau de sa demande d'indemnité de 12 280 euros pour préjudice ;
- vu l'évolution du litige, d'admettre au passif du redressement judiciaire de la société Victory les sommes suivantes :
o 413 646,81 euros au titre de la condamnation telle que prononcée par le tribunal de commerce de Rennes selon le jugement en date du 14 mars 2023 ;
o 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la condamnation telle que prononcée par le tribunal de commerce de Rennes selon le jugement du 14 mars 2023 ;
o 12 280 euros au titre du préjudice subi par la SCA Copelveau ;
o 117 917 euros pour le préjudice subi du fait des frais de pensions supplémentaires et de revente à perte des animaux non acheté par la société Victory ;
- en tout état de cause, de :
o condamner la société Victory à payer à la SCA Copelveau la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
o condamner la société Victory aux entiers dépens.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2025. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.
A l'audience, sur interrogation du président au sens des articles 442 et 445 du code de procédure civile, les conseils des parties s'accordaient pour reconnaître que la désignation de Maître [L] [K] en qualité de mandataire judiciaire de la société Victory dans les dernières écritures de cette dernière était le fruit d'une erreur matérielle et qu'il était en réalité constitué en qualité de liquidateur judiciaire de la société Victory, la procédure étant ainsi régulièrement poursuivie.
MOTIVATION
1°) Sur l'exécution et la résiliation des contrats
Moyens des parties
Au soutien de ses prétentions, la société Victory, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, qui souligne le défaut de motivation du jugement entrepris, expose que la SCA Copelveau est débitrice d'une somme totale de 163 872 euros en exécution des contrats au titre des bovins mâles repris en semaine 19 (96 359,50 euros HT), des 23 génisses laitonnes ramassées la semaine du 18 juillet 2022 (37 950 euros HT) et des 25 bovins mâles ramassés la même semaine (29 562,50 euros HT). Elle explique par ailleurs que la SCA Copelveau a violé ses obligations contractuelles en ne respectant pas l'engagement d'achat et de placement des génisses stipulé dans le contrat du 16 avril 2020, la signature du compte-rendu synthétisant les obligations des parties manifestant leur accord de volontés. Elle estime que cette convention intègre l'ensemble contractuel complété par les accords signés les 30 juin et 22 septembre 2020 qui obligent la SCA Copelveau à lui acheter 100 génisses minimum en 2019, 500 génisses en 2020 (soit les 300 femelles minimum initialement prévues dans l'engagement de placement en contrats naisseurs Victory Cattle et les 200 femelles supplémentaires achetées à 8 mois par la SCA Copelveau et revendues gestantes de 3 mois minimum à la société Victory), 300 génisses minimum en 2021 et 300 génisses minimum en 2022. Elle ajoute que la SCA Copelveau n'acheté que 250 génisses et n'en a placé que 100 alors qu'elle livrait parallèlement des bovins [D] à un tiers en violation de son exclusivité. Contestant toute demande de la SCA Copelveau de définir un planning, elle précise que ces manquements ne sont pas causés par l'inexécution de sa prestation de fournitures d'animaux ou de son obligation de rachat mais par l'incapacité récurrente de la SCA Copelveau à placer ses génisses en dépit de ses relances et de son assistance, ses carences la contraignant à placer elle-même ses génisses pour maintenir sa trésorerie. Elle estime que ces fautes, qui ont provoqué une chute de son chiffre d'affaires, lui ont causé un préjudice résidant dans la perte de sa marge brute (400 000 euros pour l'obligation d'achat et 112 500 euros pour l'obligation de placement) ainsi que dans les coûts pour la gestion du transport (40 000 euros) et l'entretien (640 000 euros) des génisses et dans le « coût commercial » lié à la recherche de solutions de vente (120 000 euros).
En réplique aux demandes reconventionnelles de la SCA Copelveau, la société Victory conteste la fiabilité des données opposées et souligne la variation des montants réclamés, passés sans explication de 72 668,72 euros à 413 646,81 euros dans l'unique mise en demeure qui lui a été adressée le 23 septembre 2022. Elle ajoute que, faute de communication préalable et d'acceptation des conditions générales de vente de la SCA Copelveau, les intérêts moratoires réclamés ne sont pas dus. Elle observe enfin que le préjudice au titre de l'absence de reprise des femelles n'est pas prouvé.
En réponse, la SCA Copelveau, qui souligne la suffisance et la pertinence de la motivation du tribunal, expose que, alors qu'elle avait respecté ses engagements, la société Victory a violé son obligation de paiement et demeure débitrice d'une somme totale de 413 646,81 euros. Déniant au compte-rendu du 16 avril 2016 la qualification de contrat faute de signature des parties, elle soutient que leurs relations n'étaient encadrées que par quatre contrats signés les 30 juin et 22 septembre 2020. Expliquant avoir respecté les termes du contrat « d'engagement de production de mâles de race [D] type herbager à partir de broutards de 6 à 8 mois » du 30 juin 2020 en ayant repris respectivement 842 et 858 mâles en 2020/2021 et 2021/2022, elle prétend que la société Victory :
- n'a pas exécuté le contrat « d'engagement de production de femelles de race [D] à destination de futures reproductrices » du 30 juin 2022 puisqu'elle ne lui a pas proposé un nombre suffisant de femelles à placer, qu'elle n'a pas repris la totalité des animaux placés et qu'elle n'a pas réglé le prix contractuellement fixé ;
- a violé son « engagement de mise en place de femelles de race [D] sous contrat Victory Cattle Ltd » stipulé dans l'acte du 22 septembre 2020. Elle précise à ce titre qu'elle était tenue de livrer des animaux chez les éleveurs, à charge pour la société Victory de racheter les génisses et de les commercialiser, ce qu'elle n'a pas fait ;
- a manqué à son obligation de reprise prévue par le contrat « d'engagement de reprise de bovins mâles de race [D] à la sortie de l'atelier d'affinage » du 30 juin 2022 en n'effectuant aucun virement entre le 24 juillet 2020 et le 20 septembre 2021. Elle ajoute que le paiement par compensation a été consensuellement mis en place pour l'aider à surmonter ses difficultés de trésorerie.
Elle conteste subsidiairement le principe et la mesure des préjudices allégués.
Reconventionnellement, elle sollicite le paiement du reliquat de 413 646,81 euros dû par la société Victory après compensation, outre les intérêts de retard à hauteur de 27 722,14 euros conformément à ses conditions générales de vente qui figurent au bas de chaque facture. Elle ajoute que le défaut de reprise de l'intégralité des femelles lui a causé un préjudice résidant dans le replacement des animaux à perte en dehors de la filière (12 280 euros) ainsi que dans les frais de pension supplémentaires (117 919 euros). Elle demande enfin le prononcé de la résiliation judiciaire des contrats au 31 décembre 2022, le litige en cours excluant la poursuite des relations.
Réponse de la cour
La société Victory invoquant un premier contrat conclu le 8 mars 2016, les dispositions applicables au litige sont, conformément à l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, celles antérieures à la réforme introduite par ce texte pour les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 et celles qui en sont issues pour les conventions postérieures.
a) Sur l'exécution des contrats
En application des articles 1101, 1109, 1113 et 1128 (anciennement 1101 et 1108) du code civil, le contrat, qui est consensuel quand il se forme par le seul échange des consentements par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager, est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. Sont nécessaires à la validité d'un contrat, le consentement des parties, leur capacité de contracter et un contenu licite et certain.
Et, conformément aux articles 1103, 1104 et 1194 du code civil (anciennement 1134), les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi. Et, en vertu des dispositions des articles 1231-1 à 4 (anciennement 1147, 1149 et 1150) du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure, les dommages et intérêts dus au créancier étant, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé et le débiteur n'étant tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprenant quoi qu'il en soit que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution.
Enfin, conformément aux articles 1224, 1228 et 1229 du code civil, la résolution, qui résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice, met fin au contrat. Elle prend effet, selon les cas, soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l'assignation en justice. Le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts.
- Sur le cadre contractuel des relations des parties
La société Victory soutient que les parties ont conclu un premier contrat le 16 avril 2020. Le document produit à ce titre (sa pièce 5) est un compte-rendu rapportant des « points sur la production de JB [D] » relatifs aux relations avec la société Socopa de Coutance et à la situation de l'affinage de certains mâles et évoquant des contrats entre les parties présentés comme « rédigés » mais accompagnés de précisions à y intégrer. Il ne comporte qu'une signature semblable à celle apposée par monsieur [N] [M], représentant légal de la SCA Copelveau, sans mention de son nom, la version produite par la SCA Copelveau étant pour sa part vierge de toute signature (pièce 15 de l'intimée). Il est insuffisant, faute d'éléments extrinsèques le complétant, pour exprimer un accord certain de volontés sur les éléments qu'il comporte, peu important que la convention alléguée ne soit légalement soumise à aucun formalisme.
Cette analyse est confortée par le fait que les autres documents qualifiés de contrat par les parties sont formellement présentés et intitulés comme des conventions et signés par l'ensemble de leurs représentants, y compris ceux des 8 mars et 1er juin 2016 organisant la production de bovins (pièces 21, 3, 4, 6 et 7 de l'appelante) : la forme adoptée le 16 avril 2020 ne correspond en rien à celle habituellement employée par les parties pour matérialiser leur accord. Aussi, les seuls actes pertinents et générateurs d'obligations réciproques sont les suivants :
- le contrat du 30 juin 2020 d' » engagement de production de mâles de race [D] "Type herbager" à partir de broutards de 6 à 8 mois » (pièce 3 de l'appelante) qui stipule que :
o la société Victory s'engage chaque année à proposer un nombre suffisant de mâles de race pure [E] [D] à la SCA Copelveau correspondant aux besoins de la filière, une estimation de ce nombre étant validée par les deux parties chaque année (nombre par semaine prévisionnelle de ramassage). Elle s'engage en conséquence à vendre à la SCA Copelveau les broutards répondant à une grille de reprise figurant en annexe ;
o la SCA Copelveau s'oblige à reprendre les mâles proposés suivant des semaines préalablement établies entre les parties (800 mâles minimum avec un objectif de 1 000) et à régler à la société Victory les mâles répondant au cahier des charges au prix de 1 050 euros départ exploitation en accord avec la grille de prix figurant en annexe 1 ;
- le contrat du 30 juin 2020 d' » engagement de reprise de bovins môles de race [D] à la sortie de l'atelier d'affinage » (pièce 4 de l'appelante) qui prévoit que :
o la SCA Copelveau s'engage à réceptionner les broutards [D] (mâles entiers à l'âge de 18 mois et b'ufs) après la phase de pâture pour être dirigés vers un atelier d'affinage, un bon de livraison étant alors donné à l'affineur et à la société Victory et la SCA Copelveau réalisant un prévisionnel de sortie transmis mensuellement à la société Victory ;
o cette dernière s'oblige à reprendre, au prix de 5 euros le kilogramme de carcasse à régler par virement sous 15 jours suivant l'abattage, la totalité des bovins gras mis en engraissement chez l'affineur. Elle est tenue, chaque semaine, de sélectionner les animaux à destination de l'abattoir, le transport étant réalisé par l'affineur ;
- le contrat du 30 juin 2020 d' » engagement de production de femelles de race [D] à destination de futures reproductrices » (pièce 6 de l'appelante), aux termes duquel :
o la société Victory s'engage chaque année à proposer un nombre de femelles de race pure [E] [D] suffisant pour assurer à la SCA Copelveau le développement de futures reproductrices, une estimation du nombre étant validée annuellement par les deux parties chaque année, et à les reprendre en intégralité au prix de 2 500 euros HT ;
o la SCA Copelveau s'oblige à reprendre les femelles proposées suivant des semaines préalablement établies entre les parties (300 femelles minimum par an) et régler à la société Victory les femelles répondant au cahier des charges au prix de 1 500 euros départ exploitation ;
- le contrat du 22 septembre 2020 d' » engagement de mise en place de femelle de race [D] sous contrat Victory Cattle Ltd » (pièce 7 de l'appelante) qui stipule que :
o la société Victory s'engage chaque année à proposer un nombre de femelles de race pure [E] [D] suffisant pour assurer à la SCA Copelveau le développement de futures reproductrices ;
o la SCA Copelveau s'oblige à mettre en place chaque année dans les départements 50, 14 et 61 un minimum de 300 femelles [E] [D] sous contrat naisseurs Victory Cattle Ltd chez des éleveurs.
Ainsi, les achats et les placements effectués par la SCA Copelveau étant limités par la quantité préalablement présentée par la société Victory, le respect par celle-ci de son engagement de proposer des animaux en nombre suffisant détermine les conditions de possibilité de l'exécution de ses obligations par celle-là, chaque partie supportant, conformément à l'article 1353 du code civil, la charge de la preuve de l'accomplissement de ses obligations. De ce fait, l'argument de la société Victory tenant à l'absence d'élément produit par la SCA Copelveau démontrant qu'elle aurait sollicité des bêtes supplémentaires non livrées, qui procède d'une logique de renversement de la charge de la preuve, est par nature inopérant, et ce d'autant plus que le nombre d'animaux à proposer devait faire l'objet d'une fixation préalable consensuelle qui n'a jamais été réalisée et que la société Victory, qui n'a évoqué qu'une fois le non-respect des objectifs quantitatifs contractuellement fixés dans le cadre de la préparation d'une réunion des parties (sa pièce 43), ne lui a jamais fait grief de l'insuffisance de ses prestations avant la naissance du litige.
- Sur la responsabilité contractuelle de la SCA Copelveau
Alors que la société Victory, qui ne livre pas d'information sur le volume de sa production effective, ne produit aucun élément sur la détermination consensuelle du nombre suffisant d'animaux à proposer, elle ne prouve pas avoir offert à la SCA Copelveau une quantité déterminée de bovins. Aussi, faute de preuve de la proposition en nombre suffisant d'animaux, qui ne peut découler de la conclusion hors convention de contrats avec des éleveurs par la société Victory (sa pièce 37), comportement ambivalent pouvant tout autant révéler indirectement une carence de la SCA Copelveau que traduire directement une violation de l'exclusivité stipulée par la société Victory, le non-respect des objectifs fixés dans les contrats (pièces 43, 54 et 55 de l'appelante) ne caractérise pas à lui seul une faute de la SCA Copelveau.
Et, si une salariée de cette dernière a pu solliciter en août 2021 l'assistance de la société Victory pour le placement de génisses prêtes pour l'élevage naisseur, ses interrogations ne traduisaient pas une incapacité de la SCA Copelveau à exécuter ses obligations. En effet, la technicienne concernée, qui conforte cette lecture des échanges des parties sur ce point dans son attestation du 4 avril 2024 (pièce 19 de l'intimée), rappelait la nécessaire collaboration de la société Victory dans la réalisation de l'opération de mise en place qu'impliquait son engagement de racheter la totalité des bêtes placées chez les éleveurs stipulé dans le contrat de fourniture de bovins reproducteurs et de reprise de broutards joint à l'acte du 22 septembre 2020, engagement dont un éleveur adhérent soulignait, en écho à ce témoignage, la mauvaise exécution (pièce 12 de l'intimée). Cette problématique, dont la récurrence confirme le caractère habituel de la pratique des parties, était de nouveau évoquée en septembre 2021 et en janvier 2022 sans susciter de réaction ou de critique de la société Victory (sa pièce 29). Cette dernière n'a par ailleurs jamais dénoncé clairement l'insuffisance des placements avant la naissance du litige (ses pièces 53, qui n'est pas une « relance » mais une demande de renvoi d'un document par hypothèse déjà transmis, et 43 qui est un courriel préparatoire à une réunion à venir et ne s'analyse pas en l'expression d'un grief).
L'unique faute susceptible d'être reprochée à la SCA Copelveau réside dans un retard de ramassage d'un mois en novembre 2021 (pièce 55 de l'appelante). Outre le fait que, isolée, elle ne justifie ni rupture ni exception d'inexécution, elle est sans lien avec les préjudices allégués.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Victory au titre de la responsabilité contractuelle de la SCA Copelveau.
- Sur la responsabilité contractuelle de la société Victory
Alors que le contrat du 30 juin 2020 d' » engagement de reprise de bovins môles de race [D] à la sortie de l'atelier d'affinage » imposait à la société Victory de régler la SCA Copelveau par virement sous 15 jours suivant l'abattage, la société Victory ne prouve aucun paiement sous cette forme. Destinée à pallier cette carence et nécessaire à la poursuite du partenariat, l'instauration d'un système de paiement par compensation par le biais d'une auto-facturation effectuée par la SCA Copelveau était contrainte par ce défaut de paiement dont il est désormais acquis qu'il ne trouve pas sa cause dans une faute de cette dernière au titre de ses engagements d'achat et de placement. En outre, en l'absence de toute critique contemporaine de son exécution par la société Victory, cette pratique, instituée dès le 24 juillet 2020 et objet de dérogations seulement ponctuelles (pièces 25 à 27 de l'appelante), apparaît consensuelle.
Et, c'est à raison de l'accroissement de la dette de la société Victory en dépit de la compensation opérée que le commissaire aux comptes de la SCA Copelveau a, en février et en avril 2022 (pièces 6 et 7 de l'intimée), dans le cadre de l'accomplissement de sa mission de certification des comptes au sens des articles L 821-53 et suivants du code de commerce, exigé un apurement de celle-ci dont le montant (558 356,28 euros au 31 décembre 2021) devenait d'autant plus préoccupant que les factures impayées étaient anciennes (avril à septembre 2021). De fait, malgré l'accord des parties sur le paiement systématique d'une somme de 15 000 euros à chaque facture et même en l'amputant des avoirs et compensations contestés opposés par la société Victory, la créance de la SCA Copelveau était reconnue par cette dernière à hauteur de 375 908,31 euros le 5 juillet 2022 (pièce 12 de l'appelante), ces difficultés financières d'ampleur, corrélées à une chute importante de son chiffre d'affaires, ayant des répercussions immédiates sur la capacité de la société Victory à régler les éleveurs (ses pièces 19 , 20 et 39).
Aussi, la société Victory a manqué, de manière persistante et substantielle, à son obligation essentielle de paiement sans pouvoir justifier sa faute par l'inexécution antécédente de ses obligations par la SCA Copelveau. Cette faute, grave à raison de sa nature et de son ampleur, légitimait les demandes de paiement immédiat de la SCA Copelveau et ses menaces de rupture (pièces 8 à 11 et 18 de l'appelante) et fonde la résiliation judiciaire des contrats litigieux aux torts de la société Victory, le jugement entrepris devant ainsi être confirmé de ce chef.
Elle justifie également la condamnation au paiement de la créance ancienne de la SCA Copelveau. A cet égard, les décomptes produits par cette dernière (ses pièces 8 et 9 et la pièce 17 de l'appelante), corroborés par les extraits de son compte fournisseur (sa pièce 6) et de celui de la société Victory (sa pièce 27) ainsi que par les factures versées au débat (pièces 25 et 26 de l'appelante et 9 de l'intimée) établissent une créance d'un montant de 332 287,31 euros. Cette somme tient compte, conformément à la pratique constante de compensation des parties et au caractère certain de leurs créances réciproques liquides et exigibles au sens de l'article 1347-1 du code civil, de la déduction de la facture d'achat du 20 mai 2022 (81 359,50 euros après compensation avec la somme de 15 000 euros déjà opérée par la SCA Copelveau) qui n'est mentionnée dans aucun décompte quoique son principe et sa mesure soient certains puisque la facture, invoquée par la société Victory, a été dressée par la SCA Copelveau elle-même (pièce 40 de l'appelante). En revanche, ce montant n'intègre pas les autres contestations de la société Victory qui sont insuffisamment étayées par les courriels des 23 et 24 juin 2022 seuls cités à ce titre (sa pièce 41).
Par ailleurs, les factures de vente établies par la SCA Copelveau mentionnent systématiquement ses conditions générales aux termes desquelles tout retard de paiement entraîne de plein droit et sans mise en demeure le paiement d'intérêts de retard au taux légal majoré de 3 % (sa pièce 9). Cependant, quoiqu'elle sollicite l'infirmation du jugement sur ce point, la SCA Copelveau ne présente aucune demande corrélative dans le dispositif de ses dernières écritures au sens de l'article 954 du code de procédure civile. Aussi, conformément à l'article 1231-7 du code civil, la condamnation portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt partiellement infirmatif.
En conséquence, le jugement entrepris, confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société Victory au titre des 23 génisses et 25 mâles, sera infirmé :
- sur le montant de la condamnation au paiement de la société Victory mais non sur la détermination du taux des intérêts de retard, et la somme de 332 287,31 euros assortie des intérêts de retard au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt sera fixée au passif de la société Victory ;
- en ce qu'il a rejeté la demande de la société Victory au titre de la facture du 20 mai 2022, son montant venant en déduction de la créance de la SCA Copelveau par compensation au sens des articles 1348 et suivants du code civil.
Enfin, la SCA Copelveau n'apporte pas le moindre élément étayant ses demandes indemnitaires complémentaires. A raison de cette carence probatoire totale, déjà soulignée par le tribunal, le jugement entrepris sera confirmé de ces chefs, la Cour constatant en outre que la SCA Copelveau, en dépit d'une demande de fixation à ce titre, ne sollicite pas l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa prétention relative aux frais de pensions supplémentaires et de revente à perte des animaux.
2°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Moyens des parties
Au soutien de ses prétentions, la société Victory expose que la relation commerciale litigieuse a débuté en 2016, les premiers échanges remontant au 7 mars 2016 et la fourniture de bovins reproducteurs ainsi que la reprise de broutards ayant été contractuellement encadrées les 8 mars et 1er juin 2016. Elle précise que la SCA Copelveau a, le 4 juin 2022, modifié unilatéralement les conditions de règlement en substituant au délai de paiement de 15 jours après l'abattage un règlement anticipé à hauteur de 70 %, qu'elle a tenté de la contraindre à signer le compte-rendu du 16 juin 2022 sous la menace d'un arrêt des livraisons de bovins, qu'elle a d'initiative déclaré caduc ses engagements d'achat et de placement et qu'elle a conditionné en juillet 2022 la reprise des livraisons au règlement d'un encours qu'elle avait unilatéralement établi en violation des délais de paiement qui lui étaient accordés. Elle estime que ce bouleversement sans préavis de l'économie générale de la relation caractérise une rupture brutale du partenariat. Elle conteste toute faute en soutenant avoir effectué des règlements par compensation entre le 24 juillet et le 20 septembre 2021, son encours ayant ainsi été réduit de 300 000 euros. Elle évalue le préavis éludé à six mois et sa marge brute perdue sur les livraisons non effectuées à 78 750 euros.
En réponse, la SCA Copelveau développe une argumentation commune au titre de la responsabilité contractuelle et de la rupture brutale des relations commerciales établies et soutient qu'elle n'a pas bouleversé l'équilibre économique du partenariat, sa cessation étant causée par la société Victory qui a choisi de vendre des femelles en violation de ses obligations contractuelles et d'imposer un paiement avant livraison pour dégager une trésorerie confortable.
Réponse de la cour
En application de l'article L 442-1 II du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 applicable au jour de la matérialisation de la rupture alléguée en juillet 2022, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
Ce texte sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966).
Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de sa matérialisation concrète dans le tarissement du flux d'affaires ou de la notification de la rupture, qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au partenaire délaissé de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.
Mais, la rupture, quoique brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales (en ce sens, sur le critère de gravité, Com. 27 mars 2019, n° 17-16.548). La faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, du partenariat : son appréciation doit être objective, au regard de l'ampleur de l'inexécution et de la nature l'obligation sur laquelle elle porte, mais également subjective, en considération de son impact effectif sur la relation commerciale concrètement appréciée et sur la possibilité de sa poursuite malgré sa commission ainsi que du comportement de chaque partie.
Si la SCA Copelveau n'invoque pas explicitement la faute de la société Victory au sens de l'article L 442-1 II in fine du code de commerce, elle conteste l'imputabilité de la rupture en lui opposant son comportement qui caractérise un manquement à ses obligations contractuelles. Or, en ne respectant pas les conditions de paiement stipulées dans le contrat du 30 juin 2022 et en ne payant pas sa dette ancienne et importante en dépit du système de compensation consensuellement organisé et de l'échéancier un temps accordé, la société Victory a commis une faute grave rendant impossible la poursuite, même temporaire au regard du risque d'accroissement de la dette, de la relation commerciale. Elle est ainsi objectivement seule responsable de la rupture qui lui est exclusivement imputable.
En conséquence, le jugement entrepris, dont les motifs seront sur ce point adoptés par la Cour en complément des siens, sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire de la société Victory sur le fondement de l'article L 442-1 II du code de commerce.
3°) Sur le déséquilibre significatif
Moyens des parties
Au soutien de ses prétentions, la société Victory expose qu'elle a accepté de conclure un contrat portant sur la livraison de bovins prêts à abattre en contrepartie de l'engagement réciproque de la SCA Copelveau à lui acheter des génisses et à placer ces dernières chez ses éleveurs naisseurs partenaires dans le cadre d'un ensemble contractuel indivisible, les actes ayant été signés concomitamment et comportant le même préambule et des références mutuelles, articulé autour de trois étapes clefs (création de troupeaux d'[D] chez les éleveurs partenaires, élevage et affinage des bovins chez les éleveurs partenaires, rachat des bovins pour abattage et commercialisation ou reproduction). Elle précise que la SCA Copelveau, après avoir obtenu son savoir-faire et ses clients, s'est prévalue des difficultés de trésorerie générées par ses propres manquements pour cesser ses livraisons de bovins et traiter avec un tiers pour l'évincer. Elle en déduit la caractérisation d'une soumission à un déséquilibre significatif, pratique qui lui a causé un préjudice consistant en la perte de sa clientèle (288 000 euros).
En réponse, la SCA Copelveau explique que les quatre contrats ne forment pas un tout indivisible, la production de bovins [D] mâles étant distincte de la mise en place de la production de femelles à destination de futures reproductrices, la société Victory ayant d'ailleurs conservé 200 femelles gestantes et disposant de ce fait d'autres débouchés. Elle conteste toute menace et soutient que les difficultés de trésorerie de la société Victory ne résultent pas de son fait.
Réponse de la Cour
Aux termes de l'article L 442-1 I 2° du code de commerce dans sa version issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au jour de la conclusion des contrats litigieux, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, de soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
La partie victime d'un déséquilibre significatif au sens de cet article est fondée à solliciter la nullité de la clause du contrat qui crée ce déséquilibre et qui méconnaît les dispositions d'ordre public de ce texte (en ce sens, Com. 30 septembre 2020, n° 18-11.644, solution conforme aux précisions apportées par CConst., n° 2011-126 du 13 mai 2011, identique à l'avis de la CEPC n° 14-02 du 23 janvier 2014 et impliquée par le Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 qui souligne que la modification apportée sur ce point est destinée à lever une ambiguïté et non à modifier le droit existant).
La caractérisation de cette pratique restrictive suppose ainsi la réunion de deux éléments : d'une part la soumission à des obligations, ou sa tentative, et d'autre part l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
La soumission, ou sa tentative, implique la démonstration par tous moyens par les sociétés HG, conformément à l'article 9 du code de procédure civile, de l'absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses ou obligations incriminées. Celle-ci, qui peut notamment être caractérisée par l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation, ne peut se déduire de la seule structure d'ensemble du marché de la grande distribution, qui peut néanmoins constituer un indice de l'existence d'un rapport de forces déséquilibré se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs (en ce sens, Com. 20 novembre 2019, n° 18-12.823). L'appréciation de cette première condition est ainsi réalisée en considération du contexte matériel et économique de la conclusion proposée ou effective, l'insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d'adhésion ou les conditions concrètes de souscription (en ce sens, Com. 6 avril 2022, n° 20-20.887) pouvant constituer des critères pertinents de la soumission ou de sa tentative. Si l'analyse de la contrepartie participe prioritairement de l'appréciation du déséquilibre significatif, celle de son existence, plutôt que de sa suffisance, demeure utile pour caractériser une éventuelle soumission ou tentative de soumission en ce que l'absence d'avantage attendu par le cocontractant ou de réciprocité des obligations est de nature à éclairer subjectivement, à raison de la dimension purement unilatérale de la démarche, une volonté d'assujettissement.
L'appréciation du déséquilibre significatif, qui peut être économique comme juridique, est globale, au regard de l'économie du contrat, et concrète. L'article L 442-1 I 2° du code de commerce autorise, non une fixation, mais un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d'une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (en ce sens, Com., 25 janvier 2017, n° 15-23.547, et CConst. 30 novembre 2018, n° 2018-749 QPC). L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties, les effets des pratiques n'ayant en revanche pas à être pris en compte ou recherchés (en ce sens, Com., 3 mars 2015, n° 14-10.907). En l'absence de toute présomption légale, la preuve du déséquilibre significatif incombe à l'appelante, tandis que celle d'un éventuel rééquilibrage du contrat par une ou plusieurs autres clauses repose sur l'intimée.
La Cour relève que la société Victory ne critique pas les stipulations des contrats conclus avec la SCA Copelveau, dont elle ne prétend d'ailleurs pas qu'elles lui auraient été imposées faute d'être effectivement négociables, mais leur inexécution sur fond de parasitisme économique (page 34 de ses écritures). Or, l'article L 442-1 I 2° du code de commerce vise la soumission à une obligation, soit classiquement le lien de droit par lequel le débiteur est tenu d'une prestation, dans le cadre d'un partenariat commercial, une relation entre parties s'engageant, ou s'apprêtant à s'engager, dans une relation commerciale (en ce sens, avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ayant remplacé l'expression « partenaire commercial » par le terme « partie », Com. 15 janv. 2020, n° 18-10.512). Il ne porte ainsi que sur les obligations susceptibles de négociation dans un processus contractuel et non sur des faits juridiques ne générant pas d'obligations au sens désormais de l'article 1100 du code civil et qui sont soustraits par hypothèse à toute discussion des parties et sanctionnés par la mise en 'uvre de la responsabilité contractuelle, ou le cas échéant délictuelle, de droit commun de leur auteur.
Dès lors, outre le fait que la condition de soumission n'est pas établie, les moyens tirés du non-respect de ses engagements par la SCA Copelveau et les critiques générales liées à l'exécution des contrats, qui ne s'analysent pas en des pratiques au sens de l'article L 442-1 I 2° du code de commerce, sont impropres à caractériser une soumission à un déséquilibre significatif.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
4°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens.
En application de l'article L 622-22 du code de commerce auquel renvoie l'article L 641-3 en matière de liquidation judiciaire, sous réserve des dispositions de l'article L 625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L 626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.
Et, en vertu de l'article L 622-17 I du code de commerce auquel renvoie l'article L 641-13 en matière de liquidation judiciaire, les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance. Le critère de détermination du caractère postérieur ou antérieur des créances au sens du droit des procédures collectives est leur fait générateur ainsi que l'induit la référence expresse à leur naissance. La loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 a néanmoins ajouté un critère d'utilité au critère chronologique.
Introduite pour accroître l'actif de la société Victory, l'action était, en son principe, utile à la procédure collective et à la satisfaction des intérêts des créanciers. Aussi, les créances au titre des dépens et des frais irrépétibles, constituées par l'arrêt, peuvent être considérées comme nées pour les besoins du déroulement de la procédure.
Succombant en son appel, la société Victory, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SCA Copelveau la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour sauf en ce qu'il a :
- condamné la société Victory Cattle Limited à payer à la SCA Copelveau la somme de 413 646,18 euros majorée des intérêts de retard au taux légal à compter de la date de sa signification ;
- rejeté la demande de la société Victory Cattle Limited au titre de la facture du 20 mai 2022 ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Fixe la créance détenue par la SCA Copelveau contre la société Victory Cattle Limited au titre de ses factures impayées au passif de cette dernière à la somme de 332 287,31 euros assortie des intérêts de retard au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt ;
Dit que cette somme tient compte de la créance détenue par la société Victory Cattle Limited contre la SCA Copelveau au titre de la facture n° 52170 du 20 mai 2022 (81 359,90 euros), créance déduite de la somme fixée à son passif après compensation ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de la société Victory Cattle Limited au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la société Victory Cattle Limited, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, à payer à la SCA Copelveau la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en appel ;
Condamne la société Victory Cattle Limited, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, à supporter les entiers dépens d'appel.