CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 juillet 2025, n° 23/16892
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
2e Plasturgie (SASU)
Défendeur :
FPMI (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Sophie Depelley, M. Julien Richaud
Avocats :
Me Aude Ducret, Me Alexandre Becaud, Me Stéphanie Lamy, Me Bertrand Besnard, SELARL Novalians
FAITS ET PROCÉDURE
La société 2E Plasturgie a pour activité la négociation de contrats de matériels industriels pour le compte d'autres sociétés. Elle a assuré depuis 2011, la commercialisation de presses à injecter de marque chinoise Haitian pour le compte de la société HT Plast qui était le distributeur exclusif de ces machines.
A la suite de la rupture des relations de distribution entre la société Haitian et la société HT Plast, la société FPMI a été créée en juin 2017 et a conclu un contrat d'agent commercial avec la société Haitian pour la commercialisation de ses machines de presses à injecter.
C'est dans ce contexte que les sociétés 2E Plasturgie et FPMI ont noué une relation commerciale, la première assurant la vente desdites machines pour le compte de la seconde, sans formaliser de contrat.
Par lettre du 30 novembre 2021, la société Haitian a notifié à la société FPMI son intention de mettre fin au contrat d'agent commercial les liant, avec effet au 28 février 2022, soit à l'issue d'un préavis de 3 mois.
A compter de janvier 2022, la société FPMI n'a plus confié à la vente de machine de marque Haitian à la société 2E Plasturgie.
Par lettre du 24 mars 2022, la société 2E Plasturgie a mis en demeure la société FPMI de lui régler la somme de 152 343,34 euros pour rupture brutale des relations commerciales établies.
Par lettre du 30 mars 2022, la société FPMI a notamment répondu que la rupture de la relation ne lui était pas imputable.
C'est dans ces circonstances, que par acte du 12 juillet 2022, la société 2E Plasturgie a assigné la société FPMI devant le tribunal de commerce de Lyon afin d'obtenir sa condamnation à lui verser la somme de 152 343,34 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie sur le fondement de l'article L. 442-1 II du code de commerce.
Par jugement du 21 septembre 2023, le tribunal de commerce de Lyon a :
- Condamné la société FPMI SASU à payer à la société 2E Plasturgie SASU la somme de 16 858 euros de dommages intérêts, au titre du préjudice subi suite à la rupture brutale des relations commerciales établies.
- Débouté la société 2E Plasturgie SASU du surplus de ses demandes.
- Condamné la société FPMI SASU à payer à la société 2E Plasturgie SASU la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamné la société FPMI SASU aux entiers dépens.
- Écarté tous autres moyens, fins et conclusions.
- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
La société 2E Plasturgie a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 16 octobre 2023.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 24 juin 2024, la société 2E Plasturgie demande à la Cour de :
Vu les articles 4, 5, 9, 16, 564, 565 et 700 du Code de procédure civile,
Vu les articles 1103,1104, 1193, 1231-1, 1231-2 et 1231-6 du Code civil,
Vu les articles L.134-1 et suivants du Code de commerce,
Vu l'article L. 442-1 II du Code de commerce,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces
D'infirmer le jugement rendu le 21 septembre 2023 par le tribunal de commerce de Lyon, en ce qu'il a limité la condamnation de la société FPMI à lui payer la somme de 16 858 euros de dommages intérêts, au titre du préjudice subi suite à la rupture brutale des relations commerciales établies, et l'a déboutée du surplus de ses demandes ;
Statuant à nouveau,
A titre principal
Condamner la société FPMI à payer à la société 2E Plasturgie la somme de 152 343,34 euros de dommages intérêts au titre du préjudice subi suite à la rupture brutale, sans aucun préavis écrit et en violation des dispositions de l'article L. 442-1, II du code de commerce, des relations commerciales établies d'une durée de 11 ans de 2011 à 2022, alors que 2E Plasturgie effectuait la totalité de son chiffre d'affaires grâce à cette relation d'affaires avec FPMI et était donc dans un état de dépendance économique vis-à-vis de cette dernière ;
A titre subsidiaire
Condamner la société FPMI à payer à la société 2E Plasturgie la somme de 141 493,35 euros de dommages intérêts au titre de l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi suite à la résiliation brutale du contrat d'agent commercial ;
Débouter FPMI de l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et prétention ;
Condamner FPMI à payer à 2E Plasturgie la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 18 juillet 2024, la société FPMI demande à la Cour de :
Vu l'article L.442-1 II du Code de commerce,
Vu les articles L.134-1 et suivants du Code de commerce,
Vu les articles 910-4 et 564 du Code de procédure civil,
Vu la jurisprudence citée et les pièces versées au débat.
I - Statuant eu égard aux dispositions des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce
Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société FPMI à payer à la société 2E Plasturgie la somme de 16 858 euros de dommages intérêts, au titre du préjudice subi suite à la rupture brutale des relations commerciales établies.
Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société FPMI à payer à la société 2E Plasturgie la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau :
Débouter la société 2E Plasturgie de sa demande visant à voir condamnée, sur le fondement de l'article L. 442-1 II du code de commerce, la société FPMI à lui payer la somme de
152 343,34 euros de dommages et intérêts.
Sur la demande reconventionnelle de la société 2E Plasturgie :
A titre principal
Débouter comme nouvelle et donc irrecevable sur le fondement des articles 910-4 et 564 du code de procédure civile la demande de la société 2E Plasturgie visant à voir la société FPMI condamnée à lui payer la somme totale de 141 493,35 euros de dommages et intérêts au titre de l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi suite à la résiliation du contrat d'agent commercial et au titre de l'indemnité pour rupture brutale du contrat.
Subsidiairement
Débouter comme irrecevable sur le fondement de l'article L. 134-12 du code de commerce la demande de la société 2E Plasturgie visant à voir la société FPMI condamnée à lui payer la somme de 125 771,85 euros de dommages et intérêts au titre de l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi suite à la résiliation du contrat d'agent commercial.
Débouter comme mal fondée, sur le fondement de l'article L. 134-13 du code de commerce, la demande de la société 2E Plasturgie visant à voir la société FPMI condamnée à lui payer la somme totale de 141 493,35 euros de dommages et intérêts au titre de l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi suite à la résiliation du contrat d'agent commercial et au titre de l'indemnité pour rupture brutale du contrat.
Débouter comme mal fondée, eu égard à l'existence d'un cas de force majeure, la demande de la société 2E Plasturgie visant à voir la société FPMI condamnée à lui payer la somme totale de 141 493,35 euros de dommages et intérêts au titre de l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi suite à la résiliation du contrat d'agent commercial et au titre de l'indemnité pour rupture brutale du contrat.
Débouter la société 2E Plasturgie de l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et prétentions.
II - Statuant eu égard aux dispositions de l'article L. 442-1 II du code de commerce
A titre principal :
Juger que la société 2E Plasturgie était à l'initiative de la rupture et qu'elle ne justifie ni d'un préjudice ni d'un lien de causalité.
En conséquence :
Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société FPMI à payer à la société 2E Plasturgie la somme de 16 858 euros de dommages intérêts, au titre du préjudice subi suite à la rupture brutale des relations commerciales établies.
Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société FPMI à payer à la société 2E Plasturgie la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau :
Débouter la société 2E Plasturgie de sa demande visant à voir condamnée la société FPMI à lui payer la somme de 152 343,34 euros de dommages et intérêts.
Débouter la société 2E Plasturgie de l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et prétentions.
A titre subsidiaire
Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société FPMI à payer à la société 2E Plasturgie la somme de 16 858 euros de dommages intérêts, au titre du préjudice subi suite à la rupture brutale des relations commerciales établies.
Mais,
Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société FPMI SASU à payer à la société 2E Plasturgie SASU la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
III - En tout état de cause
Condamner la société 2E Plasturgie à verser à la société FPMI la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 avril 2025.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
I- Sur le statut d'agent commercial
Exposé des moyens,
Au soutien de son appel incident, la société FPMI fait préalablement valoir l'inapplicabilité au litige des dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce au motif que sa relation entretenue avec la société 2E Plasturgie s'inscrit dans le cadre du statut de l'agent commercial régit par les dispositions des articles L134-1et suivants du code de commerce. Selon la société FPMI, il ne fait pas de doute que dès lors que la société 2E Plasturgie négociait puis vendait, sur un secteur géographique déterminé, des machines pour le compte de la société FPMI, elle-même agent commercial de la société Haitian et se faisant régler par des commissions sur les ventes réalisées, cette société 2E Plasturgie intervenait donc en qualité de sous-agent commercial de la société FPMI. Elle ajoute que la société 2E Plasturgie exerçait cette activité de manière permanente en réalisant la quasi-totalité de son chiffre d'affaires avec la société FPMI. Elle précise que le défaut d'inscription au registre des agents commerciaux et l'absence du pouvoir de modifier les prix n'exclu pas la qualification d'agent commercial.
La société FPMI soutient encore qu'elle n'est pas contredite par la société 2E Plasturgie qui formule une demande à titre subsidiaire sur le fondement des dispositions des articles L.134-1 et suivants, mais que cette demande est irrecevable pour être nouvelle en appel. Elle relève en outre la déchéance du droit à réparation sur le fondement de l'article L.134-12 du code de commerce dès lors que la société 2E Plasturgie ne lui a pas notifié, dans le délai d'un an de la cessation du contrat, qu'elle entendait faire valoir ses droits à réparation au titre du statut d'agent commercial.
En toute hypothèse, la société FPMI fait notamment valoir ne pas avoir rompu la relation commerciale la liant à la société 2E Plasturgie. Elle affirme qu'elle l'a uniquement informée avoir perdu le droit de commercialiser les produits de marque Haitian, dont elle a elle-même été informée le 30 novembre 2021. Elle explique avoir souhaité continuer de travailler avec la société 2E Plasturgie, mais que c'est cette dernière qui a décidé de rompre la relation commerciale en la mettant en demeure par lettre du 24 mars 2022 de lui payer une indemnité au motif de la rupture du contrat. Elle déclare qu'aucune rupture ne lui est imputable puisqu'au surplus, la société FPMI a continué à régler des prestations qui lui étaient facturées par la société 2E Plasturgie en 2022. Elle ajoute que la rupture de la relation est le résultat de la conjoncture économique et d'un évènement totalement extérieur. Aussi, elle en déduit qu'en application de l'article L.134-13 du code de commerce, la société 2E Plasturgie doit être déboutée de ses demandes.
En réponse, la société 2E Plasturgie relève d'abord que le moyen tendant au rejet de ses prétentions au motif de l'application du statut d'agent commercial n'avait pas été soulevé en première instance par la société FPMI, et que cette dernière n'est dès lors pas fondée à lui opposer le principe de concentration des prétentions et doit pouvoir répondre à ce nouveau moyen conformément au principe du contradictoire prévu à l'article 16 du code de procédure civile.
La société 2E Plasturgie soutient ensuite qu'elle n'a jamais exercé d'activité d'agent commercial. Elle souligne qu'elle n'est pas inscrite sur le registre des agents commerciaux et qu'elle n'a reçu de FPMI aucun pouvoir de modifier les tarifs et ses conditions générales de vente, et donc n'avait aucune activité de négociation. Néanmoins, elle fait valoir que si la Cour devait appliquer ce statut protecteur des agents commerciaux, elle demande à titre subsidiaire, en application de l'article L.134-12 du code de commerce, une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi du fait de la cessation de la relation avec son mandant FPMI, correspondant aux commissions brutes perçues au cours des deux dernières années, soit la somme de 125 771,85 euros, outre la somme de 15 721,50 euros à titre de rupture brutale du contrat par le mandant en l'absence du respect du préavis de trois mois.
Réponse de la Cour,
Selon l'article 563 du code de procédure civile, pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.
L'article 564 du même code précise qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Et l'article 565 de prévoir que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
Aussi, la société FPMI pour prétendre, comme en première instance, au rejet des prétentions de la société 2E Plasturgie, peut soulever en appel le moyen nouveau tendant à l'inapplicabilité des dispositions de l'article L.442-1 II du code de commerce au motif que leur relation commerciale relève du statut de l'agent commercial. De même que pour écarter cette prétention adverse, la société 2E Plasturgie est recevable à formuler en appel à titre subsidiaire une demande d'indemnisation en réparation du préjudice lié à la rupture sur le fondement des articles L.134-1 et suivants du code de commerce.
Il résulte de l'article L.134-1 du code de commerce que doit être qualifié d'agent commercial le mandataire, personne physique ou morale qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux, quoiqu'il ne dispose pas du pouvoir de modifier les prix de ces produits ou services (en ce sens Com., 2 décembre 2020, pourvoi n° 18-20.231).
L'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée (en ce sens Com., 17 mai 2023, pourvoi n° 21-23.533).
En l'espèce, peu d'élément sont apportés par les parties, et en particulier de la part de la société FPMI qui invoque l'application du statut d'agent commercial, sur les conditions dans lesquelles l'activité de la société 2E Plasturgie était effectivement exercée à l'égard de la société FPMI.
Certes l'absence d'immatriculation au registre des agents commerciaux ou l'absence de pouvoir de négociation des prix, n'empêche pas la qualification d'agent commercial. Néanmoins, les éléments produits aux débats mettant en avant que l'extrait Kbis de la société 2E Plasturgie vise en objet la négociation de contrats de matériels industriels pour le compte d'autres sociétés, que la société 2E Plasturgie était rémunérée sous forme de commission et réalisait la totalité de son chiffre d'affaires dans les ventes pour le compte de la société FPMI, sont insuffisants en eux-mêmes pour apprécier concrètement si la société 2E Plasturgie exerçait son activité dans les conditions requises par l'article L134-1 précité, notamment au regard de son indépendance et de son pouvoir de négociation.
Dès lors, à défaut d'élément permettant de qualifier la relation entre les parties de contrat d'agent commercial, le litige doit être apprécié au regard des dispositions de l'article L.442-1 II du code de commerce invoqué par la société 2E Plasturgie.
II- Sur la rupture de la relation commerciale établie
L'article L.442-1 II du code de commerce dispose que :
« II- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. »
1. Sur l'existence de relations commerciales établies
Exposé des moyens,
Au soutien de son appel, la société 2E Plasturgie soutient l'existence d'une relation commerciale établie depuis 11 ans de 2011 à 2022. Elle avance que si aucun contrat n'a été formellement conclu, un courant d'affaires existait entre les deux entités et que la société 2E Plasturgie effectuait la quasi-totalité de son chiffre d'affaires grâce à cette relation d'affaires. Elle fait valoir que la relation commerciale initiale entre 2E Plasturgie et HT Plast a été poursuivie entre les sociétés 2E Plasturgie et FPMI par l'intermédiaire de M. [T] [V] qui était l'interlocuteur de M. [Y] [B], dirigeant de 2E Plasturgie. Elle soutient que lors de sa création en 2017, la société FPMI n'a fait que poursuivre la relation commerciale établie entre la société HT Plast et la société 2E Plasturgie en conservant les mêmes marchandises de marque Haitian, la même clientèle, le même personnel avec les mêmes services et les mêmes conditions de rémunération. Selon la société 2E Plasturgie, les parties ont ainsi manifesté leur intention de poursuivre les relations nouées avec le partenaire initial.
En réponse, la société FPMI soutient que la durée de la relation commerciale établie est limitée à 4 ans comme l'a justement retenu le tribunal. Elle expose que la société FPMI a été créée le 9 juin 2017 et que la première facture émise à son ordre par la société 2E Plasturgie date du 15 décembre 2017, date qu'elle retient comme le début de la relation commerciale. Elle ajoute qu'elle n'a pas repris l'activité de la société HT Plast, leurs modèles économiques et juridiques étant différents. La société FPMI a été un agent commercial de la société Haitian alors que la société HT Plast était son distributeur exclusif sur la France. Pour ce qui est de l'implication de M. [V], la société FPMI déclare qu'il n'était plus le gérant de la société HT Plast depuis le 15 décembre 2009 et n'avait aucun pouvoir de décision. Il n'a pas pu reprendre, par l'intermédiaire de la société FPMI, le contrat détenu par la société HT Plast. La société FPMI soutient que la société 2E Plasturgie n'a pas poursuivi une relation consécutivement au transfert d'actif ou d'activité de la société HT Plast vers la société FPMI mais dans le cadre d'une relation nouvelle.
Réponse de la Cour,
Au sens de l'article L. 442-1 du code de commerce, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L. 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664).
Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
Cette relation peut se nouer successivement entre plusieurs personnes physiques ou morales dès lors qu'il est établi que, dans l'esprit des partenaires, c'est la relation initiale nouée avec l'un qui s'est poursuivie avec l'autre. La seule circonstance qu'un tiers, ayant repris l'activité ou partie de l'activité d'une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c'est la même relation commerciale qui s'est poursuivie avec le partenaire concerné. Encore faut-il que des éléments démontrent que la commune intention des parties était de poursuivre la relation antérieure (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369). Aussi, le simple fait de poursuivre une relation commerciale dans les mêmes termes est insuffisant, en lui-même, pour caractériser l'intention des parties de reprendre la relation commerciale antérieure (en ce sens Com., 19 octobre 2022, pourvoi n° 21-17.653).
Des pièces versées aux débats (pièces FPMI n° 2 à 5), il ressort que par lettre du 23 janvier 2017, la société Hatian a fait part à la société HT Plast de sa décision de procéder à la rupture du contrat de distribution exclusive les liant, au motif d'une violation par cette dernière de l'exclusivité consentie à un autre distributeur et que cette rupture a été actée dans le cadre d'un protocole signé le 23 février 2017. La responsabilité de la rupture a fait l'objet d'une mésentente entre le gérant de la société HT Plast et M. [V] responsable commercial qui a été licencié pour faute grave. Aux termes d'un protocole transactionnel, ce dernier a cédé l'intégralité de ses actions au sein de la société HT Plast et a rejoint la société FPMI, créée par son fils dans le même temps. Il est constant qu'en raison des liens privilégiés entretenus depuis la création de la société HT Plast par M. [V] avec la société Haitian, cette dernière a conclu le 26 juillet 2017 avec la société FPMI un contrat d'agent commercial non exclusif pour la vente de ses machines de presses à injecter. Reprochant à M. [V] d'avoir man'uvré avec son fils pour provoquer une rupture anticipée du contrat de distribution exclusive de la société HT Plast et d'avoir récupéré l'activité de vente de matériel Haitian, la société HT Plast a engagé une action en concurrence déloyale à l'encontre de M. [V] et de la société FPMI. Par la suite, la société 2E Plasturgie est entrée en relation commerciale avec la société FPMI pour la commercialisation des produits de marque Haitian dès décembre 2017, sans formalisme particulier.
Certes la société 2E Plasturgie a poursuivi son activité de vente des machines Haitian avec la société FPMI générant un chiffre d'affaires significatif et sensiblement équivalent que dans sa relation antérieure avec la société HT Plast (pièce 2E Plasturgie n°2). Néanmoins, force est de constater que les circonstances dans lesquelles la société FPMI a été créée et s'est engagée avec la société Haitian en qualité d'agent commercial à la suite de la rupture du contrat de distribution avec la société HT Plast, ne permettent nullement d'établir une commune intention des parties de reprendre l'antériorité de la relation commerciale établie entre la société HT Plast et la société 2E Plasturgie.
Dès lors, comme le tribunal, il y a lieu de retenir que la relation commerciale nouée entre la société 2E Plasturgie et la société FPMI et dont le caractère établi au sens des dispositions précitées n'est pas contesté, n'a débuté qu'en décembre 2017.
2. Sur l'imputabilité de la rupture
Exposé des moyens,
La société 2E Plasturgie expose que si la résiliation du contrat a été notifiée par la société Haitian à la société FPMI par lettre du 30 novembre 2021 à effet au 28 février 2022, cette dernière ne l'a oralement informée qu'en janvier 2022 de la fin immédiate de leur relation commerciale. Elle précise que le communiqué conjoint des sociétés FPMI et Haitian France du 9 février 2022 informant leurs clients de la distribution des marchandises de marque Hatian par cette dernière, n'a jamais été directement transmis à la société 2E Plasturgie. Elle conteste être à l'initiative de la rupture de la relation commerciale et soutient que la lettre de mise en demeure du 24 mars 2022 ne peut être retenue comme une rupture alors qu'elle vise à demander l'indemnisation du préjudice subi par la société 2E Plasturgie au titre de cette rupture sans préavis imputable à la société FPMI. Elle précise que la dernière facture de commission du 23 mars 2022 concerne une commande de client du 11 juin 2021 non honorée par la société FPMI et qu'aucun chiffre d'affaires n'a été réalisé par la société 2E Plasturgie en 2022 pour la vente de marchandise Haitian.
En réponse, la société FPMI insiste sur le fait qu'elle aurait bien entendu souhaité continuer à travailler avec la société 2E Plasturgie sur d'autres produits si cette dernière n'avait pas, de son plein gré, décidé de considérer que la relation commerciale avait été rompue. Elle soutient que cette rupture a eu lieu le 24 mars 2022, date de la mise en demeure adressée par la société 2E Plasturgie dans laquelle celle-ci estimait le contrat rompu. Elle précise qu'elle a uniquement informé la société 2E Plasturgie avoir perdu le droit de commercialiser les produits de marque Haitian, dont elle a elle-même été informée que le 30 novembre 2021. Elle fait valoir qu'aucune rupture ne lui est imputable puisqu'au surplus, la société FPMI a continué à régler des prestations qui lui étaient facturées par la société 2E Plasturgie en 2022. La société FPMI ajoute que la rupture de la relation commerciale n'est pas intervenue de son fait mais à raison d'un évènement totalement extérieur à sa volonté, à savoir la rupture du contrat d'agent commercial par la société Haitian dans un contexte économique particulièrement difficile notamment du fait de l'augmentation des coûts de transport. Elle rapporte que la décision de la société Haitian n'a fait que précipiter une rupture déjà acquise puisque le président de la société 2E Plasturgie comptait prendre sa retraite.
Réponse de la Cour,
Par lettre du 30 novembre 2021, la société Haitian a notifié à la société FPMI la résiliation du contrat d'agent commercial avec effet au 28 février 2022, après discussion sur la possibilité pour cette dernière de devenir son distributeur ce qu'elle n'a pu accepter en raison d'une absence d'assise financière suffisante (pièce 2E Plasturgie n°13). Un communiqué de presse conjoint des sociétés Haitian et FPMI informait les clients en ces termes :
« Chers clients,
La société FPMI, agent de la marque HAITIAN depuis presque 5 ans sur le territoire français passe la main à la société SAS HATIAN France (').
SAS HAITIAN France sera le distributeur officiel de la marque HAITIAN International dans l'hexagone et à ce titre elle assurera la vente et l'installation des presses et périphériques HAITIAN (').
Dans la mesure du possible tout le staff commercial et technique de FPMI sera conservé pour intégrer la nouvelle structure SAS HAITIAN France, ceci afin d'assurer une continuité dans le travail commercial et technique entrepris depuis plusieurs années ('). »
Il est constant que la société 2E Plasturgie n'a pas été destinataire de ce communiqué et qu'elle a été informée seulement oralement courant janvier 2022 par la société FPMI de ce qu'elle n'était plus en mesure de commercialiser les produits Haitian.
Si la société FPMI prétend qu'elle n'avait aucune intention de rompre la relation commerciale avec la société 2E Plasturgie à la suite de la perte de son contrat avec la société Haitian, elle ne produit aucun élément permettant d'accréditer cette intention, alors même qu'aucun flux d'affaires n'a existé entre les parties à compter de janvier 2022. Les pièces produites par la société 2E Plasturgie (pièces n°8, 11, 14) démontrent que la seule facture du 24 mars 2022 correspondait à une vente de machine courant juin 2021.
La société FPMI invoque une mauvaise conjoncture économique mais sans l'étayer, alors que les circonstances ainsi relatées, n'empêchaient pas la société FPMI de prendre de claires dispositions envers la société 2E Plasturgie du fait de la résiliation de son contrat avec la société Haitian notifié le 30 novembre 2021.
Aussi, la lettre de mise en demeure du 24 mars 2022 de la société 2E Plasturgie adressée à la société FPMI, reprenant ces circonstances, ne faisait qu'acter la rupture de la relation entre les parties et d'en tirer les conséquences en sollicitant une indemnisation du défaut de préavis.
Dès lors, la rupture de la relation commerciale établie entre les sociétés 2E Plasturgie et FPMI est bien imputable à cette dernière. En rompant la relation sans préavis, la société FPMI a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article L.442-1 II du code de commerce.
3. Sur le préjudice subi
Exposé des moyens,
Au soutien de son appel, la société 2E Plasturgie fait valoir qu'en raison de l'ancienneté de la relation commerciale (11 ans) et de son état de dépendance économique pour réaliser la totalité de son chiffre d'affaires avec la société FPMI, elle devait pouvoir bénéficier d'un préavis de 24 mois. Elle explique que s'agissant des prestations de services effectuées directement par le dirigeant de 2E Plasturgie qui ne compte aucun salarié, la marge sur coûts variables correspond plus ou moins au chiffre d'affaires que la société pouvait escompter pendant 24 mois. Elle demande une indemnisation de son préjudice à hauteur de 152 343,34 euros, en se basant sur une marge sur coûts variables moyenne annuelle de 76 171,67 euros après déduction des frais de déplacement.
En réponse, la société FPMI soutient qu'un préavis de trois mois et non deux n'aurait rien changé au préjudice subi par la société 2E Plasturgie puisque la société FPMI n'aurait, dans tous les cas, pas été en mesure de lui confier la moindre vente dès lors qu'elle n'avait plus la qualité d'agent commercial de la société Haitian. En toute hypothèse, elle souligne que le dirigeant de la société 2E Plasturgie n'avait pas l'intention de poursuivre son activité pour être à la retraite et ne justifie d'aucune volonté de réorganisation. Pour ce qui est du quantum, la société FPMI soutient que la société 2E Plasturgie ne justifie pas du montant de son préjudice, ni de la marge sur les coûts variables réalisée avec la seule société FPMI.
Réponse de la Cour,
Il ressort de l'article L 442-1 II précité que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou d'un préavis suffisant. Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement.
Le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la perte de marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis éludé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période (en ce sens Com., 28 juin 2023, pourvoi n° 21-16.940 publié).
La relation commerciale établie entre les parties a duré 4 années.
Certes il n'est pas contesté que la société 2E Plasturgie réalisait la quasi-totalité de son chiffre d'affaires avec la société FPMI pour la commercialisation des produits Haitian.
Cependant la société 2E Plasturgie ne donne aucun élément concret sur la structure du marché sur lequel elle opère, ni sur l'état de la concurrence que s'y livrent les acteurs économiques ainsi que sur les possibilités de redéploiement de son activité, alors qu'elle ne bénéficiait d'aucune exclusivité ni d'engagement particulier de la part de la société FPMI.
En l'état des pièces et explications des parties et au regard des circonstances de la rupture, la Cour estime un préavis de trois mois comme nécessaire mais suffisant.
Pour l'évaluation du préjudice, il y a lieu de tenir compte du chiffre d'affaires moyen des trois dernières années précédant la rupture (2019 à 2021) de 78 412 euros réalisé avec la société FPMI, calculé à partir des informations données en pièce n°5 de la société 2E Plasturgie et d'une marge sur coûts variables (déduction des frais de transports) de 86 % (pièce n°8 2E Plasturgie).
Dès lors le jugement sera confirmé en ce qu'il a évalué le préjudice à la somme de 16 858 euros correspondant à une perte de marge sur la période de préavis éludé de trois mois, et de condamner la société FPMI à verser à la société 2E Plasturgie cette somme à titre de dommages-intérêts en réparation de la rupture brutale de la relation commerciale établie.
En conséquence, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande subsidiaire d'indemnisation sur le fondement du contrat d'agent commercial.
III - Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société FPMI aux dépens de première instance et à payer à la société 2E Plasturgie la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société 2E Plasturgie, succombant en son appel, sera condamnée aux dépens.
Compte tenu du sens de la décision rendue, l'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile et de laisser à chacune des parties la charges de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions qui lui sont soumises ;
Y ajoutant,
Condamne la société 2E Plasturgie aux dépens d'appel ;
Déboute les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.