Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 juillet 2025, n° 22/16137

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

ALD (SA)

Défendeur :

Temsys (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Dauquaire, Me Woog, Woog & Associés

T. com. Paris, du 14 févr. 2022, n° 2017…

14 février 2022

FAITS ET PROCÉDURE

De 1997 à 2010, M. [O] [L] spécialisé dans les relations presse dans le domaine automobile, et exploitant son agence de communication sous le statut de profession libérale et sous le nom commercial 'FD COM', a entretenu une relation commerciale avec la société Interleasing aux droits de laquelle est venue la société Temsys (sous enseigne ALD Automotive), filiale de la Société Générale, et ayant une activité de location de véhicule de longue durée et la gestion de parcs automobile d'entreprise.

A compter de mars 2009, M. [O] [L] a également entretenu une relation commerciale avec la société mère ALD International portant sur la gestion de ses relations presse.

En 2010, M. [O] [L] a poursuivi ses activités en créant le 10 février 2010, une société à responsabilité limitée dont il est devenu le gérant, la société [O] [L] Communication.

Par lettre du 5 août 2016, les sociétés ALD Automotive et ALD International ont informé la société [O] [L] Communication de l'organisation d'un appel d'offres afin de choisir un prestataire chargé de leur accompagnement presse en 2017. Invitant cette dernière à y participer, la société [O] [L] Communication a transmis sa candidature.

Par lettre recommandée du 7 décembre 2016 reçue le 26 décembre, les sociétés ALD Automotive et ALD International ont informé la société [O] [L] Communication que son agence n'était pas retenue et que le contrat prenait fin le 31 décembre 2016.

Par actes des 6 et 10 juillet 2017, la société [O] [L] Communication a assigné la société Temsys et la société ALD (anciennement dénommée ALD International) devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir la réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 14 février 2022, le tribunal de commerce de Paris a :

Retenu que les préavis accordés par les SA Temsys et SA ALD anciennement dénommée ALD International à la SARL [O] [L] Communication sont insuffisants au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

Condamné la SA ALD anciennement dénommée ALD International à payer à la SARL [O] [L] Communication la somme de 1 200 euros à titre de dommages et intérêts ;

Condamné la SA Temsys à payer à la SARL [O] [L] Communication la somme de 2 240 euros à titre de dommages et intérêts ;

Débouté la SARL [O] [L] Communication de sa demande visant à la condamnation solidaire de la SA ALD anciennement dénommée ALD International et la SA Temsys au paiement de la somme de 5 000 euros au titre d'un préjudice moral.

Condamné solidairement la SA ALD anciennement dénommée ALD International et la SA Temsys à payer à la SARL [O] [L] Communication la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;

Condamné solidairement la SA ALD anciennement dénommée ALD International et la SA Temsys aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 96,74 euros dont 15,91 euros de TVA,

La société [O] [L] Communication a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 14 septembre 2022, intimant la société Temsys et la société ALD.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 27 janvier 2025, la société [O] [L] Communication demande à la Cour de :

Vu notamment l'article L442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019,

Vu notamment l'article 1240 du code civil,

Accueillant l'appel principal formé par la société [O] [L] Communication,

Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 14 février 2022 ayant condamné la société Temsys et la société ALD anciennement dénommée ALD International à verser à la société [O] [L] Communication respectivement une somme de 2 240 € et de 1 200 € en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de leur relation commerciale établie ;

Condamner la société Temsys à verser à la société [O] [L] Communication la somme de 84 000 € à titre de dommages-intérêts en raison de la rupture brutale de leur relation commerciale établie ;

Condamner la société ALD à verser à la société [O] [L] Communication la somme de 21 000 € à titre de dommages-intérêts en raison de la rupture brutale de leur relation commerciale établie ;

Condamner en outre solidairement les sociétés ALD et Temsys à verser à la société [O] [L] Communication la somme de 5 000 € en réparation du préjudice moral subi ;

Condamner solidairement les sociétés ALD et Temsys à verser à la société [O] [L] Communication une somme de 13 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner solidairement les sociétés ALD et Temsys aux entiers dépens.

Rejeter l'appel incident formé par les sociétés ALD et Temsys ;

Les débouter, par voie de conséquence, de l'intégralité de leurs demandes à savoir :

Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris :

ayant retenu que les préavis accordés par les sociétés Temsys et ALD à la société [O] [L] Communication étaient insuffisants au sens de l'article L 442-6 I 5° du Code de commerce;

Ayant condamné la société ALD à payer à la société [O] [L] Communication la somme de 1 200 Euros à titre de dommages-intérêts ;

Ayant condamné la société TEMSYS à payer à la société [O] [L] Communication la somme de 2 2400 Euros à titre de dommages-intérêts ;

Ayant condamné solidairement la société ALD et la société Temsys à payer à la société [O] [L] Communication la somme de 2 000 Euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Ayant débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

Ayant condamné la société ALD et la société Temsys aux dépens ;

Juger la société [O] [L] Communication irrecevable et mal fondée en ses demandes ;

Débouter la société [O] [L] Communication de l'ensemble de ses demandes ;

Condamner la société [O] [L] Communication à payer à la société ALD et à la société TEMSYS la somme de 5 000 Euros chacune au titre des frais irrépétibles de premières instance et d'appel ;

Condamner la société [O] [L] Communication aux dépens de premières instance et d'appel ;

A titre subsidiaire, pour le cas où la Cour d'appel de Paris déboutait les sociétés [O] [L] Communication, Temsys et ALD de leur appel respectif,

Laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles et les dépens qu'elles auront

exposés.

Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 25 mars 2025, la société Temsys et la société Ayvens (anciennement ALD) demandent à la Cour de :

Confirmer le jugement entreprise en ce qu'il a :

Débouté la société [O] [L] Communication de sa demande visant à la condamnation solidaire de la société Ayvens (anciennement ALD) et de la société Temsys au paiement de la somme de 5.000 euros au titre d'un préjudice moral.

Infirmer le jugement entreprise en ce qu'il a :

Retenu que les préavis accordés par les sociétés Temsys et Ayvens (anciennement ALD) à la société [O] [L] Communication étaient insuffisants au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

Condamné la société Ayvens (anciennement ALD) à payer à la société [O] [L] Communication la somme de 1 200 euros à titre de dommages et intérêts ;

Condamné la société Temsys à payer à la société [O] [L] Communication la somme de 2.240 euros à titre de dommages et intérêts ;

Condamné solidairement la société Ayvens (anciennement ALD) et la société Temsys à payer à la société [O] [L] COMMUNICATION la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

Condamné solidairement la société Ayvens (anciennement ALD) et la société Temsys aux dépens.

Et statuant à nouveau :

Dire et juger que la société [O] [L] Communication irrecevable et mal fondée en ses demandes ;

Débouter la société [O] [L] Communication de l'ensemble de ses demandes ;

Condamner la société [O] [L] Communication à payer à la société Ayvens (anciennement ALD) et à la société Temsys la somme de 5 000 euros chacune au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Condamner la société [O] [L] Communication aux dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 avril 2025.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la rupture des relations commerciales

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Sur le caractère établi des relations commerciales

Moyen des parties,

La société [O] [L] Communication fait valoir que la relation commerciale entretenue avec la société Temsys a débuté en juin 1997 et que celle entretenue avec la société ALD International a débuté à partir de mars 2009. Elle soutient que ces relations commerciales ont présenté, au regard de leur ancienneté, un caractère stable et régulier.

Elle explique que la relation entretenue avec la société Temsys (anciennement Interleasing) a débuté dès juin 1997 au regard des éléments comptables versés aux débats, notamment le règlement des prestations effectuées pour la société Interleasing. Elle ajoute que cette gestion des relations presse s'est poursuivie de façon constante et régulière jusqu'au 31 décembre 2016, soit pendant dix-neuf ans et six mois. Ensuite, elle relève que le point de départ de la relation commerciale entretenue avec la société ALD International se situe à compter de mars 2009 au regard des règlements des prestations effectuées, soit pendant sept ans et demi.

La société [O] [L] Communication fait en outre valoir qu'elle a poursuivi la relation initialement nouée par M. [L] sous le même nom commercial « FD COM » avec les sociétés Temsys et ALD en soulignant que ce dernier restait l'unique interlocuteur de ses clients en raison d'une relation personnelle et de sa parfaite connaissance des relations presse dans le domaine automobile. Il est précisé que la gestion des relations presse a été assurée de manière constante en liaison directe avec la même interlocutrice auprès des sociétés ALD et que le changement du mode d'exercice de son activité par M. [L] n'a modifié ni les conditions financières ni les relations intuitu personnae qu'il entretenait avec les sociétés ADD, marquant ainsi une commune volonté des parties de poursuivre la même relation commerciale.

En réponse, les sociétés Temsys et Ayvens (anciennement ALD) exposent que les relations commerciales entretenues avec la société [O] [L] Communication ne présentent pas de caractère établi au motif que cette dernière ne peut se prévaloir de la durée de la relation commerciale qu'elles ont antérieurement entretenue, de juin 1997 à 2010, avec M. [L] exerçant en qualité de profession libérale. Elles ajoutent que la société [O] [L] Communication n'a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) qu'à partir du 10 février 2010 de sorte que la relation commerciale avec la société Temsys n'a pu débuter en juin 1997 et que celle avec la société ALD International n'a pas non plus débuté à partir de mars 2009.

S'agissant de la reprise de la relation commerciale antérieure, elles font valoir l'absence d'accord écrit ou oral établissant l'intention commune des parties de poursuivre la relation initiale nouée par M. [O] [L], étant observé que le maintien du flux d'affaires ne peut à lui seul démontrer la volonté commune des parties. Elle ajoute qu'il est également indifférent que la relation commerciale soit intuitu personae, poursuivie sous le même nom commercial ou entre les mêmes interlocuteurs.

Réponse de la Cour,

La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions susvisées, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

La seule circonstance qu'un tiers, ayant repris l'activité ou partie de l'activité d'une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c'est la même relation commerciale qui s'est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s'y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties. (Com., 10 février 2021, pourvoi n° 19-15-369).

En premier lieu, il est établi aux vu des pièces versées aux débats (pièces FD Com n° 2, 235, 234 à 263) que M. [L] a noué une relation d'affaires de gestion de relations presse dès le mois d'octobre 1997 sous le nom commercial de FD COM avec la société Interleasing, devenue en 2001 la société Temsys exerçant son activité sous le nom commercial d'ALD Automotive. Il est également produit aux débats un ensemble de documents élaborés par M. [O] [L] pour la société Temsys/ ALD Automotive (pièces n° 47 à 76, 225 et suivantes) justifiant de prestations de même nature (notamment communiqués de presse et dossiers de presse) de 1997 à 2016.

En rémunération de ces prestations de 1997 à 2010, il est justifié, à partir de factures, d'extraits de livres comptables et de comptes bancaires de M. [O] [L] (notamment pièces n°262, 263, 236, 24, 25, 111 à 119, 88 à 99, 100 à 110, 27 à 32, 191 à 201, 46) de paiement d'honoraires mensuels passant de 1250€HT à 2730€HT au 1er janvier 2010 et de frais techniques par la société Interleasing devenue ALD Automotive. Cette rémunération est demeurée la même à compter de 2010, pour les prestations réalisées par M. [O] [L] exerçant pour la société [O] [L] Communication et facturées à la société ALD Automotive suivant des honoraires mensuels également de 2730€ HT en 2010 à 2013, puis de 2800 €HT de 2014 à 2016, outre des frais techniques (pièces n° 33 à 38, 46, 143 à 190).

S'agissant de la relation nouée avec la société ALD Internationale, devenue ALD, il est également établi à partir des extraits de pièces comptables et bancaires ainsi que les facturations (notamment pièces n° 191 à 201, 129 à 139, 33 à 38, 143 à 190) que les prestations de gestion de relations presses ont débuté en 2009 avec M. [O] [L] et se sont poursuivies avec la société [O] [L] Communication jusqu'en 2016, moyennant une facturation d'honoraires mensuels de 1000 à 1500 € HT.

Ces relations commerciales ont donc été stables, suivies et régulières depuis 1997/2009 et jusqu'en 2016.

En deuxième lieu, il est établi que M. [O] [L] a exercé son activité de juillet 1997 à février 2010 sous le statut de profession libérale avec l'aide d'une assistance salarié, puis à la demande d'un client, il a constitué la SARL [O] [L] Communication, le 18 février 2010 dont il est devenu le gérant et seul associé, ayant pour activité principale celle d'agence de presse, de communication et de relations publiques, sous le nom commercial de FD COM, auprès des mêmes clients ( pièces n° 44 et 18). Par acte établi en 2010, M. [O] [L] a cédé et transféré à la société [O] [L] Communication, l'ensemble des droits qu'il détenait sur le nom « FD COM » sous lequel il a exploité à compter du 13 octobre 1997 le fonds d'exercice libéral qu'il a créé en rapport avec des activités d'agence de presse, de communication et de relations publiques, ainsi que la pleine et entière propriété de la marque « FD COM », enregistrée en France le 16 octobre 2009 (pièce n°80).

La Cour observe en outre que les prestations de gestion des relations presse pour les sociétés Temsys et ALD ont été réalisées de 1997/2009 à 2016 par M. [O] [L] lui-même en qualité « d'attaché de presse » ou « contact presse » comme indiqué sur l'ensemble des documents de presse versées aux débats (notamment pièces n°47 à 77 mention [O] [L] « FC COM ») des sociétés Temsys et ALD, marquant ainsi la volonté commune des parties de poursuivre les mêmes relations commerciales établies respectivement depuis 1997 et 2009, au sens des dispositions de l'article L.442-6 précité.

Dès lors, contrairement à ce qui a été retenu par le tribunal, la Cour considère qu'au moment de la notification de la rupture en août 2016, les relations commerciales entre les parties étaient établies respectivement depuis 1997 pour la société Temsys/ ALD Automotive, et depuis 2009 pour la société ALD Internationale, devenue ALD puis la société Ayvens.

Sur la notification de la rupture

Les parties s'opposent sur le point de départ du délai de préavis.

Moyen des parties

La société [O] [L] Communication fait valoir que seul le courrier du 7 décembre 2016, reçu par lettre recommandée le 26 décembre 2016, a notifié de façon régulière la rupture de ses relations commerciales avec les sociétés ALD. Elle soutient ainsi qu'aucun préavis n'a été accordé avant cette date, celui-ci n'ayant pu commencer à courir à partir du courrier du 5 août 2016 eu égard à l'absence de mention expresse de la date de rupture des relations dudit courrier. Elle précise que ce courrier ne détermine ni la notification claire d'une rupture, ni la mention de la durée du préavis.

Les sociétés Temsys et Ayvens répliquent qu'elles ont mis fin à leur relation commerciale avec la société [O] [L] Communication par courrier du 5 août 2016 avec effet au 31 décembre 2016. Elles soutiennent que le courrier du 5 août 2016 a fait courir le délai de préavis et qu'il a été évident que les relations commerciales allaient prendre fin le 31 décembre 2016 puisque l'appel d'offres a eu pour objet 'l'accompagnement presse 2017'.

Réponse de la Cour

L'écrit par lequel une entreprise notifie son intention de ne pas poursuivre une relation commerciale établie ne fait courir le préavis dû à l'entreprise qui subit la rupture que s'il précise à quelle date la relation prendra fin (en ce sens Com., 6 septembre 2016, pourvoi n° 14-25.891, Bull. 2016, IV, n° 110 ; Com., 26 février 2025, pourvoi n° 23-50.012).

Aussi, s'il est admis que la notification écrite du recours à un appel d'offres constitue le point de départ du délai de préavis, cette notification n'est régulière et le préavis ne commence à courir que si la date de rupture y est précisée, cette information permettant seule à la personne concernée de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.

Au cas présent,

Par lettre du 5 août 2018, les sociétés ALD Automotive et ALD International ont notifié à M. [O] [L] le recours à un appel d'offres en ces termes :

« (') Le groupe ALD Automotive souhaite confier la gestion de ses relations presse en France à un prestataire spécialisé dans la communication d'entreprises.

Ainsi, par la présente ALD Automotive a le plaisir de vous inviter à participer à l'appel d'offres pour son accompagnement presse en 2017, pour le compte de la holding et d'une de ses filiales, toutes deux basées en France.

Par ailleurs, dans le cas où votre agence ne serait pas retenue à l'issue de l'appel d'offres, veuillez acter ce courrier comme la date de début du préavis de la fin de notre relation commerciale, pour ALD International et ALD France »

Par lettre du 16 septembre 2016, la société [O] [L] Communication a fait part aux sociétés ALD de son inquiétude sur les suites de leurs relations commerciales et a notamment indiqué :

« (') Dans ces conditions, bien que vous nous invitiez à concourir, nous nous interrogeons sur nos réelles chances de voir notre candidature retenue.

A l'incertitude dans laquelle nous nous trouvons exposés, s'ajoute le fait que nous sommes totalement dans l'expectative quant à la date à laquelle vous déciderez à qui vous confiez la gestion de vos relations presse et, par voie de conséquence, quant à la date à laquelle nos relations sont susceptibles de s'arrêter ».

Par lettre datée du 7 décembre 2016, expédiée le 22 décembre et reçue le 23 décembre 2016, les sociétés ALD Automotive et ALD International ont notifié à la société FD Communication la fin des relations en ces termes :

« Nous faisons suite à l'appel d'offres lancé en août 2016 et comme nous vous l'avons annoncé le 9 novembre 2016 par téléphone, nous sommes au regret de vous confirmer que nous n'avons pas retenu votre agence pour le contrat relatif à la gestion des relations presse d'ALD Automotive France et d'ALD International à compter de janvier 2017.

(')

Ainsi, conformément au courrier envoyé le 5 août 2016, date du début de votre préavis, votre contrat avec ALD Automotive France et ALD International prendra fin le 31 décembre 2016. »

La Cour observe que si la lettre du 5 août 2016 manifeste l'intention des sociétés ALD de recourir à une procédure d'appel d'offres pour les prestations jusqu'alors confiées à la société [O] [L] Communication et de leur intention de rompre les relations commerciales dans le cas où la candidature de cette dernière ne serait pas retenue, en revanche force est de constater que cet écrit ne précise ni le calendrier de la procédure d'appel d'offres ni surtout la date à laquelle les relations prendront fin dans le cas où la candidature n'est pas retenue. La mention d'un appel d'offres pour « l'accompagnement presse en 2017 » n'est pas suffisamment précise pour déterminer la date à laquelle interviendrait la rupture des relations dans le cas où la candidature de M. [O] [L] n'était pas retenue, en sorte que cette lettre du 5 août 2016 malgré ses énonciations et même complétée par le courriel du 6 octobre 2016 ne pouvait régulièrement faire courir le délai de préavis comme le soutiennent les intimées.

Aussi, le préavis n'a commencé à courir qu'à compter du 23 décembre 2016, date à laquelle les sociétés ALD ont notifié la date de fin des relations à savoir le 31 décembre 2016.

Sur la durée du préavis nécessaire

Moyen des parties,

La société [O] [L] Communication fait valoir que la rupture est brutale en ce que le préavis accordé, du 26 au 31 décembre 2016, est insuffisant pour lui permettre de se réorganiser et de trouver un partenaire jouissant d'une telle notoriété. Elle fait état de l'ancienneté des relations commerciales remontant à 1997 et mars 2009, de la part importante de ces clients dans son chiffre d'affaires global (plus de 20%) et du nombre limité d'intervenants d'envergure sur le marché de la location automobile longue durée sur lequel M. [O] [L] est spécialisé en matière de gestion presse. Dans ces circonstances, la société [O] [L] Communication estime que la société Temsys aurait dû lui accorder un préavis de trente mois et que la société ALD International aurait dû lui accorder un préavis, au minimum, de quatorze mois.

En réponse, les sociétés Temsys et Ayvens exposent avoir accordé un préavis suffisant d'une durée de quatre mois et vingt-six jours qui a régulièrement commencé à courir à partir du courrier du 5 août 2016, tout en rappelant que leur relation commerciale avec la société [O] [L] Communication n'a débuté qu'en août 2010. Elles ajoutent que le marché de la location longue durée comprend de nombreux acteurs importants et connaissait une croissance de 7,1% en 2016 et de 6,83% en 2017. Elles relèvent en outre que le domaine d'intervention de la société [O] [L] Communication était plus large que le marché de la location longue durée de véhicules, que leur courant d'affaires était faible et elle ne se trouvait pas en dépendance économique. Elles estiment que le préavis de cinq mois accordé était largement suffisant pour permettre à la société [O] [L] Communication de se réorganiser.

Réponse de la Cour,

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance. Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

La société [O] [L] Communication justifie que les prestations effectuées au profit des sociétés Temsys-ALD Automotive et ALD International ont généré sur la période 2013 à 2016 un chiffre d'affaires annuel fixe HT de 51 600 euros représentant plus de 20% de son chiffre d'affaires annuel global sur la période considérée.

Les sociétés ALD représentaient des partenaires d'une certaine notoriété dans le domaine spécialisé de l'automobile pour une petite structure comme celle de la société [O] [L] Communication.

Il est rappelé que l'ancienneté de la relation commerciale établie avec la société Temsys, anciennement ALD Automotive/Interleasing, était de 19 ans, et que celle établie avec la société ALD Internationale était de près de 7 ans.

Dans ces circonstances, la Cour retient une durée nécessaire de préavis respectivement 12 et 6 mois.

Dès lors, les sociétés Temsys et Ayvens, venant aux droits des sociétés ALD, en limitant le préavis effectif à quelques jours, ont brutalement rompu leur relation commerciale avec la société [O] [L] Communication et ont engagé leur responsabilité sur le fondement de l'article L.442-6 précité.

Sur l'évaluation du préjudice

Moyens des parties,

La société [O] [L] Communication demande en réparation de son préjudice lié à la brutalité de la rupture les sommes de 84 000 et 21 000 euros. Elle rappelle que, dans le cadre de son activité, son chiffre d'affaires est réalisé grâce aux seules prestations intellectuelles de sorte que les coûts générés sont exclusivement constitués de charges fixes n'entrant pas dans le taux de marge brute. Elle retient ainsi un taux de marge brute égale à 100% du chiffre d'affaires et rappelle que la moyenne du chiffre d'affaires réalisé au cours des trois derniers exercices s'élève à hauteur de 51 600 euros par an.

Les sociétés Temsys et Ayvens répliquent que la société [O] [L] Comunication ne démontre pas que le chiffre d'affaires mensuel réalisé avec la société ALD entre janvier 2014 et décembre 2016 s'élevait à 833 HT et non à 1500 HT, ni qu'elle réalisait une marge brute équivalente à son chiffre d'affaires dans le cadre de leurs relations.

Réponse de la Cour,

Le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la perte de marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis éludé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période (en ce sens Com., 28 juin 2023, pourvoi n° 21-16.940 publié).

Il résulte des éléments comptables versés aux débats que le chiffre d'affaires moyen mensuel de la société Temsys au cours des trois dernières années a été de 2800 HT (Pièce n°35, n°36 et n°37) et que celui de la société ALD a été de 1500 HT (Pièce n°35, n°36 et n°37). Ainsi, le chiffre d'affaires annuel réalisé avec la société Temsys est de 33 600 euros et celui réalisé avec la société ALD est de 18 000 euros.

Le tribunal a retenu que la marge sur coûts variables doit tenir compte des charges évitables du fait de la rupture du compte de résultat, et a retenu un taux de marge sur coûts variables de 80% pour une activité de prestation de service en matière de communication.

Cette appréciation n'est pas autrement critiquée que par l'affirmation que la marge brute de prestations intellectuelles est égale au chiffre d'affaires généré par celles-ci et par la production d'une attestation de l'expert-comptable du 19 novembre 2018 indiquant que pour les prestations effectuées pour les sociétés ALD International et Temsys-ALD Automotive la marge brute de la société FD COM était de 100%, aucune charge variable n'étant venue s'imputer sur le chiffre d'affaires.

A défaut d'élément plus précis sur les coûts de fonctionnement de l'activité de la société [O] [L] Communication, la Cour retient également un taux de marge sur coûts variables de 80%.

Il s'ensuit que le préjudice de la société [O] [L] Communication est évalué aux sommes suivantes :

À l'égard de la société Temsys (2800 €HT x 12 x 80%) : 26 880 euros

À l'égard de la société Ayvens (1500 €HT x 6 x 80%) : 7 200 euros

En conséquence, le jugement sera infirmé sur le montant du préjudice, et les sociétés Temsys et Ayvens seront condamnées à verser respectivement à la société [O] [L] Communication les sommes de 26 880 euros et 7200 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale.

II - Sur le préjudice moral

Exposé des moyens,

La société [O] [L] Communication réclame la somme de 5 000 euros en réparation d'un préjudice moral consécutif aux circonstances déloyales et vexatoires de la rupture de la relation contractuelle sur le fondement de l'article 1240 du code civil. Elle relève que ni le coût ni la qualité de ses prestations n'ont été remises en cause et que le recours à un appel d'offres n'avait en réalité que pour seul objectif de changer de prestataire. Elle soutient que ses partenaires lui ont donné l'assurance, de manière déloyale, de toutes ses chances pour voir sa candidature retenue. Elle considère que les circonstances de la rupture sont une remise en question, indélicate et vexatoire, du professionnalisme et de la connaissance du métier par M. [O] [L].

Les sociétés Temsys et Ayvens soutiennent que l'organisation d'une procédure d'appel d'offres n'a rien de vexatoire et qu'au contraire la société appelante a été placée dans les mêmes conditions que ses concurrents.

Réponse de la Cour,

Comme l'a justement retenu le tribunal, la déloyauté n'est pas plus démontrée que le caractère vexatoire allégué, dans un contexte où le recours à un appel d'offres constitue un mode habituel de sélection de prestataire. La relation étant à durée indéterminée, les sociétés ALD étaient en droit d'y mettre fin à condition de respecter un préavis raisonnable. Par ailleurs, la société [O] [L] Communication ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui réparé au titre de la brutalité de la rupture.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société [O] [L] Communication de sa demande de ce chef de préjudice.

III - Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné les sociétés Temsys et ALD aux dépens de première instance et à payer à la société [O] [L] Communication la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés Temsys et Ayvens, parties perdantes, seront condamnées aux dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, les Temsys et Ayvens venant aux droits de la société ALD seront déboutées de leur demande et condamnées in solidum à verser à la société [O] [L] Communication la somme de 8 500 euros.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il a condamné :

La société ALD anciennement dénommée ALD International à payer à la société [O] [L] Communication la somme de 1200 euros à titre de dommages-intérêts,

La société Temsys à payer à la société [O] [L] Communication la somme de 2 240 euros à titre de dommages-intérêts,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Temsys à verser à la société [O] [L] Communication la somme de 26 880 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie ;

Condamne la société Ayvens, venant aux droits de la société ALD, à verser à la société [O] [L] Communication la somme de 7 200 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie ;

Condamne les sociétés Temsys et Ayvens aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des sociétés Temsys et Ayvens et les condamne in solidum à verser à la société [O] [L] Communication la somme de 8 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site