Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 1, 9 juillet 2025, n° 24/07962

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/07962

9 juillet 2025

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRÊT DU 09 JUILLET 2025

(n°114/2025, 35 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/07962 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJK2M

Décision déférée à la Cour : jugement du 28 mars 2024 tribunal judiciaire de PARIS (3ème chambre - 1ère section) - RG n° 22/08612

APPELANTE

BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH

Société de droit allemand de l'État du Nordrhein-Westfalen immatriculée au registre de l'Amtsgerichts de DÜSSELDORF sous le numéro HRB 67604, agissant par ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[Adresse 4]

[Localité 1]

ALLEMAGNE

Représentée en tant qu'avocat constitué par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque C 2477

Ayant pour avocats plaidants Me Laëtitia BENARD et Me Charles TUFFREAU de ALLEN OVERY SHEARMAN STERLING LLP, avocats au barreau de PARIS, toque J 022

INTIMÉE

SANDOZ

Société par actions simplifiée immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° 552 123 341, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée en tant qu'avocat constitué par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque K 0111

Ayant pour avocat plaidant Me Denis SCHERTENLEIB de la SAS SCHERTENLEIB AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque A 948

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 mai 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, et Mme Déborah BOHEE, conseillère chargée d'instruire l'affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Mmes Isabelle DOUILLET et Déborah BOHEE ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

- Mme Isabelle DOUILLET, présidente,

- Mme Françoise BARUTEL, conseillère,

- Mme Déborah BOHEE, conseillère.

Greffier lors des débats : M. Soufiane HASSAOUI

ARRÊT :

contradictoire ;

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

signé par Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, et par Mme Carole TRÉJAUT, greffière présente lors de la mise à disposition et auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Bayer Intellectual Property Gmbh (ci-après la société Bayer), appartient au groupe allemand Bayer, spécialisé notamment dans le domaine de la santé et des médicaments et est elle-même chargée de la gestion des droits de propriété intellectuelle du groupe.

La société Sandoz est spécialisée dans les médicaments génériques et biosimilaires et plus particulièrement dans la fabrication et l'exploitation de produits pharmaceutiques, notamment cardiovasculaires.

Le rivaroxaban, inhibiteur direct du facteur X activé (dit facteur Xa), un des facteurs de coagulation sanguine, est un anticoagulant indiqué dans la prévention et le traitement des troubles thromboemboliques.

Le 8 février 2018, la société Sandoz a obtenu trois autorisations de mise sur le marché pour le produit « Rivaroxaban Sandoz » en 10, 15 et 20 mg et, par arrêté du 18 avril 2024, a obtenu la délivrance du prix ainsi que l'inscription de ce produit sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux et agréées à l'usage des collectivités et divers services publics.

Préalablement, le produit « Rivaroxaban » a fait l'objet d'un premier brevet « de composé » EP 1 261 606, déposé le 11 décembre 2000 par la société Bayer HealthCare AG, issu d'une demande de brevet international W0 2001/047919 déposé le 11 décembre 2000, sous priorité d'une demande allemande du 24 décembre 1999 intitulé « Oxazolidinones substituées et leur utilisation dans le domaine de la coagulation sanguine », expiré le 11 décembre 2020, et d'un certificat complémentaire de protection, le CCP FR08C0051, expiré le 2 avril 2024, ainsi que d'une autorisation de mise sur le marché le 30 septembre 2008 pour le produit « Xarelto®» commercialisé par le groupe Bayer.

La société Bayer est également titulaire du brevet EP 1 845 961, ci-après EP'961, déposé le 19 janvier 2006, sous priorité de la demande de brevet EP 050001893 déposée le 31 janvier 2005, publié le 24 octobre 2007 et délivré le 22 avril 2015, intitulé « traitement de troubles thromboemboliques avec du Rivaroxaban ». Il est maintenu en vigueur par le paiement des annuités.

Il est présenté par la société Bayer comme la première détermination d'un schéma posologique du rivaroxaban administré par voie orale dans le traitement des troubles thromboemboliques.

Le brevet EP 961 a fait l'objet d'une opposition devant l'Office européen des brevets.

La division d'opposition a annulé le brevet pour défaut d'activité inventive le 30 avril 2018, décision infirmée par la chambre de recours qui a maintenu le brevet tel que délivré, par une décision du 27 octobre 2021 (T 1732/18), une partie des antériorités en débat dans la présente instance n'ayant pas été produite devant l'OEB, car obtenue postérieurement en 2023.

Par acte du 14 juin 2022, la société Sandoz a fait assigner la société Bayer devant le tribunal judiciaire de Paris en nullité des revendications 1 et 2 de la partie française du brevet EP'961.

Par jugement du 28 mars 2024 dont appel, le tribunal judiciaire de Paris a :

Rejeté les notes en délibéré reçues les 7 février 2024 et 9 février 2024,

Annulé la partie française du brevet EP 1 845 961 B1,

Ordonné la transmission du présent jugement, une fois passé en force de chose jugée, à l'Institut National de la Propriété Industrielle pour être transcrit au Registre National des Brevets, à l'initiative de la partie la plus diligente,

Condamné la société Bayer Intellectual Property GmbH aux dépens,

Condamné la société Bayer Intellectual Property GmbH à payer à la société Sandoz la somme de 150 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Bayer a interjeté appel de ce jugement le 2 mai 2024.

Le 6 mai 2024, la société Bayer a déposé une requête afin d'être autorisée à assigner à jour fixe, acceptée par ordonnance du 14 mai 2024, et a fait assigner la société Sandoz le 12 juin 2024, pour l'audience du 21 mai 2025.

**

Ce brevet fait l'objet de contentieux dans de nombreux pays, certains pays reconnaissant la validité du brevet, d'autres l'invalidant pour défaut d'activité inventive.

Par ailleurs, en France, par ordonnance du 28 mars, le Président du tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé, a rejeté les demandes provisoires des sociétés Bayer fondées sur l'article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle à l'encontre de la société Zentiva France, en raison de la contrefaçon présentée comme imminente de la partie française du brevet EP 961, qu'il a considérée comme non vraisemblable, un appel ayant été formé par les sociétés Bayer.

**

Dans la présente procédure, le 12 novembre 2024, la société Sandoz a sommé la société Bayer de communiquer un certain nombre de pièces et en l'absence de réponse, a pris des conclusions d'incident de procédure le 11 décembre 2024.

Le 13 décembre 2024, la société Bayer s'est opposée à cette demande.

Le 19 décembre 2024, les parties ont été informées que la demande de communication forcée de pièce serait examinée le jour de l'audience fixée.

Dans ses dernières conclusions, numérotées 3 signifiées au RPVA et transmises le 13 mai 2025, la société Bayer Intellectual Property GmbH, appelante, demande à la cour de :

Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de PARIS rendue le 28 mars 2024, en ce qu'il a :

annulé la partie française du brevet EP 1 845 961 B1,

ordonné la transmission du présent jugement, une fois passé en force de chose jugée, à l'Institut National de la Propriété Industrielle pour être transcrit au Registre National des Brevets, à l'initiative de la partie la plus diligente,

condamné la société Bayer Intellectual Property GmbH aux dépens,

condamné la société Bayer Intellectual Property GmbH à payer à la société Sandoz la somme de 150 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

et en ce qu'il n'a pas fait droit aux prétentions de la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH tendant à voir :

Condamner la société SANDOZ à lui payer la somme de 400.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société SANDOZ aux dépens.

Et statuant à nouveau :

dire et juger que la partie française du brevet européen n° 1 845 961 est valable ;

débouter la société SANDOZ de ses demandes d'annulation de la partie française du brevet européen n° 1 845 961

débouter la société de SANDOZ de toute demande tendant à faire injonction à la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY RIGHTS GmbH de produire certains documents, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard, et en particulier les documents relatifs aux données de recrutement des patients concernant l'étude EINSTEIN-DVT et les documents relatifs aux essais ODIXA-HIP et EINSTEIN-DVT transmis à l'AFSSAPS et au Comité Consultatif de Protection des Personnes dans la Recherche Biomédicale ainsi qu'aux patients préalablement au recueil de leur consentement et les documents sur lesquels leur consentement a été recueilli;

dire et juger que les spécialités génériques « RIVAROXABAN SANDOZ 10 mg, comprimé pelliculé », « RIVAROXABAN SANDOZ 15 mg, comprimé pelliculé », « RIVAROXABAN SANDOZ 20 mg, comprimé pelliculé », « RIVAROXABAN GNR 10 mg, comprimé pelliculé», « RIVAROXABAN GNR 15 mg, comprimé pelliculé », « RIVAROXABAN GNR 20 mg, comprimé pelliculé » et « RIVAROXABAN GNR 15 mg + 20 mg, comprimé pelliculé. Pack d'initiation de traitement » reproduisent les revendications du brevet européen désignant la France n° 1 845 961 ;

interdire à la société SANDOZ jusqu'au 19 janvier 2026 inclus de fabriquer, importer, exporter, transborder, offrir en vente, mettre sur le marché, utiliser et détenir aux fins précitées, des compositions pharmaceutiques reproduisant le brevet européen désignant la France n° 1 845 961, sous astreinte de 1.000 € (MILLE EUROS) par boite de comprimé ou gélule fabriquée, importée, exportée, transbordée, offerte en vente, mise sur le marché, utilisée ou détenue, quelle que soit sa forme de conditionnement, à compter de la date de signification de l'arrêt à intervenir;

ordonner à la société SANDOZ de payer à la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH :

La somme de 7 577 233 € à titre de dommages-intérêts provisionnels, au titre des redevances manquées que doit se voir allouer la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH, en tant que titulaire du brevet européen n° 1 845 961 du fait de l'utilisation par la société SANDOZ de l'invention protégée par ce brevet pour la période allant d'avril 2024 jusqu'au mois d'octobre 2024 (inclus) et la somme de 1 190 068 € par mois pour la période débutant au mois de novembre 2024 (inclus) jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir, sauf à parfaire ;

500.000 € au titre du préjudice moral subi, sauf à parfaire ;

ordonner à la société SANDOZ de rappeler et/ou retirer des réseaux de distribution, y compris auprès des pharmacies, toute composition pharmaceutique fabriquée, importée, exportée, transbordée, offerte en vente, utilisée et détenue aux fins précitées, reproduisant le brevet européen désignant la France n° 1 845 961, sous astreinte de 100 € (CENT EUROS) par boite de comprimé ou gélule non rappelée ou non retirée des réseaux de distribution, à compter d'un délai de 48 heures suivant la date de signification de l'arrêt à intervenir ;

autoriser la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH à demander que toute composition pharmaceutique reproduisant le brevet européen désignant la France n° 1 845 961 soit remise à tout huissier de leur choix, aux seuls frais de la société SANDOZ, afin d'empêcher leur introduction dans les circuits commerciaux et la poursuite d'actes de contrefaçon et par conséquent de :

autoriser la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH à faire procéder par tout huissier instrumentaire de leur choix, à la saisie réelle de toute composition pharmaceutique reproduisant le brevet européen désignant la France n° 1 845 961 dans les locaux de la société SANDOZ et en tous endroits dans lesquels les opérations révèleraient la présence de produits contrefaisants, afin que ces produits soient conservés sous le contrôle de l'huissier en tout lieu de stockage approprié ;

autoriser l'huissier instrumentaire à se faire assister d'un officier de police ou de tout représentant de la force publique qui pourra procéder même en dehors de sa circonscription, et de tout expert du choix de la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH, autres que ses subordonnés ;

autoriser l'huissier instrumentaire à se faire assister par un serrurier, par un informaticien et par toute personne de son étude ;

autoriser l'huissier instrumentaire à poursuivre, en cas de besoin, ses opérations au-delà de la fin du premier jour ; dans ce cas, autoriser l'huissier instrumentaire à apposer les scellés sur les produits pertinents et, d'une façon générale, à apposer tous scellés ou autres moyens dans le but de préserver, sauvegarder et conserver toute composition pharmaceutique reproduisant le brevet européen désignant la France n° 1 845 961, à saisir dans les lieux de la saisie ;

autoriser l'huissier instrumentaire à se faire assister par un manutentionnaire, emballeur et conducteur pour le transport des produits saisis et autoriser l'huissier instrumentaire à apporter tout moyen de transporter sur les lieux de la saisie ;

ordonner à la société SANDOZ, sous astreinte de 10.000 € (DIX MILLE EUROS) par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la date de signification de l'arrêt à intervenir, à communiquer à la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH, tous documents ou informations détenus par la société SANDOZ afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des compositions pharmaceutiques reproduisant le brevet européen désignant la France n° 1 845 961, et notamment (i) les noms et adresses des fabricants, grossistes, importateurs et autres détenteurs de ces produits, (ii) les quantités produites, importées, commercialisées, livrées, reçues ou commandées et (iii) le prix, la marge et autres avantages obtenus pour ces produits contrefaisants, y compris le prix de vente et le prix d'achat de ces produits ;

ordonner la publication de l'intégralité de la décision, aux frais exclusifs de la société SANDOZ, sous la forme d'un document PDF reproduisant l'entière décision et accessible par un lien hypertexte apparent situé sur la page d'accueil du site Internet de SANDOZ, quelle que soit l'adresse permettant d'accéder à ce site Internet, le titre du lien étant, dans la langue appropriée :

« La cour d'appel de Paris a rendu un jugement interdisant à la société SANDOZ de commercialiser en France des médicaments comprenant du rivaroxaban en contrefaçon des droits de la société BAYER ».

dans une police de taille 20 (vingt) au moins, pendant 6 (six) mois, dans un délai de huit jours à compter de la signification de la décision à intervenir et sous astreinte de 5.000 € (CINQ MILLE EUROS) par jour de retard ;

dire que la cour sera compétente pour statuer, s'il y a lieu, sur la liquidation des astreintes qu'elle a fixées ;

débouter la société SANDOZ de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

condamner la société SANDOZ à payer à la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH la somme de 400.000 € (QUATRE CENT MILLE EUROS) en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

condamner la société SANDOZ aux entiers dépens de première instance et d'appel. Dire que ces derniers pourront être recouvrés directement par la SELARL LX PARISVERSAILLES- REIMS, avocat, dans les conditions prévues par l'article 699 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, numérotées 2, signifiées au RPVA et transmises le 30 avril 2025, la société Sandoz, intimée, demande à la cour de:

I - CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Paris, 3ème chambre, 1ère section, le 28 mars 2024 (RG 22/08612) en ce qu'il a :

annulé la partie française du brevet EP 1 845 961 ;

ordonné la transmission du présent jugement, une fois passé en force de chose jugée, à l'Institut National de la Propriété Industrielle pour être transcrit au Registre National des Brevets, à l'initiative de la partie la plus diligente ;

condamné la société Bayer Intellectual Property GmbH aux dépens ;

condamné la société Bayer Intellectual Property GmbH à payer à la société Sandoz la somme de 150 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

II- En conséquence, statuant à nouveau et y ajoutant, de :

A titre principal, :

juger irrecevable l'ensemble des demandes en contrefaçon du brevet EP 1 845 961 formées par l'appelante, la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH à l'encontre de la société SANDOZ.

annuler la partie française du brevet EP 1 845 961.

débouter l'appelante, la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH de l'ensemble de ses demandes.

A titre subsidiaire, :

faire injonction à la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH de produire dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard :

Les données de recrutement des patients concernant l'étude Einstein-DVT à partir desquelles le Dr [K] s'est fondé au soutien de ses attestations du 30 mai 2024, produite par BAYER dans les procédures étrangères parallèles, et du 13 juin 2024, également produite par BAYER dans la présente procédure, le cas échéant anonymisées afin qu'aucune donnée personnelle des patients ne soit divulguée ;

Les documents que BAYER a transmis à l'AFSSAPS et au Comité Consultatif de Protection des Personnes dans la Recherche Biomédicale et reçus de ceux-ci conformément aux dispositions relatives à la recherche biomédicale en France applicables à l'essai ODIXaHIP (étude n°10942) ;

Les documents transmis aux patients préalablement au recueil de leur consentement à leur participation à l'essai ODIXaHIP (étude n°10942) et les documents sur lesquels leur consentement a été recueilli, signés par les patients ayant participé à cette étude en France, le cas échéant anonymisés afin qu'aucune donnée personnelle des patients ne soit divulguée ;

Les documents que BAYER a transmis à l'AFSSAPS et au Comité Consultatif de Protection des Personnes dans la Recherche Biomédicale et reçus de ceux-ci conformément aux dispositions relatives à la recherche biomédicale en France applicables à l'essai Einstein-DVT (étude n°11528) ; et

Les documents que BAYER a transmis aux patients préalablement au recueil de leur consentement à leur participation à l'essai Einstein-DVT (étude n°11528) et les documents sur lesquels leur consentement a été recueilli, signés par les patients ayant participé à cette étude en France, le cas échéant anonymisés afin qu'aucune donnée personnelle des patients ne soit divulguée.

renvoyer l'affaire à la mise en état pour permettre aux parties de conclure sur la base de ces documents.

A titre plus subsidiaire :

constater que la société SANDOZ ne commet aucun acte de contrefaçon du brevet EP 1 845 961 en qualité de titulaire d'une Autorisation de Mise sur le Marché pour les spécialités génériques « RIVAROXABAN GNR 10 mg, comprimé pelliculé », «RIVAROXABAN GNR 15 mg, comprimé pelliculé », « RIVAROXABAN GNR 20 mg, comprimé pelliculé » et « RIVAROXABAN GNR 15mg + 20 mg, comprimé pelliculé. Pack d'initiation de traitement », lesquelles ne sont pas commercialisées.

constater que les spécialités « RIVAROXABAN SANDOZ 10 mg, comprimé pelliculé», « RIVAROXABAN SANDOZ 15 mg, comprimé pelliculé », «RIVAROXABAN SANDOZ 20 mg, comprimé pelliculé », commercialisées par la société SANDOZ ne reproduisent pas les caractéristiques du brevet EP 1 845 961.

- Constater que la société SANDOZ ne contrefait pas le brevet EP 1 845 961.

- DEBOUTER l'appelante, la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH de l'ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon du brevet EP 1 845 961.

A titre encore plus subsidiaire :

interdire à la société SANDOZ de commercialiser plus de :

4 131 boîtes de rivaroxaban Sandoz 10 mg par mois,

13 182 boîtes de rivaroxaban Sandoz 15 mg par mois, et

31 454 boîtes de rivaroxaban Sandoz 20 mg par mois.

A titre très subsidiaire :

interdire à la société SANDOZ de commercialiser plus de :

2 076 boîtes de rivaroxaban Sandoz 10 mg par mois,

13 182 boîtes de rivaroxaban Sandoz 15 mg par mois, et

15 805 boîtes de rivaroxaban Sandoz 20 mg par mois.

A titre infiniment subsidiaire, si des mesures d'interdiction étaient prononcées :

condamner la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH à payer à la société SANDOZ une indemnité mensuelle de 1 937 946 euros par mois jusqu'à l'expiration du brevet EP 1 845 961.

En tout état de cause de :

débouter l'appelante, la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH de l'ensemble de ses demandes.

condamner la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH à payer à la société SANDOZ la somme de 400 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

condamner la société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GmbH aux entiers dépens.

L'affaire a été débattue à l'audience fixée du 21 mai 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application des dispositions de l'article 455 de code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens de parties aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur le chef non contesté du jugement

Le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a rejeté les notes en délibéré reçues les 7 février 2024 et 9 février 2024 et est donc définitif de ce chef.

Présentation du brevet EP'961

Le brevet EP'961a été déposé le 19 janvier 2006 sous priorité de la demande EP 05001893 du 31 janvier 2005, publié le 24 octobre 2007 et délivré le 22 avril 2015 et est intitulé « traitement de troubles thromboemboliques avec du rivaroxaban » et concerne un brevet de posologie.

Selon le paragraphe 1 de la description, l'invention concerne « le domaine de la coagulation sanguine, et plus spécifiquement une méthode de traitement d'un trouble thromboembolique par administration d'un inhibiteur direct du facteur Xa une fois par jour sous forme posologique orale à un patient en ayant besoin, l'inhibiteur du facteur Xa ayant une demi-vie de concentration plasmatique indiquant un intervalle d'administration deux ou trois fois par jour, par exemple de 10 heures ou moins ».

L'invention est également décrite par une formule chimique « 5-chloro-N-({(5S)-2- oxo-3-[4-(3-oxo-4-morpholinyl)phényl]-1,3-oxazolidin-5-yl}méthyl)- 2-thiophènecarboxamide », soit un inhibiteur direct du facteur Xa de coagulation sanguine, de bas poids moléculaire, administrée par voie orale, comme ingrédient actif [0014], se référant au document WO-A 01/47919, soit le brevet EP 1 261 606 cité au titre de l'art antérieur.

Les parties la désignent également sous les noms « BAY 59-7939 » ou « Rivaroxaban ».

Le brevet explique que l'invention concerne un anticoagulant [0005], inhibant l'un des facteurs de la cascade de coagulation, le facteur X (ou facteur Stuart), décrit comme une sérine protéase qui, activée (Xa), clive la prothrombine en thrombine, effecteur puissant de l'agrégation des plaquettes et clivant le fibrinogène en fibrine qui est un coagulant fibreux/gélatineux [0002]. L'invention est un inhibiteur direct agissant indépendamment d'un autre facteur, et provoquant l'effet antithrombotique [0010, 0023].

Un inhibiteur du facteur Xa est décrit comme particulièrement efficace, alors que la cascade de coagulation comprend deux voies distinctes, dites intrinsèque et extrinsèque se rejoignant à son terme par une voie de réaction commune, empêchant de relier ces deux voies de coagulation [0002]. Un équilibre appelé hémostasie normale est toutefois nécessaire, l'invention devant être un traitement empêchant la thrombose par son efficacité, sans provoquer une hémorragie, ce qui constitue sa sécurité, selon un mécanisme régulateur complexe [0003, 0022].

L'inhibition du facteur Xa est présentée par le brevet comme une « nouvelle approche thérapeutique » [0008] permettant de répondre aux limites de traitements antérieurs : l'héparine, qui agissait sur plusieurs facteurs de la cascade de coagulation et présentait un risque élevé d'hémorragie [0006] et les antagonistes de la vitamine K, à l'action très lente, et à l'indice thérapeutique étroit, rendant nécessaire un long suivi individuel du patient pour écarter un risque élevé d'hémorragie [0007].

Le brevet précise que par le terme « traitement » on entend le traitement thérapeutique et /ou prophylactique de troubles thromboemboliques » [0022].

Ces troubles sont présentés comme la cause la plus fréquente de morbidité et de mortalité dans les pays industrialisés [0004]. Le brevet les énumère à deux reprises.

Il explique tout d'abord que le système de coagulation peut causer des thrombus locaux ou des embolies des vaisseaux ou des cavités du c'ur, provoquant par exemple l'infarctus du myocarde, les embolies pulmonaires, les accidents vasculaires cérébraux, ou les thromboses veineuses profondes, parmi 10 pathologies [0003]. Le brevet donne une liste beaucoup plus fournie de ces troubles mentionnant 25 pathologies ou types de maladies [0024], ainsi que plusieurs troubles dérivés d'une thromboembolie cardiogénique [0025] ou de complications chez des patients souffrant de certaines pathologies [0026]. Il souligne de façon préférentielle plusieurs troubles thromboemboliques qui seront repris dans la revendication 2 [0027, 0028].

Une posologie préférentielle est mentionnée par le brevet : elle consiste en une administration, orale et une seule fois par jour. Cette posologie est décrite comme un « confort favorable pour le patient pour des raisons de compliance » [0009] et appliquée cinq jours consécutifs [0012]. Les modalités du dosage oral sont précisées [0029], et mentionnent de façon préférentielle les comprimés et, en particulier, ceux à libération rapide, comprenant des doses allant de 1 à 100 mg, et par préférence de 2 à 50 mg et de 5 à 30 mg en fonction de la gravité et de la condition du patient [0030, 0031].

Le brevet souligne que le but d'une prise unique par jour « est parfois difficile à réaliser en fonction du comportement spécifique et des propriétés de la substance médicamenteuse, notamment de sa demi-vie de concentration plasmatique » [0009]. Le brevet définit la demi-vie comme « le temps que met la concentration plasmatique ou la quantité de médicament dans un organisme à être réduite de 50% » [0009]. Il dit, citant une étude (Rowland, 1995), que le médicament doit être administré environ toutes les demi-vies pour être thérapeutiquement efficace sans exposer le patient à des effets secondaires [0010]. Citant une autre étude (Birkett, 2000), le brevet précise qu'en cas de « doses multiples la concentration plasmatique cible (proche de l'état d'équilibre) peut être atteinte après 3 à 5 demi-vies » permettant de lisser les variations des concentrations en médicaments (Goodman, 1985) [0011].

Il indique en outre que pour le Rivaroxaban « une demi-vie de concentration plasmatique de 4-6 heures a été démontrée à l'état d'équilibre chez l'homme dans une étude d'escalade de doses multiples » ([S], 2003) [0017].

Les résultats d'une étude nouvelle sont divulgués par le brevet.

Portant sur 642 patients subissant un remplacement total de la hanche, elle mesure l'efficacité du Rivaroxaban par l'occurrence d'une thrombose veineuse profonde selon un référentiel de la Sixième Conférence de Consensus ACCP portant sur la Thérapie Anti- thrombotique [0018], outre l'embolie pulmonaire et le décès [0040].

L'étude mesure après 7 à 9 jours un taux de thrombose veineuse profonde de 12,3%, porté à 15,1% s'agissant d'une seule prise par jour de 30 mg, jugée équivalente à celle de deux prises par jour. Ce taux est inférieur à celui du traitement antérieur par l'héparine (16,8%) : l'étude conclut donc à l'efficacité d'une administration unique par jour [0018, 0019, 0042, 0043, 0044]. S'agissant de la sécurité, l'étude relève un effet secondaire, présenté comme attendu, d'hémorragie majeure deux jours après la chirurgie, après une prise par jour de 30 mg également

observée lors d'une prise deux fois par jour [0020, 0045, 0046]. Il relève encore que l'absence d'hémorragie fatale, ou sur des organes critiques ou d'hémorragies cliniquement significatives ne pouvant être traitées et que « la plupart des hémorragies jugées comme majeures étaient liées au site chirurgical et aucune complication de guérison de plaies n'a été rapportée ».

Il est donc conclu à la sécurité de l'administration une fois par jour [0045, 0046].

La solution technique ainsi proposée est décrite aux paragraphes 12 et 13, comme suit :

[0012] « De manière surprenante, il a été constaté chez des patients recevant fréquemment des médicaments qu'une administration orale quotidienne d'un inhibiteur direct du facteur Xa avec une demi-vie de concentration plasmatique de 10 heures ou moins s'est avérée efficace par rapport au traitement standard et était en même temps aussi efficace qu'après une administration deux fois par jour (bid). »

[0013] La présente invention concerne l'utilisation d'une forme posologique orale d'un inhibiteur direct du facteur Xa pour la fabrication d'un médicament destiné au traitement d'un trouble thromboembolique administré une fois par jour pendant au moins cinq jours consécutifs, ledit inhibiteur ayant une demi-vie de concentration plasmatique de 10 heures ou moins lorsqu'il est administré par voie orale à un patient humain
1: Mise en gras ajoutée par la cour.

.

Le brevet désigne quatre inventeurs, [V] [H], [M] [S], [VI] [X] et [D] [AT], et comprend deux revendications :

1. Utilisation d'un comprimé à libération rapide du composé de 5-chloro-N-({(5S)-2-oxo-3-[4-(3-oxo-4-morpholinyl)phényl]-1,3-oxazolidin-5-yl}méthyl)-2-thiophènecarboxamide pour l'élaboration d'un médicament destiné au traitement d'un trouble thromboembolique administré pas plus d'une fois par jour pendant au moins cinq jours consécutifs, dans laquelle ledit composé possède une demi-vie de concentration plasmatique de 10 heures ou moins lors d'une administration par voie orale à un patient humain.

2. Utilisation selon la revendication 1, dans laquelle le trouble thromboembolique est l'infarctus du myocarde avec sus-décalage du segment ST (STEMI), l'infarctus du myocarde sans sus-décalage du segment ST (NSTEMI), l'angine instable, la réocclusion après angioplastie ou pontage aorto-coronarien, les embolismes pulmonaires, les thromboses veineuses profondes ou les accidents vasculaires cérébraux.

Sur la nullité du brevet pour défaut d'activité inventive

Moyens des parties

La société Bayer rappelle que le rivaroxaban, principe actif de la spécialité de référence Xarelto®, constitue une innovation phare du groupe Bayer, étant le premier anticoagulant administré par voir orale à avoir été approuvé par les autorités de santé dont le mécanisme d'action est l'inhibition directe réversible du facteur Xa, son efficacité clinique, son mode d'administration et sa posologie constituant une avancée majeure dans la prévention et le traitement des troubles thromboemboliques.

Elle ajoute que la spécialité Xarelto® est l'un des médicaments les plus vendus dans le monde et le plus vendu par le groupe Bayer représentant un chiffre d'affaires en 2023 de 4,081 milliards d'euros, dont 236 millions d'euros pour la France.

Elle expose que l'invention couverte par le brevet EP 961 est le premier schéma posologique du rivaroxaban et que la détermination d'un schéma posologique d'un anticoagulant est particulièrement complexe et risquée, le surdosage (risque hémorragique) comme le sous-dosage ( ne peut empêcher la formation d'un caillot) pouvant exposer le patient à des risques mortels, les études devant s'assurer que l'administration du médicament est à la fois sûre et efficace, les concentrations du principe actif dans le sang devant ainsi être comprises dans la fenêtre thérapeutique.

Elle rappelle qu'une posologie peut être brevetable lorsque, bien qu'elle soit l'unique caractéristique distinguant l'invention de l'art antérieur, celle-ci n'est pas connue et ne découle pas de façon évidente de l'état de la technique pour l'homme du métier, ce qui est le cas pour le brevet EP 961, qui porte sur une première posologie pour le rivaroxaban pour un médicament inédit dans son domaine, donc ne reposant sur aucune base existante.

Elle définit la personne du métier comme une équipe constituée d'un pharmacologue et d'un médecin spécialisé en hémostasiologie et/ou en angiologie, tous deux dotés de plusieurs années d'expérience pratique dans le développement clinique de médicaments anticoagulants pour le traitement des troubles thromboemboliques et retient que l'objectif technique de l'invention est de fournir, pour la première fois, un régime posologique oral, sûr et efficace d'un inhibiteur du facteur Xa ayant une demi-vie de 10 heures ou moins, pour le traitement de troubles thromboemboliques.

S'agissant de l'état de la technique, elle considère qu'une partie des documents invoqués par son adversaire porte sur des informations confidentielles qui ne peuvent être opposées dans le cadre de l'examen de l'activité inventive du brevet ou sont postérieures à la date de priorité.

Elle considère que doivent essentiellement être considérés les essais [S] DM qui portent sur des études de phase I sur des volontaires sains avec l'administration de rivaroxaban à doses multiples croissantes, qui visent à tester son innocuité et sa pharmacocinétique, soit des données pertinentes répondant à l'objet du brevet, l'étude [S] DU ne se rapportant qu'à des tests après une administration unique de rivaroxaban et l'étude Harder n'ayant porté que sur peu de volontaires et mettant en 'uvre des tests nouveaux et expérimentaux.

Elle souligne que les tests ainsi effectués sur des volontaires sains ne permettent pas de déterminer l'efficacité et la sécurité du principe actif chez les patients, de sorte qu'aucune conclusion relative à la fenêtre thérapeutique du rivaroxaban ne pouvait découler de ces essais.

S'agissant de l'inventivité de son brevet EP 691, la société Bayer affirme qu'à la date de priorité l'homme du métier ignorait la limite basse de la fenêtre thérapeutique, à savoir la dose minimale à administrer pour qu'il y ait un effet et donc que le risque de troubles thromboemboliques ne soit pas mortel, ainsi que la fenêtre haute, c'est-à-dire celle qui est susceptible de provoquer un risque d'hémorragie au patient et ne pouvait qu'envisager qu'elle était étroite.

Elle expose ensuite que, pour l'homme du métier, la demi-vie du médicament est la valeur la plus utile et la plus sûre afin de déterminer la posologie du médicament quand on ignore la fenêtre thérapeutique de ce dernier et que des données sur les patients ne sont pas disponibles, de sorte que la demi-vie du rivaroxaban étant considérée comme relativement courte à la date de priorité (soit 4 à 6 heures telle que déterminée dans [S] DM), ce dernier aurait naturellement proposé un schéma posologique avec une administration deux, voire trois fois par jour, s'il était administré dans une forme orale à libération rapide ; qu'il aurait été conforté dans ce choix au vu des effets pharmacodynamiques constatés lors des essais de phase 1 démontrant la corrélation entre ces effets et la concentration plasmatique du rivaroxaban ainsi que par les posologies adoptées pour des comparateurs pertinents et qu'il aurait dû faire preuve de prudence au vu des résultats des essais de phase II sur le rasaxaban, un produit proche, qui avaient dû être en partie arrêtés en raison de saignements intervenus chez les patients. L'appelante souligne qu'il ne faut pas, comme le tribunal a pu le faire, confondre les effets pharmacodynamiques produits à la suite de l'administration d'un principe actif et l'efficacité clinique de ce principe actif qui sont deux notions distinctes.

Elle conteste, qu'à la date de priorité, la demi-vie du rivaroxaban était connue pour être plus longue que celle présentée dans le brevet, la mention d'une demi-vie de 9 à 12 heures figurant dans le poster Harder relevant d'une erreur et analysée comme tel par l'homme du métier au vu de l'ensemble de l'art antérieur opposable, cette durée imposant en tout état de cause à l'homme du métier une posologie de deux administrations par jour.

Elle ajoute que les effets pharmacodynamiques connus à cette même date n'incitaient pas à proposer une administration une fois par jour, comme cela ressort des essais [S], aucun des tests effectués ne permettant, au demeurant, de corréler les effets pharmacodynamiques constatés à une efficacité et une sécurité clinique, sauf pour l'homme du métier à faire courir aux patients des risques réels et potentiellement mortels.

Elle insiste sur le fait que la posologie revendiquée dans l'invention ne résulte pas d'un travail de routine, la fréquence d'administration une fois par jour présentant un risque s'agissant des anticoagulants, puisque la réduction de la fréquence d'administration, qui augmente les fluctuations entre les pics et les creux de concentration plasmatique, peut présenter des risques pour le patient, ne permettant pas d'envisager une approche « try and see ».

Elle ajoute que si l'homme du métier avait souhaité l'administrer une fois par jour, il aurait alors été incité à se tourner vers une forme galénique à libération prolongée, la courte demi-vie du rivaroxaban n'offrant pas d'espérance raisonnable de réussite d'obtenir un régime posologique sûr et efficace avec une forme à libération rapide.

Elle critique le tribunal qui a, selon elle, procédé à une analyse a posteriori, a adopté un raisonnement circulaire en s'appuyant sur le raisonnement et les démarches adoptés par les inventeurs pour surmonter les obstacles qu'ils ont rencontrés afin de prouver que l'invention résulterait d'une activité de routine, n'a pas évalué la revendication 1 dans sa globalité, comme un tout, mais caractéristique par caractéristique, contestant par ailleurs l'idée que l'homme du métier puisse adopter dans ce domaine spécifique une approche « try and see » en raison des risques pour les patients, estimant que la position ainsi retenue revient à refuser la brevetabilité d'un régime posologique. Elle estime que le raisonnement du tribunal témoigne d'un manque de compréhension des principes applicables à la conception et à la conduite des essais cliniques dictés par des contraintes de sécurité, d'éthique et d'efficacité économique.

Elle soutient ainsi que l'homme du métier, s'appuyant sur ses connaissances générales, les pratiques courantes à la date de priorité et les enseignements des documents de l'art antérieur aurait été incité à tester une administration deux fois par jour de rivaroxaban en phase II d'essais cliniques, disposant ainsi d'une solution viable et sûre alors que le schéma alternatif comportait des risques et était dépourvu de justifications scientifiques fiables.

A cet égard, elle souligne que ses chercheurs se sont livrés à des choix non conformistes pour aboutir à l'invention, d'une part, en réalisant une étude d'interaction entre l'énoxaparine ( soit l'anticoagulant de référence, le traitement standard à la date de priorité ) et le rivaroxaban leur permettant de s'assurer que l'énoxaparine pouvait être utilisé de façon sécurisée en traitement d'urgence si le rivaroxaban ne faisait pas effet mais restait présent dans le sang du patient, ce qui leur a permis de convaincre les comités éthiques de valider des essais cliniques et, d'autre part, en menant une étude séquentielle, à dose croissante ouverte, type d'essai inhabituel à partir de la phase II dans laquelle l'essai clinique est traditionnellement randomisé, contrôlé en groupes parallèles, en double aveugle, étude plus coûteuse financièrement, en temps et en ressources, et qui leur a permis ainsi de modifier le programme en incluant un bras comparateur d'une administration par jour. Elle considère ainsi que la proposition d'une administration une fois par jour éloignait l'homme du métier de la voie routinière, comme le démontrent les preuves contemporaines versées au débat.

Elle en déduit que c'est à tort que le tribunal a retenu le défaut d'activité inventive de son brevet.

La société Sandoz soutient d'abord que, par le biais de son brevet EP 961, la société Bayer tente de prolonger son monopole et la durée de protection de son brevet EP 606, brevet de composé du rivaroxaban, expiré le 11 décembre 2020 et qui avait déjà fait l'objet d'un CCP, prolongeant ses effets jusqu'au 2 avril 2024, en revendiquant une posologie particulière.

Elle rappelle qu'en droit, il n'existe pas d'activité inventive, même dans l'identification d'une propriété prétendue surprenante ou inattendue, si cette propriété est révélée ou suggérée par l'art antérieur, peut être constatée par des essais de routine portant sur un petit nombre de possibilités et que l'identification d'un schéma posologique est un acte de routine dans la pharmacologie. Ainsi, selon elle, si l'homme du métier cherchant à traiter une maladie spécifique se contente d'explorer certaines approches thérapeutiques suggérées par l'art antérieur et ainsi vérifier qu'un composé pharmaceutique a bien les propriétés suggérées, il ne peut être retenu une activité inventive, et en particulier, pour le choix d'une posologie.

Elle expose que le brevet EP 961 portant sur l'administration une fois par jour de rivaroxaban pour le traitement des troubles thromboemboliques, la personne du métier doit être définie comme une équipe constituée d'un médecin expérimenté dans le domaine des troubles thromboemboliques et de la coagulation, ainsi que d'un pharmacien ou un biologiste avec des connaissances en pharmacodynamique et en pharmacocinétique et expérimenté dans la détermination des posologies de médicaments.

Elle retient que, pour définir le problème technique, il convient de tenir compte du fait que le rivaroxaban était connu, de même que son utilité comme anticoagulant, et que son dosage en phase I était de deux fois par jour, de sorte que la différence entre l'art antérieur et le brevet serait le passage d'une fréquence d'administration posologique de deux fois par jour à une fois par jour et en déduit que le problème technique posé par l'invention est de fournir une fréquence d'administration posologique de rivaroxaban efficace et sûre, et, accessoirement, plus simple d'utilisation.

Elle soutient que ce brevet EP 961 est nul pour défaut d'activité inventive, dans la mesure où l'utilisation du rivaroxaban comme anticoagulant ou antithrombotique était connue de l'art antérieur et que les données des essais de phase I du rivaroxaban divulguées sous la supervision de Bayer à la date de priorité, et notamment les posters Harder et [S] 1 ou DU, comprenant notamment la durée de la demi-vie issue des essais pharmacocinétiques qui pouvait être estimée à plus de 12 heures de manière plausible pour l'homme du métier, ainsi que la durée de ses effets pharmacodynamiques sur plus de 24 heures, outre sa fenêtre thérapeutique large, auraient incité ce dernier, avec un espoir raisonnable de réussite, à tester une administration quotidienne lors des essais de phase II, rappelant que les tests et conduites d'expérimentation sont inhérents à l'activité de recherche scientifique routinière que mène l'homme du métier du domaine biomédical, qui a l'habitude de s'attacher à la fois aux effets thérapeutiques et aux effets secondaires, dans le cadre d'une simple travail d'exploration de la dose présentant le meilleur rapport bénéfice/risque. Ainsi, les divulgations opérées par Bayer et opposées dans le cadre de l'art antérieur suggéraient, selon elle, de rechercher cet effet thérapeutique avec cette posologie, et sont ainsi destructrices d'activité inventive.

Elle ajoute verser aux débats des documents attestant de ce que le groupe Bayer a également divulgué l'administration de la dose une fois par jour de rivaroxaban chez des patients atteints de troubles thromboemboliques dans le cadre d'essais de phase II qui ont débuté avant la date de priorité du brevet EP 961.

Au soutien de sa thèse, elle met notamment en avant que la fenêtre thérapeutique des inhibiteurs du facteur Xa comprenant le rivaroxaban était connue pour être large ; que l'homme du métier qui cherche à déterminer la posologie d'un médicament se basera sur les données relatives aux essais pharmacocinétiques (soit la durée de la demi-vie) et aux essais pharmacodynamiques (soit la durée d'action du médicament) ; que la durée de demi-vie peut varier selon l'âge des patients; qu'il est connu de l'homme du métier d'administrer les médicaments toutes les deux demi-vies ou moins souvent ; que les anti-coagulants oraux existant à la date de priorité étaient administrés toutes les deux demi-vies ou plus ; que l'arrêt des essais cliniques du razaxaban mis en avant par Bayer comme n'incitant pas l'homme du métier à tenter cette posologie, a été annoncé après la date de priorité du brevet ; qu'il relève d'essais de routine de tester des fréquences de dosage pour des médicaments et que l'homme du métier sait comment réaliser des essais cliniques en matière d'anticoagulants et notamment des essais à dose croissante et à l'administration d'énoxaparine en cas d'échec, qui constituait le comparateur de référence à la date de priorité du brevet ; qu'il est souhaitable d'avoir une posologie peu contraignante afin de s'assurer de l'adhésion du patient à son traitement et du confort du traitement et que, de ce fait, il est commun de chercher à développer des traitements faciles à mettre en 'uvre, de sorte qu'il y a une forte motivation à fournir un schéma de dosage pratique d'une fois par jour ; que les tests utilisés dans le cadre des essais Harder étaient, contrairement à ce que soutient la société Bayer, connus et avaient fait l'objet de publications préalables et sont décrits précisément dans le poster Harder, les résultats de ces tests notamment relatifs à la demi-vie établie entre 9 et 12 heures ayant servi à inclure la dose journalière de 30 mg par jour dans les essais de phase II ; que les données des essais de phase I sont essentielles en ce qu'elles permettent d'obtenir des données pharmacodynamiques, fournissent ainsi des informations cruciales sur la sécurité et les effets indésirables permettant donc de déterminer les doses et fréquences d'administration à tester en phase II ; que le choix de comprimé à libération rapide n'était pas davantage inventif, la libération rapide étant divulguée et qu'il est le plus couramment utilisé.

Elle dénonce l'attitude la société Bayer qui a cherché à dissimuler des antériorités essentielles qu'elle n'a pu se procurer in fine tardivement que grâce à des procédures de communication obtenues à l'occasion des contentieux dans d'autres pays (et qui n'ont donc pu être produites devant l'OEB), et qui tente de remettre en cause les résultats de ses propres essais cliniques qu'elle a diligentés et approuvés avant leur publication, alors qu'aucun erratum n'a, à l'époque, été publié et qui invente, pour les besoins de la cause, des incertitudes, inquiétudes ou obstacles techniques censés détourner l'homme du métier, qui ne sont basés que sur les rapports de ses propres experts, dont elle dénie le caractère probant, comme étant partiaux et qui sont, au demeurant, selon elle contredits par des documents scientifiques et par les attestations de ses propres experts.

Elle soutient démontrer que le brevet contient des contre-vérités en termes de préjugés techniques mentionnés uniquement pour convaincre de son activité inventive et de sa validité, s'agissant notamment de l'administration du médicament toutes les demi-vies et de la fixation de la durée de vie du rivaroxaban sur une plage de 4 à 6 heures. A cet égard, elle indique verser aux débats des éléments de preuve tendant à démontrer que le groupe Bayer avait connaissance d'une durée de demi-vie beaucoup plus longue. Elle plaide ainsi que les préjugés techniques ne sont nullement démontrés tant en droit qu'en fait, ne reflétant pas la position scientifique majoritaire ; qu'ainsi les documents de l'art antérieur contredisent la courte durée d'action prétendue du facteur Xa ou la marge thérapeutique étroite du rivaroxaban.

La société Sandoz conclut qu'il résulte de cet ensemble d'éléments que la revendication 1 est nulle pour défaut d'activité inventive, l'appelante ayant auto-divulgué son invention et qu'il en est de même pour la revendication 2, placée dans la dépendance de la revendication 1, en ce qu'elle vise spécifiquement certains troubles thromboemboliques, déjà mentionnés dans le brevet de composé EP 606.

Sur ce :

L'article L.614-12 du code de la propriété intellectuelle dispose que 'La nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich (...)'

Selon l'article 138 § 1 de la Convention sur le brevet européen, 'Sous réserve de l'article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un Etat contractant, que si : a) l'objet du brevet européen n'est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57 (...)'.

Il résulte de l'article 56 de la même Convention qu' 'Une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique'.

Pour apprécier l'activité inventive d'un brevet, il convient de déterminer d'une part, l'état de la technique le plus proche, d'autre part le problème technique objectif à résoudre, et enfin d'examiner si l'invention revendiquée aurait été évidente pour la personne du métier.

Les éléments de l'art antérieur ne sont destructeurs d'activité inventive que si, pris isolément ou associés entre eux selon une combinaison raisonnablement accessible à l'homme du métier, ils permettaient à l'évidence à ce dernier d'apporter au problème résolu par l'invention la même solution que celle-ci.

La cour rappelle en outre que l'état de la technique le plus proche à sélectionner doit être pertinent, c'est-à-dire qu'il doit correspondre à une utilisation semblable et appeler le moins de modifications structurelles et fonctionnelles pour parvenir à l'invention revendiquée. Cet état de la technique le plus proche doit donc viser à atteindre le même objectif ou à obtenir le même effet que l'invention ou, au moins, appartenir au même domaine technique que l'invention revendiquée ou à un domaine qui lui est étroitement lié.

Au cas d'espèce et s'agissant d'un brevet de posologie, il convient d'apprécier si la personne du métier, faisant face au problème technique à résoudre aurait été incitée, au vu de l'art antérieur, à s'engager dans la voie de l'invention avec des chances ou un espoir raisonnables de succès.

En outre, comme l'a déjà retenu l'OEB, lorsqu'est divulgué, avant la date de priorité ou de publication de la demande, le fait qu'une étude clinique est en cours, la personne du métier est conduite à considérer qu'il existe une espérance de succès suffisante dans le traitement, de nature à rendre l'invention dépourvue d'activité inventive, qui estime également , que l'annonce d'un protocole d'essai clinique détaillé d'innocuité et d'efficacité pour une thérapeutique ou une maladie particulière donne à l'homme du métier une attente raisonnable quant au succès de cette thérapeutique particulière, à moins qu'il n'y ait eu des preuves du contraire dans l'état de la technique. (OEB T2506/12 du 4 octobre 2016, T239/16 du 13 septembre 2017 et T96/20 du 22 avril 2021).

La personne du métier

La personne du métier est celle du domaine technique dans lequel se pose le problème que l'invention, objet du brevet, se propose de résoudre (Com., 20 novembre 2012, pourvoi n° 11-18.440). Elle possède les connaissances normales de la technique en cause et est capable à l'aide de ses seules connaissances professionnelles de concevoir la solution du problème que propose de résoudre l'invention (Com., 17 octobre 1995, pourvoi n° 94-10.433, Com., 19 mars 2025, pourvoi n° 23-13.576).

Les parties ne contestent pas qu'en l'espèce, il doit être fait référence à une équipe pour définir la personne du métier.

La cour retient, au vu du domaine technique, que la personne du métier est une équipe composée d'un médecin hématologue et d'un pharmacologue disposant de connaissances et d'une expérience avérées dans le domaine du traitement des troubles thromboemboliques et des médicaments anticoagulants.

L'art antérieur

L'état de la technique à prendre en considération lors de l'appréciation de l'activité inventive est constitué de toutes les informations rendues accessibles au public avant la date de dépôt de la demande de brevet ou la date de priorité, tel que défini à l'article 54 de la Convention sur le brevet européen (CBE).

La divulgation doit être certaine et sans équivoque, la charge de la preuve appartenant à celui qui invoque la nullité du brevet.

Une description écrite, c'est-à-dire un document, est considérée comme rendue accessible au public si, à la date pertinente, il était possible à des membres du public de prendre connaissance du contenu du document et si aucune obligation de confidentialité ne limitait par ailleurs l'utilisation ou la diffusion des connaissances ainsi acquises.

L'art antérieur non contesté

- Le brevet EP 1 261 606

Le brevet EP'606 intitulé « Oxazolidinones substituées et leur utilisation dans le domaine de la coagulation sanguine », issu d'une demande de brevet internationale n° WO 2001/047919, sous priorité d'une demande allemande du 24 décembre 1999, déposé le 11 décembre 2000 par la société BAYER HEALTHCARE AG et publié 5 juillet 2001, a été délivré le 23 février 2005.

L'invention concerne le domaine de la coagulation sanguine, et en particulier de nouveaux dérivés d'oxazolidinone, ainsi que des procédés de production de ces dérivés et leur utilisation comme principe actif de médicaments pour la prophylaxie et/ou le traitement de maladies.

Ce brevet identifie la formule chimique du rivaroxaban comme étant un des dérivés préférés [0013].

Il présente plusieurs molécules rassemblées en 254 exemples devant permettre d'agir sur la «cascade de coagulation » par l'inhibition du facteur Xa. Ce facteur est présenté par le brevet comme clé pour lier les deux voies de coagulation, scinder la prothrombine en formant la thrombine qui scinde à son tour le fibrogène en fibrine, produit de coagulation.

Le brevet EP 606 identifie l'équilibre dit d'hémostase normal entre hémorragie et thrombose pouvant provoquer des maladies graves rassemblées sous le terme maladies thromboemboliques, cause la plus fréquente de morbidité et de mortalité (citant Pschyrembel, 1994 ; Römpp, 1998 ; [U], 1990).

Il relève les inconvénients graves des anticoagulants préexistants. L'héparine n'est ainsi pas active par voie orale et à une durée de vie relativement faible, ce qui peut causer des hémorragies. Les antagonistes de la vitamine K, qui agissent sur plusieurs facteurs de la cascade de coagulation de façon non sélective, créent un temps de latence de 36 à 48 heures et des risques d'hémorragies rendant nécessaire une surveillance.

Le brevet indique qu'un des objectifs de l'invention est de fournir de nouveaux anticoagulants qui inhibent le facteur de coagulation Xa avec une sélectivité accrue pour lutter en particulier contre la prophylaxie et les maladies thromboemboliques sans les inconvénients de l'art antérieur et divulgue la réalisation de tests précliniques portant sur le rivaroxaban.

Il est également mentionné [59] que les composés de formule générale selon l'invention « se distinguent des préparations traditionnelles pour le traitement des maladies thromboemboliques notamment par le fait que l'inhibition sélective du facteur Xa permet d'obtenir une plus grande fourchette thérapeutique. Cela signifie que le risque d'hémorragie est moindre pour le patient et que le médecin traitant peur mieux ajuster le traitement. De plus, le mécanisme d'action permet un début d'action rapide. Mais surtout, les composés selon l'invention permettent une forme d'administration orale, ce qui constitue une autre avantage de la thérapie avec les composés selon l'invention. »

Il revendique ainsi un composé de formule générale (revendications 1 à 2) et de production d'oxazolidinones (revendication 3) dont les parties conviennent qu'il protège le Rivaroxaban, spécifiquement par sa revendication numéro 2.

Le brevet revendique encore un médicament contenant ce composé ainsi qu'un ou plusieurs auxiliaires ou supports acceptables du point de vue pharmacologique (revendication 4), y compris destinés à la prophylaxie et/ou au traitement de maladies thromboemboliques (revendication 5), maladies influencées positivement par l'inhibition du facteur Xa (revendication 6), au traitement de la coagulation intravasculaire disséminée (revendication 7) l'athérosclérose, l'arthrite, la maladie d'Alzheimer ou le cancer (revendication 8), l'inhibition du facteur Xa (revendication 9). Il revendique également une inhibition de ce facteur Xa in vitro pour les conserves de sang (revendication 10), pour empêcher la coagulation ex vivo (revendication 11) y compris dans les échantillons biologiques qui contiennent le facteur Xa (revendication 12).

- Les posters et abrégés [S] et Harder

Ils concernent trois séries de documents constituées de posters affichés lors de conventions professionnelles et préalablement résumés par des publications dans des revues spécialisées.

La revue Blood, « journal of the american society of hematology» du 16 novembre 2003 décrit notamment le programme de la 45ème réunion annuelle de la Société américaine d'hématologie devant se tenir les 6 à 9 décembre 2003 à [Localité 6] aux Etats Unis ( intitulée la conférence ASH) qui a réuni de nombreux professionnels de l'hématologie (plus de 20.000 personnes).

Elle mentionne des posters devant être présentés le lundi 8 décembre 2003 dont :

- 3003 - Effets du BAY 59-7939, un inhibiteur oral et direct du facteur Xa, sur la génération de thrombine chez des volontaires sains, (Harder et autres), repris dans la présente procédure comme le poster Harder 3003,

- 3004 - Étude de doses multiples croissantes évaluant la pharmacodynamie, l'innocuité et la pharmacocinétique du BAY 59- 7939, un inhibiteur oral et direct du facteur Xa, chez des sujets masculins sains ; ([S] et autres), repris dans la présente procédure comme le poster [S] 3004 ou [S] II ou encore [S] DM ( doses multiples) ,

- 3010 - Étude de dose unique croissante évaluant la pharmacodynamie, l'innocuité et la pharmacocinétique du BAY 59-7939, un inhibiteur oral et direct du facteur Xa, chez des sujets masculins sains ([S] et autres), repris dans la présente procédure comme le poster [S] 3010 ou [S] I ou DU (dose unique).

Des abrégés de ces posters ont été parallèlement publiés dans cette même revue, repris sous les noms abrégés Harder 3003, abrégés [S] 3004 ou [S] II DM et abrégé [S] 3010 ou [S] I DU.

Trois posters sont également mentionnés dans le programme du 18ème Congrès sur la Thrombose se déroulant à [Localité 5], en Slovénie, du 20 au 24 juin 2004 (la « conférence ICT» qui a réuni plus de 900 personnes originaires de 46 pays), sous les titres suivants :

- PO078- Effets du BAY 59-7939, un inhibiteur innovant oral et direct du facteur Xa, sur la génération de thrombine chez des volontaires sains (Harder et autres), repris dans la présente procédure comme le poster Harder PO078 .

- PO080 - Étude de doses multiples croissantes évaluant le BAY59-7939 - un inhibiteur oral et direct du facteur Xa - chez des sujets masculins ([S] et autres ), repris dans la présente procédure comme le poster [S] PO080 ou [S] I (DM, doses multiples),

- PO081 - Étude de dose unique croissante de BAY 59-7939 - un inhibiteur oral et direct du facteur Xa - chez des sujets masculins sains, ([S] et autres) repris dans la présente procédure comme le poster [S] PO081 ou [S] II (DU, doses uniques).

Ils décrivent les mêmes études que les documents précités divulgués avant et pendant la conférence ASH.

Des abrégés de ces posters ont également été publiés dans le cadre de cette conférence, repris sous les noms abrégés Harder PO078, [S] PO080 et [S] PO081.

Ces documents ayant un contenu et une date certains, qui ont été divulgués au public avant la date de priorité, le 31 janvier 2005, et qui ont directement trait au domaine technique en cause, constituent des documents de l'art antérieur opposables.

+ Les posters et abrégés [S] 3004 et PO80 ' Etude de phase I à doses multiples de rivaroxaban menée par le Docteur [S]

Le poster [S] 3004 a été exposé lors de la conférence ASH du 6 au 9 décembre 2003.

Il est intitulé « Etude d'escalade de doses multiples portant sur la pharmacodynamie, l'innocuité et la pharmacocinétique du BAY 59-7939, un inhibiteur direct du facteur Xa administré par voie orale chez des sujets masculins en bonne santé ».

Outre le Docteur [S], il est co-signé par les docteurs [T], [KZ], [NW] et [OF], avec une introduction de [V] [H], soit deux des co-inventeurs du brevet EP'961, les docteurs [H] et [S].

Il rappelle le contexte du développement des inhibiteurs directs de la thrombine et du facteur Xa, en particulier du Rivaroxaban (appelé « BAY 59-7939 »). Il souligne, en outre, l'efficacité d'anciens traitements mais le fait que le mode d'administration sous-cutanée des héparines en particulier, n'est pas pratique à long terme.

L'objectif de l'étude est « d'étudier l'innocuité, la tolérance, la pharmacodynamique et la pharmacocinétique de doses orales multiples de BAY 59-7939 chez de jeunes volontaires masculins en bonne santé ».

Il expose une méthodologie reposant sur des doses croissantes, en simple aveugle, contrôlées par placebo et en groupes parallèles, sur 68 sujets masculins en bonne santé, âgés de 18 à 45 ans. Le traitement est administré le jour 1 puis les jours 5 à 8 selon des doses de 5 mg une fois par jour, 5 mg, 10 mg, 20 mg et 30 mg deux fois par jour et 5 mg trois fois par jour.

L'étude évalue trois variables :

- 1° l'innocuité et la tolérance au moyen de l'interrogation des sujets et de paramètres objectifs (fréquence cardiaque, électrocardiogramme, analyses de laboratoire et temps de saignement).

Les résultats apprennent que le traitement est sûr et bien toléré sans augmentation des effets indésirables avec la dose. Les temps de saignement n'ont pas semblé être affectés par l'intensité de la dose ou le régime et aucun allongement pertinent du temps de saignement n'est survenu à des doses allant jusqu'à 30 mg.

- 2° la pharmacodynamique des effets anticoagulants au moyen de l'activité du facteur Xa, du temps de prothrombine, du temps de thromboplastine partielle avancée et du HepTest
2: Test mesurant un temps de coagulation sous certaines conditions expérimentales.

.

Les résultats apprennent que « tous les paramètres pharmacodynamiques ont présenté des courbes temps-réponse dose-dépendantes similaires, bien que l'amplitude des courbes ait varié en fonction du paramètre utilisé » avec des prises deux fois par jour. Les creux des courbes augmentent avec les doses de 20 et 30 mg, les valeurs minimales ayant tendance à augmenter pour ces doses. Il n'y aucune différence entre les jours 1 et 7 de l'effet inhibiteur maximal atteint 1 à 4 heures après administration. Le temps de prothrombine est allongé après 1 à 4 heures et reste élevé jusqu'à 8 heures après administration de 5 et 10 mg. Après administration de 20 et 30 mg deux fois par jour ces taux reviennent à leur valeur de base après 12 heures. Le temps de thromboplastine partielle activée atteint également son niveau maximal après 1 à 4 heures de même que les temps de coagulation du HepTest qui dépendent de la dose administrée.

- 3° les évaluations pharmacocinétiques au moyen des concentrations plasmatiques maximales, de l'aire sous la courbe de concentration en fonction du temps et de la demi-vie terminale.

Les résultats font état d'augmentations de l'ASC
3: Abréviation de « aire sous la courbe».

proportionnelles à la dose après une administration unique au jour 0 et après une administration multiple, deux fois par jour, au jour 7 sans accumulation excessive du médicament. Il est relevé une concentration plasmatique maximale après 2,5 à 4 heures. Pour les doses de 5, 10, 20 et 30 mg la demi-vie terminale était respectivement de 5,4 heures, 5,8 heures, 3,7 heures et 5,8 heures.

Les conclusions de l'étude présentée sont les suivantes : le médicament est sûr et bien toléré sans signe ou symptôme de saignement et a un bon profil sécurité. L'activité du facteur Xa est dose-dépendante pour les paramètres pharmacodynamiques étudiés. Il en va de même de la pharmacocinétique qui est dose-dépendante. Le médicament convient ainsi pour deux prises par jour jusqu'à 30 mg.

L'étude ajoute qu'il existe une corrélation entre l'allongement du temps de prothrombine et les concentrations plasmatiques.

L'abrégé [S] 3004 publié dans la revue Blood du 16 novembre 2003 reprend les mêmes informations et données s'agissant du BAY 59-7939 présenté comme un inhibiteur direct innovant du facteur Xa, actif par voie orale, en développement pour la prévention et le traitement des maladies thromboemboliques.

Il mentionne notamment qu'après son administration des changements notables des paramètres pharmacodynamiques étaient toujours présents après 12 heures, que les paramètres d'innocuité standard n'étaient pas affectés, qu'aucun signe ou symptôme de saignement n'a été observé sur la gamme posologique et qu'il n'a affecté le temps de saignement à aucune dose.

Il est ajouté que la concentration maximale a été atteinte après 2,5 à 4 heures, la demi-vie terminale étant de 4 à 6 heures. Il est également conclu que l'administration orale de BAY 59-7939 est sûre et bien tolérée à des doses allant jusqu'à 30mg deux fois par jour.

Le poster [S] PO080 présenté à la conférence ICT reprend de façon synthétique l'étude telle que déjà décrite, de même que l'abrégé [S] PO080 publié dans le cadre de la même conférence.

+ Les posters et abrégés [S] 3010 et PO081 ' Etude de phase I à dose unique croissante de BAY 59-7939 menée par le Docteur [S]

Le poster [S] 3010 a été exposé à la conférence ASH des 6 à 9 décembre 2003.

Outre le Docteur [S], il est co-signé par les docteurs [T], [KZ], [NW] et [OF].

Il rappelle le contexte du développement des inhibiteurs directs de la thrombine et du facteur Xa, en particulier du Rivaroxaban (appelé « BAY 59-7939 »).

L'objectif de l'étude est « d'évaluer l'innocuité, la tolérance, les effets pharmacodynamiques et le profil pharmacocinétique du BAY 59-7939 après administration d'une dose orale unique à des sujets masculins en bonne santé ».

Il repose sur une méthodologie d'administration à dose croissante, en simple aveugle, contrôlée par placebo et en groupes parallèles. Les prises du traitement se font par doses uniques de comprimés de 1,25, 5, 10, 15, 20, 30, 40, 60 et 80 mg. Deux doses de 5 et 10 mg sont administrées par croisement entre solution orale et comprimé. L'étude est pratiquée sur 108 hommes en bonne santé de 18 à 45 ans.

L'étude évalue trois variables :

- 1° l'innocuité et la tolérance au moyen d'un questionnaire sur les effets indésirables, d'une surveillance des signes vitaux, des électrocardiogrammes, des résultats d'analyses de laboratoires.

Les résultats à ce titre relèvent que 29 sujets ont rapporté 39 évènements indésirables très diversifiés mais sans gravité, dont 6 étaient liés possiblement au médicament. Cependant, aucune modification des signes vitaux, de l'électrocardiogramme ou des mesures de laboratoire n'a été observée et le temps de saignement n'a pas été prolongé quelle que soit la dose.

- 2° les effets pharmacodynamiques au moyen de l'activité du facteur Xa, du temps de prothrombine, du temps de céphaline activée, du HepTest, de l'activité du facteur IIa et de l'antithrombine III.

Les résultats établissent des « courbes temps-réponse dose-dépendantes similaires, bien que l'ampleur des courbes ait varié en fonction du paramètre ». L'activité du facteur Xa est inhibée de façon maximale 1 à 4 heures après l'administration du comprimé et revient à la normale dans les 24 heures pour les doses allant jusqu'à 40 mg, elle reste élevée au-delà de 24 heures pour les doses de 60 et 80 mg.

- 3° les paramètres pharmacocinétiques au moyen de l'aire sous la courbe de la concentration plasmatique en fonction du temps de zéro à l'infini, de la concentration du médicament dans le plasma et de la demi-vie associée à la pente terminale.

Les résultats de concentration plasmatique du Rivaroxaban ont augmenté proportionnellement à la dose après l'administration de solutions orales et de doses de comprimés de BAY 59-7939 jusqu'à 10 mg et moins que proportionnels pour les doses plus élevées « probablement en raison de la faible solubilité du médicament et de son absorption incomplète » alors même que l'absorption est décrite comme rapide. Les concentrations plasmatiques maximales sont obtenues après 30 minutes ou 2 heures, la demi-vie associée à la pente terminale après 3-4 heures. Il est en outre précisé que la solution orale et les comprimés ont produit des valeurs d'ASC (concentration plasmatique en fonction du temps 0 à l'infini) similaires mais des profils de concentration plasmatique en fonction du temps plus plats ont été observés après l'administration des comprimés.

Le poster présente les conclusions suivantes de l'étude : le Rivaroxaban est sûr et bien toléré, a un bon profil sécurité ; il inhibe sélectivement le facteur Xa sans effet sur le facteur IIa ou l'antithrombine ; des profils effet-temps prévisibles et dose-dépendants ont été observés pour plusieurs paramètres pharmacodynamiques précités, une « corrélation étroite a été observée entre les effets pharmacodynamiques et les concentrations plasmatiques » du Rivaroxaban.

Il termine en précisant que « le bon profil d'innocuité, l'inhibition sélective du Fxa et les profils pharmacocinétiques et pharmacodynamiques prometteurs indiquent qu'il est justifié de poursuivre l'étude du BAY 59-7939. »

L'abrégé [S] 3010 toujours publié dans la revue Blood rappelle l'efficacité du Rivaroxaban sur les troubles thromboemboliques et les modalités de l'étude dite « en escalade ».

Il souligne que les effets pharmacodynamiques ont été « déterminés pendant 24 heures suivant l'administration du médicament », que le temps de saignement n'a subi de prolongation par aucune dose et restitue de façon semblable au poster les résultats pharmacodynamiques et pharmacocinétiques. L'abrégé relève une demi-vie terminale de 3 à 4 heures.

La conclusion est ainsi rédigée « dans cette étude, le BAY 59-7939 a été sûr et bien toléré sur une large gamme de doses orales (1,25-80 mg), avec une pharmacodynamique et une pharmacocinétique dose-dépendantes prévisibles. Ces données suggèrent que le BAY 59-7939 assure une anticoagulation prévisible avec un excellent profil d'innocuité ».

Le poster [S] PO081, présenté à la conférence ICT, comporte les même informations telles que déjà détaillées, présentées de façon plus synthétique, de même que son abrégé.

+ Les poster et abrégé Harder 3003 et PO078 ' Etude de phase I sur le mécanisme d'action du rivaroxaban

Le poster Harder 3003 intitulé « Effets du BAY 59-7939, un inhibiteur oral direct du facteur Xa sur la génération de thrombine
4: Protéase à sérine qui convertit le fibrinogène soluble en brins de fibrine insoluble qui contribuent à former le caillot sanguin qui joue un rôle crucial dans le processus de coagulation .

chez des volontaires sains » est exposé lors de la même conférence ASH des 6 à 9 décembre 2003.

Outre le Docteur Harder, il est co-signé par les docteurs [G] [A], [N] [F], [H] [B], [S] [W], [OF] [J], [KZ] [O], [P] [KP], [T] [J], [C] [I], soit notamment deux des co-inventeurs du brevet EP'961, les docteurs [H] et [S].

Le poster présente le Rivaroxaban (appelé ici « BAY 59-7939 ») décrit comme un inhibiteur sélectif, très puissant et direct du facteur Xa en cours de développement pour la prévention et le traitement de la maladie thromboembolique. Il précise qu'il est bien toléré pour des doses uniques et multiples allant jusqu'à 30 mg et est rapidement absorbé après administration orale « avec une demi-vie terminale de 9-12h », dans un contexte où les effets des inhibiteurs du facteur Xa sur la génération de thrombine ne sont pas connus.

Il décrit également l'objectif de l'étude menée, soit « évaluer l'effet du BAY 59-7939 administré par voie orale sur la génération de thrombine chez des volontaires sains de sexe masculin ».

La méthodologie retenue repose sur une étude croisée contre placebo en simple aveugle, 12 sujets sains de sexe masculin (âge 26-37 ans (...) ). Les évaluations de la génération de thrombine et de coagulation induite par les plaquettes ont été effectuées sur 24 heures. Les prises sont de 5 mg ou de 30 mg le jour 1 et le jour 14.

Les évaluations reposent sur trois tests, identifiant des résultats illustrés par des graphiques, nommés figures reposant sur des moyennes +/- écarts-types :

- le premier test porte sur le temps de génération de thrombine induite par les plaquettes («PITT») dont les modalités sont décrites.

Les résultats indiquent que ce temps est « prolongé significativement (en comparaison aux profils placebo) pour la dose de 30 mg ('). La prolongation maximale du PITT Tc (temps de coagulation) a été d'environ 2 fois pour 5 mg (') et d'environ 4 fois pour la dose de 30 mg (en comparaison avec le groupe placebo), et elle a été observée 2-4 heures après administration de la dose. L'augmentation du PITT s'est maintenue pour 30 mg (') sur 12 heures ».

- le deuxième test porte sur le potentiel de thrombine endogène (ETP) dont les modalités sont également décrites.

Les résultats le décrivent comme « significativement réduit (par comparaison avec les profils placebo) par les deux doses de 5 mg et 30 mg (') avec un effet maximal à 2-4 heures. Ils précisent que l'inhibition du ETP (induits par le facteur tissulaire ou le collagène) par 30 mg (') s'est maintenue sur 12 heures (Figure 3) ».

- le troisième test porte sur le temps de coagulation induite par les plaquettes (PiCT) dont les modalités sont décrites.

Les résultats décrivent ce temps comme « prolongé significativement (par comparaison avec les profils placebo) par les deux doses de 5 mg et 30 mg ('). La prolongation a été environ 2 fois pour 5 mg (') et de 3 fois pour la dose de 30 mg, et a été observée 2 heures après administration. Le PICT a été prolongé sur 12 heures après traitement avec 5 mg et 30 mg (Figure 4b) ».

Il est également mentionné qu'en « accord avec les autres données de phase I ([S] et al., posters 304 et 310, thérapie antithrombotique session II ASH 2003), le Fxa a été inhibé d'une manière dose-dépendante après l'administration de BAY 59-7939. »

Il est ainsi mentionné en conclusion que :

«- le BAY 59-7939 administré par voie orale a inhibé d'une manière dose-dépendante tant la voie intrinsèque (collagène) que la voie extrinsèque (facteur tissulaire) de la génération de thrombine.

- l'effet du BAY 59-7939 sur la génération de thrombine a été mis en évidence dans des essais sans plaquettes et dans des essais à base de PRP. Par contraste, des inhibiteurs de FXa indirects (c'est-à-dire antithrombine III-dépendants) n'inhibent bien évidemment que le FXa qui n'est pas protégé par le complexe plaquettes-prothrombinase.

- le BAY 59-7939 a non seulement inhibé le temps de latence de la génération de thrombine (PITT-Tc ), mais a aussi eu un effet profond tant sur l'extension maximale de la génération de thrombine (ETP-pic) que sur la quantité totale de thrombine générée (ETP-ASC). Cette observation suggère une caractéristique supplémentaire du BAY 59-7939, car des inhibiteurs de FXa plus faibles ne peuvent que prolonger le temps de latence, sans affecter la quantité totale de génération de thrombine.

- certains paramètres (par exemple le ETP-pic) indiquent un effet pharmacodynamique de longue durée du BAY 59-7939, ce qui suggère qu'il convient à un schéma posologique une fois par jour.

- les effets du BAY 59-7939 par voie orale sur la génération de thrombine intrinsèque et extrinsèque et le PICT, qui sont médiés par l'inhibition directe du FXa, indiquent que le BAY 59-7939 est un anticoagulant prometteur, qui mérite une investigation clinique plus poussée ».

L'abrégé Harder 3003 a été publié dans la revue Blood du 16 novembre 2003. Il résume la méthodologie employée de façon concordante avec le poster et présente un tableau chiffré de résultats. Il ne mentionne cependant pas d'indication sur la demi-vie du médicament.

Il ajoute qu'« une seule dose de 30 mg exerçait un effet soutenu dans certains tests de génération de thrombine pendant une durée allant jusqu'à 24 heures. Le facteur Xa était inhibé d'une manière dépendante de la dose après administration de BAY 59-7939. L'inhibition maximale, observée 2 heures après l'administration du médicament, était de 28 % et de 56 % pour les doses de 5 mg et 30 mg, respectivement ».

Les poster et abrégé Harder PO078 présentés l'année suivante lors de la conférence ICT présentent la même étude et les mêmes résultats sans mentionner d'indication de la demi-vie du médicament.

L'art antérieur contesté

La société Sandoz, dans le cadre de procédures engagées dans d'autres pays portant également sur le même brevet, a pu avoir accès à d'autres documents dont elle estime qu'ils font partie de l'art antérieur, point contesté par la société Bayer s'agissant tant de leur date de divulgation que de leur contenu, qui estime, qu'étant confidentiels, ils n'étaient pas accessibles au public.

- les protocoles d'essais cliniques (ODIXa-HIP, IIa ODIXaHIP-OD, étude HARDER)

La cour retient concernant les protocoles d'essais cliniques ( soit les protocoles des essais de phase IIa ODIXa-HIP, IIa ODIXaHIP-OD, étude HARDER), qu'il s'agit de documents confidentiels, non accessibles au public, qui ne font donc pas partie de l'art antérieur. En effet, la société Sandoz ne démontre nullement la nature des informations qui auraient été communiquées aux patients dans le cadre de ces protocoles, ni davantage leur divulgation au public.

Il en est de même des présentations internes réalisées le 15 décembre 2003, en janvier 2004 et en octobre 2004 s'agissant de documents confidentiels purement internes à la société Bayer.

- les documents Einstein

L'étude clinique de phase II Einstein DVT a été réalisée entre décembre 2004 et août 2005 dans plusieurs pays dont la France, l'objet de l'étude étant de déterminer la dose optimale de BAY 59-7939 et de comparer la sécurité et l'efficacité de ce nouveau médicament avec le traitement standard de la thrombose veineuse profonde. Elle a porté sur l'administration une fois par jour de doses de rivaroxaban de 20, 30 et 40 mg pendant douze semaines à 543 patients.

La société Sandoz met en avant la divulgation des formulaires de consentement et du livret explicatif distribués aux patients participant à ces essais intitulés « Information du patient et formulaire de consentement », dits documents Einstein, avant la date de priorité du brevet.

Sur ce, il n'est pas contesté que l'obligation de recueil d'un consentement libre et éclairé dans le cadre de la recherche clinique sur les personnes nécessite de divulguer aux patients concernés l'objectif, les méthodes, les traitements d'essais et les bénéfices attendus d'une telle étude leur permettant de donner un consentement éclairé.

En matière de divulgation dans le cadre d'essais cliniques, l'OEB considère que si un membre unique du public, qui n'est soumis à aucune obligation de secret, a la possibilité d'accéder à des informations particulières, ces informations sont considérées comme accessibles au public au sens de l'article 54 de la CBE.

Il a ainsi déjà été jugé que si un formulaire de consentement, dans un contexte de participation à une étude portant sur un traitement médical expérimental, « a été distribué à des personnes qui étaient encouragées à discuter de son contenu avec qui que ce soit, la Chambre en arrive à la conclusion que le contenu de la pièce avait été rendu accessible à des personnes qui n'étaient pas liées par un quelconque accord de confidentialité, ni avaient une relation spéciale avec le promoteur de l'étude et qui doivent donc être classées comme étant des membres du public ». (Chambre de recours de l'OEB 13 septembre 2017, T0239/16).

Il convient donc notamment de vérifier si le contenu de la pièce en cause a été rendu accessible à des personnes qui n'étaient ni liées par un accord de confidentialité, ni par une relation spéciale avec le promoteur de l'étude et sont alors considérées comme des membres du public.

S'agissant du caractère certain de la divulgation, il est établi que les essais Einstein DVT ont débuté en décembre 2004, un des médecins ayant participé à ces essais de phase II confirmant avoir donné aux sujets d'essais potentiels le formulaire de consentement éclairé à cette date et avoir discuté des essais avec eux, au plus tard le 24 décembre 2004, date de l'enregistrement du premier patient participant à cette étude.

Concernant le contenu de ces documents, également contesté par la société Bayer, la société Sandoz démontre qu'un exemplaire du livret donné aux participants à l'étude ainsi que du formulaire de consentement ont été remis aux autorités de santé les 7 octobre et 26 novembre 2004, permettant de s'assurer avec certitude de leur contenu et ainsi des informations effectivement communiquées aux patients avant la date de priorité, les modifications éventuellement apportées postérieurement ne portant ni sur une obligation de confidentialité imposée au patient ni sur une modification de l'information donnée quant au traitement.

Aucune mention expresse de confidentialité n'est imposée par ces documents aux patients participant à cette étude qui sont invités à se munir du livret d'informations à chacune de leur visite médicale, seule une clause de confidentialité étant mentionnée pour les informations recueillies au cours de l'étude qui ne couvre pas le contenu du formulaire de consentement qui doit être lu et signé avant le début de l'étude.

En outre, il est également attesté par deux médecins, l'un ayant participé à ces essais de phase II, l'autre étant l'investigateur principal et le président du comité de direction de l'étude Einstein-DVT, que les patients ont été encouragés à partager le contenu du formulaire de consentement et de l'étude avec leurs famille, amis ou médecins, nonobstant les attestations produites en sens contraire par les médecins de la société Bayer, de sorte que les patients, même s'ils constituent, comme les médecins, les agents nécessaires de ces expériences, ne peuvent considérés être débiteurs d'une obligation implicite de confidentialité envers la société Bayer. Ainsi, dans la mesure où le formulaire de consentement a été distribué à des personnes qui ont été encouragées à discuter de son contenu, y compris avec leurs famille ou amis, la cour retient que celui-ci a été rendu accessible à des personnes qui n'étaient liées par un quelconque accord de confidentialité, ni qui avaient une relation spéciale avec le promoteur de l'étude et qui doivent être considérées comme des membres du public.

Or, le formulaire de consentement remis aux patients indique que l'étude porte sur le BAY 59-7939, un nouvel anti-coagulant sous forme de comprimé se prenant une fois par jour et agissant rapidement , qu'elle est menée pour déterminer sa posologie optimale par rapport au traitement habituel, trois posologies étant étudiées, soit 20 mg, 30 mg et 40 mg une fois par jour, mais aussi que le BAY 59-7939 a déjà été testé chez des volontaires sains et que « dans une autre étude, la dose optimale du BAY 59-7939 a été déterminée pour la prévention de la thrombose chez des patients subissant une arthroplastie de la hanche », le livret accompagnant les patients mentionnant également la prise une fois par jour de ce composé.

La cour retient en conséquence que ces informations ont été rendues accessibles au public de manière certaine et non équivoque et font donc partie de l'art antérieur, nonobstant la seule référence au code « BAY 59-7939 » à l'exclusion d'une formule chimique ou du nom rivaroxaban, alors que la personne du métier sait que ce code correspond à la formule chimique décrite dans le brevet EP'606, puis sous le nom de rivaroxaban, la société Bayer ayant elle-même indiqué dans le Drug Data Report publié en 2004 l'existence d'essais cliniques en phase II chez des patients atteints de maladies thromboemboliques portant sur le rivaroxaban mentionné également sous son code BAY 59-7939 et sa formule chimique.

Le problème technique

La cour retient que le problème technique que se propose de résoudre le brevet, tel qu'exposé dans sa partie descriptive, est de fournir un régime posologique oral sûr et efficace du BAY 59-7939 ou rivaroxaban pour le traitement prophylactique et thérapeutique de troubles thromboemboliques.

Sur l'existence d'une activité inventive

Rappels techniques en matière de détermination d'un schéma posologique

Il doit être rappelé que, pour la détermination du schéma posologique d'un médicament soit la dose, la voie d'administration, la forme galénique, la fréquence d'administration et la durée du traitement, il est nécessairement tenu compte par la personne du métier de plusieurs paramètres et notamment sa pharmacocinétique et sa pharmacodynamique mais aussi de son observance par le patient.

La pharmacocinétique vise ainsi à étudier le devenir du principe actif dans l'organisme après son administration et ses effets sur l'organisme et expliquer l'évolution dans le temps de la concentration du médicament dans l'organisme - soit la relation dose/concentration - et qui dépend notamment de son absorption, de sa biodisponibilité, la vitesse d'absorption étant évaluée en déterminant le temps nécessaire pour atteindre la concentration maximale, puis sa distribution via la circulation sanguine et enfin son élimination par l'organisme. Cette dernière étape d'élimination permet de définir la demi-vie du médicament comme le temps nécessaire pour que sa concentration plasmatique diminue de moitié dans l'organisme ou la durée nécessaire à l'élimination de 50% de la concentration du médicament et qui constitue un élément important dans la fixation d'une posologie adaptée pour la personne du métier.

La pharmacodynamique vise à étudier les effets du médicament sur l'organisme et porte ainsi sur les effets biochimiques et physiologiques sur le corps et son mécanisme d'action, en fonction notamment de trois paramètres, l'efficacité, la puissance (soit la quantité de médicament nécessaire pour produire une réponse spécifique) et la sélectivité (soit la capacité d'un médicament à produire préférentiellement un effet sur un site donné par rapport à d'autres sites notamment en terme d'effets indésirables).

Enfin, le schéma posologique d'un médicament a pour but de maintenir les concentrations sanguines dans l'intervalle ou la fenêtre thérapeutique au cours du temps, c'est-à-dire dans la zone de concentration plasmatique assurant un effet thérapeutique en minimisant les effets secondaires indésirables. La fenêtre thérapeutique d'un médicament est ainsi comprise entre deux concentrations, soit la concentration minimale efficace, correspondant à un sous dosage et à un risque d'inefficacité, et la concentration maximale, correspondant à un risque de surdosage et au seuil de toxicité.

Ainsi, l'enjeu de la détermination d'un schéma posologique adéquat d'un médicament, pour la personne du métier, est notamment de maintenir les fluctuations de la concentration plasmatique du médicament dans les limites de cette fenêtre thérapeutique, en fonction de ses paramètres pharmacocinétiques et pharmacodynamiques, tout en prenant en compte la nature de la réponse thérapeutique souhaitée, l'observance du patient ou des considérations commerciales basées sur la facilité d'utilisation.

Par ailleurs, avant sa mise sur le marché, un médicament fait notamment l'objet d'essais cliniques classés en trois phases :

- les essais cliniques de phase I ayant pour objet de tester une molécule pour la première fois chez l'homme et chez des sujets sains, pour évaluer son profil de toxicité et sa sécurité et qui reposent sur l'étude de la pharmacocinétique et la pharmacodynamique. Ils permettent le cas échéant de définir les doses et la fréquence de la posologie pour des études futures,

- les essais cliniques de phase II qui se déroulent sur des malades atteints de la pathologie visée afin d'explorer l'efficacité thérapeutique du traitement,

- les essais cliniques de phase III permet d'évaluer et de confirmer l'intérêt thérapeutique du médicament sur un nombre plus important de patients.

L'évidence de la solution pour la personne du métier

Il doit être rappelé que la revendication 1 est ainsi rédigée » Utilisation d'un comprimé à libération rapide du composé de 5-chloro-N-({(5S)-2-oxo-3-[4-(3-oxo-4-morpholinyl)phényl]-1,3-oxazolidin-5-yl}méthyl)-2-thiophènecarboxamide pour l'élaboration d'un médicament destiné au traitement d'un trouble thromboembolique administré pas plus d'une fois par jour pendant au moins cinq jours consécutifs, dans laquelle ledit composé possède une demi-vie de concentration plasmatique de 10 heures ou moins lors d'une administration par voie orale à un patient humain. »

Il est donc revendiqué globalement et sans que ces caractéristiques soient analysées et appréciées séparément :

- un composé, le rivaroxaban,

- utilisé pour l'élaboration d'un médicament destiné au traitement d'un trouble thromboembolique,

- ce composé possédant une demi-vie de concentration plasmatique de 10 heures ou moins au moment de son administration,

- médicament administré à un patient humain une fois par jour pendant au moins cinq jours consécutifs,

- médicament administré par voie orale par un comprimé à libération rapide.

Sur ce, à la date de priorité du brevet EP'961, l'homme du métier connaît d'abord les enseignements du brevet EP'606 dont est titulaire la société Bayer qui divulgue d'abord l'existence du rivaroxaban tel que décrit par sa formule chimique, présenté comme une nouvelle approche thérapeutique pour le traitement et la prophylaxie des maladies thromboemboliques en ce qu'il permet d'inhiber le facteur Xa, permettant d'éviter les inconvénients de l'état de la technique et qui mentionne que les composés de formule générale selon l'invention « se distinguent des préparations traditionnelles pour le traitement des maladies thromboemboliques notamment par le fait que l'inhibition sélective du facteur Xa permet d'obtenir une plus grande fourchette thérapeutique. Cela signifie que le risque d'hémorragie est moindre pour le patient et que le médecin traitant peut mieux ajuster le traitement. De plus, le mécanisme d'action permet un début d'action rapide. Mais surtout, les composés selon l'invention permettent une forme d'administration orale, ce qui constitue une autre avantage de la thérapie avec les composés selon l'invention. »

S'agissant de l'état de la technique le plus proche, la cour considère qu'il est constitué par les documents [S] 3010, 3004 et Harder, trois documents divulgués en même temps à l'occasion de la même conférence ( d'abord la conférence ASH, puis la conférence ICT), qui décrivent trois essais cliniques de phase I portant sur le BAY 59-7939, présenté comme un inhibiteur oral direct du facteur Xa innovant en cours de développement pour la prévention et le traitement des maladies thrombo-emboliques et qui détaillent les résultats des nombreux tests réalisés, documents associés entre eux selon une combinaison raisonnablement accessible à la personne du métier.

Ainsi, les documents [S] 3010 portant sur les essais cliniques de phase I à doses uniques croissantes et [S] 3004 portant sur les essais cliniques de phase I à doses multiples croissantes ont pour objectif d'étudier l'innocuité, la tolérance, la pharmacodynamique et la pharmacocinétique du Rivaroxaban.

Les documents Harder poursuivent quant à eux l'objectif, plus précis, d'analyser les effets d'une prise orale de Rivaroxaban sur la production de thrombine qui joue un rôle central dans la thrombose, un expert soulignant, dès 2002, que la plupart des stratégies thérapeutiques antithrombotiques de l'époque visaient à bloquer l'activité de la thrombine ou à empêcher sa génération, de sorte que la personne du métier est nécessairement particulièrement intéressée par les résultats de cette étude. Ils décrivent ainsi les essais cliniques de phase I portant sur l'administration d'une dose orale unique de 5mg et de 30mg de rivaroxaban, avec évaluation de la génération de thrombine et de la coagulation induite par les plaquettes effectuées sur 24 heures, le poster Harder étant le seul des trois documents à faire référence aux autres essais [S] présentés à la même conférence ASH 2003.

Ainsi, à la date de priorité du brevet EP'961, la personne du métier a connaissance des résultats de ces trois essais cliniques de phase I portant sur le rivaroxaban menés par la société Bayer, titulaire du brevet de composé, divulgués lors de la même conférence.

Si ces études de phase I portent sur des volontaires sains en nombre limité et ne mesurent pas l'efficacité clinique sur des personnes malades, il n'en demeure pas moins qu'elles ont précisément pour objet de tester ce médicament, pour la première fois, chez l'homme et ainsi d'évaluer son profil de toxicité et sa sécurité et procurent les informations déterminantes quant à la sécurité et les éventuels effets indésirables du médicament et sont ainsi essentielles pour déterminer les doses et la fréquence d'administration à tester en phase II.

Dans ses écritures, la société Bayer tente de limiter la portée de certaines mentions ou données publiées dans ces études, comme il sera examiné ensuite.

Cependant, la cour note qu'en marge de leur divulgation dans le cadre du congrès de la société américaine d'hématologie, la société Bayer a publié le 9 décembre 2003 un communiqué de presse intitulé « Inhibiteur du facteur Xa : des résultats prometteurs dans trois études de phase I », annonçant qu'un nouvel anticoagulant oral est en cours de développement par la division pharmaceutique de Bayer qui a montré « des résultats hautement prometteurs » selon trois études de phase I qui doivent être présentées à ce congrès.

Il est mentionné que ce médicament « offre une anticoagulation prévisible et s'avère bien toléré avec un début d'action rapide. Les données démontrant son anticoagulation prévisible ont d'abord été étayées par les résultats d'une étude à dose unique menée chez des sujets masculins en bonne santé, puis ont été renforcés par les données d'une étude à doses multiples où ce médicament permettait d'obtenir des effets dose-dépendants, avec une étroite corrélation entre les paramètres pharmacocinétiques et pharmacodynamiques » et qu'il a ainsi été démontré que le BAY 59-7939 par voie orale ne prolongeait pas les temps de saignement ni n'affectait les paramètres d'innocuité standard et qu'administré à plus de 200 sujets, il était très bien supporté, même aux doses plus élevées, avec un excellent profil d'innocuité.

Il est également fait état de l'étude menée par le Docteur Harder qui a montré que le BAY 59-7939 par voie orale inhibe directement le facteur Xa sans que des cofacteurs soient nécessaires, ce qui représente une approche mécanistique alternative pour un anticoagulant oral, le communiqué rappelant que, dans la cascade de coagulation, le facteur Xa est le point central où coïncident les voies intrinsèques et extrinsèques de la coagulation, l'inhibition du facteur Xa pouvant par conséquent directement réguler la voie commune finale de la génération de la thrombine.

Le communiqué précise ainsi que « le Docteur [E] [L], directeur du développement médial international de la division pharmaceutique de Bayer Healthcare a déclaré : à Bayer, nous sommes très enthousiastes quant aux perspectives du BAY 59-7939 ' il semble probable qu'il offre une anticoagulation sûre et prévisible dans un contexte clinique. Nous étudions actuellement son utilisation potentielle dans la prévention et le traitement des maladies thromboemboliques, où il existe un réel besoin médical en de meilleures options de traitement. En tant que médicament oral, le BAY 59-7939 peut être particulièrement utile chez les patients qui nécessitent une anticoagulation, à la fois dans un contexte hospitalier et ambulatoire, y compris dans le cadre d'un traitement prophylactique à long terme. Nous pensons pouvoir annoncer d'autres résultats l'année prochaine. »

La cour considère, en conséquence, que les réserves et critiques désormais formulées dans le cadre de la présente instance doivent être nécessairement relativisées à l'aune de ces propos.

Sur ce, les résultats de l'étude [S] 3010 basée sur un essai clinique de phase I consistant en l'administration de doses uniques rivaroxaban allant de 1,25mg à 80 mg sur 103 volontaires sains portant sur l'examen de plusieurs paramètres, soit les profils pharmacodynamiques, pharmacocinétiques et le temps de saignement, enseignent sans ambiguïtés à la personne du métier que le rivaroxaban est sûr et bien toléré, ne favorise pas les hémorragies, le temps de saignement global n'étant pas prolongé quelle que soit la dose et que ses effets sur le facteur Xa se prolongent plus de 24 heures pour les doses plus élevées, ce qu'illustrent également les schémas reproduisant l'évolution de ces taux étudiée sur 24 heures, et pour certains sur 48 heures ( test aPTT
5: Abréviation anglaise de temps partiel de thromboplastine activée

et Heptest), mentionnent l'observation d'une demi-vie terminale de 3 à 4 heures après l'administration de la solution orale, mais ne recommandent aucune posologie, les critiques nourries de la société Bayer pour minimiser la portée de certaines de ces données étant manifestement de circonstance, eu égard à l'importance qu'elle a elle-même accordé à cette étude, avant que le brevet EP'961 ne soit divulgué, et aux multiples références qui y ont été faites ensuite par les médecins inventeurs de ce même brevet dans diverses publications.

La personne du métier a également connaissance des résultats de l'étude [S] 3004 qui porte sur l'administration à 64 volontaires sains, de doses multiples de rivaroxaban ( 5 mg, 10 mg, 20 mg et 30 mg deux fois par jour et 5 mg trois fois par jour), soit toutes les douze heures pendant 5 jours, de sorte que c'est à juste titre que la société Sandoz en déduit que cette étude ne pouvait pas éclairer utilement la personne du métier sur les effets de l'administration d'une dose unique de rivaroxaban au-delà de 12 heures. C'est, sous cette réserve, que la personne du métier comprendra que l'étude conclut à la bonne tolérance de l'administration orale du BAY 59-7939 à des doses allant jusqu'à 30mg deux fois par jour avec une durée demi-vie terminale de 4 à 6 heures, et qu'en tout état de cause, le rivaroxaban présente des propriétés pharmacodynamiques et pharmacocinétiques dépendantes de la dose prévisible, sans risque de saignement.

Le poster Harder divulgue, quant à lui, dès son introduction, que le rivaroxaban est bien toléré pour des doses uniques et multiples allant jusqu'à 30 mg avec une demi-vie terminale de 9 à 12 heures, dont il a été rappelé la nécessaire prise en compte pour l'adoption d'une posologie.

L'étude Harder mesure ainsi les effets du rivaroxaban sur la coagulation par le biais de trois tests pharmacodynamiques différents et permettent à l'homme du métier de constater, notamment au vu des graphiques reproduisant les résultats précis de l'étude, qu'une dose de 30mg rivaroxaban exerce un effet anticoagulant avéré pendant 12 heures avec un maintien de ses effets, selon les tests, jusqu'à 24 heures, l'abrégé ajoutant ainsi qu'une seule dose de 30 mg « exerçait un effet soutenu dans certains tests de génération de thrombine pendant une durée allant jusqu'à 24 heures ».

Le poster illustrant les résultats de cette étude divulgue donc à la personne du métier que « l'effet pharmacodynamique de longue durée du rivaroxaban [dont on rappelle qu'il a été testé avec une dose orale unique de 5mg et 30mg] suggère qu'il convient à une schéma posologique une fois par jour ».

L'abrégé Harder PO078 de la conférence ICT confirme ces conclusions mentionnant notamment « une seule dose de 30mg exerçait un effet soutenu sur la TG[génération de thrombine] pendant une durée allant jusqu'à 24 heures. »

Afin de dénier toute valeur probante à cette possible auto-divulgation de l'invention dans le cadre de l'étude Harder, la société Bayer conteste sur de très nombreux points la pertinence des données ainsi présentées, contestations qu'il convient d'examiner successivement.

En premier lieu, si, comme le relève la société Bayer, la durée de la demi-vie du rivaroxaban n'était pas précisément l'objet de l'étude Harder, l'appelante ne peut cependant être suivie quand elle affirme que cette mention de 9 à 12 heures constituerait une erreur manifeste, alors que cette étude a été faite à sa demande, qu'elle s'est déroulée sous le contrôle de médecins travaillant pour elle et de deux des inventeurs du brevet et qu'elle l'a mise en avant dans sa communication, sans qu'aucun démenti ou erratum soit publié afin de contredire la divulgation de cette information importante, même si cette mention a été retirée lors de la conférence ICT.

En outre, les attestations ou témoignages de certains des médecins ayant participé à cette étude, produits dans le cadre de la présente procédure ou dans les autres procédures judiciaires, ne corroborent nullement la thèse de l'erreur, la société Bayer étant elle-même revenue sur sa position dans le cadre d'une autre procédure judiciaire.

En tout état de cause, contrairement à ce que soutient la société Bayer, cette mention n'est pas contredite par le docteur Harder dans un article publié en 2007 avec le docteur [G] car, dans cet article, s'il est mentionné une durée demi-vie du rivaroxaban de 5 à 9 heures, c'est en référence aux études [S] 3004.

En deuxième lieu, la société Bayer met également en avant le fait que la durée de la demi-vie, mentionnée dans les documents [S] 3010 et 3004, soit respectivement 3 à 4 heures ou 4 à 6 heures, contredit pour la personne du métier les enseignements des documents Harder.

Cependant, la personne du métier constatera simplement à la lecture de ces documents, analysés dans leur ensemble, d'abord que la durée de la demi-vie la plus courte est relative à l'administration du rivaroxaban sous forme de solution orale, et non de comprimés, et qu'il existe une variabilité possible de la durée de la demi-vie du rivaroxaban en fonction de l'évolution des recherches, et ce d'autant qu'elle sait que la pharmacocinétique d'un médicament peut varier selon l'âge du patient, le processus de vieillissement entraînant possiblement un prolongement de la demi-vie d'élimination plasmatique, en lien notamment avec la baisse de la fonction rénale.

De plus, si le document [S] relate une durée de demi-vie limitée entre 3 à 6 heures, cette analyse n'est cependant pas reprise par le docteure [S] elle-même qui, dans une étude postérieure à la date de priorité, intitulée « Sécurité, pharmacodynamie et pharmacocinétique de doses uniques de BAY 59-7939, un inhibiteur direct du facteur Xa par voie orale » parue en 2005, commentant les mêmes résultats de l'étude [S] 3010 et notamment la figure 7 du poster (reprise en partie en figure 5A dans ce document ) en déduit, pour l'administration de doses supérieures à 10 mg de BAY 59-7939 sous forme de comprimés, que les demi-vies terminales étaient comprises entre 7 et 17 heures, contre 3 à 4 heures pour la solution orale de 5 mg, de sorte que l'interprétation de ces études et schémas [S], auxquels la personne du métier est habituée, ne l'aurait pas conduite à considérer, comme le soutient la société Bayer, que les enseignements des documents Harder sur une demi-vie de 9 à 12 heures constituaient nécessairement une erreur.

En conséquence, la personne du métier est informée de ce que la durée de la demi-vie du rivaroxaban administré sous forme de comprimés s'étale sur une plage comprise possiblement entre 4 et 12 heures.

En troisième lieu, la société Bayer conteste la valeur probante des résultats de l'étude au regard notamment de marges d'erreur trop importantes sur les figures ainsi que la fiabilité des tests utilisés.

Cependant, comme le soulève à juste titre la société Sandoz, si ces tests ou ces données avaient été jugés non pertinents, insuffisamment fiables ou erronés par la société Bayer, cette dernière ne les auraient pas divulgués, eu regard au nécessaire respect des règles éthiques propres à ce type d'essai, ce que sait la personne du métier, qui est, en outre, capable d'interpréter ce type de résultats.

De plus, la société Sandoz verse plusieurs pièces démontrant que certains des inventeurs du brevet EP'961 se sont expressément référés aux résultats de cette étude dans leur publication afin d'expliquer notamment les motifs qui les ont poussés à réaliser des essais cliniques de phase II portant notamment sur l'administration d'une dose de 30mg du rivaroxaban une fois par jour chez des patients, outre que deux des inventeurs du brevet ont choisi d'inclure précisément un des graphiques critiqués du poster Harder dans leur propre publication en 2007, sans que la marge d'erreur prétendue soit considérée comme dirimante, de sorte que la société Bayer ne peut soutenir désormais que la pertinence des tests dans l'étude Harder dans la détermination d'un régime posologique d'essai clinique de phase II était donc « nulle », pour la personne du métier.

Enfin, les documents communiqués par la société Sandoz obtenus dans le cadre d'autres contentieux judiciaires portant sur la même invention contredisent la thèse de la société Bayer, qui a admis que les informations issues de cette étude ont été communiquées aux investigateurs des essais cliniques de phase II portant sur le rivaroxaban.

Concernant les trois tests utilisés, soit les tests ETP, PITT et PiCT, la cour constate qu'ils étaient connus pour avoir fait l'objet de publications émanant de spécialistes de la matière entre les années 1990 et 2000, le fait que la personne du métier ne puisse pas éventuellement reproduire elle-même ces tests étant sans influence sur l'enseignement qu'ils apportent et que la personne du métier sait interpréter.

Enfin, dans la mesure où cette étude a été menée par des spécialistes du domaine et que la société Bayer a inclut elle-même les résultats de celle-ci dans un communiqué de presse établi dans le cadre du congrès ASH, comme il a été vu, témoignant ainsi de son importance à ses yeux, la personne du métier n'aurait pas été dissuadée de s'y référer au regard du nombre limité de participants, soit 12 volontaires, les essais cliniques de phase I pouvant porter sur un effectif restreint et ce d'autant que, pour les autres études [S] mises en avant par la société Bayer, le nombre de participants pour chaque dosage était parfois également limité.

Par conséquent, la cour retient, contrairement à ce que soutient la société Bayer, que la personne du métier aurait considéré les documents Harder comme une source très crédible s'agissant en outre d'une publication d'un groupe de recherche reconnu, spécialisé dans ce type d'études, cosignés par des experts, sous l'égide de la société Bayer, lui suggérant d'engager des recherches sur l'administration d'une dose de rivaroxaban une fois par jour dans le cadre du traitement des maladies thromboemboliques.

De plus, si, comme le souligne la société Bayer, aucun résultat d'étude portant sur les effets du rivaroxaban sur des patients n'était divulgué, la personne du métier était cependant informée de l'existence de tests cliniques de phase II en cours lancés par la société Bayer grâce à une publication dans « Research » le magazine scientifique de Bayer de novembre 2004 portant sur « la lutte contre les caillots de sang dangereux », selon une traduction non contestée.

Il y est décrit les études de phase I déjà menées et repris les propos du Docteur [S] selon laquelle, « en plus d'une très bonne tolérance et d'un excellent profil d'innocuité, le BAY 59-7939 a également démontré un effet anticoagulant dose-dépendant
6: Une dose plus élevée du médicament produit plus d'effets qu'une dose moindre.

». Il est également mentionné que ces résultats ont ouvert la voie aux études de phase II dans lesquelles le BAY 59-7939 est administré à des patients. L'article mentionne également que depuis le début de l'année 2004, la substance est testée dans deux autres études de phase II à grande échelle, « l'objectif est de déterminer la dose idéale pour la prévention de la thrombose » explique le Docteur [H], qui supervise le développement clinique du BAY 59-7939 au sein de Bayer. L'article précise également qu'il s'agit du tremplin vers l'étape finale avant l'autorisation de mise sur le marché, les études de phase III, et que les scientifiques de Bayer n'ont aucun doute quant au fait que cet obstacle final sera surmonté, l'inventeur de la substance Perzborn [mentionnée comme inventeur de EP 606] indiquant « notre inhibiteur du facteur Xa a le potentiel d'établir une nouvelle norme thérapeutique sur le marché des anticoagulants. »

Ces informations sont corroborées par un document Samama de 2003, qui indique que le BAY 59-7939 fait l'objet d'essais de phase II chez des patients ayant subi une chirurgie orthopédique de la hanche dont les résultats sont encourageants.

La personne du métier était enfin également informée de la teneur de certains de ces tests cliniques, dans le cadre de l'étude Einstein, qui portaient précisément sur l'administration à des patients d'une dose par jour de rivaroxaban pour trois dosages (20, 30 et 40 mg).

Comme l'a justement relevé le tribunal, les documents [S] et Harder mentionnent la prise orale comme le mode d'administration privilégié qui aurait donc été envisagé de manière évidente par la personne du métier, le document [S] 3010 mentionnant l'administration de comprimés.

En outre, à la date de priorité, le comprimé à libération rapide était, pour la personne du métier, un procédé d'administration commun, qu'elle était d'autant plus incitée à envisager au vu des constatations relatives à la pharmacodynamique du rivaroxaban et des informations divulguées dans le cadre du début de l'essai Einstein DVT mentionnant un comprimé « agissant rapidement ». De plus, la posologie de 30 mg une fois par jour, soit loin des doses maximales testées de 60 mg et 80 mg dans l'essai [S] 3010 ou d'une dose de 30 mg biquotidienne dans [S] 3004, était parfaitement compatible et justifiée avec l'emploi d'un comprimé à libération rapide pour la personne du métier.

La cour considère, en conséquence, partant de ces documents décrivant les résultats concordants et très complets de trois études cliniques de phase I portant sur des dosages et fréquences d'administrations variés, basés sur des tests différents, apportant ainsi de très nombreuses informations en terme de pharmacocinétique et de pharmacodynamique mais aussi d'innocuité et de tolérance, émanant d'experts de la société Bayer possédant une expertise particulière dans le domaine des anticoagulants, présentés lors de conférences spécialisées et prestigieuses dans ce domaine, divulguant la possible longue durée de demi-vie du rivaroxaban ainsi que ses effets anticoagulants pouvant se prolonger jusqu'à 24 heures, corroborés par l'annonce de plusieurs tests cliniques de phase II en cours, dont un test portant précisément sur l'administration d'une dose quotidienne d'un comprimé de 20 mg, 30 mg et 40 mg de rivaroxaban à des patients, corrélés aux publications de Bayer relatant que les investigateurs de ces essais étaient confiants quant à la sécurité et l'efficacité du rivaroxaban pour le traitement des troubles thromboemboliques, que la personne du métier, faisant face au problème technique à résoudre, aurait été incitée, au vu de cet art antérieur particulièrement complet, à considérer une dose orale unique quotidienne à 30 mg à libération rapide comme potentiellement efficace et méritant d'être testée, étant, en outre, cohérente avec la meilleure observance et le confort du patient, qui, s'ils ne sont pas déterminants, doivent nécessairement être pris en compte, et ce sans faire courir de risques inconsidérés aux patients conformément aux principes éthiques applicables, et ainsi à s'engager dans la voie de l'invention avec un espoir raisonnable de succès et ce d'autant que la recherche d'une posologie adaptée relève de tests de routine.

Sur les préjugés et incertitudes mis en avant par la société Bayer

La société Bayer met en avant cependant plusieurs arguments, incertitudes ou préjugés techniques qui, nonobstant ce contexte, auraient dissuadé l'homme du métier d'inclure dans les essais de phase II la dose de 30 mg de rivaroxaban une fois par jour.

Sur ce point, il convient de rappeler qu'en matière de brevet, l'OEB définit un préjugé comme un avis ou une idée préconçue largement ou universellement répandu parmi les experts dans ce domaine et qu'un préjugé doit normalement être démontré en faisant référence à la littérature technique appropriée, être partagé par l'opinion dominante et requiert, en tout état de cause, un degré élevé de preuve.

En outre, le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non contradictoire, réalisée à la demande d'une des parties (Cour de cassation, Ch. mixte 28 septembre 2012 n°11-18.710).

Dans ce contexte, les incertitudes et préjugés techniques opposés par la société Bayer qui reposent presque exclusivement sur les attestations ou avis d'experts mandatés par elle et qui ne sont corroborés par aucun autre élément de preuve ne peuvent suffire, à eux seuls, ne constituant pas le degré élevé de preuve requis, à établir un préjugé technique de nature à dissuader la personne du métier.

- Sur la fenêtre thérapeutique du rivaroxaban

Si, à la date de priorité, la fenêtre thérapeutique du rivaroxaban, premier de sa classe de médicament comme inhibiteur du facteur Xa, n'était pas précisément connue, faute d'avoir été testé sur des malades, la cour considère qu'il n'est nullement établi que, pour la personne du métier, le rivaroxaban présentait une marge thérapeutique nécessairement étroite, comme le soutient la société Bayer.

Ainsi, une publication de 2001 mentionne déjà que « l'un des avantages les plus intéressants des inhibiteurs directs du fXa par rapport à la thérapie conventionnelle est la fenêtre thérapeutique relativement importante entre efficacité antithrombotique et tendance au saignement » et une autre publication mise en ligne en août 2004, décrivant le développement des nouveaux anticoagulants, mentionne la fenêtre thérapeutique large d'un autre anticoagulant inhibiteur de la thrombine. De plus, le brevet de composé du rivaroxaban EP'606 mentionne que le but de l'invention est de rendre disponibles de nouvelles substances à large marge thérapeutique (« therapeutische Brandbreite ») et que les composés comprenant le rivaroxaban « se caractérisent, comparativement aux préparations usuelles destinées au traitement des maladies thromboemboliques, en particulier par le fait qu'une plus grande latitude thérapeutique est atteinte par l'inhibition sélective du facteur Xa. Cela signifie pour le patient un plus faible risque d'hémorragie et, pour le médecin traitant, une meilleure possibilité d'adaptation de la prescription ».

Il ne peut donc être retenu qu'il existait, pour la personne du métier, un préjugé technique relatif à la marge ou fenêtre thérapeutique nécessairement étroite du rivaroxaban.

En outre, il ressort des résultats des études de phase I déjà décrites, s'agissant des informations relatives à la possible limite haute de la fenêtre thérapeutique, qui fait partie du protocole de recherche habituel en ce qu'elle permet d'explorer le risque de surdosage et la sécurité du médicament, qu'elles concluent toutes à son bon profil de sécurité et à sa bonne tolérance, même à des doses plus élevées, que cela soit en prise unique jusqu'à 80 mg ou en une prise deux fois par jour sur des doses de 5 mg à 30 mg notamment.

S'agissant de la possible limite basse de la fenêtre thérapeutique du rivaroxaban, qui permet d'explorer en particulier son efficacité, la personne du métier sait, au vu de ses propriétés pharmacodynamiques, qu'il possède des propriétés dose-dépendantes avec une persistance de ses effets au moins pendant 12 heures, au-delà de la période d'inhibition maximale du facteur Xa, fixée entre 2 et 4 heures et que l'inhibition demeure élevée possiblement jusqu'à 24 heures pour certaines doses, le poster Harder évoquant, comme il a été vu, un effet pharmacodynamique de longue durée, au-delà de la durée de la demi-vie annoncée dans certains documents.

- Sur la durée courte de la demi-vie du rivaroxaban

La société Bayer considère que la durée courte de la demi-vie du rivaroxaban ou les incertitudes la concernant auraient dissuadé l'homme du métier de tester une posologie d'une fois par jour. Cependant, outre que l'étude Harder mentionne une demi-vie plus longue, suggère un schéma posologique une fois par jour et que des essais de phase II portant sur ce dosage ont été divulgués, la personne du métier sait que l'élaboration d'un schéma posologique n'est pas uniquement conditionnée par la durée de la demi-vie d'un médicament, même en l'absence de certitudes quant à sa fenêtre thérapeutique.

Sur ce point, la société Bayer soutient dans ses écritures que la demi-vie du rivaroxaban était le paramètre central permettant d'établir sa posologie qu'elle chiffrait alors dans une fourchette de 3 à 6 heures et verse un extrait du manuel de référence « Clinical Pharmacokinetics » de Rowland qui décrit la fréquence d'administration en fonction de l'index thérapeutique et de la durée de demi-vie d'un médicament. Ce document préconise ainsi, pour un médicament à faible index thérapeutique ayant une durée de vie de 3 à 8 heures, une fréquence d'administration toutes les demi-vies ou plus fréquemment (soit 3 à 6 doses par jour). Par contre, pour les médicaments à index thérapeutique plus élevé, il est préconisé une administration toutes les 1 à 3 demi-vies, « ou même moins fréquemment ».

Or, dans l'ensemble des tests divulgués par la société Bayer, il n'a jamais pourtant été envisagé l'administration de rivaroxaban, pour des doses supérieures à 10 mg, plus de deux fois par jour, soit en dehors des recommandations pour un médicament ayant une durée de vie de 3 à 6 heures, ce qui démontre que le lien entre la durée de la demi-vie et la fréquence de la posologie n'était pas le paramètre « central » pour la société Bayer ou qu'elle considérait, déjà, que sa fenêtre thérapeutique n'était pas aussi courte, analyse confortée par le docteure [S] elle-même qui a pu, à partir des mêmes études, mentionner une durée de demi-vie du rivaroxaban nettement plus allongée, analyse à laquelle serait, en tout état de cause, parvenue la personne du métier, qui est en mesure d'exploiter les résultats de tests cliniques, qui sait que la pharmacocinétique peut varier selon l'âge du patient et que ces données pharmacocinétiques ne peuvent, à elles seules, servir de base pour établir le schéma posologique d'un médicament, au risque de conduire à une fréquence de dosage supérieure à ce qui est nécessaire, et, enfin, que les données pharmacodynamiques sont toutes aussi importantes.

En outre, si la société Bayer évoque l'existence de deux autres anticoagulants présentant une demi-vie de 4 à 5 heures ayant justifié une administration deux fois par jour, il existait à la date de priorité d'autres nouveaux anti-coagulants oraux (NACO) présentant des durées de demi-vie très différentes justifiant des posologies variables, ne contraignant pas ainsi la personne du métier à n'envisager qu'une posologie biquotidienne.

Il n'est ainsi nullement démontré par la société Bayer qu'il existait pour la personne du métier un préjugé technique ne la poussant qu'à envisager l'essai d'une dose deux fois par jour.

- Sur les inquiétudes portant sur des essais cliniques sur des patients en matière d'anti-coagulants

Il est constant que la personne du métier obéit à des exigences éthiques et de prudence en matière d'essais portant sur la détermination d'un schéma posologique de médicament et que la réalisation de tests cliniques dans le domaine des anticoagulants nécessite une vigilance particulière afin d'éviter tout sous-dosage (risque de thrombose) ou surdosage (risque d'hémorragie).

Cependant, la personne du métier, telle que définie, est habituée à réaliser de tels tests cliniques dans ce domaine et a les connaissances nécessaires pour maitriser les risques inhérents à ce type d'essais chez des patients. De plus, elle est également informée de l'existence de plusieurs essais cliniques de phase II et de phase III dans le domaine des anticoagulants, y compris concernant des inhibiteurs du facteur Xa.

La société Bayer estime cependant que les résultats présentés comme inquiétants des essais de phase II du rasaxaban, un autre inhibiteur oral du facteur Xa développé en parallèle du rivaroxaban par le Laboratoire Bristol-Myers Squibb, auraient détourné la personne du métier d'essayer un dosage avec une fréquence d'administration une fois par jour.

Sur ce, à la date de priorité, s'agissant des tests portant sur le rasaxaban, la personne du métier était informée, grâce à la publication Lassen parue dans la revue Blood du Journal of the American society of hematology de novembre 2003, que des essais phase II avaient été menés sur des patients subissant une arthroplastie totale élective du genou portant sur quatre bras de dosages de rasaxaban de 25 mg, 50 mg, 75 mg et 100 mg administrés deux fois par jour. Cette étude mentionne que les trois doses les plus élevées ont été arrêtées en raison de l'augmentation des rapports de saignement principalement au site chirurgical. Cependant, l'auteur conclut que le rasaxaban, à la dose de 25 mg deux fois par jour, semble intéressant pour prévenir la thromboembolie veineuse après une chirurgie orthopédique majeure, avec une efficacité accrue et une sécurité similaire à l'énoxaparine à 30 mg deux fois par jour, soit un des anticoagulants de référence lors des tests. L'information divulguée dans un article [R] du 15 janvier 2005 ne diffère pas de cette publication faisant état des mêmes informations.

Enfin, les seules attestations produites par la société Bayer provenant essentiellement de ses experts ou des inventeurs, qui ne sont corroborées par aucun autre élément, ne suffisent à démontrer qu'à la date de priorité, la personne du métier disposait d'informations supplémentaires, l'annonce de l'arrêt total des essais ayant été divulguée après la date de priorité.

Aussi, la cour considère que les informations ainsi communiquées sur les essais de phase II du rasaxaban, un autre inhibiteur oral du facteur Xa, au vu du contexte déjà rappelé et des divulgations opérées sur les essais portant sur le rivaroxaban lui-même, n'étaient pas de nature à dissuader la personne du métier, ou l'auraient, tout au plus, incitée à faire preuve de la prudence habituelle en matière d'essais cliniques de phase II, en évitant l'administration de doses élevées et trop répétées, ce qui pouvait au contraire l'inviter à envisager une dose unique quotidienne.

La moindre solubilité prétendue du rivaroxaban, également opposée par la société Bayer, ne ressort que de l'étude [S] 3010 et n'est évoquée que pour les doses plus élevées, pour lesquelles l'absorption est moins proportionnelle.

Par ailleurs, les éléments de preuves communiqués par la société Bayer afin d'accréditer l'existence d'inquiétudes quant à la faisabilité de l'étude avec une posologie d'une fois par jour, soit un mail en partie caviardé et des attestations de ses experts, notamment le docteur [H], co-inventeur, le docteur [Z], président du comité de pilotage externe de la première étude de phase II du rivaroxaban [ODIXa6HIP] conduite par la société Bayer et consultant de Bayer, ou encore le professeur [Y], membre des organes directeurs des études phase II ODIXa conduites par la société Bayer sur le rivaroxaban, qui a perçu également des honoraires en qualité de consultante de Bayer, sont insuffisantes pour caractériser un préjugé technique et pour en déduire que la personne du métier aurait été dissuadée d'entreprendre des essais de phase II sur une dose unique de 30 mg, les craintes ainsi mises en avant pour les besoins de la présente procédure par la société Bayer ne ressortant au demeurant nullement de sa propre communication, lors de la publication des résultats de ces trois études.

Enfin, la divulgation des résultats concluants et très complets des essais cliniques de phase I, dont une partie portait déjà sur une administration une fois par jour de 30mg de rivaroxaban, corrélée à l'annonce de la réalisation d'essais de phase II en cours sur des patients précisément sur ce dosage, permet de considérer qu'il n'existait pas de préjugés techniques quant à des dangers spécifiques à poursuivre des essais cliniques sur des patients pour ce dosage, dissuadant la personne du métier à poursuivre dans cette voie.

- Sur la nécessité pour la personne du métier de s'éloigner de la voie routinière

La société Bayer considère encore que la posologie revendiquée ne résultait pas d'un travail de routine, ses chercheurs ayant dû notamment se livrer à une étude chez des volontaires sains d'interaction entre le rivaroxaban et l'énoxaparine afin que celle-ci puisse être utilisée comme médicament de secours chez les patients qui testaient les effets du rivaroxaban et ainsi rassurer les autorités de tutelle, et avoir procédé à une étude à dose croissante, et non au « gold standard » des études cliniques.

Sur ce, outre que cet argument a été opposé tardivement par la société Bayer, la cour constate que l'énoxaparine était déjà utilisée comme bras comparateur dans les essais cliniques de phase II portant sur les anticoagulants, étant à l'époque le traitement et le comparateur de référence et que la personne du métier savait que l'administration d'héparine (l'énoxaparine étant une héparine de bas poids moléculaire) constitue un traitement indiqué en cas d'éventuel sous-dosage et de formation d'une thrombose et, possiblement, un traitement d'urgence pour le patient objet des tests, outre que l'étude d'interaction, qui n'a été réalisée que chez des volontaires sains et non des malades, s'imposait au vu des directives de l'agence européenne du médicament, ce que n'ignorait pas la personne du métier.

La société Sandoz démontre en outre que les études cliniques de phase II à doses croissantes étaient connues et pratiquées par la personne du métier à la date de priorité, y compris dans le domaine des anticoagulants, de sorte que celle-ci, faisant preuve d'une attitude prudente et soucieuse d'éviter les risques liés à un éventuel surdosage, aurait nécessairement eu recours à cette pratique, le fait que cette forme d'essai clinique soit plus coûteuse en temps et en ressources n'étant pas rédhibitoire dans le contexte d'une première détermination d'un schéma posologique du rivaroxaban.

Ainsi, la personne du métier, soucieuse de respecter les considérations éthiques et de minimiser et contrôler les risques pour les patients, disposait de moyens connus et accessibles, par le biais de tests de routine et de traitement d'urgence, lui permettant de s'assurer du risque tant de saignement (surdosage) que de thrombose (sous-dosage).

La cour considère en conséquence, après avoir examiné l'ensemble des pièces produites par la société Bayer, que les arguments mis en avant par celle-ci ne constituent pas des préjugés techniques ou incertitudes qui auraient dissuadé la personne du métier de considérer une dose unique quotidienne de 30 mg de rivaroxaban, nouvel anti-coagulant, comme potentiellement efficace et méritant d'être testée chez des patients.

Aussi, la personne du métier, respectueuse des considérations éthiques, au vu de l'art antérieur déjà divulgué et à l'aide de ses connaissances et de tests de routine, aurait été incitée à envisager ce schéma posologique et à l'inclure dans des essais cliniques de phase II, de sorte que, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la demande de communication de pièces supplémentaires, la revendication 1 du brevet doit être déclarée nulle pour défaut d'activité inventive et le jugement déféré confirmé de ce chef.

La revendication 2, placée dans la dépendance de la revendication 1, puisqu'elle porte sur l'utilisation du rivaroxaban selon la revendication 1 et ne fait qu'énumérer les différents troubles thromboemboliques pouvant être traités, qui étaient déjà cités dans le brevet de composé EP'606, ne revêt donc pas davantage d'activité inventive et doit être également déclarée nulle, le jugement critiqué étant confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

La société Bayer, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

Enfin, l'équité et la situation des parties commandent de condamner la société Bayer à verser à la société Sandoz une somme de 200.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Bayer Intellectual Property Gmbh aux dépens d'appel,

Condamne la société Bayer Intellectual Property Gmbh à verser à la société Sandoz une somme de 200.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site