CA Paris, Pôle 5 - ch. 1, 9 juillet 2025, n° 24/09599
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 1
ARRÊT DU 09 JUILLET 2025
(n°115/2025, 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/09599 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJPRB
Décision déférée à la Cour : ordonnance du 21 mai 2024 du Président du tribunal judiciaire de Paris - RG n° 24/50842
APPELANT
M. [J] [V]
Né le 17 novembre 1969 à [Localité 5] (94)
De nationalité française
Dirigeant de société
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Adrien AULAS de l'AARPI LIGHTEN, avocat au barreau de PARIS, toque G 808
Substitué à l'audience par Me Mathias LE MASNE DE CHERMONT de l'AARPI LIGHTEN, avocat au barreau de PARIS, toque G 808
INTIMÉE
TRAVAIL ENTRAIDE
Association loi 1901 enregistrée au répertoire national des associations sous le numéro W772000936, ayant son siège social
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Samuel LEMAÇON de la SELAFA JEAN-CLAUDE COULON & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque K2
Substitué à l'audience par Me Christophe ROUX de la SELAFA JEAN-CLAUDE COULON & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque K2
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 mai 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre chargée d'instruire l'affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport, et Mme Françoise BARUTEL, conseillère.
Mmes Isabelle DOUILLET et Françoise BARUTEL ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
- Mme Isabelle DOUILLET, présidente,
- Mme Françoise BARUTEL, conseillère,
- Mme Déborah BOHEE, conseillère.
Greffier lors des débats : M. Soufiane HASSAOUI
ARRÊT :
contradictoire ;
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
signé par Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, et par Mme Carole TRÉJAUT, greffière présente lors de la mise à disposition et auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
L'association TRAVAIL ENTRAIDE, constituée en juin 1988, a pour objet statutaire l'accompagnement des demandeurs d'emploi et des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (désormais revenu de solidarité active, RSA) vers une réinsertion professionnelle durable.
M. [J] [V] indique avoir occupé, au sein de cette association, les fonctions de directeur adjoint, puis de directeur, jusqu'à son départ en 2022.
Il est titulaire de la marque verbale française « RALLYE EMPLOI », enregistrée sous le n°4164419 (ci-après, la marque n° 419), déposée le 12 mars 2015 pour désigner notamment des « services d'éducation et de formation » en classe 41.
Soutenant avoir développé, dans le cadre de ses fonctions, des actions sous le nom « Rallye Emploi », M. [V] indique avoir autorisé l'association, à titre de tolérance exceptionnelle et non contractuelle, à poursuivre jusqu'au 31 décembre 2023 les actions initiées pendant la durée de son contrat de travail, sans que cette autorisation puisse être étendue au-delà.
Ayant constaté, sur une publication diffusée sur la page Facebook de l'association TRAVAIL ENTRAIDE, l'organisation annoncée pour l'année 2024 d'un nouvel événement intitulé « Rallye Emploi », consistant en une opération d'une durée de huit jours en Seine-et-Marne, bénéficiant notamment du soutien financier du département et du Fonds Social Européen +, M. [V] a considéré que cette initiative portait atteinte à ses droits sur la marque précitée.
Il a, en conséquence, adressé à l'association TRAVAIL ENTRAIDE une mise en demeure de cesser tout usage du signe « Rallye Emploi », par courrier en date du 14 novembre 2023.
En l'absence de réponse l'ayant satisfait, M. [V] a, par acte de commissaire de justice en date du 19 décembre 2023, assigné l'association TRAVAIL ENTRAIDE devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, sollicitant l'interdiction provisoire de l'usage de sa marque, ainsi qu'une indemnisation provisionnelle en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi.
Par ordonnance de référé rendue le 21 mai 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :
- écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. [V] ;
- rejeté les demandes de M. [V] fondées sur la marque verbale française 'RALLYE EMPLOI' n°419 ;
- rejeté la demande de l'association TRAVAIL ENTRAIDE en procédure abusive ;
- condamné M. [V] aux dépens ;
- condamné M. [V] à payer 4 000 euros à l'association Travail Entraide en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 14 juin 2024, M. [J] [V] a interjeté appel de cette ordonnance.
Dans ses premières conclusions d'appelant, transmises le 3 juillet 2024, M. [V] demande à la cour :
- d'infirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a :
- rejeté les demandes de M. [V] fondées sur la marque verbale française « RALLYE EMPLOI » numéro 4164419 ;
- condamné M. [V] aux dépens ;
- condamné M. [V] à payer 4000 euros à l'association Travail Entraide en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- et, statuant de nouveau :
- d'ordonner à l'association Travail Entraide de cesser immédiatement tout usage de la marque « RALLYE EMPLOI » (marque française n°4164419) pour désigner des services d'éducation ou de formation, et en particulier pour désigner le programme de formation qu'elle annonce s'apprêter à mettre en 'uvre en 2024 dans le département de Seine-et-Marne, ce sous astreinte de 250,00 euros par jour où l'utilisation de la marque serait constatée ;
- d'ordonner à l'association Travail Entraide d'informer par écrit, sous 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir et sous astreinte de 250,00 euros par jour de retard, l'ensemble des collaborateurs, partenaires institutionnels et organismes publics avec lesquels elle est entrée en contact en utilisant le nom « Rallye Emploi » pour désigner un service d'éducation ou de formation, dont en particulier le département de Seine-et-Marne et l'entité ayant attribué la subvention au titre du Fonds Social Européen +, de ce qu'elle n'est pas autorisée à utiliser ce nom pour désigner des programmes d'éducation ou de formation en raison des droits de marque détenus par M. [V] sur ce nom ;
- d'ordonner à l'association Travail Entraide de rapporter à M. [V] la preuve écrite de la bonne délivrance de l'information ordonnée au point précédent, ce dans le même délai de 8 jours et sous astreinte de 250,00 euros par jour de retard ;
- d'autoriser M. [V] à donner copie de la décision à intervenir à tout tiers auprès duquel il constaterait que l'association Travail Entraide a utilisé le nom « Rallye Emploi » pour désigner un service d'éducation ou de formation ;
- de condamner l'association Travail Entraide à verser à M. [V], à titre d'indemnité provisionnelle, la somme de 10 000 euros ;
- sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance :
- à titre principal, de condamner l'association Travail Entraide à verser à M. [V] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
- à titre subsidiaire, dire n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en application du dernier alinéa de cet article ;
- à titre infiniment subsidiaire, limiter toute condamnation de M. [V] à ce titre à la somme d'un euro symbolique ;
- sur les frais irrépétibles et les dépens en cause d'appel :
- de condamner l'association Travail Entraide à verser à M. [V] la somme de 800,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans des dernières conclusions, transmises le 1er août 2024, l'association TRAVAIL ENTRAIDE, intimée, demande à la cour de :
Vu les articles L. 711-2, L. 714-6, et L. 716-4-6 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article 1240 du code civil,
- sur l'appel principal de M. [V] :
- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté les demandes de M. [V] fondées sur la marque verbale française 'RALLYE EMPLOI' n°4164419 et l'a condamné aux dépens ainsi qu'à payer 4.000 euros à l'association Travail Entraide en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- subsidiairement,
- juger n'y avoir lieu à référé sur les demandes d'interdiction d'usage et d'indemnité provisionnelle formées par M. [V] à l'encontre de l'association TRAVAIL ENTRAIDE, concernant la marque « RALLYE EMPLOI » dont il se prévaut ;
- débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- sur l'appel incident de l'association TRAVAIL ENTRAIDE :
- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté la demande de l'association Travail Entraide en procédure abusive ;
- statuant à nouveau, condamner M. [V] à payer à l'association TRAVAIL ENTRAIDE la somme de 3.000 euros pour procédure abusive ;
- en tout état de cause :
- condamner M. [V] à payer à l'association TRAVAIL ENTRAIDE la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Monsieur [V] aux entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 mars 2025.
M. [V] a transmis des conclusions numérotées 2 le 12 mai 2025, pour demander à la cour, en sus de ses demandes présentées dans ses écritures transmises le 3 juillet 2024, de rejeter la demande présentée par l'association Travail Entraide, dans le cadre de son appel incident, au titre de l'action abusive ; il a en outre fixé à 1 400 € sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel et versé une nouvelle pièce n° 17.
L'association TRAVAIL ENTRAIDE a transmis des conclusions d'incident, le 23 mai 2025, pour demander à la cour :
Vu les articles 122, 123, 905, 906-2 et 914-3 du code de procédure civile,
Vu l'ordonnance de clôture du 12 mars 2025,
- de déclarer irrecevables les conclusions de M. [V] signifiées le 12 mai 2025 ;
- de déclarer irrecevable la pièce n°17 et de l'écarter des débats ;
- de condamner M. [V] aux dépens de l'incident.
A l'audience du 28 mai 2025, après avoir entendu les parties en leurs observations sur l'incident de procédure et en avoir délibéré, la cour a déclaré irrecevables les conclusions numérotées 2 signifiées le 12 mai 2025 par M. [V] et sa pièce 17, comme indiqué sur le plumitif de cette audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur le chef de l'ordonnance non critiqué
L'ordonnance n'est pas critiquée en ce qu'elle a écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. [V] soulevée par l'association TRAVAIL ENTRAIDE.
Sur le caractère vraisemblable de l'atteinte à la marque « RALLYE EMPLOI » de M. [V]
M. [V] fait valoir que dans le cadre de ses fonctions successives au sein de l'association TRAVAIL ENTRAIDE, il a personnellement imaginé, initié et développé les actions « Rallye Emploi », ainsi qu'il ressort de plusieurs attestations, dont celle du directeur en poste à cette époque ; que tous les événements « Rallye Emploi » mis en 'uvre par l'association TRAVAIL ENTRAIDE sont ainsi le fruit de son travail personnel, de même que le nom « Rallye Emploi » a été son choix personnel ; qu'il a toujours été clair, entre M. [V] et l'association qu'il ne mettrait ces événements et ce nom « Rallye Emploi » au service de l'association qu'aussi longtemps qu'il en serait salarié, et qu'il en recouvrerait la jouissance exclusive dès lors qu'il cesserait de travailler pour l'association ; que c'est ainsi, de façon parfaitement transparente, qu'il a déposé, en 2015, la marque « RALLYE EMPLOI », la direction et le conseil d'administration de l'association étant informés de ce dépôt et n'y ayant opposé aucune contestation ; que l'exploitation de la marque par TRAVAIL ENTRAIDE, avec le consentement de M. [V], a largement profité à l'association qui a pu réunir plusieurs centaines de milliers d'euros en l'espace de quelques années ; que lors de son départ de l'association en 2022, M. [V] a fait savoir à l'association qu'il l'autorisait seulement, à titre de tolérance exceptionnelle et non contractuelle, à mener à leur terme les actions « Rallye Emploi » initiées pendant ses fonctions, sans que ces actions puissent continuer, en toute hypothèse, au-delà du 31 décembre 2023 ; que l'association n'a répondu à aucun de ces courriers ; qu'en l'absence d'une quelconque cession ou licence à son profit, l'association ne dispose donc, depuis le 1er janvier 2024, d'aucun droit pour utiliser le signe « Rallye Emploi » pour désigner des services d'éducation et de formation (visés par la marque) ; que la bonne foi étant présumée, c'est à l'association de démontrer que le dépôt de la marque a été effectué, de façon manifeste, de mauvaise foi, et ce, au jour du dépôt ; qu'à cet égard, s'il est constant que M. [V] connaissait nécessairement l'utilisation du signe « Rallye Emploi » par l'association, le juge n'a pas caractérisé les droits dont aurait disposé l'association du fait de l'usage antérieur de ce signe, ni l'intention de M. [V] de nuire à l'association, notamment en la privant de ce signe, d'autant que plusieurs attestations confirment que M. [V] a été parfaitement transparent vis-à-vis de l'association concernant le dépôt de la marque et que cette dernière a approuvé ce dépôt ; qu'il y a lieu de tenir compte également de ce que l'association n'a formé aucune opposition à la demande d'enregistrement de la marque, ni revendiqué la titularité sur cette marque avant l'action engagée par M. [V] ; que le directeur de l'association au moment du dépôt atteste qu'il y avait un accord tacite autorisant l'association à utiliser le signe sans payer de redevance, sous la seule réserve que cette autorisation ne durerait que tant que M. [V] serait en poste au sein de l'association ; que la transparence dont a fait preuve M. [V] dès le dépôt de la marque, et le fait qu'il ait permis à l'association de jouir de la marque pendant 7 années, excluent toute mauvaise foi ; qu'en l'absence de démonstration de la mauvaise foi de M. [V], la titularité de la marque n'est plus contestable et les délais de 5 ans prévus par les articles L.712-6 et L.716-2-8 du code de la propriété intellectuelle, concernant respectivement la prescription de l'action en revendication et la forclusion de l'action en nullité du fait de la tolérance du titulaire du droit antérieur allégué, sont expirés ; que les demandes subsidiaires de l'association en nullité de la marque pour défaut de caractère distinctif et en déchéance de la marque comme étant devenue la désignation usuelle des services en cause ne sont pas fondées.
L'association TRAVAIL ENTRAIDE soutient que, comme le juge des référés l'a retenu, les demandes de M. [V] sont infondées à défaut du caractère vraisemblable de l'atteinte alléguée. Elle fait valoir que le dépôt a en effet été effectué de mauvaise foi, avec une intention frauduleuse, l'association utilisant depuis au moins l'année 2010 les termes « Rallye Emploi » pour désigner des réunions sur l'emploi ; que M. [V], salarié depuis 2003, puis devenu directeur adjoint en janvier 2013, puis directeur en mai 2017, avait nécessairement connaissance de cet usage ; que l'intention de M. [V] était de se servir de sa marque pour troubler l'activité de son ancien employeur ; qu'il n'avait en effet aucun autre intérêt de déposer cette marque en 2015 que celui de s'approprier à l'insu de son employeur une dénomination qu'il savait nécessaire à son activité ; qu'il n'a pas exploité cette marque pour lui-même, ni ne l'a donnée sous licence, ni ne l'a protégée contre des utilisations de tiers comme en témoignent les nombreuses occurrences trouvées sur internet ; qu'en tentant d'obtenir un monopole sur ces termes, au détriment de son employeur, M. [V] s'est préconstitué un moyen de pression efficace contre l'association, dans l'hypothèse, qui s'est révélée, où il ne serait plus salarié de cette association ; que l'ordonnance de référé est suffisamment motivée, la démonstration de la mauvaise foi relevant du fond de l'affaire ; que les deux attestations produites, peu précises et douteuses dès lors que leurs auteurs, anciens salariés de l'association, sont liés à M. [V], ne permettent pas d'établir que les organes de direction de l'association avaient connaissance du dépôt à titre de marque d'un signe nécessaire à l'activité de l'association et qu'ils l'avaient autorisé ; que ces attestations sont démenties par les pièces et témoignages produits par l'association ; qu'en réalité, M. [V] a tenu confidentiel son dépôt de marque au moment où il l'a effectué ; que le fait qu'il l'ait révélé par la suite à des membres isolés de l'association, puis à son président au moment de son départ, ne permet pas d'écarter sa mauvaise foi au moment du dépôt ; que les dispositions des articles L.712-6 et L.716-2-8 du code de la propriété intellectuelle, citées pour la première fois en cause d'appel, relatives à l'action en nullité ou en revendication, ne peuvent sérieusement être opposées à l'association défenderesse à une action en contrefaçon, les moyens de défense étant par principe imprescriptibles ; que subsidiairement, la marque était dépourvue de caractère distinctif au jour du dépôt ; que plus subsidiairement, la marque est devenue la désignation usuelle des services en cause, étant utilisée de manière générique dans de nombreuses manifestations liées à l'emploi depuis 2015 et jusqu'à aujourd'hui.
Ceci étant exposé, l'article L. 716-4-6 du code de la propriété intellectuelle dispose notamment que « Toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon. (...)
Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente.
La juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise entre les mains d'un tiers des produits soupçonnés de porter atteinte aux droits conférés par le titre, pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux (') Pour déterminer les biens susceptibles de faire l'objet de la saisie, elle peut ordonner la communication des documents bancaires, financiers, comptables ou commerciaux ou l'accès aux informations pertinentes.
Elle peut également accorder au demandeur une provision lorsque l'existence de son préjudice n'est pas sérieusement contestable (...) ».
Le caractère vraisemblable de l'atteinte alléguée dépend, d'une part, de l'apparente validité du titre sur lequel se fonde l'action et, d'autre part, de la vraisemblance de la contrefaçon alléguée.
En application de l'article L. 711-2-11° du code de la propriété intellectuelle, « Ne peuvent être valablement enregistrés et, s'ils sont enregistrés, sont susceptibles d'être déclaré nuls : (')
11° Une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur ».
En l'espèce, l'association TRAVAIL ENTRAIDE soutient que le dépôt de la marque « RALLYE EMPLOI » par M. [V], le 12 mars 2015, a été manifestement effectué de mauvaise foi, ce qui rend non vraisemblable l'atteinte alléguée.
Il n'est pas contesté que M. [V], salarié au sein de l'association TRAVAIL ENTRAIDE depuis le 1er février 2003, d'abord en qualité de conseiller d'insertion chargé de l'accompagnement vers l'emploi des bénéficiaires du RMI, puis promu au poste de directeur adjoint, statut cadre, à compter du 1er janvier 2013, enfin devenu directeur à compter du 2 mai 2017, connaissait l'usage par cette association, depuis au moins l'année 2010 et de façon récurrente ensuite, des termes « Rallye Emploi », cet usage étant attesté par les rapports d'activité de ladite association pour les années 2010 et 2011 et un compte-rendu du conseil d'administration du 13 avril 2016.
Il s'en déduit que M. [V] ne pouvait ignorer, au moins depuis son accession au poste de directeur adjoint au tout début de l'année 2013, que l'usage du signe « Rallye Emploi » par l'association, dont l'activité vise, comme il a été exposé, à accompagner des personnes vers l'emploi, était nécessaire à son activité. Il résulte au demeurant d'un courriel adressé le 25 octobre 2023 par M. [V] au nouveau directeur de l'association, qu'il connaissait parfaitement l'importance de ces termes pour l'activité de son ancien employeur : « Comme tu le sais, j'ai déposé la marque RALLYE EMPLOI en 2015 en mon nom propre. J'ai mis cette marque à la disposition de Travail Entraide dès son dépôt, en ma qualité de Directeur adjoint puis de Directeur, ce qui a permis de nouer des partenariats fructueux sur le plan social et économique avec plusieurs financeurs durant ces 8 dernières années ».
Les droits de l'association sur l'usage antérieur au dépôt du signe « Rallye Emploi » sont ainsi suffisamment établis sans qu'il soit besoin pour cette dernière de se prévaloir de l'utilisation de ces termes à titre de nom commercial ou d'enseigne, comme le soutient M. [V].
Pour contester toute mauvaise foi, M. [V] prétend qu'il a agi en toute transparence, d'une part, en informant son employeur du dépôt de sa marque à l'époque de ce dépôt, d'autre part, en mettant gracieusement cette marque à la disposition de l'association pendant 7 années. Il produit à cette fin l'attestation de M. [O], directeur de l'association TRAVAIL ENTRAIDE de décembre 2014 à octobre 2016, qui relate que M. [V] a conçu un dispositif d'accompagnement intitulé « Rallye Emploi » et qu'il a déposé la marque éponyme en son nom propre en 2015, ce dont le comité de direction et les élus du conseil d'administration ont été « parfaitement et régulièrement informés », personne à sa connaissance ne s'étant opposé à cette démarche, que M. [V] a mis la marque à la disposition de l'association, lui permettant ainsi de nouer de fructueux partenariats avec plusieurs collectivités, et qu'il existait un accord tacite entre M. [V] et les élus du conseil d'administration selon lequel aucune redevance ne serait demandée à l'association tant que se poursuivrait la relation contractuelle de travail entre M. [V] et l'association. Est produite également l'attestation de Mme [X], salariée de l'association de juin 2010 à décembre 2022, qui témoigne de ce qu'elle a toujours été informée, « ainsi que les membres de [son] équipe et d'autres salariés », que la marque « RALLYE EMPLOI » était la propriété de M. [V] même s'il n'en faisait pas ostensiblement publicité, et qu'à sa connaissance, M. [V] n'a jamais perçu de rémunération pour la mise à disposition de la marque. M. [V] verse encore en cause d'appel le témoignage de M. [B] qui atteste qu'il a travaillé pour TRAVAIL ENTRAIDE de 2014 à 2023 via sa micro entreprise qui assurait le déploiement et la maintenance informatique ainsi que la gestion des sites internet de l'association, et qu'il était informé dès 2015 de ce que l'hébergement du domaine rallye-emploi.fr était la propriété de [J] [V], qui en finançait l'hébergement, de même que la marque associée « RALLYE EMPLOI », que la propriété de la marque par M. [V] était un fait connu des membres de l'association, de la gouvernance et de la direction de l'époque.
Cependant, l'association TRAVAIL ENTRAIDE verse au débat, de son côté, le témoignage de M. [K], administrateur de l'association depuis les années 1990 et son actuel président, qui indique qu'il a été informé du dépôt de la marque par M. [V] seulement au moment du départ de celui-ci dans le cadre d'une rupture conventionnelle en mai 2022, que M. [V] lui a alors précisé qu'il autoriserait l'association à utiliser la dénomination « Rallye Emploi » gratuitement pour des actions menées dans le département de Seine et Marne mais qu'il demanderait des royalties pour un usage en dehors de ce cadre. L'intimée produit aussi l'attestation de Mme [E], administratrice de l'association en 2015, qui témoigne de ce que M. [V] l'a informée lors d'une conversation « probablement en 2018 ou 2019 », alors qu'il était directeur, qu'il avait déposé la marque « RALLYE EMPLOI », que jamais cela n'avait été discuté en conseil d'administration et qu'il gardait cette information confidentielle ; elle ajoute qu'elle a été surprise de constater qu'il s'appropriait ainsi une idée alors que de nombreuses associations d'insertion utilisaient déjà les mêmes termes pour des actions similaires.
Ces deux derniers témoignages sont corroborés par le fait que, malgré l'importance des termes « Rallye Emploi » pour l'activité de l'association, telle que mise en avant par M. [V] lui-même et rapportée par le témoignage de M. [O] qu'il produit, le dépôt de la marque et sa mise à disposition à titre gracieux mais limité dans le temps par son titulaire ne ressortent d'aucun document officiel de l'association (rapports d'activité, procès-verbal d'assemblée, compte-rendu du conseil d'administration, accord d'utilisation de la marque, convention signée entre l'employeur et le salarié lors du départ de M. [V] en juin 2022'). Les comptes-rendus des conseils d'administration de l'année 2015, année du dépôt de la marque, qui sont versés au débat par l'intimée, ne font aucune mention du dépôt.
Il est dès lors peu vraisemblable que le dépôt de la marque et sa mise à disposition à titre gratuit par M. [V] aient été connus de l'association.
Ces éléments, pris dans leur ensemble, jettent un doute sérieux sur la validité de la marque « RALLYE EMPLOI » revendiquée par M. [V].
La validité de la marque étant ainsi sérieusement remise en cause, le caractère vraisemblable de l'atteinte portée à la marque n'est pas établi et l'action en référé de M [V] ne peut prospérer.
Enfin, les délais de 5 ans prévus par les articles L.712-6 et L.716-2-8 du code de la propriété intellectuelle, qui concernent respectivement l'action principale en revendication de marque et l'action principale en nullité de marque, ne paraissent pas pouvoir être opposés valablement à l'association TRAVAIL ENTRAIDE qui est défenderesse dans le cadre d'une action en contrefaçon de marque initiée par M. [V].
L'ordonnance entreprise sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes de M. [V] fondées sur la marque verbale française « RALLYE EMPLOI », sans qu'il soit besoin d'examiner le surplus de l'argumentation des parties, présenté à titre subsidiaire, relativement à la nullité de la marque pour défaut de distinctivité et à la déchéance des droits du titulaire de la marque en raison de la dégénérescence de cette marque, devenue la désignation usuelle des produits ou services désignés.
Sur la demande indemnitaire de l'association TRAVAIL ENTRAIDE pour procédure abusive
L'association TRAVAIL ENTRAIDE soutient que la demande en référé introduite par M. [V] constitue une procédure abusive justifiant l'octroi de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil. Elle fait valoir que contrairement à ce qu'a retenu l'ordonnance entreprise, le juge des référés peut accorder des dommages et intérêts en cas d'abus de procédure, même s'il ne statue pas sur le fond ; qu'en l'espèce, M. [V] est manifestement animé par une intention de nuire, ayant déposé la marque « RALLYE EMPLOI » alors qu'il était encore salarié, en connaissance de l'utilisation antérieure et essentielle de ce terme par l'association, et n'ayant révélé ce dépôt qu'au moment de son départ en 2022, dans le but d'exercer une pression sur son ancien employeur ; que le déclenchement de son action, fondée sur une marque manifestement invalide, déposée de mauvaise foi, relève d'un comportement déloyal et fautif ; qu'elle subit de ce fait un préjudice, se voyant menacée dans son activité, l'utilisation de l'expression « Rallye Emploi », qu'elle utilisait de manière paisible depuis bientôt 14 années, étant essentielle pour son activité, dans ses communications publiques mais également dans ses projets de demandes de subventions.
Ceci étant exposé, il est rappelé que l'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, seule une faute dans l'exercice des voies de droit est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
En l'espèce, même si les éléments soumis à la cour sont de nature à jeter un doute sérieux sur la validité de la marque « RALLYE EMPLOI » revendiquée par M. [V], et à rendre vraisemblable l'existence d'un dépôt effectué de mauvaise foi par ce dernier, l'appréciation de la réalité de cette mauvaise foi, de l'existence du préjudice invoqué et du lien de causalité entre eux appartiendra aux juges du fond, alors que comme l'a relevé le juge des référés, seul ce dernier peut prononcer l'annulation ou le transfert d'une marque déposée de mauvaise foi.
Il y a donc lieu de confirmer également l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté la demande de l'association TRAVAIL ENTRAIDE pour procédure abusive et de débouter l'association de sa demande en ce qu'elle serait présentée pour la procédure d'appel.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
M. [V], partie perdante, sera condamné aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'il a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
La somme qui doit être mise à la charge de M. [V] au titre des frais non compris dans les dépens exposés par l'association TRAVAIL ENTRAIDE peut être équitablement fixée à 2 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance du juge des référés en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute l'association TRAVAIL ENTRAIDE de sa demande pour procédure abusive au titre de la procédure d'appel,
Condamne M. [V] aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement à l'association TRAVAIL ENTRAIDE de la somme de 2 000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 1
ARRÊT DU 09 JUILLET 2025
(n°115/2025, 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/09599 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJPRB
Décision déférée à la Cour : ordonnance du 21 mai 2024 du Président du tribunal judiciaire de Paris - RG n° 24/50842
APPELANT
M. [J] [V]
Né le 17 novembre 1969 à [Localité 5] (94)
De nationalité française
Dirigeant de société
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Adrien AULAS de l'AARPI LIGHTEN, avocat au barreau de PARIS, toque G 808
Substitué à l'audience par Me Mathias LE MASNE DE CHERMONT de l'AARPI LIGHTEN, avocat au barreau de PARIS, toque G 808
INTIMÉE
TRAVAIL ENTRAIDE
Association loi 1901 enregistrée au répertoire national des associations sous le numéro W772000936, ayant son siège social
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Samuel LEMAÇON de la SELAFA JEAN-CLAUDE COULON & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque K2
Substitué à l'audience par Me Christophe ROUX de la SELAFA JEAN-CLAUDE COULON & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque K2
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 mai 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre chargée d'instruire l'affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport, et Mme Françoise BARUTEL, conseillère.
Mmes Isabelle DOUILLET et Françoise BARUTEL ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
- Mme Isabelle DOUILLET, présidente,
- Mme Françoise BARUTEL, conseillère,
- Mme Déborah BOHEE, conseillère.
Greffier lors des débats : M. Soufiane HASSAOUI
ARRÊT :
contradictoire ;
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
signé par Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, et par Mme Carole TRÉJAUT, greffière présente lors de la mise à disposition et auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
L'association TRAVAIL ENTRAIDE, constituée en juin 1988, a pour objet statutaire l'accompagnement des demandeurs d'emploi et des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (désormais revenu de solidarité active, RSA) vers une réinsertion professionnelle durable.
M. [J] [V] indique avoir occupé, au sein de cette association, les fonctions de directeur adjoint, puis de directeur, jusqu'à son départ en 2022.
Il est titulaire de la marque verbale française « RALLYE EMPLOI », enregistrée sous le n°4164419 (ci-après, la marque n° 419), déposée le 12 mars 2015 pour désigner notamment des « services d'éducation et de formation » en classe 41.
Soutenant avoir développé, dans le cadre de ses fonctions, des actions sous le nom « Rallye Emploi », M. [V] indique avoir autorisé l'association, à titre de tolérance exceptionnelle et non contractuelle, à poursuivre jusqu'au 31 décembre 2023 les actions initiées pendant la durée de son contrat de travail, sans que cette autorisation puisse être étendue au-delà.
Ayant constaté, sur une publication diffusée sur la page Facebook de l'association TRAVAIL ENTRAIDE, l'organisation annoncée pour l'année 2024 d'un nouvel événement intitulé « Rallye Emploi », consistant en une opération d'une durée de huit jours en Seine-et-Marne, bénéficiant notamment du soutien financier du département et du Fonds Social Européen +, M. [V] a considéré que cette initiative portait atteinte à ses droits sur la marque précitée.
Il a, en conséquence, adressé à l'association TRAVAIL ENTRAIDE une mise en demeure de cesser tout usage du signe « Rallye Emploi », par courrier en date du 14 novembre 2023.
En l'absence de réponse l'ayant satisfait, M. [V] a, par acte de commissaire de justice en date du 19 décembre 2023, assigné l'association TRAVAIL ENTRAIDE devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, sollicitant l'interdiction provisoire de l'usage de sa marque, ainsi qu'une indemnisation provisionnelle en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi.
Par ordonnance de référé rendue le 21 mai 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :
- écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. [V] ;
- rejeté les demandes de M. [V] fondées sur la marque verbale française 'RALLYE EMPLOI' n°419 ;
- rejeté la demande de l'association TRAVAIL ENTRAIDE en procédure abusive ;
- condamné M. [V] aux dépens ;
- condamné M. [V] à payer 4 000 euros à l'association Travail Entraide en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 14 juin 2024, M. [J] [V] a interjeté appel de cette ordonnance.
Dans ses premières conclusions d'appelant, transmises le 3 juillet 2024, M. [V] demande à la cour :
- d'infirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a :
- rejeté les demandes de M. [V] fondées sur la marque verbale française « RALLYE EMPLOI » numéro 4164419 ;
- condamné M. [V] aux dépens ;
- condamné M. [V] à payer 4000 euros à l'association Travail Entraide en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- et, statuant de nouveau :
- d'ordonner à l'association Travail Entraide de cesser immédiatement tout usage de la marque « RALLYE EMPLOI » (marque française n°4164419) pour désigner des services d'éducation ou de formation, et en particulier pour désigner le programme de formation qu'elle annonce s'apprêter à mettre en 'uvre en 2024 dans le département de Seine-et-Marne, ce sous astreinte de 250,00 euros par jour où l'utilisation de la marque serait constatée ;
- d'ordonner à l'association Travail Entraide d'informer par écrit, sous 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir et sous astreinte de 250,00 euros par jour de retard, l'ensemble des collaborateurs, partenaires institutionnels et organismes publics avec lesquels elle est entrée en contact en utilisant le nom « Rallye Emploi » pour désigner un service d'éducation ou de formation, dont en particulier le département de Seine-et-Marne et l'entité ayant attribué la subvention au titre du Fonds Social Européen +, de ce qu'elle n'est pas autorisée à utiliser ce nom pour désigner des programmes d'éducation ou de formation en raison des droits de marque détenus par M. [V] sur ce nom ;
- d'ordonner à l'association Travail Entraide de rapporter à M. [V] la preuve écrite de la bonne délivrance de l'information ordonnée au point précédent, ce dans le même délai de 8 jours et sous astreinte de 250,00 euros par jour de retard ;
- d'autoriser M. [V] à donner copie de la décision à intervenir à tout tiers auprès duquel il constaterait que l'association Travail Entraide a utilisé le nom « Rallye Emploi » pour désigner un service d'éducation ou de formation ;
- de condamner l'association Travail Entraide à verser à M. [V], à titre d'indemnité provisionnelle, la somme de 10 000 euros ;
- sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance :
- à titre principal, de condamner l'association Travail Entraide à verser à M. [V] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
- à titre subsidiaire, dire n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en application du dernier alinéa de cet article ;
- à titre infiniment subsidiaire, limiter toute condamnation de M. [V] à ce titre à la somme d'un euro symbolique ;
- sur les frais irrépétibles et les dépens en cause d'appel :
- de condamner l'association Travail Entraide à verser à M. [V] la somme de 800,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans des dernières conclusions, transmises le 1er août 2024, l'association TRAVAIL ENTRAIDE, intimée, demande à la cour de :
Vu les articles L. 711-2, L. 714-6, et L. 716-4-6 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article 1240 du code civil,
- sur l'appel principal de M. [V] :
- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté les demandes de M. [V] fondées sur la marque verbale française 'RALLYE EMPLOI' n°4164419 et l'a condamné aux dépens ainsi qu'à payer 4.000 euros à l'association Travail Entraide en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- subsidiairement,
- juger n'y avoir lieu à référé sur les demandes d'interdiction d'usage et d'indemnité provisionnelle formées par M. [V] à l'encontre de l'association TRAVAIL ENTRAIDE, concernant la marque « RALLYE EMPLOI » dont il se prévaut ;
- débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- sur l'appel incident de l'association TRAVAIL ENTRAIDE :
- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté la demande de l'association Travail Entraide en procédure abusive ;
- statuant à nouveau, condamner M. [V] à payer à l'association TRAVAIL ENTRAIDE la somme de 3.000 euros pour procédure abusive ;
- en tout état de cause :
- condamner M. [V] à payer à l'association TRAVAIL ENTRAIDE la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Monsieur [V] aux entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 mars 2025.
M. [V] a transmis des conclusions numérotées 2 le 12 mai 2025, pour demander à la cour, en sus de ses demandes présentées dans ses écritures transmises le 3 juillet 2024, de rejeter la demande présentée par l'association Travail Entraide, dans le cadre de son appel incident, au titre de l'action abusive ; il a en outre fixé à 1 400 € sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel et versé une nouvelle pièce n° 17.
L'association TRAVAIL ENTRAIDE a transmis des conclusions d'incident, le 23 mai 2025, pour demander à la cour :
Vu les articles 122, 123, 905, 906-2 et 914-3 du code de procédure civile,
Vu l'ordonnance de clôture du 12 mars 2025,
- de déclarer irrecevables les conclusions de M. [V] signifiées le 12 mai 2025 ;
- de déclarer irrecevable la pièce n°17 et de l'écarter des débats ;
- de condamner M. [V] aux dépens de l'incident.
A l'audience du 28 mai 2025, après avoir entendu les parties en leurs observations sur l'incident de procédure et en avoir délibéré, la cour a déclaré irrecevables les conclusions numérotées 2 signifiées le 12 mai 2025 par M. [V] et sa pièce 17, comme indiqué sur le plumitif de cette audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur le chef de l'ordonnance non critiqué
L'ordonnance n'est pas critiquée en ce qu'elle a écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. [V] soulevée par l'association TRAVAIL ENTRAIDE.
Sur le caractère vraisemblable de l'atteinte à la marque « RALLYE EMPLOI » de M. [V]
M. [V] fait valoir que dans le cadre de ses fonctions successives au sein de l'association TRAVAIL ENTRAIDE, il a personnellement imaginé, initié et développé les actions « Rallye Emploi », ainsi qu'il ressort de plusieurs attestations, dont celle du directeur en poste à cette époque ; que tous les événements « Rallye Emploi » mis en 'uvre par l'association TRAVAIL ENTRAIDE sont ainsi le fruit de son travail personnel, de même que le nom « Rallye Emploi » a été son choix personnel ; qu'il a toujours été clair, entre M. [V] et l'association qu'il ne mettrait ces événements et ce nom « Rallye Emploi » au service de l'association qu'aussi longtemps qu'il en serait salarié, et qu'il en recouvrerait la jouissance exclusive dès lors qu'il cesserait de travailler pour l'association ; que c'est ainsi, de façon parfaitement transparente, qu'il a déposé, en 2015, la marque « RALLYE EMPLOI », la direction et le conseil d'administration de l'association étant informés de ce dépôt et n'y ayant opposé aucune contestation ; que l'exploitation de la marque par TRAVAIL ENTRAIDE, avec le consentement de M. [V], a largement profité à l'association qui a pu réunir plusieurs centaines de milliers d'euros en l'espace de quelques années ; que lors de son départ de l'association en 2022, M. [V] a fait savoir à l'association qu'il l'autorisait seulement, à titre de tolérance exceptionnelle et non contractuelle, à mener à leur terme les actions « Rallye Emploi » initiées pendant ses fonctions, sans que ces actions puissent continuer, en toute hypothèse, au-delà du 31 décembre 2023 ; que l'association n'a répondu à aucun de ces courriers ; qu'en l'absence d'une quelconque cession ou licence à son profit, l'association ne dispose donc, depuis le 1er janvier 2024, d'aucun droit pour utiliser le signe « Rallye Emploi » pour désigner des services d'éducation et de formation (visés par la marque) ; que la bonne foi étant présumée, c'est à l'association de démontrer que le dépôt de la marque a été effectué, de façon manifeste, de mauvaise foi, et ce, au jour du dépôt ; qu'à cet égard, s'il est constant que M. [V] connaissait nécessairement l'utilisation du signe « Rallye Emploi » par l'association, le juge n'a pas caractérisé les droits dont aurait disposé l'association du fait de l'usage antérieur de ce signe, ni l'intention de M. [V] de nuire à l'association, notamment en la privant de ce signe, d'autant que plusieurs attestations confirment que M. [V] a été parfaitement transparent vis-à-vis de l'association concernant le dépôt de la marque et que cette dernière a approuvé ce dépôt ; qu'il y a lieu de tenir compte également de ce que l'association n'a formé aucune opposition à la demande d'enregistrement de la marque, ni revendiqué la titularité sur cette marque avant l'action engagée par M. [V] ; que le directeur de l'association au moment du dépôt atteste qu'il y avait un accord tacite autorisant l'association à utiliser le signe sans payer de redevance, sous la seule réserve que cette autorisation ne durerait que tant que M. [V] serait en poste au sein de l'association ; que la transparence dont a fait preuve M. [V] dès le dépôt de la marque, et le fait qu'il ait permis à l'association de jouir de la marque pendant 7 années, excluent toute mauvaise foi ; qu'en l'absence de démonstration de la mauvaise foi de M. [V], la titularité de la marque n'est plus contestable et les délais de 5 ans prévus par les articles L.712-6 et L.716-2-8 du code de la propriété intellectuelle, concernant respectivement la prescription de l'action en revendication et la forclusion de l'action en nullité du fait de la tolérance du titulaire du droit antérieur allégué, sont expirés ; que les demandes subsidiaires de l'association en nullité de la marque pour défaut de caractère distinctif et en déchéance de la marque comme étant devenue la désignation usuelle des services en cause ne sont pas fondées.
L'association TRAVAIL ENTRAIDE soutient que, comme le juge des référés l'a retenu, les demandes de M. [V] sont infondées à défaut du caractère vraisemblable de l'atteinte alléguée. Elle fait valoir que le dépôt a en effet été effectué de mauvaise foi, avec une intention frauduleuse, l'association utilisant depuis au moins l'année 2010 les termes « Rallye Emploi » pour désigner des réunions sur l'emploi ; que M. [V], salarié depuis 2003, puis devenu directeur adjoint en janvier 2013, puis directeur en mai 2017, avait nécessairement connaissance de cet usage ; que l'intention de M. [V] était de se servir de sa marque pour troubler l'activité de son ancien employeur ; qu'il n'avait en effet aucun autre intérêt de déposer cette marque en 2015 que celui de s'approprier à l'insu de son employeur une dénomination qu'il savait nécessaire à son activité ; qu'il n'a pas exploité cette marque pour lui-même, ni ne l'a donnée sous licence, ni ne l'a protégée contre des utilisations de tiers comme en témoignent les nombreuses occurrences trouvées sur internet ; qu'en tentant d'obtenir un monopole sur ces termes, au détriment de son employeur, M. [V] s'est préconstitué un moyen de pression efficace contre l'association, dans l'hypothèse, qui s'est révélée, où il ne serait plus salarié de cette association ; que l'ordonnance de référé est suffisamment motivée, la démonstration de la mauvaise foi relevant du fond de l'affaire ; que les deux attestations produites, peu précises et douteuses dès lors que leurs auteurs, anciens salariés de l'association, sont liés à M. [V], ne permettent pas d'établir que les organes de direction de l'association avaient connaissance du dépôt à titre de marque d'un signe nécessaire à l'activité de l'association et qu'ils l'avaient autorisé ; que ces attestations sont démenties par les pièces et témoignages produits par l'association ; qu'en réalité, M. [V] a tenu confidentiel son dépôt de marque au moment où il l'a effectué ; que le fait qu'il l'ait révélé par la suite à des membres isolés de l'association, puis à son président au moment de son départ, ne permet pas d'écarter sa mauvaise foi au moment du dépôt ; que les dispositions des articles L.712-6 et L.716-2-8 du code de la propriété intellectuelle, citées pour la première fois en cause d'appel, relatives à l'action en nullité ou en revendication, ne peuvent sérieusement être opposées à l'association défenderesse à une action en contrefaçon, les moyens de défense étant par principe imprescriptibles ; que subsidiairement, la marque était dépourvue de caractère distinctif au jour du dépôt ; que plus subsidiairement, la marque est devenue la désignation usuelle des services en cause, étant utilisée de manière générique dans de nombreuses manifestations liées à l'emploi depuis 2015 et jusqu'à aujourd'hui.
Ceci étant exposé, l'article L. 716-4-6 du code de la propriété intellectuelle dispose notamment que « Toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon. (...)
Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente.
La juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise entre les mains d'un tiers des produits soupçonnés de porter atteinte aux droits conférés par le titre, pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux (') Pour déterminer les biens susceptibles de faire l'objet de la saisie, elle peut ordonner la communication des documents bancaires, financiers, comptables ou commerciaux ou l'accès aux informations pertinentes.
Elle peut également accorder au demandeur une provision lorsque l'existence de son préjudice n'est pas sérieusement contestable (...) ».
Le caractère vraisemblable de l'atteinte alléguée dépend, d'une part, de l'apparente validité du titre sur lequel se fonde l'action et, d'autre part, de la vraisemblance de la contrefaçon alléguée.
En application de l'article L. 711-2-11° du code de la propriété intellectuelle, « Ne peuvent être valablement enregistrés et, s'ils sont enregistrés, sont susceptibles d'être déclaré nuls : (')
11° Une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur ».
En l'espèce, l'association TRAVAIL ENTRAIDE soutient que le dépôt de la marque « RALLYE EMPLOI » par M. [V], le 12 mars 2015, a été manifestement effectué de mauvaise foi, ce qui rend non vraisemblable l'atteinte alléguée.
Il n'est pas contesté que M. [V], salarié au sein de l'association TRAVAIL ENTRAIDE depuis le 1er février 2003, d'abord en qualité de conseiller d'insertion chargé de l'accompagnement vers l'emploi des bénéficiaires du RMI, puis promu au poste de directeur adjoint, statut cadre, à compter du 1er janvier 2013, enfin devenu directeur à compter du 2 mai 2017, connaissait l'usage par cette association, depuis au moins l'année 2010 et de façon récurrente ensuite, des termes « Rallye Emploi », cet usage étant attesté par les rapports d'activité de ladite association pour les années 2010 et 2011 et un compte-rendu du conseil d'administration du 13 avril 2016.
Il s'en déduit que M. [V] ne pouvait ignorer, au moins depuis son accession au poste de directeur adjoint au tout début de l'année 2013, que l'usage du signe « Rallye Emploi » par l'association, dont l'activité vise, comme il a été exposé, à accompagner des personnes vers l'emploi, était nécessaire à son activité. Il résulte au demeurant d'un courriel adressé le 25 octobre 2023 par M. [V] au nouveau directeur de l'association, qu'il connaissait parfaitement l'importance de ces termes pour l'activité de son ancien employeur : « Comme tu le sais, j'ai déposé la marque RALLYE EMPLOI en 2015 en mon nom propre. J'ai mis cette marque à la disposition de Travail Entraide dès son dépôt, en ma qualité de Directeur adjoint puis de Directeur, ce qui a permis de nouer des partenariats fructueux sur le plan social et économique avec plusieurs financeurs durant ces 8 dernières années ».
Les droits de l'association sur l'usage antérieur au dépôt du signe « Rallye Emploi » sont ainsi suffisamment établis sans qu'il soit besoin pour cette dernière de se prévaloir de l'utilisation de ces termes à titre de nom commercial ou d'enseigne, comme le soutient M. [V].
Pour contester toute mauvaise foi, M. [V] prétend qu'il a agi en toute transparence, d'une part, en informant son employeur du dépôt de sa marque à l'époque de ce dépôt, d'autre part, en mettant gracieusement cette marque à la disposition de l'association pendant 7 années. Il produit à cette fin l'attestation de M. [O], directeur de l'association TRAVAIL ENTRAIDE de décembre 2014 à octobre 2016, qui relate que M. [V] a conçu un dispositif d'accompagnement intitulé « Rallye Emploi » et qu'il a déposé la marque éponyme en son nom propre en 2015, ce dont le comité de direction et les élus du conseil d'administration ont été « parfaitement et régulièrement informés », personne à sa connaissance ne s'étant opposé à cette démarche, que M. [V] a mis la marque à la disposition de l'association, lui permettant ainsi de nouer de fructueux partenariats avec plusieurs collectivités, et qu'il existait un accord tacite entre M. [V] et les élus du conseil d'administration selon lequel aucune redevance ne serait demandée à l'association tant que se poursuivrait la relation contractuelle de travail entre M. [V] et l'association. Est produite également l'attestation de Mme [X], salariée de l'association de juin 2010 à décembre 2022, qui témoigne de ce qu'elle a toujours été informée, « ainsi que les membres de [son] équipe et d'autres salariés », que la marque « RALLYE EMPLOI » était la propriété de M. [V] même s'il n'en faisait pas ostensiblement publicité, et qu'à sa connaissance, M. [V] n'a jamais perçu de rémunération pour la mise à disposition de la marque. M. [V] verse encore en cause d'appel le témoignage de M. [B] qui atteste qu'il a travaillé pour TRAVAIL ENTRAIDE de 2014 à 2023 via sa micro entreprise qui assurait le déploiement et la maintenance informatique ainsi que la gestion des sites internet de l'association, et qu'il était informé dès 2015 de ce que l'hébergement du domaine rallye-emploi.fr était la propriété de [J] [V], qui en finançait l'hébergement, de même que la marque associée « RALLYE EMPLOI », que la propriété de la marque par M. [V] était un fait connu des membres de l'association, de la gouvernance et de la direction de l'époque.
Cependant, l'association TRAVAIL ENTRAIDE verse au débat, de son côté, le témoignage de M. [K], administrateur de l'association depuis les années 1990 et son actuel président, qui indique qu'il a été informé du dépôt de la marque par M. [V] seulement au moment du départ de celui-ci dans le cadre d'une rupture conventionnelle en mai 2022, que M. [V] lui a alors précisé qu'il autoriserait l'association à utiliser la dénomination « Rallye Emploi » gratuitement pour des actions menées dans le département de Seine et Marne mais qu'il demanderait des royalties pour un usage en dehors de ce cadre. L'intimée produit aussi l'attestation de Mme [E], administratrice de l'association en 2015, qui témoigne de ce que M. [V] l'a informée lors d'une conversation « probablement en 2018 ou 2019 », alors qu'il était directeur, qu'il avait déposé la marque « RALLYE EMPLOI », que jamais cela n'avait été discuté en conseil d'administration et qu'il gardait cette information confidentielle ; elle ajoute qu'elle a été surprise de constater qu'il s'appropriait ainsi une idée alors que de nombreuses associations d'insertion utilisaient déjà les mêmes termes pour des actions similaires.
Ces deux derniers témoignages sont corroborés par le fait que, malgré l'importance des termes « Rallye Emploi » pour l'activité de l'association, telle que mise en avant par M. [V] lui-même et rapportée par le témoignage de M. [O] qu'il produit, le dépôt de la marque et sa mise à disposition à titre gracieux mais limité dans le temps par son titulaire ne ressortent d'aucun document officiel de l'association (rapports d'activité, procès-verbal d'assemblée, compte-rendu du conseil d'administration, accord d'utilisation de la marque, convention signée entre l'employeur et le salarié lors du départ de M. [V] en juin 2022'). Les comptes-rendus des conseils d'administration de l'année 2015, année du dépôt de la marque, qui sont versés au débat par l'intimée, ne font aucune mention du dépôt.
Il est dès lors peu vraisemblable que le dépôt de la marque et sa mise à disposition à titre gratuit par M. [V] aient été connus de l'association.
Ces éléments, pris dans leur ensemble, jettent un doute sérieux sur la validité de la marque « RALLYE EMPLOI » revendiquée par M. [V].
La validité de la marque étant ainsi sérieusement remise en cause, le caractère vraisemblable de l'atteinte portée à la marque n'est pas établi et l'action en référé de M [V] ne peut prospérer.
Enfin, les délais de 5 ans prévus par les articles L.712-6 et L.716-2-8 du code de la propriété intellectuelle, qui concernent respectivement l'action principale en revendication de marque et l'action principale en nullité de marque, ne paraissent pas pouvoir être opposés valablement à l'association TRAVAIL ENTRAIDE qui est défenderesse dans le cadre d'une action en contrefaçon de marque initiée par M. [V].
L'ordonnance entreprise sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes de M. [V] fondées sur la marque verbale française « RALLYE EMPLOI », sans qu'il soit besoin d'examiner le surplus de l'argumentation des parties, présenté à titre subsidiaire, relativement à la nullité de la marque pour défaut de distinctivité et à la déchéance des droits du titulaire de la marque en raison de la dégénérescence de cette marque, devenue la désignation usuelle des produits ou services désignés.
Sur la demande indemnitaire de l'association TRAVAIL ENTRAIDE pour procédure abusive
L'association TRAVAIL ENTRAIDE soutient que la demande en référé introduite par M. [V] constitue une procédure abusive justifiant l'octroi de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil. Elle fait valoir que contrairement à ce qu'a retenu l'ordonnance entreprise, le juge des référés peut accorder des dommages et intérêts en cas d'abus de procédure, même s'il ne statue pas sur le fond ; qu'en l'espèce, M. [V] est manifestement animé par une intention de nuire, ayant déposé la marque « RALLYE EMPLOI » alors qu'il était encore salarié, en connaissance de l'utilisation antérieure et essentielle de ce terme par l'association, et n'ayant révélé ce dépôt qu'au moment de son départ en 2022, dans le but d'exercer une pression sur son ancien employeur ; que le déclenchement de son action, fondée sur une marque manifestement invalide, déposée de mauvaise foi, relève d'un comportement déloyal et fautif ; qu'elle subit de ce fait un préjudice, se voyant menacée dans son activité, l'utilisation de l'expression « Rallye Emploi », qu'elle utilisait de manière paisible depuis bientôt 14 années, étant essentielle pour son activité, dans ses communications publiques mais également dans ses projets de demandes de subventions.
Ceci étant exposé, il est rappelé que l'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, seule une faute dans l'exercice des voies de droit est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
En l'espèce, même si les éléments soumis à la cour sont de nature à jeter un doute sérieux sur la validité de la marque « RALLYE EMPLOI » revendiquée par M. [V], et à rendre vraisemblable l'existence d'un dépôt effectué de mauvaise foi par ce dernier, l'appréciation de la réalité de cette mauvaise foi, de l'existence du préjudice invoqué et du lien de causalité entre eux appartiendra aux juges du fond, alors que comme l'a relevé le juge des référés, seul ce dernier peut prononcer l'annulation ou le transfert d'une marque déposée de mauvaise foi.
Il y a donc lieu de confirmer également l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté la demande de l'association TRAVAIL ENTRAIDE pour procédure abusive et de débouter l'association de sa demande en ce qu'elle serait présentée pour la procédure d'appel.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
M. [V], partie perdante, sera condamné aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'il a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
La somme qui doit être mise à la charge de M. [V] au titre des frais non compris dans les dépens exposés par l'association TRAVAIL ENTRAIDE peut être équitablement fixée à 2 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance du juge des référés en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute l'association TRAVAIL ENTRAIDE de sa demande pour procédure abusive au titre de la procédure d'appel,
Condamne M. [V] aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement à l'association TRAVAIL ENTRAIDE de la somme de 2 000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE