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Décisions

Cass. 3e civ., 10 juillet 2025, n° 23-20.135

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Mutuelle des architectes français (Sté), U (Époux), MMA IARD assurances mutuelles (SA), MMA IARD (SA)

Défendeur :

Mma Iard Assurances Mutuelles (SA), Mma Iard (SA), Bâtiment El Massira (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Rapporteur :

M. Zedda

Avocats :

SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, SARL Le Prado - Gilbert, SARL Gury & Maitre

Montpellier, 3e ch. civ., du 22 juin 202…

22 juin 2023

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 22 juin 2023), M. et Mme [U] ont confié à M. [E] (l'architecte), assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d'oeuvre de la construction d'une maison d'habitation.

3. L'exécution du gros oeuvre a été confiée à M. [C], assuré auprès de la société MMA IARD. Une partie des travaux de gros oeuvre a été sous-traitée à la société Bâtiment El Massira, assurée auprès de la société MMA IARD assurances mutuelles.

4. Les travaux ont été achevés en 2001 sans que la réception soit prononcée de manière expresse.

5. M. et Mme [U] (les vendeurs) ont vendu la maison à M. [S] (l'acquéreur) en 2006.

6. Se plaignant de fissures infiltrantes et d'un affaissement de la bâtisse et de la terrasse, l'acquéreur a, par actes des 13, 20 et 23 mai 2011, assigné en référé-expertise les vendeurs, M. [C], la société MMA IARD et la société Bâtiment El Massira. L'architecte et la MAF ont été assignés en intervention forcée par les vendeurs.

7. Après le dépôt du rapport de l'expert, l'acquéreur a, par acte du 16 mai 2014, assigné au fond les vendeurs, l'architecte, la MAF, M. [C] et son assureur. L'architecte a assigné la société Bâtiment El Massira en intervention forcée et la société MMA IARD.

8. L'architecte est décédé en 2018.

Examen des moyens

Sur le moyen, pris en ses six dernières branches, du pourvoi n° M 23-20.135 de la MAF, sur le premier moyen du pourvoi n° Z 23-20.147 des vendeurs, sur le premier moyen, pris en ses six premières branches, et sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi n° B 23-22.518 des sociétés MMA

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ou qui sont irrecevables.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° M 23-20.135 de la MAF

Enoncé du moyen

10. La MAF fait grief à l'arrêt de constater que l'ouvrage a été tacitement réceptionné le 11 juin 2001, de déclarer recevable l'action en responsabilité décennale exercée contre elle par l'acquéreur et de la condamner à lui payer, in solidum avec les vendeurs, la société Bâtiment El Massira et les sociétés MMA la somme de 929 629 euros TTC outre indexation et TVA, alors « que la MAF a fait valoir que M. [S] ne l'avait assignée en justice, ainsi que M. [E], son assuré, que le 16 mai 2014, de sorte que même si la réception tacite de l'ouvrage était fixée au 11 juin 2001, son action était prescrite ; qu'en jugeant que puisque l'ouvrage avait été réceptionné le 11 juin 2001, l'action en responsabilité décennale exercée contre la MAF par M. [S] était recevable, et en la condamnant à lui payer la somme de 929 629 euros, sans répondre à ce moyen pertinent, la cour a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

11. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

12. Pour déclarer que l'action de l'acquéreur était recevable et condamner la MAF à lui payer certaines sommes, l'arrêt constate que l'ouvrage a été tacitement réceptionné le 11 juin 2001 et en déduit que l'action de l'acquéreur fondée sur la responsabilité décennale est recevable.

13. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la MAF, qui soutenait que, même en retenant cette date pour la réception, les demandes de l'acquéreur formées contre elle pour la première fois le 16 mai 2014 étaient prescrites, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Sur le premier moyen, pris en sa septième branche, du pourvoi n° B 23-22.518 des sociétés MMA

Enoncé du moyen

14. Les sociétés MMA font grief à l'arrêt de constater que l'ouvrage a été tacitement réceptionné le 11 juin 2001, de déclarer recevable l'action en responsabilité décennale exercée par l'acquéreur et de les condamner à lui payer, in solidum avec les vendeurs, la MAF et la société Bâtiment El Massira la somme de 929 629 euros TTC outre indexation et TVA, alors « que dans leurs conclusions d'appel, les sociétés MMA indiquaient que M. [S] avait, le 13 mai 2011, assigné en référé expertise M. [C] et les sociétés MMA en qualité d'assureur de ce dernier, qu'il avait, les 20 et 23 mai 2011, assigné en référé expertise la société Bâtiment El Massira, mais qu'il n'avait jamais assigné les sociétés MMA en leur qualité d'assureur de cette société, seul M. [E] les ayant assignées en cette qualité, mais seulement le 26 avril 2016, de sorte que l'action de M. [S] et des autres parties défenderesses à l'encontre des sociétés MMA, ès-qualités d'assureur de la société Bâtiment El Massira était prescrite pour avoir été délivrée plus de dix ans après la réception et plus de deux ans après l'assignation délivrée à la société Bâtiment El Massira ; qu'en omettant de répondre à ces conclusions pertinentes, la cour d'appel, qui a fixé la réception tacite au 11 juin 2001, a privé sa décision de motifs et a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

15. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

16. Pour déclarer que l'action de l'acquéreur était recevable et condamner la société MMA IARD assurances mutuelles, en sa qualité d'assureur de la société Bâtiment El Massira, à lui payer certaines sommes, l'arrêt constate que l'ouvrage a été tacitement réceptionné le 11 juin 2001 et en déduit que l'action de l'acquéreur fondée sur la responsabilité décennale est recevable.

17. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions des sociétés MMA, qui soutenaient qu'aucune assignation ne leur avait été délivrée avant l'expiration du délai décennal, en leur qualité d'assureur de la société Bâtiment El Massira, même en tenant compte de la prolongation de deux ans correspondant au temps où l'assureur est encore exposé au recours de son assuré, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° Z 23-20.147 des vendeurs

Enoncé du moyen

18. Les vendeurs font grief à l'arrêt de les condamner à payer à l'acquéreur, in solidum avec la MAF, la société Bâtiment El Massira et les sociétés MMA la somme de 929 629 euros TTC outre indexation et TVA, de fixer les contributions à la dette en leur laissant une part de 10 % et de rejeter leur demande de garantie intégrale par la MAF, la société Bâtiment El Massira et la société MMA IARD des condamnations prononcées à leur encontre, alors « que l'acceptation des risques par le maître de l'ouvrage ne constitue une cause d'exonération pour le constructeur que si elle est consciente et délibérée, le maître de l'ouvrage ayant été informé des risques encourus ; qu'en imputant notamment à M. et Mme [U] le défaut de réalisation d'étude de sol et d'étude de béton sans constater que ceux-ci avaient été informés de la nécessité de faire réaliser lesdites études et avertis des risques encourus du fait de leur absence de réalisation, alors que M. et Mme [U] contestaient avoir reçu de telles informations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792 du code civil :

19. Il résulte de ce texte que le maître de l'ouvrage, condamné à réparation au profit de l'acquéreur au titre d'une responsabilité de plein droit, ne peut, dans ses recours contre les constructeurs, conserver à sa charge une part de la dette de réparation que si une faute, une immixtion ou une prise délibérée du risque est caractérisée à son encontre.

20. Pour laisser aux vendeurs, maîtres de l'ouvrage, une part de la dette commune dans leurs rapports avec les constructeurs et leurs assureurs, l'arrêt retient qu'ils ont voulu faire des économies substantielles en ne commandant pas d'étude de sol et de béton.

21. En se déterminant ainsi, sans caractériser en quoi les maîtres de l'ouvrage avaient été parfaitement mis en garde et informés, par les locateurs d'ouvrage, des risques encourus par l'ouvrage à défaut de réalisation d'une étude de sol et de béton, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi n° Z 23-20.147 des vendeurs

Enoncé du moyen

22. Les vendeurs font le même grief à l'arrêt, alors « que l'immixtion fautive du maître de l'ouvrage ne constitue, pour le constructeur, une cause d'exonération que si celui-ci est compétent en matière de construction et s'immisce, par des actes positifs, dans la réalisation des travaux ; qu'en imputant une immixtion au seul motif qu'ils avaient donné leur accord à la désignation de M. [C] comme entrepreneur gros œuvre et alors qu'elle observait que M. et Mme [U] étaient profanes en matière de construction, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792 du code civil :

23. Il résulte de ce texte que le maître de l'ouvrage, condamné à réparation au profit de l'acquéreur au titre d'une responsabilité de plein droit, ne peut, dans ses recours contre les constructeurs, conserver à sa charge une part de la dette de réparation que si une faute, une immixtion ou une prise délibérée du risque est caractérisée à son encontre. L'immixtion du maître de l'ouvrage n'est fautive que si celui-ci est notoirement compétent.

24. Pour laisser aux vendeurs, maîtres de l'ouvrage, une part de la dette commune dans leurs rapports avec les constructeurs et leurs assureurs, l'arrêt retient que, selon le rapport d'expertise, l'architecte, en accord avec M. [U], a désigné M. [C] comme entrepreneur gros oeuvre, ce qui constitue une immixtion du maître de l'ouvrage dans le choix des entreprises gros oeuvre.

25. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une immixtion des maîtres de l'ouvrage dans les travaux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

26. La cassation, prononcée sur le premier moyen, pris en sa septième branche, du pourvoi des sociétés MMA IARD, en ce qu'elle porte sur les chefs de dispositif déclarant recevable l'action en responsabilité décennale exercée par l'acquéreur à l'encontre de la société MMA IARD assurances mutuelles, en qualité d'assureur de la société Bâtiment El Massira, et condamnant, cet assureur, en cette qualité, in solidum avec d'autres, à payer une certaine somme à M. [S] ne s'étend pas aux chefs de dispositif concernant la société MMA IARD, en qualité d'assureur de M. [C], qui ne sont ni indivisibles ni en lien de dépendance nécessaire avec les chefs de dispositif cassés.

27. La cassation des chefs de dispositif concernant la MAF et la société MMA IARD assurances mutuelles ne s'étend pas au chef de dispositif constatant la réception tacite à la date du 11 juin 2001, qui ne s'y rattache pas par un lien de dépendance nécessaire.

28. Elle s'étend, en revanche, à la condamnation de ces sociétés aux dépens et aux frais irrépétibles.

29. La cassation du chef de dispositif fixant la part contributive des vendeurs s'étend aux autres dispositions répartissant la dette, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire, dès lors que l'intégralité de la dette doit être répartie entre les débiteurs.

30. La cassation des chefs de dispositif concernant la MAF et la société MMA IARD assurances mutuelles et des chefs de dispositif fixant la contribution à la dette n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société Bâtiment El Massira et la société MMA IARD aux dépens ainsi qu'au paiement d'une certaine somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à leur encontre.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- déclare recevable l'action en responsabilité décennale de M. [S] dirigée contre la Mutuelle des architectes français et contre la société MMA IARD assurances mutuelles ;
- condamne la Mutuelle des architectes français et la société MMA IARD assurances mutuelles à payer à M. [S] la somme de 929 629 euros TTC indexée sur le BT 01 en vigueur au jour de l'arrêt et TVA de 19,6 % ;
- rejette la demande de M. et Mme [U] tendant à voir condamner in solidum la Mutuelle des architectes français, la société Bâtiment El Massira et la société MMA IARD à les garantir intégralement de toutes les condamnations susceptibles d'être prononcées à leur encontre ;
- dit qu'un partage de responsabilités s'effectuera selon les pourcentages suivants pour les condamnations en paiement y compris les dépens et l'article 700 du code de procédure civile : 10 % pour M. et Mme [U], 40 % pour l'architecte M. [E] (MAF), 25 % pour le gros oeuvre M. [C] (MMA IARD), 25 % pour le gros oeuvre société Bâtiment El Massira (MMA IARD assurances mutuelles) ;
- condamne la Mutuelle des architectes français et la société MMA IARD assurances mutuelles aux dépens et à payer à M. [S] la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

l'arrêt rendu le 22 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne M. [S] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le dix juillet deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par M. Boyer, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de Mme Teiller, président empêché, le conseiller rapporteur et le greffier conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.

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