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Décisions

CA Douai, ch. 2 sect. 1, 10 juillet 2025, n° 23/02303

DOUAI

Arrêt

Autre

CA Douai n° 23/02303

10 juillet 2025

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 10/07/2025

****

N° de MINUTE : 25/420

N° RG 23/02303 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U47P

Ordonnance (N° ) rendue le 05 Mai 2023 par le Tribunal de Commerce d'Arras

APPELANTS

Madame [G] [E] en sa qualité d'héritière de feu M. [F] [E]

née le [Date naissance 1] 1992 à [Localité 15] (Algerie)

de nationalité Algérienne

[Adresse 2]

[Localité 11]

Monsieur [Z] [E] en sa qualité de d'héritier de feu M. [F] [E] et représenté par Madame [G] [E], en vertu d'une procuration sous seing privé du 07/06/22

né le [Date naissance 8] 1983 à [Localité 15] (Algerie)

de nationalité Algérienne

[Adresse 18] -

Commune de [Localité 15] Wilaya -

[Localité 17] (Algerie)

Monsieur [A] [E] en sa qualité d'héritier de feu M. [F] [E] et représenté par Madame [G] [E], en vertu d'une procuration sous seing privé du 07/06/22

né le [Date naissance 7] 1981 à [Localité 15] (Algerie)

de nationalité Algérienne

[Adresse 18] -

Commune de [Localité 15] Wilaya -

[Localité 17] (Algerie)

Madame [U] [E] en sa qualité d'héritière de feu M. [F] [E] et représenté par Madame [G] [E], en vertu d'une procuration sous seing privé du 07/06/22

née le [Date naissance 4] 1963 à [Localité 15] (Algerie)

de nationalité Algérienne

[Adresse 19]

Commune de [Localité 15] Wilaya -

[Localité 17] (Algerie)

SELURL [N] [P] représentée par Me [P] [N] en sa qualité de liquidateur judiciaire de feu M. [F] [E]

[Adresse 3]

[Adresse 16]

[Localité 10]

représentés par Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai avocat constitué, assistés de Me Philippe Preud'homme, avocat au barreau de Bethune, avocat plaidant

INTIMÉE

Madame [Y] [C] [H] [K]

née le [Date naissance 9] 1953 à [Localité 12]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 11]

représentée par Me Sylviane Mazard, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

DÉBATS à l'audience publique du 14 mai 2025 tenue par Dominique Gilles magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Béatrice Capliez

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Dominique Gilles, président de chambre

Pauline Mmimiague, conseiller

Aude Bubbe, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2025 après prorogation du délibéré du 03 juillet 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Béatrice Capliez, adjoint administratif faisant fonction de greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 23 avril 2025

****

EXPOSE DU LITIGE

De son vivant, [F] [E] exploitait en tant qu'entrepreneur individuel un restaurant dénommé 'Le Relais d'[Localité 13]' situé à [Adresse 14]. Il est décédé le [Date décès 5] 2020, laissant pour lui succéder Mme [G] et MM. [Z] et [A] [E] (les consorts [E]) .

Un jugement du tribunal de commerce d'Arras du 19 mai 2021 a prononcé la liquidation judiciaire de l'entreprise individuelle de [F] [E], et a désigné la SELARL [N] en qualité de liquidateur judiciaire.

Mme [Y] [K], qui indique avoir été la concubine de M. [F] [E], a déclaré au passif de la procédure collective une créance de 83 991 euros, au titre de sommes prêtées à celui-ci. Cette créance a été contestée par les consorts [E].

Se préavalant d'un mandat donné par Mme [Y] [K], M. [X] [K], son fils, a réitéré la demande pour faire admettre la créance de sa mère au passif de la procédure collective.

Par ordonnance du 5 mai 2023, le juge commissaire du tribunal de commerce d'Arras a admis la créance de Mme [Y] [K] à titre chirographaire au passif de la procédure collective de l'entreprise individuelle de M. [F] [E] pour un montant de 83 991 euros.

Par déclaration reçue au greffe de la cour par voie électronique le 17 mai 2023, la SELARL [N], Mme [G] [E], M. [Z] [E] et M. [A] [E] ont interjeté appel de cette ordonnance.

Aux termes de leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 13 décembre 2023, les consorts [E] et la SELARL [N] demandent à la cour :

- d'infirmer l'ordonnance du juge commissaire du 5 mai 2023 en toutes ses dispositions;

et Statuant à nouveau :

° A titre principal : juger que Mme [Y] [K] n'a pas ratifié la déclaration de créance faite en son nom par M. [X] [K] et en conséquence juger que la déclaration de créance faite par M. [X] [K] est irrecevable et irrégulière et que la créance ne peut être admise au passif de la liquidation judiciaire de feu M. [F] [E]

° A titre subsidiaire, si la cour estimait que la déclaration de créance est recevable :

- juger que Mme [Y] [K] ne justifie pas d'un compte dont le solde s'élèverait à la somme déclarée de 83 991 euros ;

- juger en tout cas que Mme [Y] [K] ne justifie pas que la somme de 83 991 euros représenterait le solde d'un ou plusieurs prêts remboursables qu'elle aurait consenti à feu M. [F] [E] ;

° à titre plus subsidiaire, si la cour estimait que Mme [Y] [K] est créancière de la succession de M. [F] [E] :

- juger que toutes les sommes ayant une ancienneté supérieure à 5 ans au jour de la déclaration de créance sont prescrites ;

- juger en conséquence que la créance de Mme [K] ne saurait excéder la somme de 17 970, 14 euros représentant la différence entre la somme de 23 100 euros représentant le total des chèques émis après le 10 avril 2017 et la somme de 5 129,26 euros qu'elle reconnaît avoir perçu à compter de la même date.

° en tout état de cause :

- débouter Mme [Y] [K] de toutes ses demandes ;

- condamner Mme [Y] [K] à leur verser la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [Y] [K] aux entiers dépens d'instance et d'appel ;

Ils font valoir, tout d'abord, que la déclaration de créance est irrégulière. Selon eux, le pouvoir donné par Mme [Y] [K] à son fils M. [X] [K] pour faire admettre sa créance au passif de la procédure collective doit exister au jour de la déclaration de créance ou a minima dans le délai légal pour déclarer la créance, alors qu'en l'occurrence il est daté du 5 juin 2022. Ils soutiennent que si la ratification a posteriori de la déclaration de créance par le créancier est possible, toutefois, cette ratification doit avoir lieu avant que le juge commissaire ne statue sur l'admission de la créance, et dans tous les cas le mandant ne peut pas conférer le mandat après le délai pour effectuer la déclaration de créance. Ils soutiennent qu'en l'espèce, Mme [K] n'a pas ratifié la déclaration de créance faite en son nom par M. [X] [K].

Ensuite, ils soutiennent que les documents fournis au débat ne permettent pas de justifier du montant de la créance dont se prévaut Mme [Y] [K]. Ils expliquent que les relevés de compte fournis permettent d'identifier des mouvements de compte entre Mme [Y] [K] et M. [F] [E], aussi bien en crédit qu'en débit, ce qui ne permet pas de justifier de la somme de 83 991 euros réclamée par Mme [K]. Ils font d'ailleurs valoir que certaines sommes sont atteintes par la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil.

Ils précisent que les mouvements qui apparaissent sur les comptes concernent essentiellement des dépenses payées par carte bleue ou par virements bancaires ou des retraits d'espèces au distributeur de sorte qu'il n'est pas possible d'en déduire qu'ils ont été faits au profit de [F] [E]. En tout état de cause, ils précisent que seuls les copies des chèques versées au débat constituent des preuves tangibles de versements effectués au profit de [F] [E], et qu'il convient de déduire de ces montants le total des sommes perçues par Mme [K] et qu'elle reconnaît, et de tenir compte de la prescription quinquennale pour les sommes antérieures au 10 avril 2017, de sorte que sa créance ne pourrait s'établir, en réalité, qu'à une somme de 17 979,74 euros.

Ils soutiennent, en application des articles 1353 et 1359 du code civil que la créance qui est d'un montant supérieur à 1500 euros doit être prouvée par écrit. Ils font valoir que s'il existe un tempérament à cette règle tenant à l'impossibilité morale ou matérielle de prouver par écrit notamment en raison des liens qui unissent le créancier et le débiteur, la créance peut alors être prouvée par tout moyens, il n'en demeure pas moins que le créancier doit rapporter la preuve de l'élément matériel du prêt et de l'élément intentionnel. Or, en l'espèce Mme [K] ne rapporte pas cette preuve, étant précisé que la seule remise des fonds à [F] [E] n'est pas suffisante.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 20 février 2024, Mme [Y] [K] demande à la cour de :

- déclarer que Mme [K] a régulièrement ratifié la créance déclarée en son nom par son fils, M. [X] [K], tant auprès du liquidateur que du juge-commissaire ;

En conséquence :

- confirmer l'ordonnance du juge-commissaire du tribunal de commerce d'Arras du 5 mai 2023 en ce qu'elle a admis la créance déclarée de Mme [Y] [K] par son fils [X] [K] au passif de la liquidation judiciaire de M. [F] [E] ;

- recevoir l'appel incident de Mme [Y] [K] et en

conséquence :

° à titre principal : admettre au passif de la liquidation judiciaire de feu M. [F] [E] le montant de ladite créance pour la somme de 78 239,59 euros ;

° à titre subsidiaire : admettre au passif de la liquidation judiciaire de feu M. [F] [E] le montant de ladite créance pour la somme de 38 991 euros ;

- débouter les consorts [E] et Me [P] [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de feu M. [F] [E] de toutes leurs demandes ;

° En tout état de cause :

- condamner solidairement les consorts [E] et Me [P] [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de feu M. [F] [E] à payer à Mme [K] la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens pour la procédure

d'appel ;

Elle soutient que la déclaration de créance faite par son fils est régulière, que la ratification n'a pas à être explicite et peut être implicite, et que lorsque le créancier conclut à l'admission de sa créance devant la cour d'appel, même en l'absence de pouvoir devant le juge-commissaire, il a nécessairement ratifié ce pouvoir.

Elle soutient qu'elle n'a pas fait signer de reconnaissance de dettes en raison des liens qui l'unissaient à [F] [E] puisqu'ils vivaient en concubinage notoire depuis plusieurs décennies. Elle considère en conséquence que la preuve des sommes prêtées par elle à M. [F] [E] peut être rapportée par tout moyen. Elle indique que la copie des chèques à l'ordre de [F]. [E] et encaissés par lui, et la copie de ses relevés de comptes permettent d'établir qu'il a bien été destinataire de fonds provenant de son compte. Elle précise qu'à cette époque elle ne travaillait qu'à mi-temps et percevait en moyenne 650 euros par mois, et que les sommes prêtées à [F] [E] provenaient de l'héritage de sa mère, ainsi qu'elle en justifie par le production de relevés de compte. Elle fait valoir que [F] [E] a d'ailleurs commencé à lui rembourser certaines sommes à partir de 2015 et qu'il y a donc eu commencement d'exécution, de sorte que l'existence de la créance n'est pas contestable.

Elle admet que si le juge-commissaire a retenu au titre de sa créance la somme de 83 991 euros, il n'a pas tenu compte des divers remboursements qu'elle a perçus, de sorte que sa créance s'établit en réalité à la somme de 78 239,59 euros.

Elle considère, en application de l'article 2240 du code civil, que la prescription de l'article 2224 du même code a été interrompue par le commencement d'exécution, [F] [E] ayant commencé à remboursé une partie de sa dette dès 2015 et son dernier remboursement datant du 19 juin 2019. En conséquence, elle considère que sa créance n'est pas prescrite.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 avril 2025, et l'affaire a été appelée à l'audience du 14 mai suivant.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité et la régularité de la déclaration de créance, selon l'article L. 622-24, alinéa 2, du code de commerce, le créancier peut ratifier la déclaration faite en son nom jusqu'à ce que le juge statue sur l'admission de la créance et aucune forme particulière n'est prévue pour cette ratification, qui peut être implicite.

Cette ratification implicite peut encore s'opérer devant la cour d'appel.

Or en l'espèce, Mme [K], en concluant devant la cour à l'admission de la créance déclarée en son nom par son fils M. [X] [K], a nécessairement ratifié la déclaration.

Par conséquent, les consorts [E] et le liquidateur ès qualités sont mal fondés en leur moyen d'irrégularité et d'irrecevabilité de la déclaration de créance.

L'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a retenu la recevabilité de la déclaration de créance.

Pour autant, sur l'admission de la créance au passif, il sera rappelé que l'article L.624-2 du code de commerce dispose qu'au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence ; en l'absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la

demande d'admission.

Or, il appartient à Mme [K] de prouver que les sommes qu'elle a remises à M. [E] l'ont été à titre de prêt, c'est à dire avec une obligation de remboursement contractée par celui-ci.

Bien qu'il soit établi, par les attestations produites qui ne sont pas contestées, que Mme [K] et M. [E] vivaient en concubinage à [Localité 13] pendant la période concernée par les versements dont le remboursement est demandé, allant de septembre 2013 à avril 2020, Mme [K] allègue avoir prêté les sommes litigieuses à cause des difficultés financières rencontrées dans l'exploitation du restaurant par son concubin, lequel aurait pris, selon elle, l'engagement de la rembourser.

Toutefois, alors qu'il est reproché à l'intimée d'affirmer sans prouver, sa seule affirmation de l'intimée concernant la force de leur relation affective et de leur confiance réciproque ne peut suffire à caractériser avec évidence, en l'espèce, l'impossibilité morale de demander une reconnaissance de dette à l'emprunteur prétendu.

Mais encore, même à supposer cette impossibilité établie, il incombe à Mme [K] d'établir, par tout moyen, une obligation de remboursement à charge de [F] [E].

Or, précisément, cette obligation de remboursement est contestée, et il n'y a en l'espèce aucun indice qui tende à la démontrer avec l'évidence propre à faire retenir par la cour que la contestation n'est pas sérieuse.

S'il est certain que [F] [E] a reçu de Mme [K] de nombreux versements entre le 3 septembre 2013 et le 4 mai 2020, la cause de ces versements n'est pas établie.

En particulier, il est douteux que Mme [K] ait versé ces sommes pour venir en aide à son concubin dans l'exploitation de son commerce.

Les débits sur le compte courant bancaire de Mme [K] de 25 000 euros, le 16 septembre 2013, et de 1 454 euros le 30 septembre 2013, ne trouvent pas de correspondance prouvée dans les encaissements sur le compte de [F] [E].

Si [F] [E] a lui-même procédé à seulement cinq versements, par chèque au bénéfice de Mme [K] entre le 23 octobre 2015 et le 19 juin 2019, pour un montant global de 10 105,41 euros, il demeure douteux que ce fût des remboursements des prêts allégués.

Dans ces conditions, la créance alléguée fait l'objet d'une contestation sérieuse, celle-ci étant de nature à avoir une influence sur l'existence ou le montant de la créance.

Par conséquent, le juge-commissaire devait en l'espèce surseoir à statuer, en présence d'une contestation sérieuse échappant à son office, en application de l'article L. 624-2 du code de commerce.

La cour statuant comme juge de la vérification des créances ne dispose pas de davantage de pouvoirs que le juge-commissaire.

En conséquence, il convient de réformer l'ordonnance entreprise, mais seulement en ce qu'elle a admis la créance nonobstant une contestation sérieuse, d'inviter Mme [K] à saisir le tribunal de commerce d'Arras qui apparaît être la juridiction compétente et, dans cette attente, d'ordonner le sursis à statuer.

Les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS

Vu les articles L.624-2 et R.624-5 du code de commerce,

Réforme l'ordonnance entreprise, mais seulement en ce qu'elle a admis la créance,

Dit que la créance alléguée fait l'objet d'une contestation sérieuse,

Invite Mme [K], à peine de forclusion, à saisir le tribunal de commerce d'Arras, dans le délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception du présent avis,

Dans cette attente,

Ordonne le sursis à statuer,

Renvoie l'affaire à la mise en état du 25 septembre 2025 à 14 H 00 ;

Réserve les dépens.

Le greffier

Béatrice CAPLIEZ

Le président

Dominique GILLES

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