CA Paris, Pôle 6 - ch. 2, 10 juillet 2025, n° 23/07311
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 2
ARRET DU 10 JUILLET 2025
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/07311 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIQDZ
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 07 Novembre 2023 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de Paris - RG n° 23/00455
APPELANTE :
Madame [X] [K] [S] épouse [S]
C/O Me [M] - SCP BKL [Adresse 3]
[Localité 4]
Assistée de Me Benjamin MOISAN, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS, toque : L34 et de Me Savine BERNARD, avocat plaidant, inscrit au barreau de PARIS, toque : K0138
INTIMÉE :
Association UNEDIC
[Adresse 1]
[Localité 2]
N° SIRET : 775 67 1 8 78
Représentée par Me Eric ALLERIT, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS, toque : P0241 et par Me Frédéric BENOIST, avocat plaidant, inscrit au barreau de PARIS, toque : G0001
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 15 Mai 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Paule ALZEARI, Présidente,
Monsieur Eric LEGRIS, Magistrat,
Madame Christine LAGARDE, Conseillère,
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-Paule ALZEARI dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Madame Sophie CAPITAINE
ARRET :
- Contradictoire.
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Paule ALZEARI, Présidente, et par Sophie CAPITAINE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSE DU LITIGE :
L'association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (ci-après 'AGS') est un fonds de solidarité interentreprises pour répondre au besoin de protection des salariés lors des défaillances d'entreprise. Sa mission principale consiste à accompagner et soutenir les entreprises et leurs salariés dans les procédures collectives, en avançant les fonds nécessaires au paiement des créances salariales.
L'AGS a confié sa gestion technique et financière à l'Union Nationale interprofessionnelle pour l'Emploi dans l'Industrie et le Commerce (ci-après « Unedic »).
Cette gestion est assurée par un ensemble administratif mis en place au sein de l'Unedic, appelé Délégation UNEDIC-AGS (ci-après 'DUA').
Madame [K] a été embauchée par contrat à durée indéterminée du 1er septembre 2018 par l'AGS, en qualité de directrice générale.
Il était prévu au contrat : 'A compter du 1er janvier 2019, elle exercera également, au titre de ses fonctions de Directeur général de l'AGS et dans le cadre d'une mise à disposition, les responsabilités de directeur de la DUA.'
Le 17 décembre 2018, ce premier contrat de travail est suspendu au profit d'un contrat à durée déterminée la liant à l'Unedic jusqu'au 30 juin 2019. Elle a été nommée au poste de directrice de la DUA.
Le 1er juillet 2019, ce CDD a été transformé en CDI.
A partir de 2019, plusieurs procédures judiciaires ont été engagées. Une première plainte a été déposée par l'Unedic concernant des pratiques de certains administrateurs judiciaires soupçonnés d'avoir mis en place un mécanisme frauduleux aux fins de détournement des fonds avancés par l'AGS. Une seconde plainte a été déposée contre l'ancienne direction de la DUA pour faux et usage de faux, abus de confiance, recel, vol, corruption et prise illégale d'intérêts.
En mai 2022, l'Unedic a engagé un audit afin de s'assurer de la conformité réglementaire et du respect des procédures internes lors de l'achat de biens et de services. Madame [K] n'a pas fourni les documents demandés.
Le 22 février 2023, Madame [K] a été licenciée pour faute lourde.
Par requête du 22 mars 2023, Madame [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris afin que soit jugé nul son licenciement au visa de l'article L. 1132-4 du code du travail. Elle a sollicité l'indemnisation de différents préjudices.
En parallèle, Madame [K] a saisi la section des référés du conseil de prud'hommes afin d'obtenir sa réintégration et de faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le 07 novembre 2023, la formation de référé du Conseil de prud'hommes de Paris en sa formation de départage, a rendu l'ordonnance contradictoire suivante :
'Rejette l'ensemble des demandes formées par Madame [X] [B] ;
Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne Mme [U] aux dépens.'
Madame [K] a relevé appel de cette décision le 15 novembre 2023.
Par ordonnance en date du 27 mars 2024, une médiation a été ordonnée.
Par courriel du 27 juin 2024, Madame la médiatrice a informé la Cour que la médiation n'avait pu aboutir.
Un nouveau calendrier de fixation est intervenu le 28 juin 2024.
Le calendrier a été à nouveau modifié en raison de la demande de l'Unedic d'une fixation de l'affaire en collégiale.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 9 mai 2025, Madame [K] demande à la cour de :
'Juger Madame [K] recevable et bien fondée en son appel.
Infirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a débouté Madame [K] de sa demande
principale afin de bénéficier du statut de lanceuse d'alerte ou de présumer de ce statut.
Statuant de nouveau, juger qu'elle a effectué une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée.
A tout le moins, juger que la requérante a témoigné ou relaté de bonne foi de faits constitutifs
d'un délit ou d'un crime portés à sa connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
Juger que Madame [K] doit bénéficier du statut de lanceuse d'alerte et de la protection
des dispositions de l'articles 10-1, II de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 et de l'article L. 1132-3-3 du Code du travail, rendant nulles toutes mesures de représailles à son encontre.
Juger que le licenciement pour faute lourde est une mesure de représailles constitutive d'un trouble manifestement illicite.
Juger que cette mesure de représailles est nulle au visa des dispositions susmentionnées.
En conséquence, ordonner la réintégration immédiate de Madame [K] à son poste de
directrice nationale de la délégation UNEDIC AGS ou tout emploi équivalent au sein de l'UNEDIC, sur la base d'un salaire mensuel fixe de 17.585 euros augmenté annuellement de la moyenne des augmentations générales et des augmentations individuelles des cadres dirigeants de l'UNEDIC
Juger que cette condamnation sera ordonnée sous astreinte de 600,00 € par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir.
Juger que la Cour d'appel se réserve le droit de liquider cette astreinte.
Juger que les revenus de remplacement ne devront pas être déduits
Condamner l'employeur à verser à Madame [U] la somme de 439.625 € bruts, à titre de provision sur les salaires dus jusqu'au 31 mai 2025, outre les congés payés afférent pour 43.962 €.
Débouter l'UNEDIC de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes.
Condamner l'UNEDIC à lui verser la somme de 5000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamner l'intimée à tous les dépens.'
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 13 mai 2025, l'Unedic demande à la cour de:
'Ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture intervenue le 9 mai 2025.
IN LIMINE LITIS, SURSEOIR A STATUER jusqu'à l'issue des procédures pénales engagées tant par Madame [K] par plaintes des 13 janvier et 24 juillet 2023 et par voie de citation directe audiencée le 27 janvier 2025 devant le Tribunal correctionnel de Paris que par l'Unédic à raison de la plainte déposée le 18 janvier 2024, en cours d'enquête,
- Subsidiairement,
INFIRMER l'ordonnance entreprise en ce que le Conseil de prud'hommes, statuant en référé a considéré pouvoir se prononcer sur les revendications de Madame [K] tendant à se voir reconnaître les statuts de lanceuse d'alerte ou de témoin de bonne foi en l'absence d'un trouble manifestement illicite ;
Plus subsidiairement,
CONFIRMER l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a jugé que Madame [K] ne saurait se voir reconnaître les statuts de lanceuse d'alerte et de témoin de bonne foi et l'a déboutée de toutes ses demandes ;
À titre infiniment subsidiaire,
- JUGER que le licenciement de Madame [K] est sans lien avec les prétendues alertes invoquées et qu'il ne saurait s'analyser en un licenciement discriminatoire ;
En consequence,
- DEBOUTER Madame [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- DECLARER l'Unédic recevable et bien fondé en ses demandes, fins et prétentions,
- CONDAMNER Madame [K] à verser à l'Unédic une indemnité d'un montant de 10.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- CONDAMNER Madame [K] aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Eric ALLERIT, membre de la SELARL TAZE-BERNARD ALLERIT, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile. '
L'ordonnance de clôture est en date du 09 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
En liminaire, sur la procédure , à l'audience du 15 mai 2025 , avant le déroulement des débats, à la demande des parties et avec leur accord , aucune d'elles n'entendant répliquer, l'ordonnance de clôture rendue le 09 mai 2025 a été révoquée et la procédure a été à nouveau clôturée.
La décision a été prise à l'audience par mention au dossier.
Sur la demande de sursis à statuer :
Madame [K] fait valoir que cette demande n'est pas justifiée.
- Le sursis à statuer aurait pour effet de bloquer indéfiniment la procédure, puisque l'action publique dans le cadre des dépôts de plaintes n'est pas encore enclenchée.
- Cela aboutirait également à laisser au juge pénal la capcité d'apprécier la nullité du licenciement alors qu'il relève du conseil de prud'hommes.
- Enfin, Madame [K] n'est visée personnellement par aucune plainte pénale, ni poursuite. La lettre de licenciement ne fait mention d'aucune infraction pénale commise.
L'Unedic oppose que :
- Madame [K] a elle-même saisi le juge pénal de plaintes pour harcèlement moral. Les autres plaintes ont pour but de trancher la question de l'illégitimité de l'audit engagé au printemps 2022, qui est l'un des motifs pour lesquels elle a été licenciée. Il est donc nécessaire de déterminer au préalable si ces faits étaient justifiés. Madame [K] est en réalité à l'origine de nombreux abus : abus de confiance, favoritisme et travail dissimulé.
Il est de principe que le sursis est une faculté pour le juge qui dispose, pour apprécier l'opportunité d'une telle mesure, d'un pouvoir discrétionnaire.
Il en résulte que la décision de sursis n'a pas à être motivée.
Mais compte tenu du fait que la décision de sursis peut faire l'objet d'un recours et que le
juge ne saurait, sous couvert de sursis, refuser de juger une affaire, il importe de justifier la
décision, soit par l'une des hypothèses où la loi prévoit la faculté de surseoir à statuer , soit par les nécessités d'une bonne administration de la justice.
En l'espèce, il n'est nullement justifié ni d'ailleurs allégué d'une hypothèse où la loi prévoit la faculté de surseoir à statuer.
S'agissant des nécessités d'une bonne administration de la justice, force est de constater qu'il n'est nullement établi une possible contrariété de décision au regard de l'appréciation du statut de lanceur d'alerte.
Il en est de même s'agissant de l'appréciation de ce que la décision de licenciement est justifiée par des éléments objectifs étrangers à l'alerte.
La demande de sursis à statuer est donc rejetée.
Sur le statut de lanceur d'alerte :
Madame [K] se prévaut du statut de lanceur d'alerte, que le juge des référés peut reconnaître.
- Le Défenseur des Droits a reconnu à Madame [K] le statut de lanceur d'alerte.
- La [Adresse 6] (MLA) a produit une note étayée aux termes de laquelle elle indique que Madame [K] peut se prévaloir de cette qualité.
- La MLA a agi de manière indépendante et répond à un mode de fonctionnement qui ne permet aucune ingérence dans l'examen des dossiers.
- Contrairement à ce qu'affirme le juge départiteur, Madame [K] n'a jamais pu saisir un comité d'éthique en interne. Il n'existe pas de tel comité au sein de l'Unédic. Un comité d'éthique a été mis en place au sein de la DUA mais n'a de valeur ni statutaire, ni juridique pour recevoir et traiter les alertes de salariés.
- Les faits qui ont donné lieu aux plaintes pénales sont bien postérieurs à l'embauche de Madame [K]. On ne peut donc pas lui reprocher d'avoir lancé des alertes avant son embauche.
- La cause du licenciement de Madame [K] par l'Unedic trouve son origine dans les alertes et relances de la justice consécutivement aux investigations complémentaires qu'elle a poursuivies au-delà de mars 2019, pour faire la lumière sur les détournements pressentis dès 2018 et confirmés par la suite.
- Madame [K] a par ailleurs alerté toutes ses instances dirigeantes, sa hiérarchie directe à l'AGS comme au MEDEF.
- Le classement sans suites avancé par l'Unedic ne minimise en rien les alertes.
L'Unedic oppose que :
- La revendication par Madame [K] du statut de lanceur d'alerte échappe à la compétence du juge des référés. Seule l'existence d'un trouble manifestement illicite autorise le juge des référés à prescrire des mesures conservatoires.
- En tout état de cause, Madame [K] ne peut se prévaloir du statut de lanceur d'alerte. L'avis du Défenseur des droit reste non-contradictoire et mentionne des erreurs et approximations. Concernant la note de la MLA, l'avocat de Madame [K] est lui même membre de son conseil d'administration, ce qui laisse penser à un éventuel conflit d'intérêt.
- Madame [K] n'a ni révélé, ni signalé des faits dont elle aurait eu une connaissance personnelle, conformément à l'article 6 de la loi sur les lanceurs d'alerte.
- Madame [K] n'est pas à l'origine de l'alerte portant sur le fonctionnement de plusieurs études de mandataires judiciaires. Ces pratiques ont été révélées par un rapport de la cour des comptes.
- Elle n'a pas non plus personnellement constaté les problématiques liées aux modalités de gestion interne de l'ancienne direction de la DUA. Là encore, la cour des comptes l'avait déjà signalé dans un rapport du 18 décembre 2018.
- Elle n'est pas non plus à l'origine d'une prétendue alerte portant sur les relations entre un institut privé d'études et de statistiques et l'AGS.
- En tout état de cause, Madame [K] ne peut revendiquer un statut de lanceur d'alerte vis-à-vis de l'Unedic puisqu'il s'agit de signalements antérieurs à son embauche.
- Madame [K] n'a ni révélé ni signalé de faits en respectant la procédure légalement prévue par l'article 8 de la loi Sapin II. Elle aurait dû saisir le comité d'éthique de l'AGS.
- Subsidiairement, la protection invoquée au titre de l'article L1123-3 du code du travail en qualité de témoin de bonne foi n'est pas plus fondée.
L'article R. 1455-6 du code de procédure civile dispose que « la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s' imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».
En application de la disposition précitée, le trouble manifestement illicite résulte d'un fait matériel ou juridique qui constitue une violation évidente d'une norme obligatoire dont l'origine peut être contractuelle, législative ou réglementaire, l'appréciation du caractère manifestement illicite du trouble invoqué, relevant du pouvoir souverain du juge des référés.
Il résulte des articles L. 1121-1 du code du travail et 10§1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.
L'article 6 de la Sapin 2 dispose :
« Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.
Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l'alerte défini par le présent chapitre ».
L'article 12 de cette loi ajoute :
« En cas de rupture du contrat de travail consécutive au signalement d'une alerte au sens de l'article 6, le salarié peut saisir le conseil des prud'hommes dans les conditions prévues au chapitre V du titre V du livre IV de la première partie du code du travail ».
L'article L. 1132-1 du code du travail prévoit notamment qu' aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de son âge, de son état de santé ou de sa qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte, au sens, respectivement, du I de l'article 6 et des 1° et 2° de l'article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
L'article L. 1132-3-3 du code du travail dans sa version en vigueur du 11 décembre 2016 au 1er septembre 2022 prévoit :
« Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
En cas de litige relatif à l'application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu' elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu' elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu' il estime utiles ».
Ainsi, en application des dispositions précitées, il appartient au juge des référés, même en présence d'une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue la rupture d'un contrat de travail consécutive au signalement d'une alerte.
À cet effet, il doit apprécier si les éléments qui lui sont soumis permettent de présumer que le salarié a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'il a signalé une alerte dans le respect des conditions légales et, dans l'affirmative, rechercher si l'employeur apporte la preuve que sa décision de licencier est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage du salarié.
Il résulte des pièces versées aux débats par les parties les faits constants suivants :
' la Cour des Comptes a opéré un contrôle sur les comptes de la gestion de l'AGS sur les exercices 2013 à 2017 au cours de l'année 2018,
' Madame [U] a été recrutée par l'AGS le 1er septembre 2018 par contrat à durée indéterminée en qualité de directrice générale de l'AGS pour exercer sa mission en coordination opérationnelle avec le directeur de la DUA jusqu'à son départ à la retraite au 31 décembre 2018 et pour occuper, à partir du 1er janvier 2019, les responsabilités de directeur de la DUA dans le cadre d'une mise à disposition,
' dans le cadre de son contrôle, la Cour des Comptes a adressé le 18 décembre 2018 un relevé d'observations provisoires avant de rendre un rapport le 1er février 2019,
' le 18 décembre 2018, le directeur de la DUA s'est vu notifier sa mise à la retraite à effet au 1er janvier 2019 et Madame [U] a été embauchée le même jour par l'UNEDIC pour le remplacer, conduire un audit de la DUA et préparer l'évolution de la convention de gestion du régime de la garantie des salaires,
' le même jour, en sa qualité de directrice générale de la DUA, Madame [U] a confié au cabinet Ernst and Young une mission d'audit en vue de confirmer ou infirmer les allégations de potentielles irrégularités dans les comptes de l'organisation, portant notamment sur certaines charges en lien avec des tiers (avocats, prestataires de services de communication,') qui auraient des liens avec le directeur de la DUA, ainsi que des frais de représentation liés à ce dernier et de chiffrer le préjudice subi,
' le 25 février 2019, elle a confié au cabinet Advolis la mission de mener des investigations complémentaires, notamment quant au processus de labellisation des mandataires judiciaires et sur les admissions en non-valeur et abandon de créances,
' au mois de mars 2019, l'AGS, la DUA, le MEDEF et la CGPME ont déposé plainte des chefs de vol, corruption active et passive, faux et usage de faux, abus de confiance et prise illégale d'intérêts contre X, cette plainte dénonçait des pratiques irrégulières de l'ancienne équipe dirigeante de la DUA au profit d'avocats contrôleurs,
' le 28 mars 2019, l'UNEDIC a également déposé plainte pour les mêmes faits,
' par contrat à durée déterminée du 29 juin 2019, Madame [U] a été engagée par l'UNEDIC pour remplacer l'ancien directeur rétroactivement à compter du 18 décembre 2018 et jusqu'au 30 juin 2019, puis par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 24 juin 2019 avec notamment pour objectif d'élaborer un plan de maîtrise des risques des activités au sein de la DUA,
' une seconde plainte avec constitution de partie civile a été déposée contre X le 17 octobre 2019 par l'AGS pour des faits d'abus de confiance, de faux et usage de faux et de recel dénonçant des pratiques frauduleuses des administrateurs judiciaires aux fins de détournements de fonds publics,
' une plainte a été déposée par l'UNEDIC pour les mêmes faits au mois de novembre 2019,
' une plainte a été déposée par l'AGS et la DUA devant le doyen des juges d'instruction le 16 décembre 2020,
' le 29 novembre 2022, l'UNEDIC a mandaté le cabinet d'expertise comptable Monceau Expert pour effectuer une mission ponctuelle consistant en l'évaluation quantitative et qualitative des frais de mission, de réception, de déplacements engagés par la direction de la DUA et de son équipe sur la période allant du 1er janvier 2021 au 15 octobre 2022, un pré-rapport a été remis le 7 décembre 2022,
' le 7 décembre 2022, Madame [U] a informé le directeur général de l'UNEDIC de rumeurs relatives aux dépenses de fonctionnement de la DUA et plus particulièrement de sa part; les services de l'UNEDIC ont alors formulé des demandes de documents additionnels au service de la DUA,
' le 9 décembre 2022, Madame [U] a écrit au directeur général de l'UNEDIC pour l'interroger sur les raisons de ses demandes incessantes qui avaient, selon elle, pour conséquence d'augmenter la charge de travail de ses équipes aux risques d'un burnout,
' Madame [U] a été placée en arrêt maladie à compter du 13 décembre 2022 pour un épisode dépressif majeur,
' le cabinet PriceWaterhousecoopers a été mandaté afin de confirmer ou non l'existence de potentiels dysfonctionnements en lien avec le processus d'engagement de dépenses au sein de la DUA et a rédigé une note d'analyse datée du 30 janvier 2023 concernant trois dossiers dits prioritaires relativement à un fournisseur de services informatiques la société Sequentys, un cumul de contrat de travail et de contrat de consultant de l'ancien responsable des ressources humaines de la DUA et l'octroi de billets d'avion ; le cabinet a remis son rapport le 4 avril 2023,
' Madame [U] a déposé plainte auprès du procureur de la république des chefs de harcèlement moral le 13 janvier 2023,
' le 2 février 2023, elle a demandé la protection urgente en tant que lanceur d'alerte auprès du défenseur des droits se disant victime de harcèlement suite à des alertes et dénonciations touchant le fonctionnement de la DUA,
' Madame [U] a été licenciée pour faute lourde le 23 février 2023,
' elle a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, le 24 mars 2023, afin d'obtenir l'annulation de son licenciement en invoquant notamment le statut de lanceur d'alerte avec demande de condamnation solidaire de l'UNEDIC, de l'AGS et du MEDEF,
' le 24 avril 2023, l'UNEDIC a transmis au procureur de la république un signalement concernant de potentiels dysfonctionnements dans la gestion de la DUA.
Madame [U] estime pouvoir bénéficier du statut de lanceur d'alerte au regard des alertes internes sur des anomalies graves qui auraient été portées à sa connaissance dans l'exercice de ses fonctions dès le 1er septembre 2018 ainsi que des signalements externes auprès des autorités compétentes par le dépôt de diverses plaintes au cours du mois de mars 2019.
S'agissant des alertes liées au fonctionnement de plusieurs études de mandataire judiciaire, il doit être considéré que ces problématiques n'ont nullement été constatés et/ou révélées par Madame [U] en sa qualité de salariée de l'UNEDIC.
En effet, elle a été embauchée en décembre 2018 par l'UNEDIC avec une mission d'audit et afin de mettre fin aux pratiques précédemment découvertes avant son embauche.
Ainsi, son contrat de travail prévoyait expressément qu'elle avait pour mission de 'conduire un audit de la Délégation UNEDIC- AGS dont le cadrage de la mission, ses conclusions devant être portées à la connaissance du Directeur Général de l'UNEDIC et du président de l'AGS.'
Elle a d'ailleurs été cosignataire avec l'ancien Directeur Général de l'UNEDIC d'une lettre adressée le 22 janvier 2019 à la Cour des Comptes qui faisait suite au relevé d'observations provisoires relatifs à l'AGS qui avait été adressé par la Cour des Comptes le 18 décembre 2018.
Il en résulte donc que c'est sur l'alerte lancée, non par Madame [U], mais par la Cour des Comptes concernant la baisse structurelle des récupérations de l'AGS, que l'ancien Directeur Général de l'UNEDIC s'est engagé , notamment afin de renforcer les moyens de détection des actifs dans les procédures collectives et être en capacité d'effectuer des relances ciblées et efficaces auprès des mandataires de justice pour appréhender les fonds devant revenir à l'AGS.
Plus spécifiquement, s'agissant de la note blanche datée du 09 novembre 2018, soit antérieurement à son embauche au sein de l'UNEDIC, il doit être considéré que cette dernière traite de sujets généraux, en l'espèce la renégociation de la convention de gestion entre l'AGS et UNEDIC et la situation liée à l'incertitude sur la date de départ à la retraite du directeur de la DUA , critiqué quant à certain décisions prises impactant financièrement l'institution pour l'avenir.
Sont également ciblés la signature d'une convention d'honoraires le 02 octobre 2018 à effet au 1er janvier 2019 sans concertation préalable avec la directrice générale de l'AGS, des frais de réception en lien avec son départ ainsi que l'engagement de frais professionnels lors d'un déplacement à [Localité 5] n'ayant pas respecté la procédure de validation.
À cet égard, force est de constater qu'aucun des points invoqués par Madame [U] ne sont mentionnés et surtout, il n'est nullement fait état de faits qu'elle aurait personnellement constaté.
Il n'est fait spécifiquement mention d'aucune alerte ou révélation d'informations qui n'auraient pas été connues avant son embauche.
S'agissant des modalités de gestion interne de l'ancienne direction de la DUA, il doit être rappelé que cette problématique avait déjà été révélée par la Cour des Comptes dans son relevé du 18 décembre 2018.
Surtout, il ne résulte nullement des pièces du dossier que les agissements répréhensibles imputables à l'ancien directeur de la DUA ont été révélés par Madame [U].
Ainsi, il ressort de la lettre de licenciement de ce dernier , intervenu le 14 mai 2019, que l'UNEDIC avait eu récemment connaissance, lors de la prise de fonction de la nouvelle directrice nationale de la DUA, par plusieurs collaborateurs et cadres salariés de 'circonstances pour le moins étonnante constatées dans le fonctionnement de la direction de la DUA', le mettant en cause ainsi qu'une autre personne.
Il en résulte donc que ce n'est pas Mme [U] qui a été à l'origine des révélations mais, en fait, plusieurs collaborateurs et cadres salariés de la DUA.
Ce constat est confirmé par la lettre de licenciement adressée à une autre salariée et signée par Madame [U] dans laquelle on peut lire :
«... à l'occasion de réunions organisées en décembre, des juristes ont informé la responsable du pôle contentieux de ce qu'un certain nombre de documents avait disparu des dossiers'
Enfin, début décembre 2018, j'ai été informée par un membre de votre équipe que vous aviez reçu un sac à main de grande valeur en cadeau de la part d'une avocate à qui vous avez été amenée à confier des dossiers en tant que contrôleur représentant l'AGS. »
Ainsi, force est de constater que ce n'est pas Madame [U] qui a révélé des faits qu'elle aurait personnellement découverts alors qu'au contraire, ce sont des 'juristes'qui ont informé la responsable du pôle contentieux ainsi qu'un membre de l'équipe des agissements de cette ancienne salariée.
Sur la question d'un conflit d'intérêts concernant les relations entre l'institut privé d'études et de statistiques 'Rexecode', dont Madame [U] indique qu'il serait, depuis 2008, dirigé par le conjoint de la présidence de l'UNEDIC.
Cependant, outre le fait qu'il ne résulte d'aucune des pièces communiquées par l'intéressée la justification d'une alerte qu'elle aurait personnellement lancée sur ce point, il doit , à l'opposé, être considéré que cet élément résulte spécifiquement et uniquement d'un courriel adressé le 29 juin 2022 par une représentante du personnel qui invoque 'de potentiels conflits d'intérêts concernant la collaboration entre l'UNEDIC et l'institut privé Rexecode'.
Cette question d'un possible conflit d'intérêts n'est donc apparue que le 29 juin 2022 suite à ce courriel adressé aux membres du Conseil d'administration de l'UNEDIC et n'a fait l'objet d'aucune alerte ou aucune plainte émise par Madame [U].
Il résulte donc de l'ensemble de ces éléments que Madame [U] ne justifie nullement avoir révélé ou signalé des faits dont elle aurait eu personnellement connaissance, étant observé, qu'en dehors de la dernière alerte invoquée, les faits litigieux sont apparus antérieurement et concomitamment à son embauche, alors et surtout que son licenciement est intervenu plus de quatre années après sa prise de fonction.
De surcroît, Madame [U] ne peut utilement revendiquer le statut de lanceuse d'alerte vis-à-vis de l'UNEDIC s'agissant de signalements antérieurs à son embauche par l'UNEDIC.
À cet égard, le premier juge a exactement relevé qu'elle invoquait uniquement des éléments antérieurs à son embauche par l'UNEDIC alors que l'article L. 1132-3-3 du code du travail prévoit qu'aucun salarié ne peut être licencié pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
Ainsi c'est juste titre que le Conseil de prud'hommes a estimé , qu'ayant été embauchée pour réaliser et mener à bien l'audit de la DUA dont elle avait rendu compte à la direction de l'UNEDIC dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail et qui avait conduit l'UNEDIC a déposé plainte à deux reprises quant aux anomalies mises en évidence, Madame [U] ne pouvait revendiquer le statut de lanceuse d'alerte.
À titre subsidiaire, sur la protection invoquée en qualité de témoin de bonne foi au titre des dispositions de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, issues de la loi n° 2022- 401 du 21 mars 2022, qui ouvrent droit à une protection au bénéfice de toute personne qui aurait témoigné ou relaté de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, dans l'exercice de ses fonctions et de bonne foi, il doit en premier lieu être relevé que cette disposition légale est postérieure à l'intégralité des faits invoqués par la requérante.
En second lieu, s'agissant de la disposition légale dans sa rédaction antérieure, c'est à bon droit que le premier juge a retenu qu'elle ne pouvait pas plus revendiquer la protection offerte en cas de divulgation directement publique dès lors qu'elle ne démontre nullement l'existence d'un danger imminent ou d'un risque de dommage irréversible.
Ainsi, et sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, il doit être considéré que Madame [U] ne peut utilement invoquer le statut de lanceuse d'alerte en ce qu'elle n'a pas relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit dont elle aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
L'ordonnance déférée mérite ainsi confirmation sans qu'il y ait donc lieu d'examiner l'existence d'éléments objectifs étrangers à l'alerte ou au témoignage ayant motivé la décision de licenciement.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Madame [X] [U], qui succombe sur le mérite de son appel, doit être condamnée aux dépens et déboutée en sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Aucune raison d'équité ne commande l'application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la partie intimée.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,
REJETTE la demande de sursis à statuer,
CONFIRME l'ordonnance déférée en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
CONDAMNE Madame [X] [U] aux dépens d'appel,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
La Greffière La Présidente
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 2
ARRET DU 10 JUILLET 2025
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/07311 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIQDZ
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 07 Novembre 2023 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de Paris - RG n° 23/00455
APPELANTE :
Madame [X] [K] [S] épouse [S]
C/O Me [M] - SCP BKL [Adresse 3]
[Localité 4]
Assistée de Me Benjamin MOISAN, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS, toque : L34 et de Me Savine BERNARD, avocat plaidant, inscrit au barreau de PARIS, toque : K0138
INTIMÉE :
Association UNEDIC
[Adresse 1]
[Localité 2]
N° SIRET : 775 67 1 8 78
Représentée par Me Eric ALLERIT, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS, toque : P0241 et par Me Frédéric BENOIST, avocat plaidant, inscrit au barreau de PARIS, toque : G0001
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 15 Mai 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Paule ALZEARI, Présidente,
Monsieur Eric LEGRIS, Magistrat,
Madame Christine LAGARDE, Conseillère,
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-Paule ALZEARI dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Madame Sophie CAPITAINE
ARRET :
- Contradictoire.
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Paule ALZEARI, Présidente, et par Sophie CAPITAINE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSE DU LITIGE :
L'association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (ci-après 'AGS') est un fonds de solidarité interentreprises pour répondre au besoin de protection des salariés lors des défaillances d'entreprise. Sa mission principale consiste à accompagner et soutenir les entreprises et leurs salariés dans les procédures collectives, en avançant les fonds nécessaires au paiement des créances salariales.
L'AGS a confié sa gestion technique et financière à l'Union Nationale interprofessionnelle pour l'Emploi dans l'Industrie et le Commerce (ci-après « Unedic »).
Cette gestion est assurée par un ensemble administratif mis en place au sein de l'Unedic, appelé Délégation UNEDIC-AGS (ci-après 'DUA').
Madame [K] a été embauchée par contrat à durée indéterminée du 1er septembre 2018 par l'AGS, en qualité de directrice générale.
Il était prévu au contrat : 'A compter du 1er janvier 2019, elle exercera également, au titre de ses fonctions de Directeur général de l'AGS et dans le cadre d'une mise à disposition, les responsabilités de directeur de la DUA.'
Le 17 décembre 2018, ce premier contrat de travail est suspendu au profit d'un contrat à durée déterminée la liant à l'Unedic jusqu'au 30 juin 2019. Elle a été nommée au poste de directrice de la DUA.
Le 1er juillet 2019, ce CDD a été transformé en CDI.
A partir de 2019, plusieurs procédures judiciaires ont été engagées. Une première plainte a été déposée par l'Unedic concernant des pratiques de certains administrateurs judiciaires soupçonnés d'avoir mis en place un mécanisme frauduleux aux fins de détournement des fonds avancés par l'AGS. Une seconde plainte a été déposée contre l'ancienne direction de la DUA pour faux et usage de faux, abus de confiance, recel, vol, corruption et prise illégale d'intérêts.
En mai 2022, l'Unedic a engagé un audit afin de s'assurer de la conformité réglementaire et du respect des procédures internes lors de l'achat de biens et de services. Madame [K] n'a pas fourni les documents demandés.
Le 22 février 2023, Madame [K] a été licenciée pour faute lourde.
Par requête du 22 mars 2023, Madame [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris afin que soit jugé nul son licenciement au visa de l'article L. 1132-4 du code du travail. Elle a sollicité l'indemnisation de différents préjudices.
En parallèle, Madame [K] a saisi la section des référés du conseil de prud'hommes afin d'obtenir sa réintégration et de faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le 07 novembre 2023, la formation de référé du Conseil de prud'hommes de Paris en sa formation de départage, a rendu l'ordonnance contradictoire suivante :
'Rejette l'ensemble des demandes formées par Madame [X] [B] ;
Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne Mme [U] aux dépens.'
Madame [K] a relevé appel de cette décision le 15 novembre 2023.
Par ordonnance en date du 27 mars 2024, une médiation a été ordonnée.
Par courriel du 27 juin 2024, Madame la médiatrice a informé la Cour que la médiation n'avait pu aboutir.
Un nouveau calendrier de fixation est intervenu le 28 juin 2024.
Le calendrier a été à nouveau modifié en raison de la demande de l'Unedic d'une fixation de l'affaire en collégiale.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 9 mai 2025, Madame [K] demande à la cour de :
'Juger Madame [K] recevable et bien fondée en son appel.
Infirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a débouté Madame [K] de sa demande
principale afin de bénéficier du statut de lanceuse d'alerte ou de présumer de ce statut.
Statuant de nouveau, juger qu'elle a effectué une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée.
A tout le moins, juger que la requérante a témoigné ou relaté de bonne foi de faits constitutifs
d'un délit ou d'un crime portés à sa connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
Juger que Madame [K] doit bénéficier du statut de lanceuse d'alerte et de la protection
des dispositions de l'articles 10-1, II de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 et de l'article L. 1132-3-3 du Code du travail, rendant nulles toutes mesures de représailles à son encontre.
Juger que le licenciement pour faute lourde est une mesure de représailles constitutive d'un trouble manifestement illicite.
Juger que cette mesure de représailles est nulle au visa des dispositions susmentionnées.
En conséquence, ordonner la réintégration immédiate de Madame [K] à son poste de
directrice nationale de la délégation UNEDIC AGS ou tout emploi équivalent au sein de l'UNEDIC, sur la base d'un salaire mensuel fixe de 17.585 euros augmenté annuellement de la moyenne des augmentations générales et des augmentations individuelles des cadres dirigeants de l'UNEDIC
Juger que cette condamnation sera ordonnée sous astreinte de 600,00 € par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir.
Juger que la Cour d'appel se réserve le droit de liquider cette astreinte.
Juger que les revenus de remplacement ne devront pas être déduits
Condamner l'employeur à verser à Madame [U] la somme de 439.625 € bruts, à titre de provision sur les salaires dus jusqu'au 31 mai 2025, outre les congés payés afférent pour 43.962 €.
Débouter l'UNEDIC de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes.
Condamner l'UNEDIC à lui verser la somme de 5000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamner l'intimée à tous les dépens.'
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 13 mai 2025, l'Unedic demande à la cour de:
'Ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture intervenue le 9 mai 2025.
IN LIMINE LITIS, SURSEOIR A STATUER jusqu'à l'issue des procédures pénales engagées tant par Madame [K] par plaintes des 13 janvier et 24 juillet 2023 et par voie de citation directe audiencée le 27 janvier 2025 devant le Tribunal correctionnel de Paris que par l'Unédic à raison de la plainte déposée le 18 janvier 2024, en cours d'enquête,
- Subsidiairement,
INFIRMER l'ordonnance entreprise en ce que le Conseil de prud'hommes, statuant en référé a considéré pouvoir se prononcer sur les revendications de Madame [K] tendant à se voir reconnaître les statuts de lanceuse d'alerte ou de témoin de bonne foi en l'absence d'un trouble manifestement illicite ;
Plus subsidiairement,
CONFIRMER l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a jugé que Madame [K] ne saurait se voir reconnaître les statuts de lanceuse d'alerte et de témoin de bonne foi et l'a déboutée de toutes ses demandes ;
À titre infiniment subsidiaire,
- JUGER que le licenciement de Madame [K] est sans lien avec les prétendues alertes invoquées et qu'il ne saurait s'analyser en un licenciement discriminatoire ;
En consequence,
- DEBOUTER Madame [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- DECLARER l'Unédic recevable et bien fondé en ses demandes, fins et prétentions,
- CONDAMNER Madame [K] à verser à l'Unédic une indemnité d'un montant de 10.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- CONDAMNER Madame [K] aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Eric ALLERIT, membre de la SELARL TAZE-BERNARD ALLERIT, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile. '
L'ordonnance de clôture est en date du 09 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
En liminaire, sur la procédure , à l'audience du 15 mai 2025 , avant le déroulement des débats, à la demande des parties et avec leur accord , aucune d'elles n'entendant répliquer, l'ordonnance de clôture rendue le 09 mai 2025 a été révoquée et la procédure a été à nouveau clôturée.
La décision a été prise à l'audience par mention au dossier.
Sur la demande de sursis à statuer :
Madame [K] fait valoir que cette demande n'est pas justifiée.
- Le sursis à statuer aurait pour effet de bloquer indéfiniment la procédure, puisque l'action publique dans le cadre des dépôts de plaintes n'est pas encore enclenchée.
- Cela aboutirait également à laisser au juge pénal la capcité d'apprécier la nullité du licenciement alors qu'il relève du conseil de prud'hommes.
- Enfin, Madame [K] n'est visée personnellement par aucune plainte pénale, ni poursuite. La lettre de licenciement ne fait mention d'aucune infraction pénale commise.
L'Unedic oppose que :
- Madame [K] a elle-même saisi le juge pénal de plaintes pour harcèlement moral. Les autres plaintes ont pour but de trancher la question de l'illégitimité de l'audit engagé au printemps 2022, qui est l'un des motifs pour lesquels elle a été licenciée. Il est donc nécessaire de déterminer au préalable si ces faits étaient justifiés. Madame [K] est en réalité à l'origine de nombreux abus : abus de confiance, favoritisme et travail dissimulé.
Il est de principe que le sursis est une faculté pour le juge qui dispose, pour apprécier l'opportunité d'une telle mesure, d'un pouvoir discrétionnaire.
Il en résulte que la décision de sursis n'a pas à être motivée.
Mais compte tenu du fait que la décision de sursis peut faire l'objet d'un recours et que le
juge ne saurait, sous couvert de sursis, refuser de juger une affaire, il importe de justifier la
décision, soit par l'une des hypothèses où la loi prévoit la faculté de surseoir à statuer , soit par les nécessités d'une bonne administration de la justice.
En l'espèce, il n'est nullement justifié ni d'ailleurs allégué d'une hypothèse où la loi prévoit la faculté de surseoir à statuer.
S'agissant des nécessités d'une bonne administration de la justice, force est de constater qu'il n'est nullement établi une possible contrariété de décision au regard de l'appréciation du statut de lanceur d'alerte.
Il en est de même s'agissant de l'appréciation de ce que la décision de licenciement est justifiée par des éléments objectifs étrangers à l'alerte.
La demande de sursis à statuer est donc rejetée.
Sur le statut de lanceur d'alerte :
Madame [K] se prévaut du statut de lanceur d'alerte, que le juge des référés peut reconnaître.
- Le Défenseur des Droits a reconnu à Madame [K] le statut de lanceur d'alerte.
- La [Adresse 6] (MLA) a produit une note étayée aux termes de laquelle elle indique que Madame [K] peut se prévaloir de cette qualité.
- La MLA a agi de manière indépendante et répond à un mode de fonctionnement qui ne permet aucune ingérence dans l'examen des dossiers.
- Contrairement à ce qu'affirme le juge départiteur, Madame [K] n'a jamais pu saisir un comité d'éthique en interne. Il n'existe pas de tel comité au sein de l'Unédic. Un comité d'éthique a été mis en place au sein de la DUA mais n'a de valeur ni statutaire, ni juridique pour recevoir et traiter les alertes de salariés.
- Les faits qui ont donné lieu aux plaintes pénales sont bien postérieurs à l'embauche de Madame [K]. On ne peut donc pas lui reprocher d'avoir lancé des alertes avant son embauche.
- La cause du licenciement de Madame [K] par l'Unedic trouve son origine dans les alertes et relances de la justice consécutivement aux investigations complémentaires qu'elle a poursuivies au-delà de mars 2019, pour faire la lumière sur les détournements pressentis dès 2018 et confirmés par la suite.
- Madame [K] a par ailleurs alerté toutes ses instances dirigeantes, sa hiérarchie directe à l'AGS comme au MEDEF.
- Le classement sans suites avancé par l'Unedic ne minimise en rien les alertes.
L'Unedic oppose que :
- La revendication par Madame [K] du statut de lanceur d'alerte échappe à la compétence du juge des référés. Seule l'existence d'un trouble manifestement illicite autorise le juge des référés à prescrire des mesures conservatoires.
- En tout état de cause, Madame [K] ne peut se prévaloir du statut de lanceur d'alerte. L'avis du Défenseur des droit reste non-contradictoire et mentionne des erreurs et approximations. Concernant la note de la MLA, l'avocat de Madame [K] est lui même membre de son conseil d'administration, ce qui laisse penser à un éventuel conflit d'intérêt.
- Madame [K] n'a ni révélé, ni signalé des faits dont elle aurait eu une connaissance personnelle, conformément à l'article 6 de la loi sur les lanceurs d'alerte.
- Madame [K] n'est pas à l'origine de l'alerte portant sur le fonctionnement de plusieurs études de mandataires judiciaires. Ces pratiques ont été révélées par un rapport de la cour des comptes.
- Elle n'a pas non plus personnellement constaté les problématiques liées aux modalités de gestion interne de l'ancienne direction de la DUA. Là encore, la cour des comptes l'avait déjà signalé dans un rapport du 18 décembre 2018.
- Elle n'est pas non plus à l'origine d'une prétendue alerte portant sur les relations entre un institut privé d'études et de statistiques et l'AGS.
- En tout état de cause, Madame [K] ne peut revendiquer un statut de lanceur d'alerte vis-à-vis de l'Unedic puisqu'il s'agit de signalements antérieurs à son embauche.
- Madame [K] n'a ni révélé ni signalé de faits en respectant la procédure légalement prévue par l'article 8 de la loi Sapin II. Elle aurait dû saisir le comité d'éthique de l'AGS.
- Subsidiairement, la protection invoquée au titre de l'article L1123-3 du code du travail en qualité de témoin de bonne foi n'est pas plus fondée.
L'article R. 1455-6 du code de procédure civile dispose que « la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s' imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».
En application de la disposition précitée, le trouble manifestement illicite résulte d'un fait matériel ou juridique qui constitue une violation évidente d'une norme obligatoire dont l'origine peut être contractuelle, législative ou réglementaire, l'appréciation du caractère manifestement illicite du trouble invoqué, relevant du pouvoir souverain du juge des référés.
Il résulte des articles L. 1121-1 du code du travail et 10§1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.
L'article 6 de la Sapin 2 dispose :
« Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.
Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l'alerte défini par le présent chapitre ».
L'article 12 de cette loi ajoute :
« En cas de rupture du contrat de travail consécutive au signalement d'une alerte au sens de l'article 6, le salarié peut saisir le conseil des prud'hommes dans les conditions prévues au chapitre V du titre V du livre IV de la première partie du code du travail ».
L'article L. 1132-1 du code du travail prévoit notamment qu' aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de son âge, de son état de santé ou de sa qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte, au sens, respectivement, du I de l'article 6 et des 1° et 2° de l'article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
L'article L. 1132-3-3 du code du travail dans sa version en vigueur du 11 décembre 2016 au 1er septembre 2022 prévoit :
« Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
En cas de litige relatif à l'application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu' elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu' elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu' il estime utiles ».
Ainsi, en application des dispositions précitées, il appartient au juge des référés, même en présence d'une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue la rupture d'un contrat de travail consécutive au signalement d'une alerte.
À cet effet, il doit apprécier si les éléments qui lui sont soumis permettent de présumer que le salarié a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'il a signalé une alerte dans le respect des conditions légales et, dans l'affirmative, rechercher si l'employeur apporte la preuve que sa décision de licencier est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage du salarié.
Il résulte des pièces versées aux débats par les parties les faits constants suivants :
' la Cour des Comptes a opéré un contrôle sur les comptes de la gestion de l'AGS sur les exercices 2013 à 2017 au cours de l'année 2018,
' Madame [U] a été recrutée par l'AGS le 1er septembre 2018 par contrat à durée indéterminée en qualité de directrice générale de l'AGS pour exercer sa mission en coordination opérationnelle avec le directeur de la DUA jusqu'à son départ à la retraite au 31 décembre 2018 et pour occuper, à partir du 1er janvier 2019, les responsabilités de directeur de la DUA dans le cadre d'une mise à disposition,
' dans le cadre de son contrôle, la Cour des Comptes a adressé le 18 décembre 2018 un relevé d'observations provisoires avant de rendre un rapport le 1er février 2019,
' le 18 décembre 2018, le directeur de la DUA s'est vu notifier sa mise à la retraite à effet au 1er janvier 2019 et Madame [U] a été embauchée le même jour par l'UNEDIC pour le remplacer, conduire un audit de la DUA et préparer l'évolution de la convention de gestion du régime de la garantie des salaires,
' le même jour, en sa qualité de directrice générale de la DUA, Madame [U] a confié au cabinet Ernst and Young une mission d'audit en vue de confirmer ou infirmer les allégations de potentielles irrégularités dans les comptes de l'organisation, portant notamment sur certaines charges en lien avec des tiers (avocats, prestataires de services de communication,') qui auraient des liens avec le directeur de la DUA, ainsi que des frais de représentation liés à ce dernier et de chiffrer le préjudice subi,
' le 25 février 2019, elle a confié au cabinet Advolis la mission de mener des investigations complémentaires, notamment quant au processus de labellisation des mandataires judiciaires et sur les admissions en non-valeur et abandon de créances,
' au mois de mars 2019, l'AGS, la DUA, le MEDEF et la CGPME ont déposé plainte des chefs de vol, corruption active et passive, faux et usage de faux, abus de confiance et prise illégale d'intérêts contre X, cette plainte dénonçait des pratiques irrégulières de l'ancienne équipe dirigeante de la DUA au profit d'avocats contrôleurs,
' le 28 mars 2019, l'UNEDIC a également déposé plainte pour les mêmes faits,
' par contrat à durée déterminée du 29 juin 2019, Madame [U] a été engagée par l'UNEDIC pour remplacer l'ancien directeur rétroactivement à compter du 18 décembre 2018 et jusqu'au 30 juin 2019, puis par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 24 juin 2019 avec notamment pour objectif d'élaborer un plan de maîtrise des risques des activités au sein de la DUA,
' une seconde plainte avec constitution de partie civile a été déposée contre X le 17 octobre 2019 par l'AGS pour des faits d'abus de confiance, de faux et usage de faux et de recel dénonçant des pratiques frauduleuses des administrateurs judiciaires aux fins de détournements de fonds publics,
' une plainte a été déposée par l'UNEDIC pour les mêmes faits au mois de novembre 2019,
' une plainte a été déposée par l'AGS et la DUA devant le doyen des juges d'instruction le 16 décembre 2020,
' le 29 novembre 2022, l'UNEDIC a mandaté le cabinet d'expertise comptable Monceau Expert pour effectuer une mission ponctuelle consistant en l'évaluation quantitative et qualitative des frais de mission, de réception, de déplacements engagés par la direction de la DUA et de son équipe sur la période allant du 1er janvier 2021 au 15 octobre 2022, un pré-rapport a été remis le 7 décembre 2022,
' le 7 décembre 2022, Madame [U] a informé le directeur général de l'UNEDIC de rumeurs relatives aux dépenses de fonctionnement de la DUA et plus particulièrement de sa part; les services de l'UNEDIC ont alors formulé des demandes de documents additionnels au service de la DUA,
' le 9 décembre 2022, Madame [U] a écrit au directeur général de l'UNEDIC pour l'interroger sur les raisons de ses demandes incessantes qui avaient, selon elle, pour conséquence d'augmenter la charge de travail de ses équipes aux risques d'un burnout,
' Madame [U] a été placée en arrêt maladie à compter du 13 décembre 2022 pour un épisode dépressif majeur,
' le cabinet PriceWaterhousecoopers a été mandaté afin de confirmer ou non l'existence de potentiels dysfonctionnements en lien avec le processus d'engagement de dépenses au sein de la DUA et a rédigé une note d'analyse datée du 30 janvier 2023 concernant trois dossiers dits prioritaires relativement à un fournisseur de services informatiques la société Sequentys, un cumul de contrat de travail et de contrat de consultant de l'ancien responsable des ressources humaines de la DUA et l'octroi de billets d'avion ; le cabinet a remis son rapport le 4 avril 2023,
' Madame [U] a déposé plainte auprès du procureur de la république des chefs de harcèlement moral le 13 janvier 2023,
' le 2 février 2023, elle a demandé la protection urgente en tant que lanceur d'alerte auprès du défenseur des droits se disant victime de harcèlement suite à des alertes et dénonciations touchant le fonctionnement de la DUA,
' Madame [U] a été licenciée pour faute lourde le 23 février 2023,
' elle a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, le 24 mars 2023, afin d'obtenir l'annulation de son licenciement en invoquant notamment le statut de lanceur d'alerte avec demande de condamnation solidaire de l'UNEDIC, de l'AGS et du MEDEF,
' le 24 avril 2023, l'UNEDIC a transmis au procureur de la république un signalement concernant de potentiels dysfonctionnements dans la gestion de la DUA.
Madame [U] estime pouvoir bénéficier du statut de lanceur d'alerte au regard des alertes internes sur des anomalies graves qui auraient été portées à sa connaissance dans l'exercice de ses fonctions dès le 1er septembre 2018 ainsi que des signalements externes auprès des autorités compétentes par le dépôt de diverses plaintes au cours du mois de mars 2019.
S'agissant des alertes liées au fonctionnement de plusieurs études de mandataire judiciaire, il doit être considéré que ces problématiques n'ont nullement été constatés et/ou révélées par Madame [U] en sa qualité de salariée de l'UNEDIC.
En effet, elle a été embauchée en décembre 2018 par l'UNEDIC avec une mission d'audit et afin de mettre fin aux pratiques précédemment découvertes avant son embauche.
Ainsi, son contrat de travail prévoyait expressément qu'elle avait pour mission de 'conduire un audit de la Délégation UNEDIC- AGS dont le cadrage de la mission, ses conclusions devant être portées à la connaissance du Directeur Général de l'UNEDIC et du président de l'AGS.'
Elle a d'ailleurs été cosignataire avec l'ancien Directeur Général de l'UNEDIC d'une lettre adressée le 22 janvier 2019 à la Cour des Comptes qui faisait suite au relevé d'observations provisoires relatifs à l'AGS qui avait été adressé par la Cour des Comptes le 18 décembre 2018.
Il en résulte donc que c'est sur l'alerte lancée, non par Madame [U], mais par la Cour des Comptes concernant la baisse structurelle des récupérations de l'AGS, que l'ancien Directeur Général de l'UNEDIC s'est engagé , notamment afin de renforcer les moyens de détection des actifs dans les procédures collectives et être en capacité d'effectuer des relances ciblées et efficaces auprès des mandataires de justice pour appréhender les fonds devant revenir à l'AGS.
Plus spécifiquement, s'agissant de la note blanche datée du 09 novembre 2018, soit antérieurement à son embauche au sein de l'UNEDIC, il doit être considéré que cette dernière traite de sujets généraux, en l'espèce la renégociation de la convention de gestion entre l'AGS et UNEDIC et la situation liée à l'incertitude sur la date de départ à la retraite du directeur de la DUA , critiqué quant à certain décisions prises impactant financièrement l'institution pour l'avenir.
Sont également ciblés la signature d'une convention d'honoraires le 02 octobre 2018 à effet au 1er janvier 2019 sans concertation préalable avec la directrice générale de l'AGS, des frais de réception en lien avec son départ ainsi que l'engagement de frais professionnels lors d'un déplacement à [Localité 5] n'ayant pas respecté la procédure de validation.
À cet égard, force est de constater qu'aucun des points invoqués par Madame [U] ne sont mentionnés et surtout, il n'est nullement fait état de faits qu'elle aurait personnellement constaté.
Il n'est fait spécifiquement mention d'aucune alerte ou révélation d'informations qui n'auraient pas été connues avant son embauche.
S'agissant des modalités de gestion interne de l'ancienne direction de la DUA, il doit être rappelé que cette problématique avait déjà été révélée par la Cour des Comptes dans son relevé du 18 décembre 2018.
Surtout, il ne résulte nullement des pièces du dossier que les agissements répréhensibles imputables à l'ancien directeur de la DUA ont été révélés par Madame [U].
Ainsi, il ressort de la lettre de licenciement de ce dernier , intervenu le 14 mai 2019, que l'UNEDIC avait eu récemment connaissance, lors de la prise de fonction de la nouvelle directrice nationale de la DUA, par plusieurs collaborateurs et cadres salariés de 'circonstances pour le moins étonnante constatées dans le fonctionnement de la direction de la DUA', le mettant en cause ainsi qu'une autre personne.
Il en résulte donc que ce n'est pas Mme [U] qui a été à l'origine des révélations mais, en fait, plusieurs collaborateurs et cadres salariés de la DUA.
Ce constat est confirmé par la lettre de licenciement adressée à une autre salariée et signée par Madame [U] dans laquelle on peut lire :
«... à l'occasion de réunions organisées en décembre, des juristes ont informé la responsable du pôle contentieux de ce qu'un certain nombre de documents avait disparu des dossiers'
Enfin, début décembre 2018, j'ai été informée par un membre de votre équipe que vous aviez reçu un sac à main de grande valeur en cadeau de la part d'une avocate à qui vous avez été amenée à confier des dossiers en tant que contrôleur représentant l'AGS. »
Ainsi, force est de constater que ce n'est pas Madame [U] qui a révélé des faits qu'elle aurait personnellement découverts alors qu'au contraire, ce sont des 'juristes'qui ont informé la responsable du pôle contentieux ainsi qu'un membre de l'équipe des agissements de cette ancienne salariée.
Sur la question d'un conflit d'intérêts concernant les relations entre l'institut privé d'études et de statistiques 'Rexecode', dont Madame [U] indique qu'il serait, depuis 2008, dirigé par le conjoint de la présidence de l'UNEDIC.
Cependant, outre le fait qu'il ne résulte d'aucune des pièces communiquées par l'intéressée la justification d'une alerte qu'elle aurait personnellement lancée sur ce point, il doit , à l'opposé, être considéré que cet élément résulte spécifiquement et uniquement d'un courriel adressé le 29 juin 2022 par une représentante du personnel qui invoque 'de potentiels conflits d'intérêts concernant la collaboration entre l'UNEDIC et l'institut privé Rexecode'.
Cette question d'un possible conflit d'intérêts n'est donc apparue que le 29 juin 2022 suite à ce courriel adressé aux membres du Conseil d'administration de l'UNEDIC et n'a fait l'objet d'aucune alerte ou aucune plainte émise par Madame [U].
Il résulte donc de l'ensemble de ces éléments que Madame [U] ne justifie nullement avoir révélé ou signalé des faits dont elle aurait eu personnellement connaissance, étant observé, qu'en dehors de la dernière alerte invoquée, les faits litigieux sont apparus antérieurement et concomitamment à son embauche, alors et surtout que son licenciement est intervenu plus de quatre années après sa prise de fonction.
De surcroît, Madame [U] ne peut utilement revendiquer le statut de lanceuse d'alerte vis-à-vis de l'UNEDIC s'agissant de signalements antérieurs à son embauche par l'UNEDIC.
À cet égard, le premier juge a exactement relevé qu'elle invoquait uniquement des éléments antérieurs à son embauche par l'UNEDIC alors que l'article L. 1132-3-3 du code du travail prévoit qu'aucun salarié ne peut être licencié pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
Ainsi c'est juste titre que le Conseil de prud'hommes a estimé , qu'ayant été embauchée pour réaliser et mener à bien l'audit de la DUA dont elle avait rendu compte à la direction de l'UNEDIC dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail et qui avait conduit l'UNEDIC a déposé plainte à deux reprises quant aux anomalies mises en évidence, Madame [U] ne pouvait revendiquer le statut de lanceuse d'alerte.
À titre subsidiaire, sur la protection invoquée en qualité de témoin de bonne foi au titre des dispositions de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, issues de la loi n° 2022- 401 du 21 mars 2022, qui ouvrent droit à une protection au bénéfice de toute personne qui aurait témoigné ou relaté de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, dans l'exercice de ses fonctions et de bonne foi, il doit en premier lieu être relevé que cette disposition légale est postérieure à l'intégralité des faits invoqués par la requérante.
En second lieu, s'agissant de la disposition légale dans sa rédaction antérieure, c'est à bon droit que le premier juge a retenu qu'elle ne pouvait pas plus revendiquer la protection offerte en cas de divulgation directement publique dès lors qu'elle ne démontre nullement l'existence d'un danger imminent ou d'un risque de dommage irréversible.
Ainsi, et sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, il doit être considéré que Madame [U] ne peut utilement invoquer le statut de lanceuse d'alerte en ce qu'elle n'a pas relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit dont elle aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
L'ordonnance déférée mérite ainsi confirmation sans qu'il y ait donc lieu d'examiner l'existence d'éléments objectifs étrangers à l'alerte ou au témoignage ayant motivé la décision de licenciement.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Madame [X] [U], qui succombe sur le mérite de son appel, doit être condamnée aux dépens et déboutée en sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Aucune raison d'équité ne commande l'application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la partie intimée.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,
REJETTE la demande de sursis à statuer,
CONFIRME l'ordonnance déférée en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
CONDAMNE Madame [X] [U] aux dépens d'appel,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
La Greffière La Présidente