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Décisions

CA Saint-Denis de la Réunion, ch. soc., 10 juillet 2025, n° 23/01564

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

Autre

CA Saint-Denis de la Réunion n° 23/0156…

10 juillet 2025

AFFAIRE : N° RG 23/01564 - N° Portalis DBWB-V-B7H-F7GO

Code Aff. :CJ

ARRÊT N°

ORIGINE :JUGEMENT du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT DENIS en date du 06 Octobre 2023, rg n° F21/00449

COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS

DE [Localité 5]

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 10 JUILLET 2025

APPELANT :

Monsieur [F] [M]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Emilie MAIGNAN, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMÉE :

S.A.S. CARROSSERIE MINATCHY

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Jean pierre GAUTHIER de la SCP CANALE-GAUTHIER-ANTELME-BENTOLILA, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

Clôture : 4 novembre 2025

DÉBATS : En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 avril 2025 en audience publique, devant Mme Corinne Jacquemin, présidente de chambre et Mme Agathe Aliamus, conseillère, assistées de Mme Delphine Schuft, greffière

La présidente a indiqué que l'audience sera tenue en double rapporteur. Les parties ne s'y sont pas opposées.

Ce magistrat a indiqué à l'issue des débâts que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe le 3 juillet 2025.

Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Corinne JACQUEMIN,

Conseiller : Madame Agathe ALIAMUS,

Conseiller : Madame Aurélie POLICE,

Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.

ARRÊT : mis à disposition des parties le 3 juillet 2025 puis prorogé à cette date au 10 juillet 2025

* *

* LA COUR :

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [F] [M] a été embauché le 2 décembre 2019 par contrat à durée indéterminée (CDI) par la SARL Carrosserie MINATCHY en tant que responsable réceptionnaire et commercial.

Il a été convoqué le 4 mai 2021 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé initialement au 17 mai 2021 puis au 25 mai 2021, avec mise à pied conservatoire, avant d'être licencié pour faute grave le 7 juin 2021.

Contestant ces mesures, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Denis le 6 décembre 2021 afin de faire valoir ses droits.

Par jugement du 6 octobre 2023, le conseil de prud'hommes de Saint-Denis a :

- débouté M. [M] de ses demandes ;

- condamné M. [M] à verser à la société Carrosserie MINATCHY, la somme de 1.000 euros au titre de demande reconventionnelle ;

- débouté la société Carrosserie MINATCHY de ses autres demandes ;

- condamné M. [M], aux dépens .

Par déclaration en date du 7 novembre 2023, M. [M] a interjeté appel du jugement précité.

Par conclusions communiquées par voie électronique le 9 janvier 2024, M. [M] requiert de la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et statuant à nouveau :

à titre principal :

juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

en conséquence, condamner la société Carrosserie MINATCHY à lui verser les sommes suivantes :

5.034 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

946,56 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

2.524,17 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

252,41 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

7.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct ;

217, 24 euros au titre des heures supplémentaires non payées ;

15.145,02 euros au titre des dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

2.524,17 euros au titre des salaires dus pendant la mise à pied conservatoire infondée ;

252 euros au titre des congés payés sur salaires dus pendant la mise à pied ;

à titre subsidiaire, si, par extraordinaire, la cour devait juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse :

juger que la société Carrosserie MINATCHY ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une faute grave imputable ;

en conséquence, condamner la société Carrosserie MINATCHY à lui verser les sommes suivantes :

2.524,17 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

252,41 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

7.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct ;

217, 24 euros au titre des heures supplémentaires non payées ;

15.145,02 euros au titre des dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

2.524,17 euros au titre des salaires dus pendant la mise à pied conservatoire infondée ;

252 euros au titre des congés payés sur salaires dus pendant la mise à pied ;

en tout état de cause :

ordonner à la société Carrosserie MINATCHY d'avoir à lui communiquer son bulletin de paie rectifié sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;

condamner la société Carrosserie MINATCHY au versement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions communiquées par voie électronique le 13 mars 2024, la société Carrosserie MINATCHY demande :

à titre principal de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

par conséquent :

juger légitime le licenciement pour faute grave de M. [M] ;

débouter M. [M] de l'ensemble de ses demandes ;

à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour venait à juger que le licenciement de M. [M] ne repose pas sur une faute grave, il lui est demandé de :

juger son licenciement comme fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

par conséquent, débouter M. [M] de ses demandes indemnitaires et salariales afférentes à la rupture de son contrat de travail ;

à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour venait à la condamner à payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à M. [M], il lui est demandé de :

limiter la somme qui lui serait versée à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à un mois de salaire ;

débouter M. [M] de sa demande de condamnation de 7.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct ;

en tout état de cause :

débouter M. [M] de toutes ses autres demandes ;

condamner M. [M] au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.

Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu'aux développements ci-dessous.

SUR QUOI

Sur les demandes au titre des heures supplémentaires et du travail dissimulé

Il résulte des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d' heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

M. [M] soutient qu'il a été amené à effectuer 10 heures supplémentaires, non rémunérées, à la demande de son employeur entre le 26 avril et le 30 avril 2021, en raison de l'absence de Monsieur [I] sa qualité de chef d'atelier principal et au départ à la retraite de Monsieur [G]

Il fait valoir que les horaires de la semaine visée ont été les suivants :

- le lundi 26 avril 2021 : 9h30 de temps de travail : de 7h30 à 17h en journée continue,

- le mardi 27 avril 2021 : 9h00 de temps de travail de 7h40 à 16h35 en journée continue,

- le mercredi 28 avril 2021 : 9h00 de temps de travail de 07h50 à 16h50 en journée

continue,

- le jeudi 29 avril 2021 : 9h40 de temps de travail de 7h50 à 17h30 en journée continue,

- le vendredi 30 avril 2021 : 7h45 de temps de travail de 8h à 15h45 en journée continue.

Il résulte du dossier que M. [M] a transmis le décompte des heures précitées à l'employeur par mail en date du 30 avril 2021 (pièce n°11).

La société Carrosserie MINATCHY répond que les heures supplémentaires réalisées en avril 2021 ont bien été versées au salarié.

Il ressort du bulletin de salaire de M. [M] d'avril 2021 que l'employeur justifie lui avoir versé les 10 heures supplémentaires sollicitées par le salairé (sa pièce n°2).

Dès lors, par confirmation du jugement déféré, M. [M] est débouté de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires ainsi que de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé qu'il fonde sur ces heures supplémentaires.

Il n'y a pas lieu dans ces conditions de faire droit à la demande de remise de bulletins de salaires rectifiés.

Le jugement est également confirmé sur ce point.

Sur le licenciement

En vertu des dispositions de l'article L 1232-1 du code du travail , tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée du préavis ; l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

En vertu des dispositions de l'article L 1232-6 du Code du travail , la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.

La motivation de cette lettre fixe les limites du litige.

En l'espèce, M. [M] a été licencié pour faute grave pour avoir :

- commis des actes d'insubordination répétés en refusant d'accomplir les fonctions prévues dans son contrat de travail ;

- abandonné brutalement, pour ce motif, son poste de travail à deux reprises ;

- tenu des propos grossiers à l'attention du directeur d'exploitation qui exigeait de lui qu'il accomplisse les fonctions prévues dans son contrat de travail ;

- procédé à un chantage à l'augmentation salariale à l'égard de son employeur (pièce n°6 ' lettre de licenciement du 7 juin 2021).

Au soutien de son appel, M. [M] fait valoir que :

la date des faits reprochés n'est pas indiquée ;

l'abandon de poste qui lui est reproché n'est pas caractérisé dans la mesure où il n'a pas quitté l'entreprise ni ne s'est absenté pendant les heures de travail qui lui étaient attribuées ;

les missions qu'il aurait prétendument refusées ne sont pas précisées alors qu'il a toujours effectué des missions de type « front office », sa mission d'assistance au chef d'atelier se limitant à une nature commerciale ;

que son refus d'exercer des missions de type « production » ne constitue pas une faute, celles-ci ne rentrant pas dans le cadre de ses fonctions ;

il n'a pas bénéficié de la formation adéquate afin d'exercer les fonctions d'un chef d'atelier carrosserie adjoint dès lors qu'il ne bénéficie que d'une formation en mécanique et non en carrosserie ;

L'intimée répond que le salarié disposait de la formation nécessaire pour accomplir les tâches prévues dans son contrat de travail et que le refus d'exécuter ses fonctions constitue une violation de ses obligations contractuelles ainsi qu'un comportement d'insubordination et un abandon de poste.

La société Carrosserie MINATCHY ajoute que M. [M] a tenu des propos grossiers à l'attention du directeur d'exploitation et a procédé à un chantage à l'augmentation salariale.

À titre liminaire, il doit être précisé que si la lettre de licenciement doit énoncer des faits précis et matériellement vérifiables, ces derniers n'ont pas à être datés.

En l'espèce, la lettre de licenciement est suffisamment précise quant aux griefs énoncés, permettant l'employeur de les préciser.

Il résulte du contrat de travail de M. [M] qu'il a été embauché en qualité de «responsable réceptionnaire et commercial ».

Si l'appelant affirme que ses fonctions étaient celles de réceptionnaire et se résumaient, selon ses propres termes, à « des missions de type front office » (page 12 de ses conclusions), les missions telles que définies à son contat de travail concernaient également des fonctions de gestion et de supervision (diriger,former et accompagner l'équipe commerciale; organisation et planification des interventions, affectation, suivi et contrôle des activités confiées aux collaborateurs etc.) et d'assistance au chef d'atelier. (pièce n°1 ' CDI de M. [M]).

A ce titre, M. [M] devait notamment assister Monsieur [D] dans ses missions de chef d'atelier et assurer l'organisation et la planification des interventions, l'affectation, le suivi et le contrôle des activités confiées aux collaborateurs. (pièce n°20 ' Attestation de Mr [G]).

Dans ce cadre, il est établi qu'à la fin du mois de mars 2021, l'employeur a rappelé à M. [M] qu'il était tenu d'exercer l'entièreté de ses fonctions, ce que celui-ci a refusé dans l'attente d'une proposition de signature d' un avenant avec une nouvelle fiche de poste . (pièce n°12 ' Courriel du 1er avril 2021).

M. [M] a maintenu sa position et a confirmé subordonner la réalisation des missions de gestion, de supervision et d'assistance au chef d'atelier inscrites dans son contrat de travail à la conclusion d'un avenant à celui-ci et, à cette occasion, au bénéfice d'une augmentation salariale. (pièce n°13 ' Attestation de Mme M., gestionnaire des ressources humaines, et pièce n°14 ' Attestation de Monsieur [W], directeur d'exploitation).

Dans ce cadre, le 26 avril 2021, le salarié a refusé d'effectuer une tâche qui relevait de ses attributions de responsable réceptionnaire et commercial en s'adressant de façon grossière au directeur d'exploitation, Monsieur [V] [W] : « ça me casse les couilles, débrouille-toi !» avant de lui raccrocher au nez (pièce n°14 ' Attestation de Monsieur [W], directeur d'exploitation).

Le 3 mai 2021, M. [M] a de nouveau refusé d'effectuer ses fonctions de responsable réceptionnaire et commercial et s'est contenté d'effectuer des tâches de réceptionnaire à l'accueil de l'établissement. (pièce n°15 ' SMS adressé par M. [M] à Monsieur [W] le 30 avril 2021 et pièce n°14 ' Attestation de Monsieur [W], directeur d'exploitation.

Il résulte de ce qui précède que les faits visés par la lettre de licenciement sont confirmés, les témoins précités confirmant que M. [M] a refusé d'effectuer les tâches confiées par son employeur et qui correspondaient à son contrat de travail ainsi qu'à sa qualification et, à cette occasion, a quitté le poste de travail qui lui était dévolu tout en tenant des propos irrespectueux à l'égard de ses supérieurs hiérarchiques.

Dans un contexte, le comportement du salarié caractérisant une situation d'insubordination ayant perturbé le service (pièce n°13 ' Attestation de Mme M., gestionnaire des ressources humaines et pièce n°14 ' Attestation de Monsieur [W], directeur d'exploitation), ne permettait pas le maintien du contrat de travail et justifiait sa rupture immédiate pour faute grave.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef et sur le débouté des demandes indemnitaires et de paiement du salaire pendant la mise à pied conservatoire.

Sur les dommages et intérêts pour caractère vexatoire du licenciement

Les circonstances vexatoires entourant le licenciement peuvent causer au salarié un préjudice distinct même lorsque la rupture est justifiée, y compris par une faute grave.

Il lui appartient pour cela d'établir une faute de l'employeur dans les circonstances de la rupture, intervenue de manière brutale ou vexatoire.

En l'espèce, si l'appelant soutient avoir subi un préjudice moral en raison des circonstances brutales du licenciement prononcé pour faute, il ne justifie d'aucune circonstance vexatoire ni d'aucun préjudice subi.

Le jugement est également confirmé de ce chef.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Les causes de la présente décision conduisent à confirmer le jugement déféré concernant la charge des dépens et la condamnation au titre des frais irrépétibles.

Les dépens d'appel doivent être mis à la charge de M. [M] qui succombe, celui-ci étant en outre condamné au paiement de la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement rendu le 6 octobre 2023 par le conseil de prud'hommes de Saint-Denis de la Réunion en toutes ses dispositions ;

Ajoutant,

Condamne M. [F] [M] à payer à la SARL Carrosserie MINATCHY la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [F] [M] aux dépens d'appel .

Le présent arrêt a été signé par Madame Agathe Aliamus, conseillère, et par Mme Delphine Schuft, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La greffière La conseillère,

pour la présidente empêchée

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