CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 11 juillet 2025, n° 22/18350
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Aicom Web Performances (SAS)
Défendeur :
Google France (SARL), Google Ireland Limited (Sté), Google LLC (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ardisson
Conseillers :
Mme l'Eleu de la Simone, Mme Guillemain
Avocats :
Me Schwab, Me Fabre, Me Moisan, Me Proust
FAITS ET PROCÉDURE
La société de droit américain Google LLC développe les technologies Google.
La société enregistrée en Irlande Google Ireland Limited (Google Ireland) exploite sur le territoire européen les services de publicité en ligne "Google Ads" anciennement dénommés "AdWords", qui s'adresse aux annonceurs, et "Google AdSense" destiné aux supports souhaitant monétiser les espaces publicitaires sur leur site internet.
Via le service Google AdSense, la société Google Ireland propose gratuitement aux éditeurs et hébergeurs de sites internet de monétiser leur site en y plaçant de la publicité. Les "clics" de l'internaute sur une annonce publicitaire génèrent, en pratique, des revenus publicitaires, payés par les annonceurs qui sont ensuite reversés aux Editeurs partenaires ainsi qu'à la société Google Ireland.
Ce programme comporte un service spécifique dénommé "AdSense pour les recherches" permettant aux Editeurs Partenaires d'afficher de la publicité au sein d'un moteur de recherche intégré à leur site internet.
La SAS Aicom Web Performance (la société Aicom) exploite, pour sa part, divers sites internet proposant aux internautes l'utilisation de moteurs de recherche internes dédiés principalement à la location et la vente immobilière. Dans le cadre de cette activité, elle a créé un compte "AdSense pour les recherches"
Le 6 décembre 2021, la société Google Ireland a désactivé définitivement le compte AdSense de la société Aicom, au motif qu'elle ne respectait pas les conditions d'utilisation du service interdisant l'intégration des requêtes de recherche préremplies pour générer des publicités.
Par exploit du 9 mars 2022, la société Aicom estimant avoir été victime d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie a assigné en référé les sociétés Google LLC, Google Ireland et Google France devant le président du tribunal de commerce de Paris, à l'effet d'obtenir la réactivation de son compte AdSense.
Par ordonnance en date du 25 mai 2022, le président a dit n'y avoir lieu à référé et a renvoyé l'affaire devant le tribunal afin qu'il soit statué au fond, conformément à la procédure dite de la passerelle prévue par l'article 873-1 du code de procédure civile.
Dans le dernier état de ses prétentions devant le tribunal, la société Aicom a réitéré sa demande de condamnation des sociétés Google à procéder à la réactivation de son compte AdSense, et sollicité, subsidiairement leur condamnation à l'indemniser de son préjudice causé par la rupture brutale d'une relation commerciale établie.
Par jugement en date du 26 septembre 2022, le tribunal a :
- Dit hors de cause les sociétés Google LLC et Google France,
- Débouté la société Aicom de ses demandes,
- Condamné la société Aicom à payer la somme de 5.000 € à la société Google Ireland, celle de 1.500 € à la société Google LLC et celle de 1.500 € à la société Google France au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- Condamné la société Aicom aux dépens.
La SAS Aicom Web Performances a formé appel du jugement, par déclaration du 26 octobre 2022.
Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique, le 22 septembre 2023, elle demande à la Cour, au visa des articles L. 442-1, L. 442-4 et L. 420-2 du code de commerce, de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et des articles 696 et 700 du code de procédure civile, de :
"- INFIRMER le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré les sociétés GOOGLE FRANCE et GOOGLE LLC hors de cause, et en ce qu'il a débouté la société AICOM WEB PERFORMANCES de ses demandes d'indemnisation.
- DÉBOUTER les intimées de toutes demandes dirigées à l'encontre de la société AICOM WEB PERFORMANCES.
Statuant à nouveau, de :
- JUGER que la demande indemnitaire de la société AICOM WEB PERFORMANCES est recevable.
- JUGER que la société AICOM WEB PERFORMANCES est recevable à agir contre les sociétés GOOGLE FRANCE, GOOGLE IRELAND LIMITED et GOOGLE LLC.
- JUGER que la désactivation du compte AdSense de la société AICOM WEB PERFORMANCES imposée par GOOGLE IRELAND LIMITED, GOOGLE LLC et GOOGLE FRANCE est constitutive d'une rupture brutale de relations commerciales établies qui engage la responsabilité de ces sociétés au sens des dispositions de l'article L. 442-1 du Code de commerce.
- JUGER que la désactivation du compte AdSense de la société AICOM WEB PERFORMANCES imposée par GOOGLE IRELAND LIMITED, GOOGLE LLC et GOOGLE FRANCE est constitutive d'un abus de position dominante qui engage la responsabilité de ces sociétés en application de l'article L. 420-2 du Code de commerce.
- JUGER que cette rupture brutale a créé un préjudice pour la société AICOM WEB PERFORMANCES découlant de l'absence de préavis suffisant qu'il convient de réparer.
En conséquence :
- CONDAMNER solidairement les sociétés GOOGLE IRELAND LIMITED, GOOGLE LLC et GOOGLE FRANCE, sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir, à verser à la société AICOM WEB PERFORMANCES une somme de 773 083,40 euros pour l'indemniser du caractère fautif de la désactivation du compte AdSense d'AICOM WEB PERFORMANCES, une telle somme devant porter intérêts au taux légal et avec capitalisation à compter du 9 mars 2022 et jusqu'à complète exécution de l'arrêt.
En tout état de cause :
- ENTENDRE se réserver le pouvoir de liquider ladite astreinte et d'en fixer une nouvelle ayant un caractère définitif.
- INFIRMER le jugement attaqué en ce qu'il a condamné la société AICOM WEB PERFORMANCES à payer 5 000 euros à la société GOOGLE IRELAND LIMITED, 1 500 euros à la société GOOGLE LLC et 1 500 euros à la société GOOGLE FRANCE au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
- CONDAMNER solidairement, le cas échéant, les sociétés GOOGLE IRELAND LIMITED, GOOGLE LLC et GOOGLE FRANCE à s'acquitter d'une somme de 8 000 euros entre les mains de la société AICOM WEB PERFORMANCES en remboursement du paiement effectué par la société AICOM WEB PERFORMANCES au titre de sa condamnation en première instance sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Statuant à nouveau, de :
- CONDAMNER les sociétés GOOGLE IRELAND LIMITED, GOOGLE LLC et GOOGLE FRANCE à s'acquitter solidairement d'une somme de 100 000 euros entre les mains de la société AICOM WEB PERFORMANCES en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
- CONDAMNER solidairement les sociétés GOOGLE IRELAND LIMITED, GOOGLE LLC et GOOGLE FRANCE aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL 2H AVOCATS, en la personne de Maître Audrey SCHWAB, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile."
Dans ses dernières conclusions, transmises par voie électronique, le 23 juin 2023, la société de droit américain Google LLC et la société enregistrée en Irlande Google Ireland Limited demandent à la Cour, sur le fondement des articles 1231-1 et 1104 du code civil, des articles L. 420-2 et L. 442-1 du code de commerce et des articles 696, 700, 854, 873 et 873-1 du code de procédure civile, de :
"- CONFIRMER le Jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions, à savoir, en ce qu'il a :
o Dit hors de cause la société de droit américain GOOGLE LLC, et la SARL à associé unique GOOGLE FRANCE,
o Débouté la SAS AICOM WEB PERFORMANCES de ses demandes,
o Condamné la SAS AICOM WEB PERFORMANCES à payer 5.000 € à la Société de droit irlandais GOOGLE IRELAND LIMITED, 1.500 € à la Société de droit américain GOOGLE LLC et 1.500 € à la SARL à associé unique GOOGLE FRANCE au titre de l'article 700 du CPC,
o Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,
o Condamné la SAS AICOM WEB PERFORMANCES aux dépens, dont ceux à recouvrer par la greffe, liquidés à la somme de 111,50 € dont 18,37 € de TVA.
Et en tout état de cause :
- METTRE HORS DE CAUSE la société GOOGLE LLC ;
- DÉCLARER irrecevables les prétentions indemnitaires tardives formulées par la société AICOM ;
- JUGER que les sociétés GOOGLE IRELAND LTD et GOOGLE LLC n'ont commis aucune rupture fautive ou brutale des relations commerciales établies avec la société AICOM au titre des articles L. 420-2 et 442-1 du Code de commerce ;
- JUGER que l'ensemble des demandes formulées par la société AICOM sont mal fondées ;
- DÉBOUTER la société AICOM de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre des sociétés GOOGLE IRELAND LTD et GOOGLE LLC ;
Y ajoutant,
- CONDAMNER la société AICOM à verser en cause d'appel aux sociétés GOOGLE IRELAND LTD et GOOGLE LLC la somme supplémentaire de 50.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens."
Dans ses dernières conclusions, transmises par voie électronique, le 26 avril 2023, la SARL Google France demande à la Cour, sur le fondement des articles 32, 122, 696 et 700 du code de procédure civile et des articles L. 420-2 et L. 442-1 du code de commerce, de :
"- CONFIRMER le jugement rendu le 26 septembre 2022 par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause de la société GOOGLE FRANCE,
Y ajoutant,
- JUGER irrecevable les demandes formées à l'encontre de la société GOOGLE France sur le fondement des articles L. 420-2 et L. 442-1 du Code de commerce, faute de qualité à défendre de cette dernière ;
Subsidiairement,
JUGER mal fondées les demandes formulées à l'encontre de la société GOOGLE FRANCE sur le fondement des articles L. 420-2 et L. 442-1 du Code de commerce ;
Et en tout état de cause :
- CONDAMNER la société AICOM aux entiers dépens, en application de l'article 696 Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la société AICOM à verser à la société GOOGLE FRANCE la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 de Code de procédure civile."
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties susvisées quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 novembre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la qualité à défendre des sociétés Google LLC et Google France
Enoncé des moyens
La société Google LLC fait valoir que les Conditions d'utilisation du service AdSense identifient clairement la société Google Ireland comme étant la partie contractante offrant le service concerné. Elle prétend qu'elle ne saurait ainsi répondre des griefs fondés sur la rupture brutale d'une relation commerciale établie, alors qu'elle n'est pas partie à cette relation. Elle précise qu'elle a, pour sa part, conçu et développé le service AdSense, mais que celui-ci est exploité exclusivement par la société Google Ireland.
La société Google France explique qu'elle est une entité du groupe Google, qui intervient en qualité de prestataires de services de la société Google Ireland pour promouvoir les différents services publicitaires et fournir des services juridiques ou de communication. Elle souligne qu'elle ne dispose ainsi d'aucun pouvoir concernant la fourniture des services de Google, qui sont exploités sur le territoire européen par la société Google Ireland. Elle soutient que les demandes de la société Aicom formulées à son encontre sont irrecevables, en application des articles 32 et 122 du code de procédure civile, faute de qualité à défendre, dans la mesure où elle n'est pas partie à la relation commerciale qui était établie exclusivement avec la société Google Ireland, de même qu'elle est étrangère aux prétendus actes de position dominante, faute d'intégrer la même unité économique.
Au soutien de la recevabilité de ses demandes, la société Aicom prétend, d'une part, que les sociétés Google LLC et Google France se sont immiscées dans la relation commerciale, de sorte qu'elles n'y sont pas étrangères. Elle fait valoir qu'elle a ainsi réceptionné plusieurs courriels de la société Google LLC en lien avec le service AdSense, qui l'a notamment informée que son compte était désactivé'; elle ajoute que les revenus publicitaires d'AdSense provenaient de l'adresse de Google LLC en Californie et que la Commission européenne, dans une décision du 20 mars 2019, a retenu que les pratiques liées au fonctionnement du service étaient imputables à la société Google LLC, en tant qu'entité opérationnelle. Elle avance que la société Google France l'a, elle aussi, contactée directement à propos des services publicitaires de Google et qu'elle entretient des liens étroits avec la société Google Ireland. Elle soutient, d'autre part, que la responsabilité des sociétés Google LLC et Google France est susceptible d'être engagée au titre de la réparation des effets d'une pratique anticoncurrentielle, dans la mesure où elles appartiennent à la même unité économique que la société Google Ireland.
Réponse de la Cour
L'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L'article 32 du même code ajoute qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
Enfin, selon l'article 122 dudit code, "Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée."
Les parties s'accordent à reconnaître que l'utilisation du service est régie par les "Conditions d'utilisation en ligne d'AdSense".
L'article 1, alinéa 2, desdites Conditions d'utilisation précise que':
" Dans le cadre de ces Conditions AdSense, "vous" ou "éditeur" désigne la personne ou l'entité utilisant les Services (ou toute personne, mandataire, employé, représentant, réseau, société mère, filiale, société affiliée, successeur, entité concernée, cessionnaire, ou tout individu ou entité agissant en votre nom, sous votre direction, sous votre contrôle ou sous la direction ou le contrôle de la même personne ou entité qui vous contrôle). "Nous", "notre" ou "Google" désigne Google Ireland Limited et le terme "parties" désigne vous et Google."
Il résulte de ces stipulations que le contrat litigieux a été conclu par la société Aicom avec la seule société Google Ireland, qui est l'exploitant sur le territoire européen du service AdSsense, conçu par la société Google LLC.
La société Aicom justifie, néanmoins, que la société Google LLC est intervenue à plusieurs reprises, dans le cadre du processus de gestion du contrat, pour lui enjoindre de respecter le Règlement du programme, comme le montrent les courriels adressés en son nom, suivis de son adresse postale en Californie, en date des 30 septembre 2021 et 2 et 4 octobre 2021. Ces avertissements sont concomitants des messages de la société Google Ireland des 28 octobre, 5 et 11 novembre 2021. Le courriel du 6 décembre 2021 informant la société Aicom de la désactivation de son compte est lui-même adressé de la part de "L'équipe chargée du règlement pour les éditeurs", sous laquelle figure la mention "Google LLC". En dépit de ce que soutient la société Google LLC, l'attestation du responsable du service en charge de la vérification des manquements aux règles du contrat AdSense, qui explique que celle-ci a mis à la disposition de la société Google Ireland des modèles de réponse par e-mail au bas desquels figurent le nom Google LLC, tend au contraire à démontrer sa supervision de la gestion des contrats.
Il est ainsi établi, au regard des faits de l'espèce, que la société Google Ireland agissait de concert avec la société Google LLC, qui définissait la politique contractuelle applicable aux Editeurs partenaires, et qu'elle ne disposait pas d'une totale autonomie quant à la décision de poursuivre, ou non, la relation commerciale.
Il y a donc lieu de déclarer recevables les demandes de la société Aicom formulées à l'encontre de la société Google LLC, fondées sur la rupture brutale d'une relation commerciale établie, au sens de l'article L. 442-1, II, du code de commerce, et sur l'existence d'un abus de position dominante sanctionné par l'article L. 420-2 du même code en lien avec la désactivation de son compte AdSense. Le jugement sera, dès lors, infirmé en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause la société Google LLC.
S'agissant de la société Google France, celle-ci n'est pas partie au contrat litigieux. Elle a pour objet, au vu de ses statuts, la fourniture de services et/ou conseils aux logiciels, au réseau internet, aux réseaux télématiques ou en ligne, notamment l'intermédiation en matière de vente de publicité en ligne, la promotion sous toutes ses formes de la publicité en ligne, la promotion directe de produits et services, l'achat et la vente d'espace publicitaire, ainsi que de tout produit ou service, en qualité de revendeur ou par tout autre moyen et, plus généralement, toutes opérations commerciales industrielles, financières, mobilières pouvant se rapporter, directement ou indirectement, être utiles ou susceptibles de faciliter les activités ainsi visées. Quand bien même elle disposerait de moyens significatifs, au regard notamment du nombre important de ses collaborateurs, il n'est pas démontré, en l'état des pièces versées aux débats, que la société Google France interviendrait autrement qu'en qualité de prestataire de services et qu'elle disposerait d'un pouvoir discrétionnaire concernant la fourniture des services Google, qui sont exclusivement exploités sur le territoire européen par la société Google Ireland. L'invitation à participer à un séminaire, adressée le 27 janvier 2014, ou encore le courrier du 9 avril 2020, envoyé durant la crise sanitaire, précisant que les équipes Google France sont en télé-travail et que certaines options du service Google Ads risquent d'être indisponibles, ne sont pas non plus révélateurs d'une immixtion de sa part dans la relation commerciale nouée exclusivement avec les sociétés Google Ireland et Google LLC. La société appelante ne saurait davantage soutenir que la société Google France devrait être tenue solidairement responsable d'un abus de position dominante avec les sociétés Google Ireland et Google LLC, en raison de leur appartenance à une même unité économique, eu égard au rôle très circonscrit de la filiale française.
Les demandes de la société Aicom à l'encontre de la société Google France sont, dès lors, irrecevables faute de qualité à défendre. Le jugement sera corrélativement confirmé en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause de la société Google France relativement à la demande d'indemnisation de la société Aicom fondée sur la rupture brutale d'une relation commerciale établie.
Sur la recevabilité de la demande indemnitaire de la société Aicom
Enoncé des moyens
Les sociétés Google LLC et Google Ireland prétendent que les demandes indemnitaires de la société Aicom sont irrecevables, au motif que celles-ci n'étaient pas énoncées dans l'assignation en référé et que la procédure de la passerelle n'autorise pas son bénéficiaire à formuler de nouvelles prétentions devant le tribunal.
La société Aicom réplique que l'actuel article 873-1 du code de procédure civile, relatif à la procédure de passerelle, organise un système de renvoi devant le juge du fond'; elle prétend que l'objet du litige peut ainsi être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent par un lien suffisant aux prétentions originaires, ce dont elle déduit que sa demande indemnitaire est recevable.
Réponse de la Cour
Aux termes de l'article 873-1 du code de procédure civile, à la demande de l'une des parties, et si l'urgence le justifie, le président saisi en référé peut renvoyer l'affaire à une audience dont il fixe la date pour qu'il soit statué au fond. Il veille à ce que le défendeur dispose d'un temps suffisant pour préparer sa défense. L'ordonnance emporte saisine du tribunal.
Selon les articles 4 et 70 du code de procédure civile, l'objet du litige, déterminé par les prétentions respectives des parties, peut être modifié par des demandes incidentes, additionnelles ou reconventionnelles, lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
En cas de saisine de la juridiction de fond en application de l'article 873-1 précité, aucun texte spécial ne vient déroger à ces dispositions générales.
Lorsque le juge est saisi pour statuer au fond sur renvoi du juge des référés en application de l'article 873-1 du code de procédure civile, les parties peuvent présenter devant lui des demandes incidentes, additionnelles ou reconventionnelles, au sens de l'article 70 du code de procédure civile, qui n'avaient pas été présentées devant le juge des référés.
La cour d'appel est saisie, le cas échéant, de ces demandes, en application des règles générales relatives à l'effet dévolutif de l'appel (Com., 19 mars 2025, n° 22-24.761, publié au Bulletin).
En l'occurrence, la demande additionnelle d'indemnisation de la société Aicom en lien avec le préjudice causé par la désactivation de son compte Adsense se rattache par un lien suffisant à sa prétention originaire, formulée devant le juge des référés, visant à enjoindre, sous astreinte, aux sociétés Google de procéder à sa réactivation, qu'elle estimait être fondée sur la rupture brutale d'une relation commerciale établie.
Le tribunal ayant omis dans le dispositif du jugement de statuer sur ce point, la Cour déclarera la demande d'indemnisation de la société Aicom recevable.
Sur la rupture brutale d'une relation commerciale établie
Enoncé des moyens
La société Aicom invoque le bénéfice des dispositions de l'article L. 442-1, II, du code de commerce pour soutenir qu'elle a été victime d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie, consécutive la fermeture de son compte AdSense. Elle estime ainsi que le délai de préavis de deux mois qui lui a été accordé était insuffisant au regard de son état de dépendance économique, en soulignant qu'elle réalisait plus de 90'% de son chiffre d'affaires annuel avec Google, dont la part croissante ne dépendait pas d'un choix stratégique, mais de l'absence d'option alternative en raison de la concentration du marché de la publicité en ligne, au sein duquel Google est un acteur incontournable. Elle considère qu'elle aurait dû bénéficier, dans ce contexte, d'un délai de préavis de dix-huit mois, afin d'être en mesure de réorganiser son activité.
Elle objecte qu'aucune faute, pour le moins suffisamment grave, ne saurait lui être imputée. Selon elle, le manquement qui lui est reproché avait été toléré et encouragé pendant dix ans par Google, dont le brutal changement d'attitude n'apparaît pas justifié. Elle réfute, dans ce prolongement, toute mauvaise foi de sa part'; elle ajoute, à ce propos, que Google lui a opposé une interprétation nouvelle des règles AdSense, qu'elle n'a pas appliquée à tous les utilisateurs, ce qui est manifeste d'une pratique discriminatoire et qu'elle a, tout état de cause, refusé tout dialogue.
Les sociétés Google LLC et Google Ireland exposent que les conditions d'utilisation du service AdSense interdisent d'afficher des publicités AdSense sur de pages de résultat d'une requête préremplie, ainsi que la création de liens directs vers les pages de résultat AdSense. Elles expliquent que ces règles d'interdiction sont justifiées dans la mesure où la requête que l'Editeur partenaire a lui-même saisie n'a pas de pertinence réelle et que les annonceurs font confiance à la société Google Ireland pour que les publicités AdSense ne soient pas perçues comme étant intempestives, non pertinentes voire trompeuses ; elles soulignent que l'atteinte portée à la perception des publicités est encore plus significative lorsque l'internaute accède à une page en cliquant sur un lien sponsorisé et se trouve ainsi enfermé dans un schéma de publicités en cascade, alors qu'il s'attend à être redirigé vers une page pertinente dépourvue de caractère publicitaire. Or, selon elles, la société Aicom a enfreint ces règles, malgré de multiples rappels d'avoir à s'y conformer. Elles estiment que ces agissements étaient suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat sans préavis, en soulignant que la société Aicom a bénéficié a minima d'un délai de deux mois et une semaine'; elles font valoir qu'en tout état de cause, la preuve d'un état de dépendance économique n'est pas établi et que les arguments développés par la société Aicom pour justifier de la violation des Règles AdSense et de leur absence de légitimité sont inopérants'; elles contestent, enfin, toute tolérance des pratiques litigieuses de la part de la société Google Ireland, alors que celle-ci n'en avait pas connaissance. Elles considèrent, en conséquence, qu'elle ne saurait être tenue pour responsable d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie.
La société Google France rappelle, pour sa part, qu'elle est étrangère aux prétendus actes de rupture brutale d'une relation commerciale établie.
Réponse de la Cour
Selon l'article L. 442-1, II, du code de commerce, dans sa version issue de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021, applicable au jour de la rupture litigieuse, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
Le même texte précise que, cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
- Sur l'existence d'une relation commerciale établie
Une relation commerciale établie présente un caractère suivi, stable et habituel et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment, qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.
Dans le cas présent, l'existence d'une relation commerciale établie entre la société Aicom et la société Google Ireland n'est pas contestée. Les sociétés Google LLC et Google Ireland expliquent, à ce sujet, que la société Aicom a accepté le Contrat AdSense lors de la création de son compte Éditeur Partenaire ainsi que toutes les mises à jour ultérieures, dont la dernière a été effectuée à la date du 21 mai 2018. La société Aicom précise, sans être contredite, qu'elle a procédé en 2003 à l'ouverture d'un compte Google Ads, pour l'achat de publicités, et en 2012 à l'ouverture d'un compte Google AdSense, pour la vente d'espaces publicitaires sur ses propres sites internet, de sorte que la relation commerciale durait depuis dix ans, au jour où il a été procédé à la désactivation de son compte, le 6 décembre 2021.
La Cour dira, en conséquence que la relation commerciale était établie depuis dix ans, lors de la notification de la rupture.
- Sur le caractère brutal de la rupture
Il résulte L. 442-1, II, du code de commerce que le principe de la responsabilité de l'auteur de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de cette relation, ne souffre d'exception qu'en cas de force majeure ou d'inexécution par l'autre partie de ses obligations, suffisamment grave pour justifier la rupture unilatérale immédiate de la relation (Com., 14 octobre 2020, n° 18-22.119, inédit).
Dans le cas présent, l'adhésion au service AdSense se fait via une inscription en ligne et donne lieu à la création d'un compte Editeur Partenaire. Les "Conditions d'utilisation en ligne d'Adsense" stipulent qu'en souscrivant au service, le client accepte les présentes conditions de services, ainsi que le Règlement du programme AdSense, consultable sur le site, qui inclut une rubrique intitulée "Règles concernant AdSense pour les recherches"'; de plus, les éditeurs qui intègrent au sein de leur site internet leur propre moteur de recherches sont soumis aux "Règles concernant les annonces pour les recherches personnalisées".
Comme l'expliquent les sociétés Google LLC et Google Ireland, l'interdiction des champs de recherche préremplis de création de lien direct vers les pages de résultat AdSense figurent dans ces deux dernières rubriques.
Les "Règles concernant "AdSense pour les recherches" incluent ainsi les deux paragraphes suivants':
" 1. Modification de la requête
Les requêtes de recherche doivent provenir d'utilisateurs individuels indiquant des données directement dans un champ prévu à cet effet. Elles ne peuvent pas être modifiées. Cela inclut la saisie préalable de termes dans le champ de recherche ou l'incorporation de liens directs vers des pages de résultats de recherche.
2. Modification du code
Les éditeurs AdSense ne sont pas autorisés à modifier le code AdSense pour les recherches d'une quelconque manière.
Les éditeurs ne sont pas autorisés à effectuer les actions suivantes :
' Remplir à l'avance le champ AdSense pour les recherches
' Créer des liens vers les résultats Google AdSense pour les recherches (')."
De même, la rubrique "Règles concernant les annonces pour les recherches personnalisées" précise que':
"Afin de diffuser des annonces AdSense pour les recherches personnalisées, vous devez respecter le Règlement du programme AdSense, mais aussi les règles supplémentaires suivantes.
Elles s'appliquent à tous les types d'implémentation des annonces pour les recherches personnalisées (ordinateur, mobiles et application mobile) :
1. La variable de requête transmise à Google doit correspondre à l'intention de recherche de l'utilisateur.
Les annonces pour les recherches personnalisées ne peuvent être utilisées que sur des pages de résultats de recherche déclenchés par l'intention claire de l'internaute, provenant de l'une des deux sources suivantes :
' Une requête de recherche saisie et soumise directement par un utilisateur dans un champ de recherche, sans qu'elle ne soit éditée, modifiée, ou filtrée. Le champ de recherche ne doit pas être renseigné à l'avance, et les éditeurs ne doivent pas créer de liens contenant des termes de recherche préremplis.
' Une requête de recherche alternative, dont la définition et les conditions d'utilisation figurent dans les Règles Google sur les requêtes de recherche alternatives."
Contrairement à ce qui est soutenu, ces interdictions, qui sont formulées de façon précise, ne souffrent guère d'ambiguïté. Au reste, la société Aicom ne s'explique pas sur le prétendu manque de clarté des règles qui sont applicables au présent litige, dans le cadre de l'utilisation spécifique du service AdSense ni ne justifie que celles-ci auraient été modifiées en créant de nouvelles interdictions ; force est également de constater qu'elle ne fournit aucune précision quant à l'application de deux corps de règles distincts qu'elle revendiquait, dans ses courriels des 11 et 24 novembre 2021, pour contester le bien-fondé des interdictions.
Les sociétés intimées justifient, par ailleurs, de la légitimité de ces règles compte tenu de la confiance que leur accordent les annonceurs, quelle que soit l'origine du trafic des sites, afin d'éviter que les publicités affichées soient perçues par l'internaute comme étant intempestives et non pertinentes'; elles invoquent notamment, à bon escient, le risque que celui-ci se trouve enfermé dans un schéma de publicités en cascade après avoir "cliqué" sur un lien sponsorisé.
Les Conditions d'utilisation en ligne d'AdSense précisent, au titre des sanctions encourues, que "Google peut à tout moment, sans avertissement ni préavis, (') suspendre ou résilier votre Compte en raison, entre autres, d'une activité incorrecte ou de votre incapacité à vous conformer pleinement aux Règlements AdSense."
En tout état de cause, la société Aicom ne conteste pas avoir enfreint les interdictions d'inclure des champs de recherche préremplis et de créer des liens directs vers les pages de résultat AdSense.
Elle prétend, sans en rapporter la preuve, que les sociétés Google auraient toléré et encouragé ces pratiques pendant dix ans. Les courriels versés aux débats, en date des 2 janvier 2015, 20 janvier 2016, 20 avril 2017 3 janvier 2019, ne sont pas révélateurs que les sociétés Google en auraient eu connaissance, dans la mesure où ils ont pour objet une assistance technique et qu'ils ne portent pas spécifiquement sur le fonctionnement du compte. Par ailleurs, même s'il est précisé, notamment dans le Guide de démarrage et des règles du programme Adsense, que Google procède à des vérifications par le biais de systèmes automatisés et d'examens manuels, il n'est pas pour autant établi qu'un contrôle préalable systématique serait réalisé permettant de déceler les irrégularités'; comme l'expliquent les sociétés Google, les outils automatisés ne sont pas infaillibles et nécessitent, le cas échéant, des contrôles manuels prenant un certain temps, de sorte qu'il ne peut y être procédé de manière habituelle'; l'outil Google Analytics sert, quant à lui, uniquement à générer des statistiques sur le trafic des sites, mais ne permet pas de détecter des violations aux règles AdSense. Le tableau de synthèse des revenus et dépenses de la société Aicom, entre les années 2012 et 2021, permet de vérifier que la part du chiffre d'affaires réalisé via le service Adsense a augmenté de façon exponentielle à partir du mois de janvier 2020 jusqu'au mois août 2021, passant de 27.878 € à 319.719 €. Il est donc tout à fait plausible que la société Google Ireland ait décidé de procéder à la vérification de la situation du compte au cours de l'année 2021, après avoir constaté une augmentation importante des revenus qu'il procurait. En tout état de cause, la société Aicom ne prouve pas que les sociétés Google auraient eu connaissance antérieurement des pratiques litigieuses, qu'elles auraient de la sorte tolérées. Elle ne démontre pas non plus, dans ce prolongement, que la désactivation de son compte procéderait d'une pratique anticoncurrentielle en réaction aux achats d'espaces publicitaires qu'elle réalisait désormais exclusivement auprès de Microsoft.
Enfin, aucune pièce versée aux débats ne permet d'établir que les sociétés Google toléreraient les agissements reprochés de la part d'autres utilisateurs du service AdSense. Dans son courriel du 11 novembre 2021, la société Google Ireland répondait ainsi aux interrogations de la société Aicom en expliquant que les Editeurs Partenaires étaient susceptibles d'utiliser différents produits et que ceux-ci pouvaient être soumis à des conditions contractuelles différentes. Les captures d'écran de sites internet invoqués par la société Aicom sont, dès lors, dénués de caractère probant. Pour le reste, la société Aicom n'était pas fondée à exiger l'obtention d'un "partenariat privilégié".
Il résulte de la correspondance entre les parties que la société Google LLC a adressé un premier courriel, daté du 30 septembre 2021, à la société Aicom lui demandant de vérifier que son réseau respectait les règles Adsence pour les recherches, avant l'expiration d'un délai fixé au 30 octobre 2021. La société Aicom lui a répondu, le 2 octobre, avoir "bien noté" ces recommandations et qu'elle respecterait lesdites règles d'ici cette date, tout en sollicitant la mise en relation avec un interlocuteur afin de lui "soumettre les modifications ou nouvelles mise en 'uvre pour être conforme au règlement".
Par courriel du 28 octobre 2021, la société Google Ireland a demandé à nouveau à la société Aicom de se mettre en conformité, avant de lui indiquer, le 5 novembre 2021, qu'elle lui octroyait un délai supplémentaire, à cette fin, jusqu'au 30 novembre 2021.
En réponse à la demande d'explication de la société Aicom, en date du 11 novembre 2021, la société Google Ireland lui a indiqué, comme exposé précédemment, que différentes règles étaient susceptibles de s'appliquer en fonction des partenaires individuels. La société Aicom lui a alors adressé un ultime courrier le 24 novembre 2021 tendant à obtenir davantage d'éclaircissements.
Puis, le 6 décembre 2021, la société Google LLC l'a informée qu'elle avait procédé à la désactivation de son compte.
Il est constant que les courriels de la société Aicom n'emportent pas reconnaissance, de sa part, d'un manquement à ses obligations contractuelles. La teneur de la correspondance du 2 octobre 2021 vaut, néanmoins, prise d'acte des dysfonctionnements constatés et engagement de se conformer aux règles.
Or, la société Aicom, malgré plusieurs courriers d'avertissement et l'octroi d'un délai supplémentaire d'un mois pour se conformer à ses obligations n'y a donné aucune suite, alors même que la société Google Ireland avait répondu à ses demandes d'explication. Devant la résistance de la société Aicom, rien ne lui imposait non plus de faire droit à sa demande de médiation.
Aussi, compte tenu de la légitimité des règles d'interdiction, jugées essentielles par les sociétés Google, et du refus persistant de la société Aicom de les appliquer malgré les délais accordés, c'est à juste titre que le tribunal a estimé que celle-ci avait manqué à sa bonne foi et commis une faute suffisamment grave pour justifier la rupture immédiate unilatérale de la relation, la société Aicom ayant bénéficié en tout état de cause, dans les faits, d'un préavis de deux mois.
Le moyen tiré de sa dépendance économique est, dans ces conditions, inopérant.
Par suite, la demande d'indemnisation de la société Aicom ne pourra être que rejetée.
Sur l'abus de position dominante
Enoncé des moyens
La société Aicom estime que le comportement de Google à son égard est également constitutif d'un abus de position dominante sanctionné par l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, au motif qu'elle lui a appliqué des conditions à la fois inéquitables et discriminatoires.
Les sociétés intimées répliquent que la position dominante de la société Google Ireland n'est pas établie, et que celle-ci ne s'est rendue responsable d'aucun abus.
Réponse de la Cour
Selon l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne est libellé en ces termes':
"Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.
Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à:
a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables,
b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,
c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats."
L'article L. 420-2 du code de commerce dispose':
"Est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.
Est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées aux articles L. 442-1 à L. 442-3 ou en accords de gamme."
Il résulte des développements qui précèdent que la preuve n'est pas rapportée que les sociétés Google LLC et Google Ireland avaient initialement toléré les agissements de la société Aicom ni que les règles appliquées n'étaient pas transparentes ou encore discriminatoires.
La demande d'indemnisation de la société Aicom à l'encontre des sociétés Google LLC et Google Ireland sera, en conséquence, rejetée. Le jugement sera corrélativement confirmé, du chef de rejet préalable de cette demande à l'encontre de la société Google Ireland.
Sur la restitution des sommes versées en exécution du jugement
Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de la société Aicom portant sur le remboursement des sommes versées en première instance aux sociétés Google Ireland, Google LLC et Google France, celle-ci succombant en cause d'appel. Il sera rappelé qu'un arrêt, infirmatif, constitue en tout état de cause le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement.
Sur les autres demandes
La société Aicom succombant au recours, le jugement sera confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.
Statuant de ces chefs en cause d'appel, la Cour la condamnera aux dépens, ainsi qu'à payer la somme de 10.000 € chacune à la société Google Ireland et la société Google LLC, outre la somme de 8.000 € à la société Google France sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il a mis hors de cause la société de droit américain Google LLC,
STATUANT A NOUVEAU,
Y AJOUTANT,
DECLARE irrecevable la demande d'indemnisation de la SAS Aicom Web Performances à l'encontre de la SARL Google France fondée sur un abus de position dominante,
REJETTE la fin de non-recevoir invoquée par la société de droit américain Google LLC tirée de l'absence de qualité à défendre,
DECLARE recevable la demande d'indemnisation de la SAS Aicom Web Performances à l'encontre de la société de droit américain Google LLC et de la société de droit irlandais Google Ireland Limited, fondée sur la rupture d'une relation commerciale établie et sur un abus de position dominante,
REJETTE les demandes de la SAS Aicom Web Performances,
DIT n'y avoir lieu à statuer sur la demande de la SAS Aicom Web Performances au titre de la restitution des sommes versées en exécution du jugement,
CONDAMNE la SAS Aicom Web Performances aux dépens de l'appel,
CONDAMNE la SAS Aicom Web Performances à payer la somme de 10.000 € à la Société de droit irlandais Google Ireland Limited, celle de 10.000 € à la société de droit américain Google LLC et celle de 8.000 € à la SARL Google France.