CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 11 juillet 2025, n° 23/17558
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Sellier (SAS)
Défendeur :
Mulanka (SARL), Selafa Mja (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseiller :
M. Buffet
Avocats :
Me Lefort, Me Zajdela, Me Lienhardt
Vu le jugement rendu le 7 juillet 2023 par le tribunal judiciaire de Paris,
Vu l'appel interjeté le 30 octobre 2023 par la société [Localité 9] Sellier à l'encontre de la société Mulanka et de la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités de liquidateur de la société Mapinko, désigné par jugement du tribunal de commerce d'Evry du 31 mai 2021,
Vu les conclusions d'appel notifiées par la voie électronique par la société [Localité 9] Sellier le 24 janvier 2024,
Vu la signification des conclusions d'appel par la société [Localité 9] Sellier à la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités de liquidateur de la société Mapinko, par exploit de commissaire de justice du 31 janvier 2024, remis à personne habilitée,
Vu l'ordonnance sur incident du conseiller de la mise en état du 3 octobre 2024,
Vu les dernières conclusions « conclusions n°3 » notifiées par la voie électronique le 29 novembre 2024 par la société [Localité 9] Sellier,
Vu les dernières conclusions « conclusions d'intimée » notifiées par la voie électronique le 18 mars 2025 par la société Mulanka,
Vu l'absence de constitution d'avocat de la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités de liquidateur de la société Mapinko,
Vu l'ordonnance de clôture du 20 mars 2025,
Vu l'audience du 14 mai 2025, à l'occasion de laquelle la cour a :
- demandé à la société [Localité 9] Sellier de justifier en cours de délibéré de la signification de la déclaration d'appel à la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités de liquidateur de la société Mapinko, ainsi que de la signification de ses dernières conclusions à celui-ci,
- invité les parties à s'expliquer en cours de délibéré sur la compétence de la cour pour statuer sur l'incident de procédure soulevé par la société Mulanka,
Vu la note en délibéré de la société [Localité 9] Sellier du 12 juin 2025,
Vu la note en délibéré de la société Mulanka du 16 juin 2025,
SUR CE, LA COUR
La société [Localité 9] Sellier est spécialisée dans la maroquinerie et le prêt-à-porter.
Elle fait valoir qu'elle est titulaire des droits d'auteur sur les sandales dénommées « Oran » déclinées en plusieurs cuirs et coloris divulguées pour la première fois sous son nom le 26 février 1997 :
Elle était également titulaire sur ces sandales d'un modèle français n°971181-040 déposé à cette même date ainsi représenté :
Enfin, la tige de ces sandales a été déclinée sur d'autres sandales, en particulier les sandales « Izmir » pour homme, commercialisées en de nombreux cuirs et coloris :
La société [Localité 9] Sellier expose qu'un reportage télévisé diffusé le 4 juin 2020 sur M6 lui a révélé qu'une boutique à l'enseigne « Sabatyk », exploitée par la société Mapinko, vendait des mules qui constituaient des copies de ses sandales « Oran » et « Izmir ».
Autorisée par ordonnance du 23 juin 2020, la société [Localité 9] Sellier a fait réaliser des opérations de saisie-contrefaçon dans cette boutique le 3 juillet 2020, aux termes desquelles il est apparu que les fournisseurs des produits litigieux étaient les sociétés Mulanka, Gowin et Day Vine Shoes.
Par exploits d'huissier de justice des 22 juillet 2020, la société [Localité 9] Sellier a fait assigner les sociétés Mapinko, Mulanka et Day Vine Shoes devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de droits d'auteur et de modèle français.
Par exploit d'huissier de justice du 12 août 2021, elle a fait assigner la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], nommée liquidateur judiciaire de la société Mapinko, placée en liquidation judiciaire par jugement rendu le 31 mai 2021 par le tribunal de commerce d'Evry.
Par courrier antérieur du 4 août 2021, la société [Localité 9] Sellier a déclaré sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Mapinko auprès du liquidateur judiciaire de cette société à hauteur de 230 000 euros à titre chirographaire, au 31 mai 2021, jour du jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire.
Par jugement rendu le 7 juillet 2023, le tribunal judiciaire de Paris a :
- rejeté les demandes tendant à l'annulation des procès-verbaux de saisie-contrefaçon des 3 et 8 juillet 2020,
- fixé la créance de la société [Localité 9] Sellier au passif de la société Mapinko à la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la contrefaçon de droits d'auteur,
- condamné la société Mulanka à garantir la Selafa Mja, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Mapinko, du paiement de la créance inscrite au passif, le cas échéant,
- condamné la société Mulanka à payer à la société [Localité 9] Sellier la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la contrefaçon de droits d'auteur,
- rejeté l'ensemble des demandes formées contre la société Day Vine Shoes,
- rejeté l'ensemble des demandes fondées sur la contrefaçon de dessins et modèles et de la concurrence déloyale,
- condamné la société Mulanka aux dépens de l'instance, incluant les émoluments tarifiés de la saisie-contrefaçon,
- condamné la société Mulanka à payer à la société [Localité 9] Sellier la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société [Localité 9] Sellier à payer à la société Day Vine Shoes la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de droit.
La société [Localité 9] Sellier a interjeté appel de cette décision par déclaration du 30 octobre 2023 contre la société Mulanka et la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités de liquidateur de la société Mapinko.
Par exploit de commissaire de justice du 31 janvier 2024, la société [Localité 9] Sellier a fait signifier ses conclusions d'appel, notifiées par la voie électronique le 24 janvier 2024, à la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], es-qualités de mandataire liquidateur de la société Mapinko.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 29 novembre 2024, la société [Localité 9] Sellier demande à la cour de :
- rejeter la demande d'irrecevabilité des conclusions de la société [Localité 9] Sellier soulevée par Mulanka,
- déclarer recevables les conclusions de la société [Localité 9] Sellier,
- dire et juger
* à titre principal que les importation, exposition, offre en vente, mise sur le marché, détention et commercialisation par les sociétés Mapinko et Mulanka de mules reproduisant la combinaison originale des caractéristiques des mules Oran et Izmir d'[Localité 9] Sellier constituent des actes de contrefaçon de droits d'auteur et de modèle en France, conformément aux dispositions des livres I, III et V du code de la propriété intellectuelle (CPI),
* et subsidiairement des actes de concurrence déloyale et parasitaire en application de l'article 1240 du code civil et de l'article 10 bis de la Convention de l'Union de [Localité 12].
En conséquence :
- confirmer la décision du tribunal judiciaire de paris du 7 juillet 2023 en ce qu'il a :
* rejeté les demandes tendant à l'annulation des procès-verbaux de saisie-contrefaçon des 3 et 8 juillet 2020,
* fixé la créance de la société [Localité 9] Sellier au passif de la société Mapinko à la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la contrefaçon de droits d'auteur,
* condamné la société Mulanka à payer à la société [Localité 9] Sellier la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la contrefaçon de droits d'auteur,
* condamné la société Mulanka aux entiers dépens de l'instance,
* condamné la société Mulanka à payer à la société [Localité 9] Sellier la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- statuer à nouveau et :
* fixer au passif de la société Mapinko une créance à hauteur de de 50 000 euros au titre des conséquences économiques négatives de la contrefaçon de droits d'auteur et de modèle,
* condamner la société Mulanka à payer à la société [Localité 9] Sellier une indemnité de 500 000 euros au titre des conséquences économiques négatives de la contrefaçon de droits d'auteur et de modèle,
* condamner solidairement la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Mapinko et la société Mulanka à payer à la société [Localité 9] Sellier la somme de 100 000 euros au titre du préjudice moral du fait des atteintes à ses droits d'auteur et de modèle sur les mules [Localité 11] et [Localité 10],
* condamner solidairement la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], es-qualités de liquidateur judiciaire de la société Mapinko et la société Mulanka à payer à la société [Localité 9] Sellier la somme de 50 000 euros au titre des économies d'investissement réalisées par les sociétés Mapinko et Mulanka,
A titre subsidiaire :
- condamner solidairement la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Mapinko et la société Mulanka à payer à la société [Localité 9] Sellier la somme de 150 000 euros en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
En tout état de cause :
- interdire à la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Mapinko et à la société Mulanka de tels actes illicites en France, et ce sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et de 5 000 euros par jour de retard, lesdites astreintes devant être liquidées par le tribunal de céans,
- ordonner la confiscation des mules illicites détenues par les sociétés Mapinko et Mulanka et ce notamment aux fins de leur destruction aux frais avancés de ces dernières,
- ordonner, à titre de complément de dommages-intérêts, la publication du « jugement » (sic) à intervenir dans trois journaux ou périodiques en France au choix de la société [Localité 9] Sellier, et aux frais avancés de la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Mapinko et de la société Mulanka, dans la limite d'un budget de 10 000 euros HT par publication,
- ordonner que cette publication soit affichée pendant une durée de 60 jours de façon visible en lettres de taille suffisante, aux frais de la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Mapinko et de la société Mulanka, en dehors de tout encart publicitaire et sans mention ajoutée, dans un encadré de format A4: le texte qui devra s'afficher à hauteur de vue de la devanture des boutiques Sabatyk de Mapinko et Mulanka à proximité de la porte d'entrée devant être précédé du titre AVERTISSEMENT JUDICIAIRE en lettres capitales et gros caractères,
- ordonner que les condamnations portent sur tous les faits illicites commis jusqu'au jour du prononcé de l'arrêt à intervenir,
- condamner solidairement la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Mapinko et la société Mulanka à payer à la société [Localité 9] Sellier la somme de 20 000 euros à titre de remboursement des peines et soins du procès, conformément à l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner solidairement la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Mapinko et la société Mulanka aux entiers dépens de l'instance comprenant notamment les frais des opérations de saisie-contrefaçon dont distraction au profit de la SELARL Duclos Thorne Mollet-Vieville & Associés, avocats aux offres de droit, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 18 mars 2025, la société Mulanka demande à la cour de :
A titre principal :
- rejeter les conclusions d'appel de la société [Localité 9] Sellier à l'encontre de la société Mulanka comme irrecevables.
Par voie de conséquence :
- rejeter l'appel de la société [Localité 9] Sellier à l'encontre de la société Mulanka,
- condamner la société [Localité 9] Sellier à payer à la société Mulanka une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure d'appel dont distraction au profit de Maître Roland Lienhardt, avocat aux offres de droit.
A titre subsidiaire :
- confirmer la décision du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a débouté la SAS [Localité 9] Sellier de ses demandes concernant les mules référencées LS82, LS182, 1037, 1173 et 1180 fondées sur la contrefaçon de ses droits d'auteur sur ses mules Oran et Izmir,
- confirmer la décision du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il rejeté l'ensemble des demandes de la SAS [Localité 9] Sellier fondées sur la contrefaçon de dessins et modèles et sur la concurrence déloyale,
- infirmer la décision du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a jugé que la présentation, l'importation, l'offre en vente et la commercialisation des sandales référencées 1155 par les sociétés Mapinko et Mulanka en France et la détention à ces fins, constituent des actes de contrefaçon des droits d'auteur détenus par la société [Localité 9] Sellier sur les mules Oran et condamné la société Mulanka à payer à la société [Localité 9] Sellier la somme de 500 euros en réparation de la contrefaçon de droits d'auteur,
- infirmer la décision du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a condamné la société Mulanka aux dépens de l'instance, incluant les émoluments tarifiés de la saisie contrefaçon,
- infirmer la décision du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a condamné la société Mulanka à payer à la société SAS [Localité 9] Sellier la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau :
- débouter la société [Localité 9] Sellier de l'intégralité de ses demandes.
En tout état de cause :
- condamner la société [Localité 9] Sellier à payer à la société Mulanka une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure d'appel dont distraction au profit de Maître Roland Lienhardt, avocat aux offres de droit.
La Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Mapinko, n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 mars 2025.
MOTIFS :
L'article 472 du code de procédure civile dispose que si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.
En vertu de l'article 474 dudit code, en cas de pluralité de défendeurs cités pour le même objet, lorsque l'un au moins d'entre eux ne comparaît pas, le jugement est réputé contradictoire à l'égard de tous si la décision est susceptible d'appel ou si ceux qui ne comparaissent pas ont été cités à personne. Lorsque la décision n'est pas susceptible d'appel et que l'une au moins des parties qui n'a pas comparu n'a pas été citée à personne, le jugement est rendu par défaut.
La Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Mapinko, n'a pas constitué avocat.
Elle s'est vue dénoncer les conclusions d'appel de la société [Localité 9] Sellier notifiées par la voie électronique le 24 janvier 2024 par exploit de commissaire de justice du 31 janvier 2024, remis à personne habilitée.
Si les dernières conclusions notifiées par la société [Localité 9] Sellier par la voie électronique le 29 novembre 2024 n'ont pas été dénoncées par exploit de commissaire de justice à la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités, il est relevé qu'elles contiennent les mêmes demandes que les conclusions d'appel du 24 janvier 2024 qui ont été dénoncées par exploit extrajudiciaire du 31 janvier 2024.
La cour est donc valablement saisie des demandes formulées contre la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités, étant ajouté qu'aux termes de sa note en délibéré du 12 juin 2015, pour répondre à l'interrogation de la cour sur l'absence de signification de la déclaration d'appel au liquidateur judiciaire de la société Mapinko, la société [Localité 9] Sellier objecte à bon droit qu'elle n'a pas reçu du greffe d'avis de signifier la déclaration d'appel à la Selafa Mja, prise en la personne de Me [X] [O], ès-qualités, de sorte qu'aucune caducité de l'appel ne peut être encourue pour défaut de signification de la déclaration d'appel dans le délai de l'article 902 du code de procédure civile, étant précisé que les conclusions d'appel de la société [Localité 9] Sellier ont été signifiées au liquidateur de la société Mapinko dans le mois de leur notification.
Sur la recevabilité des conclusions d'appel de la société [Localité 9] Sellier :
La société Mulanka fait valoir que les conclusions d'appel établie au nom de la société [Localité 9] Sellier, qui font presque exclusivement référence à la « Maison [Localité 9] » sans que l'on puisse identifier quelle identité juridique du groupe [Localité 9] est concernée, n'indiquent, ni la forme de la société, ni son siège social, ni l'organe qui la représente légalement, en violation de l'article 961 du code de procédure civile, de sorte qu'elles sont irrecevables. Elle ajoute qu'aucune régularisation ne peut être effectuée dans le délai de trois mois de l'article 908 du code de procédure civile qui expirait le 30 janvier 2024, de sorte que l'appel est irrecevable.
Dans sa note en délibéré du 16 juin 2025, la société Mulanka fait valoir que seule la cour d'appel, saisie au fond, est compétente pour connaître des fins de non-recevoir des articles 960 et 961 du code de procédure civile.
La société [Localité 9] Sellier réplique que la fin de non-recevoir soulevée par la société Mulanka est sans objet, dès lors qu'elle a régularisé ses conclusions le 26 avril 2024, l'article 961 du code de procédure civile précisant que cette cause d'irrecevabilité peut être régularisée jusqu'au jour du prononcé de la clôture.
Réponse de la cour :
L'article 961 dudit code, dans sa rédaction applicable, prévoit que les conclusions des parties sont signées par leur avocat et notifiées dans la forme des notifications entre avocats. Elles ne sont pas recevables tant que les indications mentionnées à l'alinéa 2 de l'article précédent n'ont pas été fournies. Cette fin de non-recevoir peut être régularisée jusqu'au jour du prononcé de la clôture ou, en l'absence de mise en état, jusqu'à l'ouverture des débats.
Enfin, l'alinéa 2 de l'article 960 dispose que cet acte indique (') s'il s'agit d'une personne morale, sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement.
Seule la cour d'appel, saisie au fond, est compétente pour connaître des fins de non-recevoir des articles 960 et 961 du code de procédure civile.
Au cas d'espèce, si les conclusions d'appel notifiées par la voie électronique le 24 janvier 2024 par la société [Localité 9] Sellier ne mentionnaient pas sa forme, son siège social, ni l'organe qui la représente légalement, cette société a notifié de nouvelles conclusions le 26 avril 2024 qui comprennent ces mentions exigées par l'article 960 du code de procédure civile.
La fin de non-recevoir invoquée a donc été régularisée avant l'ordonnance de clôture, de sorte que les conclusions d'appel de la société [Localité 9] Sellier sont recevables.
La fin de non-recevoir de la société Mulanka, sans objet, sera donc écartée.
Sur la contrefaçon de droits d'auteur :
Sur la titularité des droits et la protection par le droit d'auteur :
La société [Localité 9] Sellier fait valoir qu'elle bénéficie de la présomption de titularité des droits patrimoniaux d'auteur sur les sandales « Oran » et « Izmir », justifiant d'une exploitation non équivoque de ces sandales sous son nom. A cet égard, les sandales « Oran » ont fait l'objet d'un dépôt de modèle français le 26 février 1997 sous son nom et sont commercialisées depuis l'origine sous la marque « [Localité 9] ». En tout état de cause, M. [H] [W] lui a cédé les droits patrimoniaux d'auteur sur les modèles de mules « Oran » et « Izmir » depuis leur création, étant ajouté que la société Mulanka ne peut contester la validité des contrats de cession, la nullité ne pouvant être invoquée que par l'auteur.
Par ailleurs, la société [Localité 9] Sellier soutient que la société Mulanka ne produit aucune antériorité de nature à remettre en cause l'originalité des sandales « Oran » et de leurs déclinaisons « Izmir ». Elle ajoute que les sandales « Oran » portent l'empreinte de la personnalité de leur créateur, M. [H] [W], connu pour ses créations géométriques et épurées, lesquelles présentent une association arbitraire de caractéristiques inspirées de l'art tribal, de sorte qu'elles sont éligibles à la protection au titre du droit d'auteur, de même que leur version pour homme « Izmir » qui comporte le même processus créatif ainsi que les mêmes sources d'inspiration, avec une évolution destinée à les rendre plus masculines.
La société Mulanka réplique que les contrats de cession sont signés par une société SARL [H] [W] et que rien ne garantit que M. [H] [W] soit seul créateur des dessins et modèles élaborés au sein de cette société. Ces contrats ne peuvent s'analyser comme des contrats conclus avec un auteur à titre personnel et portant sur la cession de droits d'auteur. La société [Localité 9] Sellier n'explique pas en quoi les sandales invoquées constitueraient des créations originales et procéderaient d'un effort personnel de création et d'un souci de recherche esthétique et ce que leur(s) auteur(s) ont voulu exprimer à travers ces choix. La SARL [H] [W] ne commercialisant pas les 'uvres ne bénéficie d'aucune présomption de titularité des droits. Les contrats de cession communiqués ne font référence à aucune 'uvre précisément et la cession globale des 'uvres futures est nulle en application de l'article L.131-1 du code de la propriété intellectuelle. L'attestation de M. [H] [W], qui n'a pas réalisé personnellement le processus de création, n'est pas conforme à l'article 202 du code de procédure civile. L'étendue des modèles cédés et leurs caractéristiques sont inconnues. La société [Localité 9] Sellier ne justifie par conséquent d'aucune présomption de titularité des droits d'exploitation sur les sandales revendiquées, étant ajouté que les produits sont exploités sous une marque appartenant à une société tierce dont elle est pourtant à l'origine, de sorte qu'en vertu du principe « la fraude corrompt tout », la société [Localité 9] Sellier n'est pas légitime à revendiquer le bénéfice de cette marque, laquelle ne reproduit pas la dénomination de l'appelante.
Enfin, la société Mulanka fait valoir que si chacun des éléments des mules revendiqués pris séparément ne saurait faire l'objet d'une quelconque appropriation au titre d'un droit privatif, la combinaison de ces différents éléments ne saurait l'être davantage. La société [Localité 9] Sellier ne peut prétendre à un monopole sur une empeigne évidée pour représenter un « H », ce qui est insusceptible de constituer une création, étant souligné que, dès la fin des années 1960, des modèles extrêmement similaires et esthétiquement substituables étaient commercialisés et largement répandus dans l'industrie de la chaussure, ainsi qu'un modèle présent dans le catalogue de vente de la société Sears de l'année 1966.
Réponse de la cour :
Selon l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d'auteur appartient sauf preuve contraire à celui ou à ceux sous le nom duquel l''uvre est divulguée.
Il est rappelé qu'une personne morale est présumée titulaire des droits d'exploitation à l'égard des tiers si elle commercialise l'oeuvre sous son nom de façon non équivoque en l'absence de revendication du ou des auteurs.
Pour bénéficier de cette présomption, la personne morale doit caractériser l''uvre sur laquelle elle revendique des droits, justifier de la date et des modalités de la première commercialisation sous son nom et apporter la preuve que les caractéristiques de l''uvre qu'elle a commencé à commercialiser à cette date sont identiques à celles qu'elle revendique.
La société [Localité 9] Sellier justifie avoir déposé le 26 février 1997 sous son nom un modèle français intitulé « Oran » n°971181-040 reproduisant les sandales revendiquées sous ce libellé au titre du droit d'auteur (pièce appelante n°12).
Elle fait la promotion dans la presse (pièce appelante n°4.1) et vend, en particulier sur son site Internet marchand hermes.com, les sandales « Oran » et « Izmir » (pièces appelante n°16 et 37). Ces sandales sont vendues sous la marque
qui rattache clairement les produits, dans l'esprit du public, à la société [Localité 9] Sellier, même si elle n'est pas titulaire de cette marque, et établit une commercialisation des sandales sous son nom de façon non équivoque. Cette exploitation a été soutenue et les sandales ont connu un succès certain auprès des consommateurs : « Les mules [Localité 9] [Localité 11], un best-seller toujours au top : découvrez quelques inspirations moins cher » (article blog chaussures.fr 1 er avril 2021 ' pièce appelante n°26).
La société [Localité 9] Sellier est donc fondée à se prévaloir de la présomption de titularité des droits patrimoniaux d'auteur sur les sandales « [Localité 11] » et « Izmir », celle-ci établissant au demeurant avoir commandé les dessins de ces sandales auprès de M. [H] [W], selon un contrat du 2 décembre 1991, qui a fait l'objet d'un avenant du 2 décembre 1993, et de deux contrats du 11 février 2002.
La société Mulanka n'établit aucun obstacle à la cession des droits patrimoniaux sur les dessins des sandales de leur auteur. Il est relevé en outre que les contrats de cession ont été signés par M. [W] en son nom personnel en qualité de créateur tandis qu'ils s'analysent en des contrats de commande dont l'objet est clairement délimité (nombre de modèles dans le cadre de collections).
En application de l'article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une 'uvre de l'esprit jouit sur cette 'uvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. Et, en application de l'article L 112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute 'uvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.
Si la protection d'une 'uvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue. En effet, seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole et le principe de la contradiction posé par l'article 16 du code de procédure civile commande que le défendeur puisse connaître précisément les caractéristiques qui fondent l'atteinte qui lui est imputée et apporter la preuve qui lui incombe de l'absence d'originalité.
A cet égard, si une combinaison d'éléments connus n'est pas a priori exclue de la protection du droit d'auteur, encore faut-il que la description qui en est faite soit suffisamment précise pour limiter le monopole demandé à une combinaison déterminée opposable à tous sans l'étendre à un genre insusceptible d'appropriation.
Les sandales « Oran » et « Izmir » revendiquées par la société [Localité 9] Sellier sont reproduites comme suit :
Sandales « Oran »
Sandales « Izmir »
La société [Localité 9] Sellier fait valoir que l'originalité des sandales « Oran » résulte de la combinaison des caractéristiques suivantes :
- une paire de mules,
- comportant une talonnette très fine,
- avec une large bande de cuir couvrant le dessus du pied,
- découpée dans une seule et unique pièce de cuir comme suit : 4 encoches ou évidements de forme sensiblement rectangulaire, chaque encoche est positionnée au milieu de chacun des côtés de la tige,
- comportant une surpiqure sur les bords extérieurs de la tige,
- et représentant la lettre H évoquant « [Localité 9] ».
La société [Localité 9] Sellier produit une attestation de M. [W] du 19 février 2021 (pièce n°25) sur son travail créatif ayant concouru à l'élaboration de la sandale, laquelle n'a pas à répondre au formalisme de l'article 202 du code de procédure civile qui ne concerne que les attestations en relation avec des faits auxquels l'auteur de l'attestation a assisté ou a personnellement constatés. M. [W] explique que la sandale se caractérise par son extrême simplicité : une semelle de cuir, plate, et une tige (dessus) constituée d'une seule partie de cuir découpée géométriquement de façon à dessiner un H stylisé. M. [W] souligne que ce motif géométrique lui a été inspiré par des peintures tribales africaines, exécutées par les femmes sur les murs des cases N'Debelé et que cette sandale a été créée dans le cadre du thème de l'année : « l'Afrique ».
Il est observé que le motif de la tige, en forme de H, d'inspiration tribale, caractérisé, avec la semelle plate, par la recherche d'une particulière simplicité, présente une singularité incontestable, qui n'est pas retrouvée dans l'antériorité invoquée par la société Mulanka, laquelle est, en tout état de cause, inopérante en droit d'auteur.
A cet égard, néanmoins, si la société Mulanka établit la commercialisation des sandales suivantes dans le catalogue Sears d'automne/hiver 1966 :
il est observé que ces semelles sont très incurvées et non plates et qu'elles comportent surtout une tige en forme de X venant prolonger et souligner le n'ud papillon central.
Elles présentent donc une physionomie et une inspiration très différentes des sandales revendiquées par la société [Localité 9] Sellier, la société Mulanka ne justifiant d'aucune antériorité de nature à établir que les sandales exploitées par la société appelante s'inspireraient d'un fonds commun de la maroquinerie non appropriable.
Par conséquent, il y a lieu de retenir que les sandales « Oran » reflètent l'empreinte de la personnalité de M. [W] et sont éligibles à la protection par le droit d'auteur.
Les sandales « Izmir », qui sont une déclinaison des sandales « Oran », participent des mêmes choix de conception arbitraires, avec des encoches/évidements plus étroits et des bandes de cuir plus larges, des angles droits moins arrondis/plus saillants, une absence de surpiqure sur les bordures extérieures de la tige et une absence de talonnette du fait de leur destination à un public masculin, et sont donc également éligibles à la protection par le droit d'auteur.
Sur la contrefaçon :
La société [Localité 9] Sellier fait valoir que la société Mapinko a présenté, offert à la vente et commercialisé les sandales incriminées dans sa boutique au moins depuis le 4 juin 2020, date du journal télévisé de M6 ayant diffusé l'intérieur de la boutique « Sabatyk » et même depuis le 18 mai 2020 pour certains modèles comme en témoigne la page Instagram de cette boutique. Il résulte des opérations de saisie-contrefaçon que ces sandales ont été vendues à la société Mapinko notamment par la société Mulanka. Les sandales incriminées référencées LS82, LS 182, 1037, 1173, 1180 et 1155 reproduisent l'ensemble des caractéristiques essentielles des sandales « [Localité 11] » et « Izmir ». La reprise des caractéristiques essentielles des sandales « [Localité 11] » et « Izmir » est relevée par le gérant de la boutique « Sabatyk » et sa vendeuse ainsi que les journalistes du reportage diffusé sur M6, de même que par une blogueuse et le public.
La société Mulanka réplique que ses produits sont dissemblables de ceux de la société [Localité 9] Sellier, eu égard notamment aux différences des embouts des semelles, en ce que les produits Mulanka ont la forme d'un X tandis que les sandales [Localité 9] Sellier ont la forme d'un H, en ce que les encoches des sandales [Localité 9] Sellier sont rectangulaires alors que les encoches des produits Mulanka sont arrondies et en forme de cônes et ou de trapèze pour le modèle 1155, en ce que les coutures des sandales [Localité 9] Sellier sont quasiment invisibles alors que celles des produits Mulanka sont utilisées comme élément de décor, en ce que les matières utilisées par la société [Localité 9] Sellier présentent des surfaces lisses tandis que celles des produits Mulanka ont des reliefs ou sont tapissées de perles. Tant la forme générale que les détails de finition des chaussures de la société Mulanka excluent tout acte de contrefaçon, ces chaussures s'inscrivant dans l'esthétique des modèles des années 1970 et comportent la marque « Mulanka » de manière très visible.
Réponse de la cour :
Conformément à l'article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.
Et, en application de l'article L.335-3 du code de la propriété intellectuelle, est un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une 'uvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi.
La contrefaçon s'apprécie au regard des ressemblances, et non des différences, avec les éléments caractéristiques conférant à l''uvre première son originalité.
Au cas d'espèce, il résulte des opérations de saisie-contrefaçon réalisées le 3 juillet 2020 au sein de l'établissement situé [Adresse 6] exploité sous l'enseigne « Sabatyk » par la société Mapinko, que l'huissier de justice instrumentaire a identifié 7 références de mules (pièce [Localité 9] Sellier n°14-1) :
- référence fournisseur LS 82 :
- référence fournisseur LS 182 :
- référence fournisseur Mulanka 1037 :
- référence fournisseur Mulanka 1180 :
- référence fournisseur Mulanka 1155 :
- référence fournisseur Mulanka 1173 :
Des exemplaires des mules litigieuses ont été acquis par l'huissier instrumentaire et produits aux débats.
Il résulte de la comparaison des sandales « Oran » et « Izmir » et des produits référencés LS82 et LS 182 que les mules incriminées comportent une pièce centrale de cuir dont la forme n'évoque pas un H. Il en va de même pour les mules fournies par la société Mulanka référencées 1037 et 1137 dont la partie centrale présente des contours arrondis, la forme des mules évoquant la lettre X.
Les ressemblances tenant à la présence d'une tige avec quatre encoches sont mineures au regard de ces différences avec les caractéristiques originales des sandales « Oran » et « Izmir », de sorte que les produits référencés LS 82, LS 182, Mulanka 1037 et Mulanka 1137 sont exclusifs de toute contrefaçon de droits d'auteur sur ces 'uvres.
En revanche, les mules Mulanka référencées 1155 reprennent les caractéristiques originales de ces créations en ce qu'elles reproduisent le même H central avec des encoches rectangulaires, les quelques différences relevées tenant à la semelle rembourrée et côtelée et à la tige grenue et couverte de strass n'étant pas de nature à atténuer ces ressemblances.
Par conséquent, c'est à bon droit que le tribunal a retenu que la fourniture par la société Mulanka et l'offre à la vente de ces mules par la société Mapinko constituaient des actes de contrefaçon des droits d'auteur de la société [Localité 9] Sellier sur les sandales « Oran » et « Izmir ».
En revanche, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, constituent également des actes de contrefaçon de droits d'auteur la fourniture par la société Mulanka et l'offre à la vente par la société Mapinko des mules référencées 1180, la cour relevant qu'elles comportent une pièce centrale particulièrement évocatrice d'un H, de sorte qu'elles reproduisent les caractéristiques originales des sandales « Oran » et « Izmir », cette forte ressemblance n'étant pas atténuée par le caractère courbe des encoches et un surpiquage plus apparent.
Sur la contrefaçon de modèle :
La société [Localité 9] Sellier fait valoir que les quatre encoches apparaissent bien sur le dépôt du modèle, même s'il est représenté de trois quart. Les mules commercialisées par les intimées reproduisent l'ensemble des caractéristiques du modèle « Oran », de sorte qu'elles produisent une impression d'ensemble identique pour l'utilisateur averti.
La société Mulanka réplique que le modèle opposé par la société [Localité 9] Sellier ne dispose pas de quatre encoches individualisées, ou à tout le moins les caractéristiques de l'ouverture latérales ne sont pas visibles alors que les produits argués de contrefaçon disposent bien desdites encoches, de sorte qu'eu égard à l'imprécision du dépôt du modèle, la cour n'est pas en mesure d'apprécier les conditions matérielles des ressemblances entre les produits. En tout état de cause, c'est à bon droit que le tribunal a retenu que la tige des mules Mulanka présentait une surface grenue et brillante (étant couverte de strass) contrastant avec l'aspect lisse et épuré du modèle déposé.
Réponse de la cour :
L'article L.513-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que sont interdits, à défaut du consentement du propriétaire du dessin ou modèle, la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation, le transbordement, l'utilisation, ou la détention à ces fins, d'un produit incorporant le dessin ou modèle.
L'article L.513-5 dudit code prévoit que la protection conférée par l'enregistrement d'un dessin ou modèle s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente.
Il est rappelé que la société [Localité 9] Sellier était titulaire du modèle français n°971181-040 déposé le 26 février 1997, intitulé sandale « Oran », qui a expiré le 26 février 2022 :
Contrairement à ce que soutient la société Mulanka, la reproduction du modèle dans son dépôt de trois quart laisse apparaître qu'il présente sur sa partie centrale quatre encoches de forme perpendiculaire.
Aussi, la cour est en mesure de comparer le modèle avec les produits appréhendés lors des opérations de saisie-contrefaçon.
Or, la comparaison de ces produits et du modèle ne va pas générer sur l'utilisateur averti, amateur de sandales et de mules, une même impression visuelle d'ensemble.
A cet égard, les produits litigieux référencés LS 82 et LS 182 ne reproduisent pas la même tige que le modèle, leurs encoches étant plus petites et de formes arrondies ; les produits référencés Mulanka 1037 comportent des semelles granuleuses et leur tige présentent des encoches arrondies évoquant un X ; les mules référencées Mulanka 1180 reproduisent une fine semelle intérieure et la tige présente des encoches plus arrondies avec des rebords avec une surpiqure très apparente ; les mules référencées 1173 comportent une semelle rembourrée et une tige de forme arrondie piquée de perles : enfin, les mules référencées Mulanka 1155 présentent une semelle matelassée à la différence du modèle et une tige grenue et brillante, couverte de strass, se distinguant de la ligne sobre et épurée du modèle, ainsi que le tribunal le relève à juste titre.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société [Localité 9] Sellier de ses demandes formées au titre de la contrefaçon de son modèle français.
Sur le préjudice :
La société [Localité 9] Sellier fait valoir qu'elle a subi un manque à gagner incontestable du fait de la contrefaçon de droits d'auteur. La société Mapinko a refusé de communiquer les informations relatives au nombre de modèles de sandales litigieuses vendues et au chiffre d'affaires afférent. Les factures de ses fournisseurs communiquées ne sont pas exhaustives. Il résulte des informations recueillies, aussi incomplètes soient-elles, qu'à tout le moins 200 paires de mules litigieuses ont été commercialisées par la société Mapinko. La marge nette réalisée par la société [Localité 9] Sellier sur la vente de chaque paire de sandales « Oran » s'élève à 335 euros HT. Le préjudice économique de la société [Localité 9] Sellier du fait des actes de présentations et de ventes des mules incriminées par la société Mapinko ne peut être inférieur à 50 000 euros HT. La société Mulanka a vendu au moins 88 paires de mules incriminées (stock comptabilisé par l'huissier le jour de la saisie) à la société Mapinko et nécessairement davantage au vu des factures incomplètes transmises par la société Mapinko à l'huissier de justice. La société Mulanka a, en qualité de grossiste, vendu les mules litigieuses à d'autres revendeurs, dont les sociétés Clarosa, Modress, Blooshop et Tendance, de sorte que le préjudice économique subi au titre de la contrefaçon de droits d'auteur du fait des actes d'importation et de vente des mules incriminées par la société Mulanka ne peut être inférieur à la somme de 250 000 euros. La société [Localité 9] Sellier a également subi un préjudice moral, la représentation et l'exposition des mules litigieuses, qui ont fait l'objet d'une importante visibilité médiatique, ayant banalisé ses créations. Les intimées ont choisi d'importer de Chine et de commercialiser des copies de créations [Localité 9] bon marché dans des matières très bas de gamme qui sont vendues à des prix en moyenne de l'ordre de 30 fois plus bas, détournant ainsi la clientèle de la société [Localité 9] Sellier de ses articles ainsi vulgarisés. Le préjudice moral subi est aggravé du fait de l'effet de gamme créé par les intimées qui commercialisent plusieurs modèles de copies des sandales « Oran » et « Izmir ». En commercialisant des mules reproduisant servilement les créations de la société [Localité 9] Sellier, les sociétés Mapinko et Mulanka ont pu profiter, sans bourse délier, de ses investissements pour parvenir à ses créations et de l'image de luxe et de la renommée internationale directement associées à ses créations.
La société Mulanka réplique que les demandes indemnitaires de la société [Localité 9] Sellier sont infondées, les quantités figurant au dossier étant circonscrites à 88 pièces. Elle ajoute qu'aucune mesure d'interdiction n'est justifiée, les références litigieuses ayant été retirées de la vente.
Réponse de la cour :
Aux termes de l'article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.
Il résulte des opérations de saisie-contrefaçon que, concernant les mules contrefaisantes référencées Mulanka 1155, l'huissier de justice en a dénombré 21 exemplaires dans le magasin de la société Mapinko. L'huissier de justice a également dénombré 25 exemplaires des mules référencées Mulanka 1180.
Aussi, compte tenu du volume des références contrefaisantes, le manque à gagner subi par la société [Localité 9] Sellier s'évalue, à partir d'un taux de marge de 68,5% pour un prix unitaire de 485 euros qui ne sont pas contestés, à 15 282,35 euros (332,22 x 46).
La société [Localité 9] Sellier ne démontre pas que la société Mulanka a commercialisé les références jugées contrefaisantes auprès d'autres revendeurs.
Elle justifie avoir subi un préjudice moral incontestable, la commercialisation de produits contrefaisants de moindre qualité à un prix très inférieur ayant banalisé et porté atteinte à l'image de prestige attachée à ses créations.
Ce préjudice moral sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 5 000 euros.
Enfin, les sociétés Mapinko et Mulanka ont, incontestablement réalisé des économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels du fait de l'atteinte aux droits d'auteur de la société [Localité 9] Sellier sur ses sandales « Oran » et « Izmir », bénéficiant, sans bourse délier, de la forte notoriété attachée aux produits commercialisés par la société [Localité 9] Sellier à destination d'un public exigeant en matière d'articles de prêts à porter et de maroquinerie. Ces économies peuvent être évaluées à 5 000 euros.
Par conséquent, le préjudice total imputable à la contrefaçon s'évalue à 25 282,35 euros.
Les instances en cours au moment de l'ouverture d'une procédure collective tendant uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant vis-à-vis de la société faisant l'objet de la procédure de liquidation judiciaire auteur des actes de contrefaçon de droits d'auteur, il convient, par voie d'infirmation du jugement, de fixer les dommages-intérêts alloués à la société [Localité 9] Sellier en réparation du préjudice imputable aux faits de contrefaçon de droits d'auteur sur les sandales « Oran » et « Izmir » au passif de la société Mapinko à la même somme de 25 282,35 euros.
La société Mulanka, qui a fourni les mules contrefaisantes à la société Mapinko, sera condamnée au paiement de cette somme à la société [Localité 9] Sellier.
Dans les rapports entre les sociétés Mapinko et Mulanka, la répartition se fera par moitié.
Il sera, en tant que de besoin, fait droit à la demande d'interdiction contre la société Mulanka. La société Mapinko n'ayant plus d'activité, cette demande est sans objet en ce qui la concerne.
Cette mesure d'interdiction étant suffisante à faire cesser les actes de contrefaçon, il n'y a pas lieu de prononcer en outre des mesures de confiscation et de destruction.
Le préjudice étant suffisamment réparé, la demande de publication judiciaire formée par la société [Localité 9] Sellier sera rejetée.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire :
Cette demande étant présentée à titre subsidiaire, dans le cas où la cour ne retiendrait pas l'existence d'actes de contrefaçon, il n'y a pas lieu de l'examiner.
Sur les demandes accessoires :
Le jugement sera confirmé du chef des dépens et des frais irrépétibles.
Les dépens d'appel n'ont fait l'objet d'aucune déclaration de la société [Localité 9] Sellier au passif de la liquidation judiciaire de la société Mapinko.
Il convient de fixer au passif de la société Mapinko la somme de 10 000 euros au profit de la société [Localité 9] Sellier en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Mulanka sera condamnée aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement à la société [Localité 9] Sellier d'une indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 10 000 euros.
Dans les rapports entre les sociétés Mapinko et Mulanka, la répartition se fera par moitié.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant dans les limites de l'appel,
DECLARE recevables les conclusions d'appel de la société [Localité 9] Sellier,
CONFIRME le jugement dont appel en ce qu'il a rejeté les demandes tendant à l'annulation des procès-verbaux de saisie-contrefaçon des 3 et 8 juillet 2020, rejeté les demandes fondées sur la contrefaçon de dessins et modèles, condamné la société Mulanka aux dépens, incluant les émoluments tarifés de la saisie-contrefaçon et condamné la société Mulanka à payer à la société [Localité 9] Sellier la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
L'INFIRME pour le surplus,
STATUANT A NOUVEAU,
DIT qu'en fournissant et en offrant à la vente les mules référencées 1155 et 1180, les sociétés Mulanka et Mapinko ont commis des actes de contrefaçon des droits d'auteur de la société [Localité 9] Sellier sur les sandales « Oran » et « Izmir »,
DIT que le préjudice total de la société [Localité 9] Sellier imputable à la contrefaçon de droits d'auteur s'élève à la somme totale de 25 282,35 euros,
FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la société Mapinko la somme de 25 282,35 euros à titre de dommages-intérêts au profit de la société [Localité 9] Sellier en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de droits d'auteur,
CONDAMNE la société Mulanka à payer à la société [Localité 9] Sellier la même somme de 25 282,35 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de droits d'auteur,
FAIT interdiction à la société Mulanka de commercialiser, d'offrir à la vente et de vendre les mules référencées 1155 et 1180, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, laquelle commencera à courir à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt et pour une durée de six mois,
DEBOUTE la société [Localité 9] Sellier du surplus de ses demandes,
DIT n'y avoir lieu de statuer sur la demande formée à titre subsidiaire sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire,
FIXE au passif de la société Mapinko la somme de 10 000 euros au profit de la société [Localité 9] Sellier au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,
DIT qu'entre les sociétés Mapinko et Mulanka, la répartition se fera par moitié,
CONDAMNE la société Mulanka aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés par la Selarl Duclos Thorne Mollet-Vieville & Associés, avocats, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et à payer à la société [Localité 9] Sellier la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.