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Décisions

CA Douai, ch. 2 sect. 2, 10 juillet 2025, n° 24/04649

DOUAI

Arrêt

Autre

CA Douai n° 24/04649

10 juillet 2025

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 10/07/2025

****

N° de MINUTE :

N° RG 24/04649 - N° Portalis DBVT-V-B7I-VZOC

Jugement (N° 2024002251) rendu le 02 septembre 2024 par le tribunal de commerce de Valenciennes

APPELANTS

Monsieur [J] [B]

né le [Date naissance 4] 1983 à [Localité 17] (Tunisie), de nationalité française

demeurant [Adresse 1]

[Localité 7]

Monsieur [I] [B]

né le [Date naissance 5] 1981 à [Localité 17] (Tunisie), de nationalité française

demeurant [Adresse 2]

[Localité 7]

représentés par Me Emmanuel Lacheny, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉ

Maître [X] [V] agissant en qualité de liquidateur de la SARL [16], fonctions à laquelle il a été désigné par jugement du Tribunal de Commerce de Valenciennes en date du 30 janvier 2023

ayant son siège [Adresse 3]

[Localité 8]

représenté par Me Vincent Speder, avocat constitué, substitué par Me Geoffrey Bajard, avocats au barreau de Valenciennes

Monsieur le Procureur Général, près la cour d'appel de Douai

[Adresse 6]

[Localité 9]

représenté par M. Jean-Pascal Arlaux, avocat général près ladite cour

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Stéphanie Barbot, présidente de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Anne Soreau, conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco

DÉBATS à l'audience publique du 24 avril 2025 après rapport oral de l'affaire par Anne Soreau

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2025 après prorogation du délibéré du 3 juillet 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente, et Marlène Tocco, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 8 avril 2025

****

EXPOSE DES FAITS :

La société [16] (la société [15]), immatriculée le 23 mars 2015, et dont le siège est [Adresse 10] à [Localité 12], a pour objet une activité de boulangerie-pâtisserie sous l'enseigne « Papillon ».

Le capital social de la société était réparti entre M. [J] [B] pour 50 % et M. [I] [B] pour 50 %.

Son gérant de droit était M. [J] [B], tandis que M. [I] [B] y était employé.

Le 21 juillet 2021, l'[25], qui s'estimait créancière de la somme de 171 443,16 euros, a assigné la société [15] en ouverture de procédure collective.

Par jugement du 11 octobre 2021, le tribunal de commerce de Valenciennes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [15], M. [V] étant désigné en qualité de mandataire judiciaire. La date de cessation des paiements a été fixée provisoirement au 1er mai 2020.

Par deux jugements du 30 janvier 2023, le tribunal de commerce de Valenciennes a arrêté le plan de cession du fonds de commerce de la société [15] et prononcé la liquidation judiciaire de la société [15], M. [V] étant désigné comme liquidateur.

Le 2 septembre 2024, sur assignation de M. [V], ès qualités, qui reprochait des fautes de gestion à M. [J] [B], gérant de droit, et à M. [I] [B], en tant que gérant de fait, le tribunal de commerce de Valenciennes a :

Condamné « in solidum » M. [J] [B] et M. [I] [B] à payer à M. [V], ès qualités, la somme de 384 326,02 euros au titre de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, et celle de 2 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Prononcé à leur encontre une interdiction de gérer pour une durée de 12 ans ;

Ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

Dit que la décision ferait l'objet des publicités prévues par la loi ;

Dit que les dépens seraient employés en frais privilégiés de procédure.

Le 30 septembre 2024, MM. [B] ont interjeté appel de l'entière décision.

PRETENTIONS des PARTIES

Dans leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 24 mars 2025, MM. [B] demandent à la cour de :

Vu les articles L.651-2 et L.653-1 et suivants du code de commerce,

Vu l'article R.662-12 du code de commerce,

- Infirmer le jugement déféré, et statuant de nouveau,

- Débouter M. [V], ès qualités de l'intégralité de ses demandes ;

- Le condamner à leur verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à régler les entiers dépens de l'instance.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 7 avril 2025, M. [V], ès qualités, demande à la cour de :

Vu les articles L. 651-2, L. 651-3 et L. 653-1, L. 653-4, L. 653-5, L. 653-8 du code de commerce,

Confirmant la décision déférée,

- Prononcer à l'égard de chacun de MM. [J] et [I] [B], en leur qualité, respectivement, de gérant de droit et gérant de fait de la société [15], une mesure de faillite personnelle, ou à défaut, une mesure d'interdiction de gérer ;

- Condamner in solidum MM. [J] et [I] [B] à supporter l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la société [16], soit 384 326,02 euros, ou subsidiairement une partie de cette insuffisance d'actif, soit 350 000 euros ;

- Les condamner in solidum à lui verser à Maître [V], en sa qualité de liquidateur de la société [16], la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par avis du 24 janvier 2025, le Ministère Public de cour d'appel suggère la confirmation du jugement du 2 septembre 2024 :

- En ce qu'il a condamné MM. [J] et [I] [B] au paiement d'une contribution au titre de l'insuffisance d'actif, tout en revoyant à la baisse le quantum proposé pour le fixer à 200 000 euros en application du « principe de proportionnalité » ;

- En ce qu'il a prononcé à l'encontre de MM. [J] et [I] [B] une interdiction de gérer, tout en augmentant la durée de l'interdiction de gérer à 15 ans.

MOTIVATION

I - Sur la notion de dirigeant

En droit, il résulte de la combinaison des articles L. 651-1 et L. 651-2, comme de l'article L. 653-1, I, du code de commerce, que peuvent être poursuivis en responsabilité pour insuffisance d'actif les dirigeants de fait comme les dirigeants de droit.

1/ Sur la gérance de droit de [J] [B]

M. [J] [B], même s'il déclare avoir confié la gérance effective de la société [15] à son frère [I], a toujours reconnu en être le gérant de droit.

Cela est corroboré par l'extrait Kbis produit aux débats (pièce 1 du liquidateur) qui le désigne comme gérant depuis l'immatriculation de la société le 23 mars 2015, aucune modification n'ayant été actée sur ce point, y compris lorsque son frère, M. [I] [B], s'est trouvé relevé de son interdiction de gérer en septembre 2019.

La qualité de gérant de droit de M. [J] [B] n'est donc ni contestée, ni contestable.

2/ Sur la gérance de fait de [I] [B]

Selon la jurisprudence, la direction de fait suppose une immixtion dans la gestion, se traduisant par l'exercice, en toute indépendance, d'une activité positive de gestion et de direction de la personne morale en cause (v. par ex. : Com. 8 janv. 2020, n° 18-20270 ; Com.12 juillet 2005, n°03-14.045 ; Com.19 avril 2023, n°22-11.229 ; Com., 26 mars 2025, n°24-11.190). Deux conditions cumulatives sont dès lors requises pour caractériser la direction de fait : des actes positifs de direction ou de gestion, et leur exercice en toute indépendance.

Pour justifier leur décision, les juges du fond doivent « relever de[s] faits précis de nature à caractériser une immixtion [...] dans la gestion se traduisant par une activité positive et indépendante » (Com. 9 juill. 2002, n° 99-11579).

Cependant, en application de l'article 1383 du code civil, l'aveu judiciaire n'est admissible que s'il porte sur des points de fait et non sur des points de droit.

Il s'ensuit que la qualification de dirigeant de fait constitue un point de droit sur lequel l'aveu ne peut porter (v. not. : Com. 10 mars 2004,

n° 00-17577 ; Com. 5 oct. 2022, n° 21-14770).

En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats que M. [I] [B] a été antérieurement gérant d'une société [18], laquelle a été placée en redressement judiciaire le 28 février 2011, puis en liquidation judiciaire simplifiée le 13 avril 2011. M. [I] [B] a été condamné par jugement du tribunal de commerce de Lille Métropole du 18 mars 2013 à une mesure d'interdiction de gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale pour une durée de 10 ans et à supporter une mise à charge du passif de l'entreprise à 10 000 euros.

Parallèlement, le 9 décembre 2021, M. [I] [B] a été condamné par le tribunal correctionnel de Valenciennes pour exercice d'une profession commerciale ou industrielle malgré interdiction judiciaire, faits commis du 1er juin 2015 au 8 février 2019 à Condé-sur-l'Escaut, en qualité de gérant de fait de la société [15].

Le 17 janvier 2023, sur appel de cette décision, la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Douai a :

- Confirmé le jugement du tribunal correctionnel de Valenciennes du 9 décembre 2021 sur la culpabilité de M. [I] [B] pour des délits d'emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié et d'exercice d'une profession commerciale ou industrielle malgré interdiction judiciaire, commis du 1er septembre 2017 au 1er janvier 2018 à Condé-sur-l'Escaut ;

- Déclaré [I] [B] coupable du délit de violence suivie d'une ITT n'excédant pas 8 jours avec menace ou usage d'une arme commis le 9 février 2019 à [Localité 11] ;

- Déclaré [I] [B] coupable du délit d'exécution de travail dissimulé commis du 1er septembre 2017 au 1er janvier 2018 à [Localité 11] ;

- Déclaré [I] [B] coupable du délit d'exécution de travail dissimulé à l'égard de plusieurs personnes commis du 1er janvier 2018 au 8 février 2019 à [Localité 11].

M. [I] [B] était alors poursuivi, en sa qualité de gérant de fait de la société [15], pour des faits commis dans la boulangerie exploitée par cette société. C'est donc en cette qualité qu'il a été condamné par le tribunal correctionnel. Cet arrêt est devenu définitif à la suite de la déchéance du pouvoir formé par M. [I] [B] (cf. les pièces jointes à l'avis du Ministère Public).

Cette condamnation fait suite à un contrôle effectué le 8 février 2019 à la boulangerie exploitée par la société [15] à [Localité 11], dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé, par les services de la police aux frontières (la [23]), ayant donné lieu, après enquête, à un procès-verbal d'infraction le 25 septembre 2019.

Cette décision du 17 janvier 2023 fait ressortir que M. [I] [B], qui n'en disconvenait pas, était considéré, par les employés de la société interrogés, comme leur employeur, « le gérant de la société et celui qui était chargé du recrutement des salariés » (M. [C]), ou encore comme le « patron » (Mme [U]).

Interrogé, M. [I] [B] a indiqué pour sa part être « salarié de son frère [J] [B] depuis 2015 », ayant signé un contrat de travail en qualité de « premier responsable ». Il a reconnu devant la chambre des appels correctionnels de la les faits de travail dissimulé, d'emploi d'étranger sans autorisation de travail, d'exercice d'une profession malgré interdiction judiciaire, mais a contesté les faits de violence.

M. [J] [B] s'est présenté pour sa part, comme gérant salarié de la boulangerie, mais a déclaré qu'il ne s'y rendait que très occasionnellement, précisant que c'était son frère [I] qui gérait cet établissement en qualité de « responsable d'exploitation ».

Par ailleurs, le document établi par le service Contrôle et lutte contre la fraude de l'URSSAF du Nord, en application de l'article L.133-1 du code de la sécurité sociale (pièce 15 du liquidateur), a repris les constatations retranscrites dans le PV n°01260/2019/000018 établi par les services de la [23] le 25 septembre 2019, après investigations et auditions concernant 9 employés de la boulangerie. Notamment :

- M. [J] [B] a déclaré que son frère [I] gérait dans les faits la boulangerie depuis 2015. Il a indiqué qu'une interdiction de gérer avait été prononcée à l'encontre de ce dernier et qu'il ne pouvait donc avoir la qualité de gérant ; il a précisé qu'il ne pouvait répondre aux questions qui lui étaient posées dans la mesure où c'était son frère, [I] [B], qui gérait tout au sein de la société ;

- Mme [U], salariée dans l'entreprise, a déclaré que M. [I] [B] avait mis fin à son contrat d'apprentissage en qualité de vendeuse et qu'elle avait continué à travailler sans nouveau contrat de travail ;

- M. [I] [B] se présentait comme le véritable gérant et précisait s'occuper du « management, du recrutement, de la comptabilité et de la banque ». Il indiquait que c'était lui qui avait voulu acheter cette boulangerie qui lui semblait être une bonne affaire. Il expliquait qu'il était « interdit de gérer » selon une décision qui lui avait été notifiée en 2013. Il indiquait verser 1 600 euros par mois à M. [D], trouvé en position de travail lors du contrôle du 8 février 2019, et ne pas l'avoir déclaré car il n'avait pas de papiers. Il reconnaissait ne pas délivrer de fiches de paie à M. [C] et appeler Mme [U] « quand il y [avait] un coup de bourre ».

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que, sous le couvert d'un contrat de travail comme « responsable d'exploitation », M. [I] [B] a, en réalité, assumé la direction et la gestion de fait de la boulangerie [19], qu'il avait repérée comme « une bonne affaire » mais qu'il ne pouvait gérer compte tenu de l'interdiction dont il était frappé.

M. [I] [B] a reconnu exécuter au sein de la société [15] des actes positifs de gestion, consistant notamment en un recrutement des salariés dans l'entreprise avec l'établissement ou non de contrats de travail, la rupture des contrats de travail existant, le paiement des salariés, la délivrance ou non de fiches de paie, ce qui a été confirmé par plusieurs employés interrogés.

Il a indiqué s'occuper également du management et de la comptabilité de la société.

Cette gestion s'est faite en toute indépendance, M. [J] [B] ayant lui-même admis qu'il n'intervenait pas dans cette gestion, en laissant la charge à son frère [I], qui l'a, au demeurant, confirmé.

La qualité de gérant de fait de M. [I] [B] est donc établie. Ce dernier a d'ailleurs été condamné définitivement en cette qualité par la décision pénale du 17 janvier 2023. Il ressort de l'ensemble des éléments soumis à la cour d'appel que cette gestion de fait a existé dès l'origine de la création de la société [15] en 2015, et qu'elle perdurait encore lorsque la procédure collective de la société [15] a été ouverte le 11 octobre 2011.

II ' Sur l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif

Aux termes de l'article L. 651-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 1er juillet 2021:

Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.

Sur le fond, le succès de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif est subordonné à la réunion de trois conditions : un préjudice consistant en une insuffisance d'actif, une faute de gestion qui ne relève pas d'une simple négligence, et un lien de causalité qui, en cas de pluralité de fautes de gestion retenues, doit être caractérisé entre chacune de ces fautes et l'insuffisance d'actif.

La charge de la preuve de l'existence de chacune de ces conditions repose sur le demandeur à l'action.

La faute de gestion susceptible d'engager la responsabilité pour insuffisance d'actif d'un dirigeant, sur le fondement de l'article L. 651-2 précité, qui ne doit pas relever d'une simple négligence, doit avoir été commise antérieurement au jugement d'ouverture (voir en dernier lieu Com. 8 mars 2023, n° 21-24650, publié).

L'exigence de caractérisation d'un lien de causalité signifie que la faute de gestion retenue doit avoir contribué à l'insuffisance d'actif. Selon une jurisprudence constante, le dirigeant peut être déclaré responsable de l'insuffisance d'actif même si la faute de gestion qu'il a commise n'est que l'une des causes de cette insuffisance et sans qu'il y ait lieu de déterminer la part de cette insuffisance imputable à sa faute (voir par exemple : Com. 21 juin 2005, n° 04-12087, publié ; Com. 7 nov. 2015, n° 14-12372,

publié ; Com. 20 avril 2017, n° 15-23600).

1/ Sur l'insuffisance d'actif

M. [V] conclut que l'insuffisance d'actif est dûment établie, conséquente et incontestable, dans la mesure où le passif déclaré dans la procédure collective de la société [15] est de 397 036,94 euros alors que l'actif, constitué du prix de cession du fonds de 9 000 euros, du solde des comptes bancaires pour 3 700,56 euros et des intérêts de 5,18 euros, s'élève à la somme totale de 12 710,92 euros.

Les consorts [B] ne contestent pas cette insuffisance d'actif, ni son montant.

Réponse de la cour

L'insuffisance d'actif, qui doit être distinguée de la cessation des paiements, est égale à la différence entre le montant du passif antérieur et le montant de l'actif de la personne morale débitrice. Elle doit être déterminée à la date à laquelle le juge statue, que ce soit en première instance ou en appel (voir par exemple Com. 23 avril 2013, n° 12-12231).

En l'espèce, le passif antérieur de la société [15], chiffré par M. [V] à 397 036,94 euros après qu'il a été statué définitivement sur les contestations, ainsi que son actif d'un montant total de 12 710,92 euros (pièces 16 et 17 du liquidateur), permettent de déterminer l'insuffisance d'actif de la société, laquelle s'établit à la somme de 384 326,02 euros.

2/ Sur les fautes de gestion reprochées à [J] et [I] [B]

Le liquidateur fait état de deux fautes de gestion imputables à [J] et [I] [B] : le retard dans la déclaration de cessation des paiements et le délit de travail dissimulé par dissimulation de salariés.

Sur le retard dans la déclaration de cessation des paiements

M. [V], ès qualités, fait valoir que :

- La date de la cessation des paiements a été fixée par le jugement d'ouverture du redressement judiciaire du 11 octobre 2021 à la date du 1er mai 2020 et n'a pas été contestée dans les temps, elle s'impose donc à tous. Les dirigeants avaient donc jusqu'au 15 juin 2020 pour faire leur déclaration de cessation des paiements, ce qui n'a pas été fait ;

- MM. [B] ne pouvaient pas ignorer cette obligation, étant dirigeants et associés de plusieurs sociétés ; M. [I] [B] avait de plus déjà fait l'objet de sanctions dans le cadre de la procédure collective de sa société [18], ayant été condamné à une interdiction de gérer de 10 ans et à verser 10 000 euros au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif ;

- Cette absence de déclaration a nécessairement contribué à l'insuffisance d'actif, puisque le passif [24] a continué à croître après le 15 juin 2020, la créance de l'URSSAF étant en outre génératrice d'intérêts ;

- Cette omission n'est pas une simple négligence compte tenu de la connaissance qu'avaient les deux gérants de l'obligation de déclarer leurs salariés et de payer leurs cotisations ;

- Il s'agit d'un manquement délibéré, destiné à améliorer la situation de trésorerie de l'entreprise ;

- Les dirigeants n'ont pas déclaré l'état de cessation des paiements de leur société, alors que celui-ci était vieux de plus d'une année au jour de l'ouverture de la procédure collective, à la demande de l'Urssaf.

MM. [B] répliquent que :

- L'absence de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours, comme prévu à l'article L.631-4 du code de commerce, n'entraîne pas automatiquement condamnation à combler le passif ; il revient au mandataire de démontrer que le comportement du dirigeant est distinct d'une simple négligence ;

- La Cour de cassation estime que l'article L.651-2 du code de commerce écarte la faculté de condamner le dirigeant en cas de simple négligence « sans réduire l'existence d'une simple négligence à l'hypothèse dans laquelle le dirigeant a pu ignorer les circonstances ou la situation ayant entouré sa commission » (Com, 3 février 2021, n°19-20.004) ; ainsi, ne doit pas être retenue comme faute de gestion, une faute « même légère, d'imprudence ou de négligence » ;

- En l'espèce, la société s'est rapprochée dès juillet 2020 de l'Urssaf dans la perspective de trouver des solutions de régularisation des sommes dues en proposant des garanties à la suite des contrôles réalisés ;

- Le mandataire judiciaire ne prouve nullement que la déclaration tardive aurait aggravé la situation financière de l'entreprise ;

- Il ne prouve pas que les dirigeants auraient été animés d'une intention frauduleuse ;

- La date de cessation des paiements fixée au 1er mai 2020 ne correspond pas à la date de cessation des paiements effective de la société ; au 1er mai 2020, les créances de l'Urssaf et de l'Ofii n'étaient pas définitives et ce n'est que le 4 août 2020 que l'Urssaf a mis en demeure la société [16] de régler la somme totale de 154 275 euros ; l'état de cessation des paiements ne saurait être antérieur au 4 février 2021 (date de notification de la contrainte) ;

- La date de cessation des paiements n'était pas avérée au 1er mai 2020 et il ne saurait être reproché aux dirigeants de ne pas avoir déclaré cet état de cessation des paiements dans le délai légal à compter de cette même date

- La direction effective de la société était assurée par M. [I] [B] par suite des profonds soucis de santé de son frère. Il ne peut donc être fait grief à M. [J] [B] de ne pas avoir déclaré l'état de cessation des paiements de la société [15] ;

- Le grief n'est donc pas avéré et, dans tous les cas, pas dans les proportions retenues par le tribunal de commerce de Valenciennes en ce qu'il a retenu une date de cessation des paiements au 1er mai 2020, et pas à propos de [J] [B] qui n'assurait plus à cette époque la direction de la société.

Le Ministère Public estime que :

- Le jugement de redressement judiciaire du 11 octobre 2021 fixant la date de cessation des paiements au 1er mai 2020 n'a pas fait l'objet d'un appel, et est définitif. Il est donc vain de prétendre que la date du 1er mai 2020 n'est pas caractérisée : elle est définitive et ne peut être contestée ;

- La procédure collective résulte d'une assignation en redressement délivrée par l'Urssaf en raison de cotisations impayées depuis de très nombreux mois ;

- Un dirigeant ne peut prétendre ignorer ses obligations en termes de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal quand il ne règle pas ses cotisations ; pas plus qu'il ne peut ignorer les relances des créanciers, dont l'Urssaf ;

- C'est donc volontairement que les mis en cause ont laissé perdurer une telle situation et seule l'intervention de l'Urssaf a permis de mettre un terme à une activité déficitaire.

Réponse de la cour

Il résulte de l'article L.640-4 du code de commerce, que l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements, s'il n'a pas dans ce délai demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

En droit, constitue une faute de gestion le fait de ne pas avoir déclaré la cessation des paiements de la société mise en liquidation judiciaire dans le délai légal de quarante-cinq jours, ou d'y avoir procédé avec retard (Com, 2 novembre 2016, n°15-10015).

La Cour de cassation a précisé qu'en cas d'omission de déclaration de la cessation des paiements, ou de tardiveté de cette déclaration, cette faute s'apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements telle qu'elle a été fixée dans le jugement d'ouverture ou dans un jugement de report (v. l'arrêt de principe Com. 4 nov. 2014, n° 13-23070, publié ' Com, 10 mars 2015, n°12-16.956). Les juges saisis de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif ne peuvent donc remettre en cause cette date.

En l'espèce, la date de cessation des paiements de la société [15] a été fixée dans le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, au 1er mai 2020. La déclaration de la cessation de paiements devait en conséquence être faite avant le 15 juin 2020.

Cette date de cessation des paiements n'a pas été contestée par les consorts [B], qui n'ont pas relevé appel du jugement. Elle est donc définitive et ne peut plus être remise en cause.

MM. [B] évoquent une simple négligence de leur part, ou une faute légère.

Il ressort cependant des éléments du dossier que la demande d'ouverture de la procédure collective a été réclamée tardivement, par assignation du 21 juillet 2021, soit plus d'un an après la date à laquelle elle aurait dû être faite, et que cette demande n'a pas été faite par les consorts [B] mais par l'Urssaf du Nord en raison d'une importante créance, évaluée par elle à 171 443,16 euros.

Or, comme cela ressort du rapport du liquidateur judiciaire en application de l'article L. 641-7 du code de commerce (pièce 7), qui n'a pas été contesté sur ce point, M. [J] [B] était alors gérant de quatre autres sociétés, fonctions dont il n'a démissionné au profit de son frère [I] que le 1er juillet 2020.

M. [I] [B] avait été, pour sa part gérant de la société [18] et avait été condamné à combler partiellement l'insuffisance d'actif de cette dernière par jugement du 18 mars 2013.

Ils ne pouvaient donc prétendre ne pas connaître les réglementations en matière de procédure collective et notamment la nécessité de déclarer la cessation de paiements dans le délai de 45 jours.

Ces derniers font valoir les rapprochements qu'ils auraient eu avec l'Urssaf, lesquels seraient un gage de leur bonne volonté.

Ils produisent notamment un échange de courriels entre l'Urssaf du Nord et leur avocat (leur pièce 1) des 17 février 2020 et 29 juillet 2020.

Il ressort de ces courriels que le rapprochement évoqué est intervenu à la suite d'une saisie conservatoire de compte bancaire initiée par l'Urssaf (selon le premier courriel), la somme arrêtée étant au minimum de 40 000 euros représentant les cotisations salariales (selon le deuxième courriel).

Dès le 17 février 2020, MM. [B], alors conseillés par leur avocat, ne pouvaient donc ignorer la dette importante contractée auprès de l'Urssaf et la nécessité d'une déclaration de cessation des paiements.

M. [J] [B] évoque également le fait que la société était dirigée de fait par son frère, et son état de santé, qui l'aurait conduit à négliger totalement cette obligation.

Il convient de rappeler que le dirigeant de droit ne peut prétendre échapper à sa responsabilité sous le prétexte qu'il n'a pas réellement exercé les fonctions qu'il a acceptées, cette circonstance même étant constitutive d'une faute de gestion (v. par ex. : Com. 19 mars 1996, n° 93-13468).

M. [J] [B] a déclaré devant les services de la [23] avoir accepté les fonctions de dirigeants de droit, sachant que son frère [I] était interdit de gérer. Il ne peut en tirer profit pour échapper à ses obligations légales.

S'agissant de son état de santé, les pièces médicales qu'il verse aux débats établissent qu'il a été hospitalisé du 29 mai 2020 au 3 juin 2020, du 9 au 15 juin 2020, puis du 27 juin 2020 au 21 juillet 2020 pour décompensation d'un trouble schizoaffectif dans un contexte de rupture thérapeutique.

Le rapport médical du 21 juillet 2020 relève que pendant son hospitalisation, il a présenté un amendement progressif des symptômes suite au traitement.

Et le rapport médical du 9 février 2021 indique « qu'actuellement, l'état psychique du patient reste stable avec une bonne adhésion au traitement ».

Il se déduit de ces pièces que, si M. [B] a pu être empêché, compte tenu de son état de santé, de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire avant la date du 15 juin 2020, il ne justifie pas n'avoir pu le faire postérieurement à ses hospitalisations, alors que son état s'était stabilisé. Or, il ne l'a jamais sollicitée, cette demande ayant été faite par l'Urssaf du Nord le 21 juillet 2021, soit un an après sa dernière hospitalisation.

Il sera au surplus ajouté que M. [J] [B] avait la possibilité de démissionner à compter de la réhabilitation de son frère [I] obtenue par décision du 10 septembre 2019. Or, s'il l'a fait dans les quatre autres sociétés dont il était le gérant le 1er juillet 2020, il ne l'a pas fait pour la société [15].

La faute de gestion de MM. [B], qui ne requiert pas la caractérisation d'une intention frauduleuse comme ils le prétendent, est donc bien établie, ces derniers ne pouvant valablement soutenir qu'il s'agirait d'une simple négligence compte tenu de l'omission de cette déclaration et du montant très important du passif dont ils ne pouvaient ignorer l'existence.

Cette faute de gestion a contribué à l'insuffisance d'actif de la société [15].

En effet, s'agissant notamment de la dette du créancier [24], demandeur à la procédure, il ressort des pièces produites aux débats que celle-ci est passée de 150 383 euros représentant le préjudice chiffré par l'Urssaf à l'issue du contrôle du 17 janvier 2020 (pièce 15 du liquidateur), à 154 275 euros à la date de la contrainte délivrée le 13 janvier 2021 (pièce 2 du liquidateur), à 171 443,16 euros lors de l'assignation en ouverture d'une procédure collective le 21 juillet 2021 (pièce 2 du liquidateur), puis à 182 316,82 euros le 20 octobre 2022, date de l'admission définitive des créances (pièce 17 du liquidateur). Cette dette est constituée non seulement des cotisations impayées, mais également de majorations de retard qui n'auraient pas existé en cas de déclaration dans les délais de la cessation des paiements.

Il apparaît donc que l'absence de déclaration de la cessation des paiements de la société a entraîné une augmentation du passif social pendant la période postérieure à l'expiration du délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, et que cette faute a donc bien contribué à l'insuffisance d'actif, étant rappelé que rien n'impose que la faute reprochée soit à l'origine de la totalité de cette insuffisance d'actif.

Peu importe donc que cette insuffisance d'actif ait pu être en lien également avec des difficultés nées de la crise du Covid.

b- Le délit de travail dissimulé par dissimulation de salariés

MM. [B] font valoir que :

seul M. [I] [B] a été reconnu coupable des faits de travail dissimulé sur la période du 6 septembre 2017 au 30 avril 2019, et peut donc se voir imputer ce délit pour la contribution à l'insuffisance d'actif, M. [J] [B], qui n'était pas en mesure d'assumer ses fonctions en qualité de gérant, ayant été écarté des poursuites pénales par le procureur de la République ; la faute de gestion n'est pas caractérisée à l'égard de M. [J] [B] qui n'assurait pas à cette époque la gestion de la société et n'a pas été condamné pour travail dissimulé ;

Il n'est reproché à M. [I] [B] aucune autre faute de gestion, la comptabilité ayant été régulière et sincère, les comptes annuels régulièrement déposés ; aucune irrégularité des documents comptables n'a été constatée ;

La société a réussi à faire face à la crise sanitaire et il n'est pas démontré la poursuite d'une activité déficitaire ayant contribué à l'insuffisance d'actif dans un intérêt personnel ;

La période d'observation de six mois, décidée à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, a été prolongée deux fois pour des périodes de six mois au cours desquelles la société a démontré qu'elle était en mesure de payer ses salariés, ses fournisseurs, ses cotisations sociales et impositions, le rapport du 21 novembre 2023 de M. [V] observant à juste titre que les comptes depuis le 1er juillet 2021 révélaient un chiffre d'affaires en nette progression.

M. [V] expose que :

- Selon procès-verbal du 8 février 2019 des services de la police aux frontières, la société [16] a, sur la période du 6 septembre 2017 au 30 avril 2019 :

. Employé six salariés sans effectuer de déclaration préalable à l'embauche ;

. Employé cinq salariés sans délivrer de bulletin de paie ;

. Minoré le nombre d'heures figurant sur le bulletin de paie d'un salarié ;

. Minoré les déclarations relatives aux salaires et aux cotisations ;

- Les conséquences se sont élevées à 182 316,82 euros pour l'Urssaf et 41 915,71 euros pour l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ;

- Cette faute de gestion d'une gravité exceptionnelle a privé des salariés d'un certain nombre de droits, a créé une distorsion de concurrence au préjudice d'autres entreprises exerçant la même activité et généré d'importantes majorations de redressement (31 193 euros) et de retard (9 569 euros), ainsi que des pénalités infligées par l'OFII (41 915,71 euros). Elle a donc largement contribué à l'insuffisance d'actif d'au moins 350 000 euros.

Le Ministère public souligne que cette faute a été établie pénalement par décision définitive et engendré des conséquences financières. Il ajoute que cela ne relève pas d'une simple négligence, mais d'une volonté de frauder pénalement sanctionnée, la faute de gestion étant caractérisée. Il relève que le lien causal entre la faute et l'insuffisance d'actif est établi.

Réponse de la cour

Il ressort du rapport de l'Urssaf du 17 janvier 2020 (pièce 15 du liquidateur), faisant suite à l'enquête de la [23] après le contrôle du 27 mai 2019, que sur la période du 6 septembre 2017 au 30 avril 2019, la société [15] a :

- Employé 6 personnes sans déclaration préalable à l'embauche ;

- Employé 5 d'entre elles sans délivrance de bulletin de paie et minoré le nombre d'heures sur les bulletins de la 6ème ;

- Minoré les déclarations relatives aux salaires et aux cotisations.

Consécutivement à ces constatations et selon l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 17 janvier 2023, déjà évoqué, M. [I] [B] a été poursuivi, en qualité de gérant de fait, et déclaré coupable du délit d'exécution de travail dissimulé et d'exercice d'une profession commerciale ou industrielle malgré interdiction de gérer de 10 ans prononcée par le tribunal de commerce de Lille le 18 mars 2013 (notifiée le 19 avril 2013).

M. [I] [B] n'a jamais contesté ces faits, pour lesquels il a été condamné de manière définitive.

Sa faute de gestion est donc démontrée.

M. [I] [B] avait déjà fait l'objet d'une interdiction de gérer. Il a donc commis ces faits, alors qu'il sollicitait dans le même temps une réhabilitation de son interdiction de gérer, obtenue en septembre 2019.

Ces manquements, consistant à faire travailler du personnel en infraction avec la législation sur le travail et alors qu'il était sous le coup d'une interdiction de gérer, constituent des fautes de gestion particulièrement graves, qui ne peuvent être qualifiées de négligence, de surcroît pour une personne ayant déjà dirigé une entreprise et ne pouvant prétendre ignorer la réglementation.

C'est de manière inopérante que M. [I] [B] tente de minorer cette faute en prétendant qu'il aurait, par ailleurs, une conduite irréprochable, par la tenue notamment d'une comptabilité sans faille. En effet, si tant est qu'une comptabilité puisse être régulière, alors que plusieurs employés n'ont fait l'objet d'aucune déclaration, cette circonstance ne peut dédouaner M. [I] [B] des graves infractions de travail dissimulé.

Peu importe également que la faute n'ait pas été commise dans un intérêt personnel du dirigeant, cet élément n'étant pas pris en considération pour la responsabilité pour insuffisance d'actif prévue à l'article L. 651-2 précité.

Le fait que la société ait bien traversé la période [13] ou ait fonctionné sainement pendant les périodes d'observation est également sans incidence sur la faute commise.

M. [J] [B] est, quant à lui, responsable civilement des infractions retenues à l'encontre de la société, dont il était le gérant de droit.

Le fait que le procureur de la République ait choisi, en vertu de l'opportunité des poursuites, de ne poursuivre pénalement qu'[I] [B] pour les faits de travail dissimulé, ne retire pas à M. [J] [B] sa responsabilité civile attachée à sa qualité de gérant de droit.

Ce dernier ne démontre d'ailleurs pas, comme il le prétend, qu'il se serait totalement désintéressé de sa société, en en confiant l'entière gestion à [I] [B]. Il n'a en effet jamais démissionné ou demandé à être relevé de ses fonctions de gérant de droit pour cette société, pas même après la réhabilitation de son frère en septembre 2019, alors que, tel qu'il a déjà été mentionné ci-dessus, il l'a fait pour ses quatre autres sociétés le 1er juillet 2020, comme précisé par le liquidateur judiciaire dans son rapport, non contesté, du 21 novembre 2023 (pièce 7 du liquidateur).

Ce rapport souligne, en effet, que [J] [B] a été gérant de quatre autres sociétés exploitant des boulangeries à [Localité 21], [Localité 26] et [Localité 22] (59), et il ne peut prétendre ignorer la réglementation du droit du travail. Il sait donc aussi les bénéfices qu'il peut retirer pour sa société de la non-déclaration des salariés, non seulement en termes d'économies de charges mais également de concurrence avec les autres commerces de boulangerie.

Si M. [J] [B] verse des pièces médicales établissant de graves problèmes de santé ayant nécessité des hospitalisations de mai à juillet 2020, il ne produit aucune pièce médicale pour démontrer qu'il se trouvait dans l'impossibilité d'assurer la gestion de la société [15] à l'époque des infractions constatées (1er septembre 2017 au 8 février 2019) et que sa santé fragile l'aurait légitimement conduit à négliger ses obligations de déclarations des employés de sa société.

Le prétendu traumatisme qu'il aurait subi en 2015 lors de l'incendie de son commerce, avant même son ouverture, et qui l'aurait empêché d'en assumer la gestion, n'est attesté par strictement aucune pièce.

La faute de gestion de travail dissimulé est donc imputable tant à M. [I] [B], en sa qualité de gérant de fait, qu'à M. [J] [B], en sa qualité de gérant de droit. Ces derniers ne justifient d'aucun élément propre à démontrer qu'il s'agirait là d'une simple négligence, l'enquête ayant par ailleurs démontré que leur faute ne portait pas sur un fait isolé mais sur des manquements réitérés, concernant plusieurs salariés et qui ont perduré dans le temps.

Selon le rapport de l'Urssaf du 17 janvier 2020 (pièce 15 du liquidateur), cette faute de gestion a entraîné :

- des majorations de retard sur les rappels de cotisations et contributions de sécurité sociale, d'assurance chômage et d'AGS à hauteur de 5%

- des majorations de redressement complémentaires pour infraction de travail dissimulé à hauteur de 31 194 euros ;

- une annulation des réductions et exonérations de cotisations pour 35 529 euros.

Par ailleurs, la [14] a déclaré une créance de 41 915,71 euros l'OFII, en conséquence de l'infraction de travail dissimulé relevée.

Cette faute de gestion a donc, sans conteste, contribué à l'insuffisance d'actif de la société.

3/ Sur les demandes de contribution à l'insuffisance d'actif

MM. [B] exposent que le tribunal les a condamnés « in solidum » à supporter l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la société, soit 384 326,02 euros, alors que :

- Leur condamnation « in solidum » n'est pas légitime et contrevient aux règles élémentaires de la responsabilité civile ; M. [J] [B], dirigeant de droit, mais qui n'assurait aucune fonction de direction depuis de nombreux mois du fait de troubles de santé, ne saurait être condamné pour des fautes de gestion qu'il n'a pas commises ;

- M .[J] [B] ne saurait être condamné, alors même qu'il ne disposait pas de toutes ses capacités physiques et intellectuelles ; il devra être déchargé de toute sanction pécuniaire en vue du comblement de passif de la société ;

- Ni le liquidateur ni le tribunal n'apportent d'élément de preuve de nature à caractériser un lien de causalité entre la faute reprochée et le préjudice constitué par l'augmentation de l'insuffisance d'actif ;

- Concernant M. [I] [B], le liquidateur prétend que le délit de travail dissimulé a contribué à l'insuffisance d'actif à concurrence d'au moins 350 000 euros, alors que la créance de l'Urssaf a été admise pour un montant significativement inférieur de 182 316,82 euros et ne correspond nullement à son réel préjudice en termes de cotisations sociales, l'Urssaf notamment procédé au rappel de cotisations et contributions sociales sur la base d'une taxation forfaitaire, en prenant pour acquis les déclarations des salariés concernés. M. [L] notamment, indiquait travailler 98 heures par semaine, ce qui n'a pas été retenu par le conseil des prud'hommes de [Localité 26] saisi par ce salarié ;

- La crise du Covid est concomitante aux difficultés rencontrées par la société [15] ; l'aggravation de l'insuffisance d'actif n'est donc pas directement et essentiellement liée aux fautes de gestion reprochées aux consorts [B] ;

- Il est donc illégitime que le tribunal les ait condamnés à contribuer au passif de la société pour l'intégralité des montants retenus par le liquidateur ;

- Il conviendra en conséquence, en cas de condamnation, de réduire à plus juste proportion le montant de la contribution au passif ;

- Le ministère public confirme lui-même dans son avis, la disproportion manifeste entre les manquements relevés à leur encontre, l'insuffisance d'actif et leur capacité contributive, d'une part, et le montant de la contribution au passif retenu, d'autre part ; il relève à juste titre que le liquidateur n'a pas eu recours au dispositif des articles L.651-4 et R.651-5 du code de commerce, ne permettant ainsi pas de connaître l'actif des dirigeants poursuivis pour permettre de fixer le quantum susceptible de leur être imputé ; faute de ces éléments, le tribunal n'était pas dans la capacité d'apprécier la proportionnalité de la sanction aux capacités de contribution des dirigeants ; la sanction pécuniaire prise par le tribunal est manifestement disproportionnée en ce qu'elle équivaut au montant du passif de la société, sans aucun examen du patrimoine des deux dirigeants poursuivis.

M. [V], es qualités, réplique que :

- Le dispositif de l'article L.654-1 du code de commerce n'est pas une prérogative exclusive du liquidateur et peut aussi émaner du ministère public ou du président du tribunal. Le législateur n'a pas entendu en faire un prérequis aux sanctions commerciales ;

- Le principe de proportionnalité n'est pas absolu en la matière et au cas d'espèce, aucun élément versé par les appelants ne permet de justifier d'un quelconque abattement dans le cadre de la contribution au passif dont ils sont manifestement responsables.

Le Ministère Public relève que le liquidateur n'a pas eu recours au dispositif des articles L.651-4 et R.651-5 du code de commerce, se privant d'un outil permettant de connaître l'actif des dirigeants poursuivis et de fixer leur condamnation en tenant compte des fautes et de leur gravité, de l'insuffisance d'actif et de leur capacité contributive. L'absence de recours à ce dispositif légal, même s'il n'est pas obligatoire, prive la cour d'élément utile quant à la fixation du quantum à mettre à la charge des appelants, qui devra être revu à la baisse.

Réponse de la cour

Comme rappelé dans l'article L.651-2 du code de commerce précité, l'insuffisance d'actif est une condition de la condamnation du dirigeant à l'insuffisance d'actif et constitue le maximum de la condamnation encourue par le dirigeant (Com. 15 nov. 2016, n° 14-17694), dans le cadre de cette action en responsabilité civile délictuelle, qui a pour objet la réparation du préjudice subi par la collectivité des créanciers.

Dans cette limite que constitue le montant de l'insuffisance d'actif, le juge dispose de pouvoirs dérogatoires au droit commun du droit de la responsabilité civile en ce que, quand bien même l'ensemble des conditions de fond de l'action sont réunies, il apprécie souverainement le montant de la condamnation (Com. 24 mai 2018, n° 16-29116) et la nécessité de la sanction. (Com. 11 juin 2014, n° 13-16481 ; Com. 8 mars 2023, n° 21-24650).

La Cour de cassation n'exerce aucun contrôle sur le quantum de la condamnation, qui peut aller d'une absence de condamnation jusqu'à une condamnation à payer la totalité de l'insuffisance d'actif (v. : Com. 9 mai 2018, n°16-26684), pas plus qu'elle n'impose une obligation pour les juges de prononcer une condamnation « proportionnelle » aux revenus ou à la situation financière générale du dirigeant fautif.

En l'espèce, les appelants ne peuvent donc pas exiger que la condamnation pour insuffisance d'actif soit cantonnée à la créance de l'Urssaf ou à son « réel préjudice en termes de cotisations sociales ».

Ils ne peuvent pas plus demander que la condamnation corresponde au préjudice directement consécutif aux fautes reprochées et n'englobe ainsi qu'une part de l'insuffisance d'actif, en prétendant, sans le démontrer et sans en définir la part, que la crise du Covid aurait contribué à cette insuffisance.

Enfin, contrairement à ce que prétend M. [I] [B], le montant de la contribution ne dépend pas du nombre de fautes de gestion reprochées.

Aucune disposition ou jurisprudence ne contraint, par ailleurs, les juges à examiner la situation personnelle et patrimoniale de MM. [B] pour fixer leur contribution de manière proportionnée à leurs capacités de contribution des dirigeants. Cette obligation d'adéquation de la sanction à la situation personnelle du dirigeant ne s'impose qu'en matière de prononcé d'une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer.

En outre, l'article L. 651-4 du code de commerce, qui permet au président du tribunal, pour l'application des dispositions de l'article L.651-2 précitées, de charger le juge commissaire ou un membre de la juridiction qu'il désigne, d'obtenir communication de tout document ou information sur la situation patrimoniale des dirigeants, institue une simple faculté pour le juge et ne constitue pas un prérequis pour l'appréciation du montant de la condamnation à prononcer, ainsi que l'indique exactement le liquidateur.

En l'espèce, la gravité des fautes commises, à savoir l'absence de toute déclaration de la cessation des paiements, ainsi que l'infraction de travail dissimulé de plusieurs employés sur la durée justifient la confirmation du quantum de la condamnation décidée par les premiers juges au titre de l'insuffisance d'actif, soit 384 326,02 euros.

Il a été démontré ci-dessus que ces fautes, qui ont contribué à l'insuffisance d'actif, étaient imputables tant à M. [I] [B], gérant de fait, qu'à M. [J] [B], gérant de droit. C'est donc le cumul de fautes identiques et concomitantes qui a contribué à la réalisation du préjudice d'insuffisance d'actif.

MM. [B] seront donc condamnés solidairement à ce titre, la décision des premiers juges étant juste rectifiée en ce qu'elle les a condamnés « in solidum », et non solidairement.

III ' Sur la sanction de l'interdiction de gérer (article L.653-8 du code de commerce)

MM. [B] estiment que :

- Cette sanction est totalement illégitime et disproportionnée ;

- Elle ne pourra être prise en tout état de cause à l'encontre de M. [J] [B] qui n'assurait pas la direction effective de la société ;

- La date de cessation des paiements, fixée au 1er mai 2020, ne correspond pas à la date de cessation des paiements effective de la société, alors que les créances de l'Urssaf et de l'Ofii n'étaient pas définitives ; il ne peut être reproché aux appelants d'avoir poursuivi une activité déficitaire au 1er mai 2020, alors qu'à cette date l'Urssaf n'était titulaire d'aucune créance certaine, liquide et exigible à l'égard de la société [15] ; la constatation de la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire à compter de cette date n'est donc pas avérée ;

- Il n'est établi ni l'intérêt personnel des dirigeants, ni que cette exploitation ne pouvait conduire qu'à la cessation de paiement de la personne morale ; le juge doit rechercher si c'est dans son intérêt personnel que le dirigeant a abusivement poursuivi une activité déficitaire ; en l'espèce, vu les salaires respectifs de MM. [B], il n'y a pas eu de poursuite abusive d'une exploitation déficitaire de la société [15] à des fins personnelles. Le défaut de déclaration n'est pas avéré, à tout le moins pas dans les proportions avancées par le tribunal, et la sanction est disproportionnée.

M. [V], ès qualités, demande que, à défaut de faillite personnelle, soit prononcée l'interdiction de gérer à l'encontre de MM. [B].

Il fait valoir que :

- Le jugement d'ouverture a fixé une date de cessation de paiements au 1er mai 2020 ; les dirigeants de droit et de fait n'ont jamais critiqué cette date dans les délais, elle est donc opposable à tous et constitue une vérité judiciaire ; il est inutile de prétendre que cette date serait postérieure ;

- La procédure collective a été ouverte sur demande de l'Urssaf, non des dirigeants, pour un montant de 171 443,16 euros au titre de cotisations impayées. MM. [B], gérants de société expérimentés, ne pouvaient ignorer que l'emploi de salariés générait des cotisations sociales. C'est de façon délibérée, et non par simple négligence, qu'ils n'ont pas procédé à la déclaration de cessation de paiement ;

- Si M. [J] [B] était médicalement hors d'état d'assumer ses responsabilités, il suffisait qu'il démissionne de ses fonctions pour échapper à toutes sanction ;

- MM. [B] ne peuvent pas tirer profit du fait qu'ils aient tenu une comptabilité régulière de leur entreprise pour s'exonérer d'avoir commis quelque faute de gestion que ce soit : en réalité la comptabilité n'était pas régulière puisque les cotisations sociales dues étaient omises, et plusieurs fautes de gestion ont été commises, dont le délit de travail dissimulé.

- Le fait que le mandataire ait observé, dans son rapport du 21 novembre 2023, que les comptes analysés depuis 2021 révélaient un chiffre d'affaires en nette progression et un résultat comptable positif de 32 734 euros ne saurait avoir de conséquence sur la réalité des fautes de gestion commises antérieurement, dont les conséquences sont intégrées dans les comptes qui laissent apparaître une insuffisance d'actif de 384 326,02 euros.

Le Ministère Public expose que :

- La date de cessation des paiements fixée par le jugement de redressement judiciaire du 11 octobre 2021 devenu définitif faute d'appel est définitive et ne peut plus être contestée ;

- La procédure collective résulte d'une assignation délivrée par l'Urssaf en raison de cotisations impayées depuis de très nombreux mois ; un dirigeant ne peut prétendre ignorer ses obligations en termes de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal, quand il ne règle pas ses cotisations, pas plus qu'il ne peut ignorer les relances de l'URSSAF ;

- C'est donc sciemment que les mis en cause ont laissé perdurer une telle situation, seule l'intervention de l'Urssaf ayant permis de mettre un terme à l'activité déficitaire ;

- Ceci justifie une interdiction de gérer portée à 15 ans.

Réponse de la cour

En préalable, Il doit être relevé que M. [V], afin de clarifier ses écritures, a fait acter par le greffe que sa demande en appel ne portait pas sur la faillite des consorts [B], mais seulement sur la confirmation de la décision déférée ayant ordonné une mesure d'interdiction de gérer à leur encontre.

En droit, l'article L. 653-8 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n°2015-990 du 6 août 2015, dispose que :

Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

L'article L.653-1 du même code vise notamment les personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales.

Par ailleurs, en matière de faillite et d'interdiction de gérer, le prononcé de la sanction n'est qu'une faculté pour les juges du fond, et si ces derniers décident de prononcer cette sanction, ils doivent motiver leur décision, tant sur le principe que sur le quantum de la sanction, au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle du dirigeant (v. l'arrêt de principe Com. 17 avril 2019, n° 18-11743, publié).

En l'espèce, le liquidateur sollicite le prononcé d'une interdiction de gérer en invoquant uniquement le défaut d'ouverture d'une procédure collective dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, sans demande d'ouverture d'une procédure de conciliation, et non la poursuite d'une activité déficitaire dans un intérêt personnel.

Il n'y a donc pas à démontrer, comme le prétendent MM. [B], la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements, ou encore un intérêt personnel.

Il sera rappelé que la date de cessation des paiements a été fixée par jugement du tribunal de commerce de Valenciennes du 11 octobre 2021, à la date du 1er mai 2020.

Cette date n'a pas été contestée en son temps par MM. [B] et est donc définitive.

La demande d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire devait donc se faire dans le délai de 45 jours, soit avant le 15 juin 2020.

Or, c'est par assignation du 21 juillet 2021, soit plus d'un an plus tard, que l'Urssaf a sollicité l'ouverture d'une procédure collective l'égard de la société [15] pour la somme conséquente de 171 443,16 euros.

Ni M. [J] [B], en sa qualité de gérant de droit, ni M. [I] [B], en sa qualité de gérant de fait, n'ont donc fait cette démarche. Ils ne justifient pas plus avoir sollicité l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Comme rappelé plus haut, M. [J] [B] était alors gérant de droit de quatre autres sociétés.

M. [I] [B] avait pour sa part géré une société et expérimenté une procédure collective. Il avait sollicité le relèvement de l'interdiction de gérer prononcée dans ce cadre, mettant en avant son expérience professionnelle sérieuse et son projet de création ou de reprise d'un commerce de boulangerie. Par ailleurs, il a repris la gestion de droit des quatre sociétés gérées par son frère [J] le 1er juillet 2020. Compte tenu de son parcours et de son expérience, il ne pouvait méconnaître cette nécessité de déclaration de l'état de cessation des paiements.

MM. [B] connaissaient donc leurs obligations de déclaration en cas de cessation des paiements.

Si M. [J] [B] a été hospitalisé entre mai et fin juillet 2020, ce qui pouvait justifier un retard dans la déclaration de cessation des paiements, son état de santé n'excuse en revanche pas l'absence de cette déclaration une fois passée son hospitalisation, qui a pris fin le 21 juillet 2020, soit un an avant l'assignation de l'Urssaf, et qui lui a permis de recouvrer ses facultés, ainsi qu'il a été indiqué précédemment.

Tout comme pour ses autres sociétés, il aurait pu démissionner de ses fonctions, ce qu'il n'a pas fait.

Il connaissait les enjeux pouvant exister à ne pas faire cette déclaration, pour son frère, sachant que ce dernier était interdit de gérer, et pour la poursuite de leur commerce.

En conséquence, c'est bien sciemment que MM. [J] et [I] [B] se sont abstenus de toute demande d'ouverture de procédure collective en dépit de l'existence d'un état de cessation des paiements existant depuis plus de 45 jours.

Leur condamnation à une interdiction de gérer se justifie, compte tenu des conséquences graves de cette absence de demande d'ouverture de procédure collective pour le personnel et les créanciers.

Concernant M. [J] [B], ses problèmes de santé ne sont pas de nature à priver de tout caractère fautif le fait qui lui est reproché, pour les motifs précédemment détaillés. Il convient de tenir compte de la gravité de cette faute, qui a généré un passif important pour la société qu'il dirigeait, tel qu'il a été précisé ci-dessus, et n'a été permise que parce que l'intéressé a sciemment accepté d'être nommé dirigeant à la place de son frère, frappé par une interdiction de gérer. En revanche, il convient de tenir compte du fait que ce dirigeant n'a jamais été condamné jusqu'à présent à une sanction personnelle.

M. [J] [B] n'apporte sinon aucun élément relatif à sa situation personnelle actuelle, se bornant à justifier de ses ressources, limitées, en 2022.

En conséquence de sa situation personnelle, du nombre, de la nature et de la gravité de la faute caractérisée, il est justifié de condamner M. [J] [B] à une interdiction de gérer d'une durée de 8 ans.

S'agissant de M. [I] [B], une faute identique lui est reprochée, dont la gravité est établie par ses conséquences, ci-dessus détaillées. En outre et surtout, cette faute a été réalisée alors que l'intéressé avait déjà été condamné, antérieurement, à une mesure d'interdiction de 10 années et alors qu'il avait sollicité et obtenu, dans le même temps, d'être relevé de cette sanction personnelle, en arguant de son expérience entrepreneuriale. Il doit être tenu compte de ce comportement, qui manifeste à la fois une méconnaissance de l'interdiction de gérer qui s'appliquait à lui et la réitération d'un comportement fautif en dépit du précédent avertissement résultant du prononcé d'une sanction personnelle. Pour le reste, M. [I] [B] n'apporte aucun élément relatif à sa situation personnelle actuelle, se bornant à justifier de ses ressources, limitées, en 2022. En considération de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de le condamner à une interdiction de gérer d'une durée de 15 ans.

La décision sera donc infirmée de ces chefs.

Elle sera confirmée du chef ayant ordonné les publicités prévues par la loi, et notamment l'inscription de la condamnation au fichier national des interdits de gérer.

IV - Sur les mesures accessoires

MM. [J] [B] et [I] [B], qui succombent à l'instance, seront condamnés in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La décision entreprise, qui a ordonné l'emploi des dépens en frais de procédure, sera donc infirmée de ce chef.

Elle sera, en revanche, confirmée en ce qu'elle a condamné in solidum MM. [B] à la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Enfin, MM. [B] verront leur demande d'indemnité procédurale rejetée et seront condamnés à verser à M. [V], ès qualités, une indemnité procédurale complémentaire au titre de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME la décision entreprise sauf en ce qu'elle a :

- condamné MM. [J] [B] et [I] [B] « in solidum », et non solidairement, à la somme de 384 326,02 euros ;

- prononcé une interdiction de gérer à l'égard de M. [J] [B] d'une durée de 12 ans ;

- prononcé une interdiction de gérer à l'égard de M. [I] [B] d'une durée de 12 ans ;

- ordonné l'emploi des dépens en frais de procédure ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

- Dit que la condamnation de MM. [J] et [I] [B] à contribuer à l'insuffisance d'actif à concurrence de la somme de 384 326,02 euros est prononcée solidairement entre eux ;

CONDAMNE M. [J] [B] à une interdiction de diriger, gérer, administrer et contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale et artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, pendant une durée de 8 ans ;

CONDAMNE M. [I] [B] à une interdiction de diriger, gérer, administrer et contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale et artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, pendant une durée de 15 ans ;

CONDAMNE in solidum MM. [J] et M. [I] [B] aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, REJETTE la demande de MM. [J] et [I] [B] et LES CONDAMNE à payer à M. [V], en qualité de liquidateur de la société [20], la somme de 2 000 euros au titre de la procédure d'appel.

Le greffier

Marlène Tocco

La présidente

Stéphanie Barbot

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