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CA Toulouse, 4e ch. sect. 2, 10 juillet 2025, n° 24/00008

TOULOUSE

Arrêt

Autre

CA Toulouse n° 24/00008

10 juillet 2025

10/07/2025

ARRÊT N°25-

N° RG 24/00008

N° Portalis DBVI-V-B7I-P5ER

CB/ND

Décision déférée du 27 Octobre 2023 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Montauban

(21/00213)

R. [Localité 4]

SECTION ENCADREMENT

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le

à

- Me Frédérique BELLINZONA

- Me Laure SERNY

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU DIX JUILLET DEUX MILLE VINGT CINQ

***

APPELANTE

Madame [S] [N]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédérique BELLINZONA, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE

S.A.S. BM LOGISTIQUE

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me Laure SERNY de la SELARL SPBS AVOCATS, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Mai 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant C. BRISSET, chargée du rapport et par F. CROISILLE-CABROL, conseillère. Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. BRISSET, présidente

F. CROISILLE-CABROL, conseillère

AF. RIBEYRON, conseillère

Greffière, lors des débats : N.DIABY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par C. BRISSET, présidente, et par N.DIABY, greffière de chambre

EXPOSÉ DU LITIGE

La Sasu BM logistique a été créé le 31 mars 2004. Mme [N] a été désignée présidente non associée. Elle a par ailleurs été embauchée selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er avril 2004 en qualité de directeur d'exploitation logistique.

La convention collective applicable est celle des transports routiers. La société emploie moins de 11 salariés.

Le 29 février 2020, l'assemblée générale de la société a pris acte de la démission de Mme [N] de son poste de présidente.

Le 28 mai 2020, Mme [N] a été placée en arrêt de travail.

Par lettre en date du 16 février 2021, par le biais de son conseil, Mme [N] a sollicité une résolution amiable du conflit.

Le 1er juin 2021, le médecin du travail a déclaré Mme [N] inapte à son poste, renseignant la rubrique tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à la santé du salarié.

Par courrier en date du 25 juin 2021, la société a convoqué Mme [N] à un entretien préalable.

Le 9 juillet 2021, Mme [N] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 11 octobre 2021, Mme [N] a saisi une première fois le conseil de prud'hommes de Montauban aux fins de contester son licenciement et obtenir le versement d'indemnités notamment au titre des rappels de salaire et de dommages et intérêts.

Le 27 mai 2022, Mme [N] a saisi une seconde fois le conseil de prud'hommes de Montauban aux fins de condamner son employeur au versement de l'indemnité supra légale.

Par jugement en date du 27 octobre 2023, le conseil de prud'hommes de Montauban a :

Ordonné la jonction des deux instances ;

Déclaré le conseil de prud'hommes de céans matériellement incompétent au profit du tribunal de commerce pour connaître du litige sur les demandes au titre du complémentaire de l'indemnité supra-légale restant due et au titre du remboursement du titre de perception ;

Débouté Mme [N] de la remise, du bulletin d'adhésion à l'organisme de prévoyance, des conditions générales et particulières du contrat de prévoyance souscrit, sous astreinte ;

Dit que le licenciement pour inaptitude de Mme [N] est nul ;

Condamné la Sasu BM logistique à payer à Mme [N] les sommes suivantes :

- 60 000 euros à titre des dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- 14 978,64 euros à titre d'indemnité de préavis ;

- 1 497,86 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- 1 445,64 euros au titre des rappels de salaire ;

- 144,56 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté la Sasu BM logistique de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les dépens seront laissés à la charge de la Sasu BM logistique ;

Mme [N] a interjeté appel de ce jugement le 2 janvier 2024, en énonçant dans sa déclaration d'appel les chefs critiqués de la décision. Le même jour elle a présenté une requête aux fins d'être autorisée à assigner à jour fixe dans le cadre d'un appel compétence. Cette requête a fait l'objet d'une ordonnance de rejet en considération d'un jugement se prononçant pour partie sur la compétence et pour partie au fond.

La société a également interjeté appel du jugement le 3 janvier 2024, énonçant dans sa déclaration les chefs critiqués de la décision.

Les deux instances ont fait l'objet d'une ordonnance de jonction.

Dans ses dernières écritures en date du 24 juin 2024, auxquelles il est fait expressément référence, Mme [N] demande à la cour de :

Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Montauban en ce qu'il se déclare incompétent pour statuer sur l'indemnité supra légale de rupture du contrat de travail, et le remboursement du titre de perception,

Y ajoutant, évoquer le fond et,

Condamner la Sasu BM logistique au paiement des sommes suivantes :

- 119 829,12 euros au titre de l'indemnité supra légale,

- 500 euros au titre du remboursement du titre de perception.

Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Montauban en ce qu'il dit le licenciement de Mme [N] nul et en ce qu'il condamne à la Sasu BM logistique à payer à Mme [N] les sommes suivantes :

- 14 978,64 euros à titre d'indemnité de préavis,

- 1 497,86 euros au titre des indemnités de congés payés afférents,

- 5 000 euros à titre de dommage et intérêts pour harcèlement moral,

- 1 445,64 euros au titre des rappels de salaire,

- 144,56 euros au titre des congés payés,

- 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Réformer le jugement en ce qu'il à 60 000 euros les dommages et intérêts pour licenciement nul, et statuant à nouveau, condamner la Sasu BM logistique à payer à Mme [N] la somme de 82 382,52 euros pour licenciement nul,

Subsidiairement, dire et juger le licenciement de Mme [N], à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, et condamner la Sasu BM logistique à payer à Mme [N] la somme de 82 382,52 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

En toute état de cause, condamner la Sasu BM logistique à payer à Mme [N] la somme de :

- 3 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Statuer ce que de droit sur les dépens.

Elle soutient que c'est à tort que le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent au titre de l'indemnité supra légale de licenciement alors qu'elle était liée au seul contrat de travail. Elle considère que le conseil était également compétent du chef du titre de perception dès lors qu'elle n'avait aucune autonomie en dehors du contrat de travail. Elle s'explique sur le fond des deux indemnités sollicitées. Quant au licenciement, elle le considère comme nul dès lors que son inaptitude procède d'un harcèlement moral. Subsidiairement, elle se place sur le terrain d'un défaut de cause réelle et sérieuse.

Dans ses dernières écritures en date du 20 septembre 2024, auxquelles il est fait expressément référence, la société BM logistique demande à la cour de :

Sur la contestation du licenciement :

Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Montauban en date du 27 octobre

2023 en ce qu'il a :

Dit que le licenciement pour inaptitude de Mme [N] est nul ;

Condamné la Sasu BM logistique à payer à Mme [N] les sommes suivantes :

- 60 000 euros à titre des dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- 14 978,64 euros à titre d'indemnité de préavis ;

- 1 497,86 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- 1 445,64 euros au titre des rappels de salaire ;

- 144,56 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les dépens seront laissés à la charge de la Sasu BM logistique

Et statuant à nouveau :

À titre principal :

Débouter Mme [N] de l'ensemble de ses demandes.

À titre subsidiaire :

Réduire la demande de 82 382,52 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul dans les plus larges proportions.

Débouter Mme [N] de sa demande de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Sur les autres demandes :

Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Montauban en date du 27 octobre 2023 en ce qu'il a :

Ordonné la jonction des deux instances

Déclaré le conseil de prud'hommes de céans matériellement incompétent au profit du tribunal de commerce pour connaître du litige sur les demandes au titre du complémentaire de l'indemnité supra-légale restant due et au titre du remboursement du titre de perception

Débouté Mme [N] de la remise, du bulletin d'adhésion à l'organisme de prévoyance, des conditions générales et particulières du contrat de prévoyance souscrit, sous astreinte.

À défaut :

À titre principal :

Constater que la résolution du 22 juin 2018 n'est pas conforme aux dispositions législatives et statutaires en matière de conventions réglementées.

Constater que cette indemnité supra légale a été annulée par assemblée générale du 1er mars 2020.

Constater que cette indemnité supra-légale est une clause pénale manifestement excessive.

Débouter Mme [N] de l'ensemble de ses demandes.

À titre subsidiaire :

Réduire le montant sollicité dans les plus larges proportions sans qu'il ne puisse excéder 1 000 euros.

Débouter Mme [N] pour le surplus de ses demandes.

En tout état de cause :

Débouter Mme [N] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société BM logistique.

Condamner Mme [N] à verser à la société BM logistique la somme de 2 000 euros d'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Elle conteste tout harcèlement moral et soutient que la salariée a instrumentalisé un conflit pour se préconstituer des preuves. Subsidiairement, elle discute le montant des indemnités. Quant à l'indemnité supra légale de licenciement, elle considère qu'elle ne peut être rattachée au contrat de travail de sorte que le conseil de prud'hommes était matériellement incompétent. Subsidiairement sur le fond, elle considère que la convention est nulle à raison de man'uvres dolosives et pour ne pas satisfaire aux conditions des conventions réglementées. Plus subsidiairement, elle invoque une absence de loyauté dans l'exécution du contrat et une clause pénale manifestement excessive. Concernant le titre de perception, elle estime qu'il s'agit d'une défaillance de la salariée.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 29 avril 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la compétence,

Le conseil s'est déclaré matériellement incompétent au profit du tribunal de commerce pour statuer sur l'indemnité supra légale et le remboursement du titre de perception.

S'agissant de l'indemnité supra légale, Mme [N] se prévaut de la quatrième résolution de l'assemblée générale du 22 juin 2018. Celle-ci stipulait une indemnité supra légale de vingt-quatre fois le salaire qui lui sera versé. Il était encore précisé que l'indemnité serait due pour n'importe quelle cause de rupture du contrat à durée indéterminée (licenciement économique ou personnel, démission, rupture conventionnelle, rupture amiable ou départ négocié, retraite, plan social, résiliation judiciaire du contrat de travail, décès, force majeure, prise d'acte de la rupture, fermeture de la société etc')

Les exemples ainsi donnés de cause de rupture, au demeurant nombreux, concernent donc exclusivement le contrat de travail qui liait les parties, contrat de travail qui n'est au demeurant pas remis en cause l'employeur admettant dans ses écritures des fonctions distinctes de celles relevant du mandat social.

Le litige portant sur l'attribution de cette indemnité supra légale, qui ne pouvait être que de rupture du contrat de travail et en l'espèce de licenciement, s'élevait donc bien à l'occasion du contrat de travail de sorte que par application des dispositions de l'article L. 1411-1 du code du travail c'est le conseil de prud'hommes qui était compétent.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il s'est déclaré incompétent de ce chef.

S'agissant du titre de recette dont Mme [N] demande le remboursement, le conseil a retenu qu'il s'agissait d'une conséquence de l'absence de dépôt des comptes, formalité qui relevait du mandat social et non du contrat de travail. Dans ses écritures, Mme [N] ne discute pas ce point mais soutient, sans viser aucune pièce et sans en justifier que les fonctions relevant du mandat social ne lui avaient été confiées que par la volonté de l'actionnaire de se délester de fonctions administratives. La cour ne saurait valider une telle analyse alors que Mme [N] a bien été titulaire au demeurant pendant de longues années d'un mandat social dont les conditions d'exécution ne sauraient découler du contrat de travail.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il s'est déclaré incompétent de ce chef au profit du tribunal de commerce sauf pour la cour à préciser qu'il s'agit du tribunal de commerce de Montauban.

Dès lors que la cour est par ailleurs saisie du fond du litige sur le licenciement, il convient de statuer également au fond sur l'indemnité supra légale.

Sur l'indemnité supra légale,

La société BM logistique soulève tout d'abord la nullité de la clause à raison de man'uvres dolosives employées par Mme [N]. Dès lors qu'elle se place sur le terrain des vices du consentement, il lui appartient de rapporter la preuve du dol qu'elle invoque.

L'employeur invoque le fait que Mme [N] serait demeurée évasive au stade de l'énonciation des résolutions et que l'actionnaire a cru approuver uniquement un texte sur l'absence de convention réglementée. La cour constate cependant que l'unique actionnaire a signé le procès-verbal de l'assemblée générale précisément en dessous du paragraphe qui contenait la résolution litigieuse alors en outre que ce procès-verbal ne contenait qu'un seul feuillet recto verso de sorte que la résolution était très apparente. L'employeur qui supporte la charge de la preuve, n'apporte à la cour aucun élément de fait susceptible de caractériser une man'uvre dolosive. Il procède essentiellement par affirmations sur l'âge du dirigeant et la confiance qu'il vouait à Mme [N] mais n'assortit ces assertions d'aucun élément de preuve. Rien ne vient démontrer que Mme [N] aurait utilisé son mandat de présidente pour tenir l'assemblée générale litigieuse étant observé que la convention querellée figurait à l'ordre du jour avec le visa de l'article L. 225-38 du code de commerce, c'est-à-dire le texte portant sur les conventions réglementées. Devant la cour, l'employeur fait valoir à la fois que la clause est incroyablement précise mais qu'il aurait été plus clair de la faire figurer à l'ordre du jour non sous le visa de l'article susvisé mais sous la rubrique approbation d'une indemnité supra légale au profit de Mme [S] [N]. Alors que l'employeur admet que le texte de la résolution était précis et que l'ordre du jour visait bien une convention réglementée, ceci ne saurait caractériser un dol, même par réticence en l'absence de toute man'uvre établie. Le peu d'attention que le dirigeant admet avoir porté au texte ne peut être caractéristique d'un dol.

Quant à l'absence de respect du formalisme lié aux conventions réglementées, l'employeur fait valoir que le texte de la résolution n'a pas été communiqué au commissaire aux comptes. Il vise à ce titre les dispositions de l'article L.227-10 du code du commerce qui ne sont pas sanctionnées par la nullité et sans aucunement justifier en quoi ceci pourrait caractériser une man'uvre dolosive.

L'employeur ne rapporte ainsi pas la preuve qui lui incombe et il n'y a pas lieu à nullité de la convention.

De manière générale, l'employeur fait encore valoir que la salariée aurait manqué à l'exécution de bonne foi, sous entendant ce manquement par la souscription de la convention à laquelle l'associé unique avait expressément consenti et sans en tirer de véritable conséquence.

L'employeur se prévaut également de ce que la résolution aurait été annulée pour pallier ces irrégularités. Il n'est pas soutenu que le procès-verbal du 1er mars 2020 aurait été porté à la connaissance de Mme [N] qui à cette date n'avait plus que la seule qualité de salariée. En outre, la résolution dont se prévaut l'employeur (pièce 19) est ainsi rédigée : suite à la démission de Mme [I] [N] en date du 29 février 2020, l'associé unique décide d'annuler la résolution prise le 22 juin 2018 et relative à une indemnisation supra légale de Mme [I] [N] dans l'éventualité de son départ de la société. En effet, c'est dans le cadre de son mandat de président que cette résolution avait été adoptée et sa démission de son poste de président rend donc sans objet une telle indemnisation.

Or, ceci est contraire à l'analyse faite ci-dessus étant rappelé qu'il n'existe pas d'indemnité légale de rupture d'un mandat social de sorte que l'indemnité supra légale ne pouvait être que relative à une rupture du contrat de travail, distinct du mandat social, de sorte que la cessation du mandat social ne pouvait purement et simplement rendre sans objet la résolution initiale désormais discutée.

In fine, l'employeur invoque une clause pénale manifestement excessive. Mais si une indemnité contractuelle de licenciement stipulée au contrat de travail ou dans un avenant à valeur contractuelle peut revêtir la qualification de clause pénale réductible, la cour ne peut que constater que la clause litigieuse n'est pas en l'espèce une clause contractuelle s'agissant d'une résolution.

Pour contester son caractère d'engagement unilatéral invoqué par son adversaire, l'employeur fait valoir qu'un tel engagement doit par nature être communiqué au salarié, en cette qualité, et ne l'a pas été en l'espèce puisque Mme [N] était présente à l'assemblée générale en sa qualité de présidente.

Cependant, l'engagement unilatéral ne relève pas d'un acte qui devrait obéir à un régime particulier de notification à son bénéficiaire, étant rappelé qu'il peut être pris par différents moyens comprenant une simple note de service et que la salariée en avait bien connaissance.

En l'absence de tout caractère contractuel, l'engagement de l'employeur ne pouvait être, compte tenu de l'ensemble des constatations de la cour, qu'unilatéral de sorte qu'il ne peut revêtir la qualification de clause pénale et qu'il n'est pas réductible. Il n'a pas été révoqué valablement comme tel.

Mme [N] peut ainsi prétendre à la somme de 119 829,12 euros calculée conformément aux énonciations de la résolution du 22 juin 2018. La société BM logistique sera condamnée au paiement de cette somme.

Sur le licenciement,

Le conseil de prud'hommes a déclaré les pièces 16-3 et 16-4 irrecevables comme obtenues de manière déloyale mais sans reprendre cette mention au dispositif.

Sans plus s'expliquer l'appelante produit à nouveau ces pièces devant la cour, pièces constituées par des retranscriptions réalisées par commissaire de justice d'enregistrements réalisés par Mme [N] à l'insu de ses interlocuteurs.

L'employeur reprend son moyen tenant à la déloyauté de l'obtention des pièces mais en les examinant néanmoins au fond.

La cour n'est pas saisie par Mme [N] d'une demande tendant à voir admettre des pièces qui ont été écartées expressément par les premiers juges, même s'ils ont omis de rep(r)endre cette mention au dispositif. Elle n'est pas davantage saisie d'un moyen qui tendrait à voir reconnaître que les pièces, même obtenues de façon déloyale ce qui est le cas, étaient le seul moyen pour elle de prouver les faits supports de son action de sorte qu'il n'y a pas lieu pour la cour de se livrer à un contrôle de proportionnalité.

Les pièces seront ainsi écartées des débats.

Sur le fond, le conseil de prud'hommes a retenu la nullité du licenciement en considération d'une inaptitude consécutive d'un harcèlement moral.

Il résulte des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Par application des dispositions de l'article L. 1154-1 du même code lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce Mme [N] invoque le comportement à son encontre d'un salarié de l'entreprise, sans intervention de M. [L], associé unique, pourtant alerté de la situation.

Elle produit des éléments médicaux démontrant la dégradation de son état de santé pour des faits qu'elle rattachait au travail mais sans que les praticiens aient pu constater la réalité de ses conditions de travail. Elle produit également une attestation de Mme [P] qui ne relate cependant aucun fait matériellement vérifiable qui correspondrait à une constatation personnelle du témoin. Les attestations de son frère et de sa s'ur ne sont pas davantage de nature à établir matériellement des faits en ce qu'elles sont, pour la période où est invoqué le harcèlement, manifestement indirectes. La salariée produit enfin les deux alertes qu'elle a adressées à l'employeur lesquelles relataient sa version des faits sans pouvoir toutefois les établir matériellement.

Ces éléments pris dans leur ensemble sont insuffisants pour laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral puisque la cour n'est pas en mesure de constater la matérialité de faits. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a retenu un harcèlement moral et en a tiré la conséquence d'un licenciement nul. Mme [N] sera déboutée de sa demande indemnitaire pour harcèlement moral.

En revanche sur le fondement de l'obligation de sécurité découlant des dispositions des articles L.4121-1 et suivants du code du travail, il subsiste qu'après avoir démissionné de son mandat social alors qu'elle n'était plus titulaire que d'un contrat de travail la salariée a bien alerté l'employeur sur sa situation. Plus précisément, selon courrier daté du 24 février Mme [N] écrivait à M. [L] pour l'alerter sur le comportement de M. [H] et précisait qu'elle se sentait en danger, menacée physiquement et que cela affectait sa santé. Le courrier a été réceptionné le 2 mars 2020, c'est-à-dire postérieurement à la démission de Mme [N] de son mandat social de sorte qu'à cette date elle n'était plus titulaire que d'un contrat de travail. Il n'est justifié d'aucune réaction de l'employeur. Mme [N] réitérera son alerte, cette fois par courrier électronique du 28 mai 2020, demandant à l'employeur de prendre des mesures de toute urgence. C'est la compagne de M. [L], étrangère à l'entreprise, qui répondra à Mme [N] dans les termes suivants : je viens de lire le mail à M. [L], il attend votre recommandé et aura une conversation avec [U] et lui enverra un recommandé. Vous savez que vous avez toute la confiance de M. [L] et il vous la garde. Soyez assurée que des dispositions seront prises si M. [H] ne change pas d'attitude. Courage essayez de profiter du long week end.

Une telle réponse, qui au demeurant n'émanait pas formellement de l'employeur, ne pouvait satisfaire à l'obligation de sécurité. L'employeur était informé d'une difficulté majeure, la salariée lui indiquant expressément se sentir en danger, ne contestait pas qu'il pouvait y avoir un problème de comportement de M. [H] et se contenait d'une réponse que la cour ne peut que qualifier de lénifiante sans mesure concrète, une conversation ou un recommandé dont on ignore la teneur ne constituant en rien une mesure concrète.

Dans le cadre de l'instance, il est invoqué une réunion mais sans que la cour puisse en apprécier le contenu et sans d'ailleurs qu'il soit visé une quelconque pièce à ce titre.

La période de confinement et la mise en place du télétravail, y compris après la levée du confinement, ne libérait pas l'employeur de son obligation de sécurité et ne pouvait constituer une mesure suffisante, sauf à être précisée dans ses modalités, étant observé que dans son courrier électronique la salariée relatait des difficultés pendant la période de confinement.

Ce manquement est bien à l'origine au moins partiellement de l'inaptitude qui a été constatée dans la mesure où Mme [N] justifie qu'elle était suivie par un psychothérapeute depuis mars 2020 pour des difficultés qu'elle imputait au travail ; qu'elle sera placée en arrêt de travail le 28 mai 2020, c'est-à-dire immédiatement après la réponse que lui avait adressée l'employeur et hospitalisée en secteur psychiatrique à compter de juin 2020 pour une année, ce qui permet à la cour de caractériser un lien de causalité au moins partiel entre le manquement à l'obligation de sécurité et l'inaptitude finalement constatée.

L'employeur ne pouvait donc se prévaloir de l'avis d'inaptitude de sorte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences, Mme [N] pouvait prétendre à l'indemnité de préavis dont le montant n'est pas spécialement contesté pour la somme de 14 978,64 euros outre 1 497,86 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement de cette somme.

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de rappels de salaire pour non reprise du paiement passé le délai d'un mois suivant la déclaration d'inaptitude, la cour n'étant d'ailleurs saisie d'aucun moyen de réformation de ce chef, soit la somme de 1 445,64 euros outre 144,56 euros.

Mme [N] peut en outre prétendre à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ceux-ci tiendront compte d'un salaire de 4 992,88 euros, d'une ancienneté de 17 années complètes, des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, des circonstances mais également du montant de l'indemnité supra légale allouée ci-dessus. Le montant des dommages et intérêts sera en conséquence fixé à la somme de 30 000 euros.

L'action était bien fondée de sorte que le jugement sera confirmé sur le sort des frais et dépens en première instance.

L'appel de Mme [N] est au principal justifié de sorte que la société BM logistique sera condamnée au paiement d'une somme complémentaire de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Montauban du 27 octobre 2023 en ce qu'il :

- s'est déclaré incompétent pour statuer sur l'indemnité supra légale,

- a dit que le licenciement est nul,

- a condamné la Sasu BM logistique à payer à Mme [N] les sommes de :

- 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Se déclare compétent pour statuer sur l'indemnité supra légale,

Dit que le licenciement n'est pas nul mais est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la Sasu BM logistique à payer à Mme [N] les sommes de :

- 119 829,12 euros à titre d'indemnité supra légale,

- 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Déboute Mme [N] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

Confirme le jugement en ses autres dispositions non contraires,

Y ajoutant,

Condamne la Sasu BM logistique à payer à Mme [N] la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour,

Condamne la Sasu BM logistique aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par C. BRISSET, présidente, et par N.DIABY, greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

N.DIABY C. BRISSET

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