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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 9, 10 juillet 2025, n° 22/04756

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/04756

10 juillet 2025

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 10 JUILLET 2025

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/04756 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFUMC

Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Janvier 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 20/00099

APPELANTE

Madame [O] [U]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Mourad BATTIKH, avocat au barreau de PARIS, toque: G0321

INTIME

Monsieur [X] [B]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Marc GOUDARZIAN, avocat au barreau de PARIS, toque : C1657

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Mai 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Florence MARGUERITE, présidente de chambre

Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller

Madame Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Marika WOHLSCHIES

ARRET :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Florence MARGUERITE, présidente de chambre et par Madame Marika WOHLSCHIES, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 20 mars 2019, M. [X] [B] a été engagé en qualité de collaborateur parlementaire par Mme [O] [U], sénatrice représentant les Français établis hors de France.

M. [B] a été placé en arrêt de travail pour maladie de manière continue à compter du 26 août 2019.

Invoquant l'existence d'agissements de harcèlement moral, M. [B] a saisi la juridiction prud'homale le 8 janvier 2020 de demandes afférentes à l'exécution du contrat de travail.

Par jugement du 31 janvier 2022, le conseil de prud'hommes de Paris :

- s'est déclaré compétent et n'a pas fait pas droit à la demande de sursis à statuer,

- a constaté que M. [B] est victime de harcèlement moral de la part de Mme [U] et l'a condamnée au paiement de la somme de 3 500 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral outre 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- a débouté M. [B] du surplus de ses demandes,

- a débouté Mme [U] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens.

Par déclaration du 21 avril 2022, Mme [U] a interjeté appel du jugement lui ayant été notifié le 29 mars 2022 (procédure enregistrée sous le n°22/4756).

Par déclaration du 25 avril 2022, M. [B] a interjeté appel du jugement lui ayant été notifié le 29 mars 2022 (procédure enregistrée sous le n°22/4836).

Par ordonnance sur incident du 12 janvier 2023, rendue dans la procédure enregistrée sous le n°22/4756, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de nullité de la déclaration d'appel formée par M. [B].

Par arrêt du 13 septembre 2023, la cour d'appel, statuant en déféré, a :

- confirmé l'ordonnance entreprise,

- rejeté les demandes plus amples des parties,

- ordonné la jonction des procédures RG 22/4756 et 22/4836 et dit qu'elles se poursuivront sous le seul numéro de rôle de la plus ancienne, à savoir le RG 22/4756,

- renvoyé le dossier en fixation.

Suivant courrier recommandé du 7 octobre 2023, Mme [U] a licencié M. [B] au motif de l'achèvement de son mandat parlementaire au 1er octobre 2023 et de l'impossibilité de poursuivre le contrat de travail.

Dans ses dernières conclusions remises au greffe par voie électronique le 16 novembre 2022, Mme [U] demande à la cour de :

- joindre les deux procédures portant les numéros RG 22/4756 et 22/4836,

- infirmer le jugement,

- juger qu'il n'y a pas eu harcèlement moral,

- débouter en conséquence M. [B] de l'ensemble de ses demandes de dommages-intérêts ainsi qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, subsidiairement, limiter la condamnation qui serait prononcée à ce titre à la somme symbolique de un euro en l'absence de toute démonstration d'un préjudice,

- condamner M. [B] au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions remises au greffe par voie électronique le 6 janvier 2025, M. [B] demande à la cour de :

- infirmer le jugement sauf en ce qu'il a reconnu sa compétence, rejeté la demande de sursis à statuer et constaté qu'il est victime de harcèlement moral de la part de Mme [U], et, statuant à nouveau,

- confirmer que Mme [U] est responsable de harcèlement moral à son égard et qu'il est victime de harcèlement moral de la part de cette dernière,

- condamner Mme [U] à lui payer les sommes suivantes :

- 175 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- 75 000 euros au titre du préjudice de carrière,

- 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

L'instruction a été clôturée le 7 mai 2025, l'affaire ayant été fixée à l'audience du 14 mai 2025.

Mme [U] a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture suivant conclusions adressées au conseiller de la mise en état suivant message RPVA du 12 mai 2025.

Suivant ordonnance du 13 mai 2025, le conseiller de la mise en état, après avoir notamment relevé qu'il n'existait aucune cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture s'étant révélée depuis qu'elle a été rendue, a :

- rejeté la demande de révocation de l'ordonnance de clôture,

- rappelé qu'après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office,

- rejeté les demandes de report de l'audience de plaidoirie et de fixation d'un nouveau calendrier de procédure et rappelé que la date des plaidoiries est fixée à l'audience du 14 mai 2025 à 13h30 (Salle Michel de l'HOSPITAL 1-H-08).

MOTIFS

A titre liminaire, compte tenu de l'arrêt de déféré du 13 septembre 2023, la cour ayant ordonné la jonction des procédures inscrites au rôle sous les numéros 22/4756 et 22/4836 et dit qu'elles se poursuivront sous le numéro 22/4756, il convient de constater qu'il n'y a plus lieu de statuer sur la demande aux fins de voir prononcer la jonction des procédures précitées.

Sur le harcèlement moral

Mme [U] fait valoir que les faits de harcèlement moral allégués ne sont pas caractérisés.

M. [B] indique en réplique avoir l'objet d'agissements de harcèlement moral de la part de son employeur, le comportement de cette dernière ayant engendré une souffrance au travail et altéré sa santé physique et psychique.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte par ailleurs de l'article L.1154-1 du code du travail que, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces textes que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, le salarié, qui indique avoir été victime d'agissements de harcèlement moral se traduisant par des ordres et contre-ordres, des reproches, dénigrements et insultes ayant dégradé ses conditions de travail, l'ensemble de ces faits ayant eu un impact sur son état de santé, produit les éléments suivants :

- différents échanges de mails, de SMS et de messages WhatsApp avec Mme [U],

- des attestations rédigées par d'anciens collègues de travail (MM. [Z] et [N] ainsi que Mme [R]),

- le mail de son avocate en date du 6 décembre 2019 aux fins de saisine du référent harcèlement de la cellule d'accueil et d'écoute des victimes de harcèlement du Sénat,

- une convocation du 6 décembre 2019 à un entretien préalable prévu le 17 décembre 2019 en vue d'un éventuel licenciement pour absences répétées et prolongées portant gravement atteinte au travail parlementaire,

- un courrier du 21 novembre 2016 et une attestation établie par la secrétaire générale (Mme [D]) de l'UNSA USCP SENAT & ASSEMBLEE NATIONALE,

- la décision du bureau du Sénat du 25 mars 2021,

- une convocation du 18 mars 2021 à un entretien préalable fixé au 29 mars 2021, puis reporté au 12 avril 2021, en vue d'une sanction pouvant allant jusqu'à un licenciement pour faute grave et le courrier de Mme [U] du 19 mai 2021 indiquant renoncer à prononcer une sanction à son encontre,

- les justificatifs d'arrêts de travail pour maladie au titre de la période litigieuse, différents certificats médicaux établis par son médecin généraliste et par son psychiatre ainsi que les différentes décisions et éléments médicaux concernant son dossier de maladie professionnelle, en ce compris l'avis du CRRMP (comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles) région Nouvelle Aquitaine du 3 novembre 2020 et la décision de reconnaissance d'une maladie professionnelle par l'assurance maladie en date du 5 novembre 2020.

Il apparaît que le salarié présente ainsi des éléments de fait, qui, pris dans leur ensemble, en ce compris les documents médicaux versés aux débats, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Concernant les faits d'ordres et de contre-ordres ainsi que les reproches, dénigrements et insultes, il résulte des différents échanges versés aux débats que M. [B] faisait l'objet de la part de Mme [U] de l'envoi de multiples mails, SMS et messages WhatsApp remettant en cause son travail, ses compétences professionnelles ainsi que le temps passé sur ses différentes missions et attributions, et ce en adoptant des propos irrespectueux, vexatoires et dénigrants ainsi que cela résulte des termes des propres mails et messages de Mme [U], dont la teneur ne peut sérieusement être remise en cause par l'intéressée (« Cette info-lettre est une catastrophe [...] Je me demande vraiment à quoi mes collaborateurs passent leurs journées !!!», « Je viens d'arriver à ouvrir l'info-lettre. C'est vraiment désespérant et nullissime [...] Je n'arrive pas à croire qu'il vous ait fallu autant de temps pour ce résultat. Il est hors de question d'envoyer un truc aussi nullissime. Même un gamin de 15 ans ferait mieux !!! », « Franchement, je suis sidérée par ce manque de professionnalisme élémentaire [...] J'ai franchement honte pour vous [...] Désolée de ce coup de gueule mais franchement c'est honteux » « A nouveau je suis sidérée. Je me suis repenchée sur le fichier envoyé pour les invitations GPRF [...] Mais je suis horrifiée. De toute évidence, vous ne l'avez même pas relu », « Je ne sais si c'est de la paresse, de l'incompétence, de l'irresponsabilité ou du je m'en foutisme. Mais je crois vraiment rêver' J'ai eu dans le passé des assistants qui n'étaient pas très pro, mais là c'est vraiment le record des records' », « On ne va pas épiloguer. Tu te trouveras toujours des excuses à toutes tes erreurs [...] Encore une fois, je ne nie pas que tu m'aies signalé son mail mais je m'interroge sur tes aptitudes. Tu es censé être un collaborateur parlementaire, pas un simple secrétaire-exécutant sous-payé qui n'a pas à réfléchir ou à se poser la moindre question », « Je ne t'avais pas demandé d'écouter cette fois-ci. C'était une perte de temps ! Et en plus c'est très impoli et pernicieux d'écouter sans qu'on le sache. Et ils le sauront sûrement [...] Quand je te demande - avant 17h - de prendre des brochures, je ne comprends pas que plus d'une heure après je te retrouve en train de bavarder. De toute évidence tu avais oublié. Il faut vraiment que tu fasses des efforts de concentration ! ».

Au vu du courriel adressé par la sénatrice à son collaborateur parlementaire le 19 juillet 2019 afin de procéder à un bilan en fin de période d'essai, si une telle démarche pouvait apparaître légitime dans la perspective pour un employeur de faire part à son salarié des points d'amélioration à apporter, la cour ne peut cependant que relever que l'appelante n'a, à nouveau, pas pu s'empêcher de faire usage de termes méprisants, discourtois et pour le moins maladroits et inappropriés : « Tu me donnes souvent l'impression que tu n'as jamais travaillé un seul jour de ta vie [...]Ce n'est quand même pas à moi de faire ton secrétariat et de ta rappeler sans arrêt ce qui tu dois faire !!! [...] Et franchement, je me demande bien ce que tu as pu faire de toute la journée [...]Franchement, c'est exaspérant. Encore une fois, je sais que tu es de bonne volonté, qu'il s'agit sans doute d'un trait de ton caractère (négligence, nonchalance ') sympathique par ailleurs mais je ne peux donner la plus grosse partie de mon enveloppe budgétaire à quelqu'un qui est aussi tête en l'air [...] ne fait quasiment rien de ce qu'on lui demande et de ce qui doit de toute façon être fait par un collaborateur. Et en plus cela me donne un stress épouvantable ! Comme je te l'ai dit tout à l'heure par téléphone, tu me donnes l'impression de n'avoir jamais travaillé de ta vie... je t'apprécie beaucoup mais n'ai pas les moyens d'offrir un poste de complaisance à quelqu'un ! Alors STP, essaie un peu de te concentrer sur ton travail ! [...] Un poste de collaborateur parlementaire ne peut plus être aujourd'hui un poste de dilettante [...] ».

En outre, il résulte des échanges de messages précités que l'appelante n'hésitait pas à contacter le salarié durant ses congés, puis durant les périodes d'arrêts de travail pour maladie, en tenant des propos irrespectueux et dénigrants concernant la réalité de sa maladie (« Quant à [X] ! Il joue les prolongations à [Localité 4] », « Ce serait bien que [X] daigne répondre... et dire s'il reprendra le travail demain ou s'il s'est fait mettre en congé maladie ' », « Sait-on si [X] revient lundi ' J'imagine que non mais j'essaie de croire aux miracles...», « Pour [X] [B], vous deviez reprendre votre travail ce matin. N'ayant aucune nouvelle de vous, j'imagine que vous vous êtes fait prolonger votre congé maladie »), en lui précisant que son absence prolongée lui posait de sérieux problèmes d'organisation et en lui indiquant finalement, alors qu'il était toujours en arrêt de travail pour maladie justifié, : « ton silence envers moi m'amène à penser que tu n'as sans doute aucune envie de reprendre le travail au Sénat, ce que je peux comprendre étant donné ton éloignement géographique et ton intérêt pour la politique dans les Pyrénées Atlantiques. Veux-tu que nous entamions une procédure de rupture conventionnelle ' Ce serait sans doute la meilleure solution dans la mesure où cela te permettrait de rester à [Localité 4], de t'investir totalement dans la politique biarrote et de bénéficier d'indemnités chômage. Et bien évidemment mon amitié te resterait totalement acquise ».

Il sera également relevé à la lecture des attestations versées aux débats, ayant été établies par des personnes ayant directement et personnellement été témoins des conditions de travail de l'intimé, que M. [Z] (collaborateur parlementaire de Mme [U] d'octobre 2018 à septembre 2019) souligne que M. [B] « arrivait au bureau chaque matin, le plus souvent entre 7 heures et 8 heures, afin de réaliser une veille d'actualité et d'avancer sur les sujets du jour avant que l'activité au bureau ne s'intensifie avec les très nombreux ordres et contre-ordres de la journée, donnés par messages, mails, appels téléphoniques ou oralement en présence de la sénatrice. [...] Il a également su trouver, en dépit du stress intense, des solutions agiles rapidement lorsque l'urgence à laquelle nous étions contraints par les revirements dans l'arbitrage des priorités le nécessitait. A partir de fin juin, des tensions plus importantes sont apparues entre l'élue et le collaborateur. La situation semblait affecter l'état de santé et de motivation de [X], même s'il tentait de ne pas trop le laisser paraître », que M. [N] (stagiaire du 10 juin au 5 juillet 2019) indique que « J'ai constaté que le planning était toujours tenu au moins deux semaines par avance, si ce n'est plus, et que les informations sur les futurs rendez-vous étaient ajoutées en permanence. Malgré cette prévoyance établie selon des besoins publics et privés, le programme changeait fréquemment dans les derniers instants, engendrant des problèmes et des complications qui auraient pu être résolus avant », Mme [R] (stagiaire du 5 au 23 août 2019) précisant pour sa part que « M. [B] semblait surmené, fatigué, parfois accablé par les propos de Mme la Sénatrice. Il disait souvent qu'il avait vraiment besoin de repos et de prendre du recul ».

Il ressort par ailleurs du courrier et de l'attestation rédigée par la secrétaire générale de l'UNSA USCP SENAT & ASSEMBLEE NATIONALE que cette dernière avait indiqué au président du Sénat, s'agissant de l'attitude et du comportement de Mme [U], qu'il existait une répétition de circonstances similaires ainsi qu'une souffrance au travail des collaborateurs se succédant au service de cette même parlementaire et que depuis plusieurs années, elle avait été conduite, en tant que responsable syndicale, à assister certains de ses nombreux salariés successifs pour des difficultés récurrentes de management, cette situation conduisant à un fort turn-over. A cet égard, il sera observé à la lecture de la décision du 25 mars 2021 que, si le bureau du Sénat n'a pas estimé, suite au signalement effectué par M. [B], que le comportement de Mme [U] constituait des faits de harcèlement, il résulte cependant de cette même décision du 25 mars 2021 que les membres du bureau ont relevé que la sénatrice avait exprimé des reproches professionnels, pouvant être considérés comme justifiés sur le fond, « mais selon une forme inappropriée, par le recours à des formules acerbes voire dégradantes sur un mode essentiellement subjectif et dans un registre affectif et non en fonction de critères objectifs, professionnels et précis », le bureau ayant ainsi notamment décidé que Mme [U] devait s'engager, pendant une durée minimale d'un an, dans une démarche d'accompagnement individualisé et régulier par un professionnel présentant les qualifications requises en vue de mieux exercer ses fonctions d'employeur à l'égard de ses collaborateurs parlementaires et qu'elle devrait en rendre compte sous peine de s'exposer au prononcé d'une sanction disciplinaire.

Mme [U] se limitant principalement en réplique à contester les affirmations du salarié et à critiquer les pièces produites par ce dernier, en indiquant, de manière péremptoire, que la carrière professionnelle de M. [B] est marquée par un très grand nombre d'employeurs dans des domaines divers pour des périodes souvent très courtes, que les fonctions d'un parlementaire sont exigeantes et supposent une constante implication pour lui-même et ses collaborateurs, qu'elle était désemparée et exaspérée de ne pas arriver à se faire entendre par un collaborateur à qui elle manifestait tant de bienveillance, que si son mécontentement s'est exprimé sur un ton offensif et avec vivacité, il n'avait rien de dégradant en ce que M. [B] était normalement un collaborateur très diplômé, expérimenté et un ami avec lequel elle se sentait le droit et le devoir de parler avec franchise, que les messages en cause sont concentrés dans une très courte période de temps et sont peu nombreux, que l'intéressé avait une haute estime de lui-même et n'était pas impressionné par elle et qu'il est impossible que quelques remarques acides puissent entraîner, sur une telle personnalité, un véritable choc psychologique et qu'enfin les griefs exprimés sont certes vifs mais s'inscrivent également dans le contexte particulier du travail parlementaire, il sera relevé que les seules pièces produites en réplique par l'intéressée sont en elles-mêmes manifestement inopérantes et insuffisantes pour remettre en cause les éléments précis, circonstanciés et concordants produits par le salarié et établir que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement. La cour observe également que les seules déclarations d'anciens collaborateurs ou stagiaires, n'étant pas concernés par les échanges précités, n'ayant pas travaillé avec M. [B] et n'ayant dès lors pas pu être personnellement témoins des faits litigieux, se limitant ainsi à indiquer de manière générale qu'ils n'ont jamais été témoins d'un quelconque fait de harcèlement moral ou de la moindre violence verbale de la part de Mme [U] tout en mettant en avant la bienveillance et l'implication de cette dernière ainsi que ses qualités professionnelles et humaines, sont manifestement inopérantes dans le cadre du présent litige en ce qu'elles ne sont pas de nature à contredire utilement les différents éléments précités.

Il ressort de ces différents éléments la mise en 'uvre par l'employeur à l'encontre de son salarié de pratiques managériales génératrices d'humiliation, d'anxiété et de perte de confiance, outre un dénigrement et une stigmatisation de l'intéressé ainsi qu'une pression constante aboutissant à une situations d'échec, un épuisement professionnel et des critiques systématiques sur son manque de professionnalisme, ladite attitude excédant manifestement le simple exercice légitime par un employeur de son pouvoir de contrôle et de direction ainsi que d'organisation du travail, l'appelante n'ayant de surcroît pas hésité à engager à deux reprises une procédure de licenciement à l'encontre de son collaborateur sans finalement y donner suite ou la mener à terme, étant enfin observé que la seule référence aux conditions et exigences du travail parlementaire ne peut aucunement permettre à Mme [U] de se soustraire aux obligations lui incombant en sa qualité d'employeur.

La cour ne peut enfin que relever que la dégradation de l'état de santé du salarié est établie et qu'elle a été expressément constatée dans le cadre de l'avis du CRRMP du 3 novembre 2020, celui-ci, après avoir relevé que M. [B] présentait une pathologie caractérisée à type d'état dépressif, considérant que « les conditions de travail ont exposé ce salarié à un risque psycho social et qu'il n'est pas mis en évidence dans ce dossier d'antécédent médical psychiatrique antérieur à l'épisode actuel, ni de facteur extra professionnel pouvant expliquer de façon directe la pathologie déclarée. Le CRRMP considère que le lien de causalité entre la pathologie déclarée et le contexte professionnel est direct et essentiel et reconnaît le caractère professionnel de la pathologie déclarée ».

Dès lors, au vu de l'ensemble des développements précédents, il apparaît que l'employeur ne démontre pas, mises à part ses seules affirmations de principe et en l'absence de production en réplique d'éléments de preuve suffisants de nature à les corroborer, que les agissements litigieux, lesquels ont eu pour effet de dégrader les conditions de travail et d'altérer la santé physique et mentale du salarié ainsi que cela résulte des éléments médicaux concordants versés aux débats, ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que ses différentes décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Par conséquent, la cour confirme le jugement en ce qu'il a retenu l'existence d'agissements de harcèlement moral subis par M. [B] et lui accorde la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts, et ce par infirmation du jugement sur le quantum.

S'agissant du préjudice de carrière allégué, si le salarié affirme que sa situation fragilise ses perspectives professionnelles et qu'il ne pourra plus travailler comme collaborateur parlementaire, que la situation avec son employeur a gravement nuit à sa progression ainsi qu'à ses perspectives politiques et que la sénatrice, soutenue par le bureau du Sénat, 'uvre à détruire son avenir professionnel en dissuadant tout employeur potentiel de l'embaucher, étant relevé, au vu des seules pièces versées aux débats et mises à part ses propres affirmations, que l'intéressé, qui ne démontre pas l'existence de manoeuvres de l'appelante visant à lui interdire tout avenir professionnel ou à porter atteinte à ses perspectives de carrière tant professionnelle que politique, ne justifie en toute hypothèse pas du principe et du quantum du préjudice allégué, ni de son caractère distinct de celui déjà réparé par l'attribution de l'indemnité précitée, la cour confirme le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts formée à ce titre.

Sur les autres demandes

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur aux dépens de première instance. L'employeur, qui succombe principalement, supportera les dépens d'appel et sera débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'employeur sera également condamné à payer au salarié la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel, la somme accordée en première instance étant confirmée.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Dit ne plus y avoir lieu de statuer sur la demande de jonction ;

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf sur le montant des dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Condamne Mme [U] à payer à M. [B] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

Condamne Mme [U] aux dépens d'appel ;

Condamne Mme [U] à payer à M. [B] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel ;

Déboute M. [B] du surplus de ses demandes ;

Déboute Mme [U] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

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