Livv
Décisions

CA Douai, ch. 2 sect. 1, 10 juillet 2025, n° 23/04935

DOUAI

Arrêt

Autre

CA Douai n° 23/04935

10 juillet 2025

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 10/07/2025

N° de MINUTE : 25/421

N° RG 23/04935 - N° Portalis DBVT-V-B7H-VF2F

Jugement (N° 22/002689) rendu le 26 Septembre 2023 par le Tribunal de Commerce de Valenciennes

APPELANT

Monsieur [P] [T]

né le 09 Septembre 1977 à [Localité 5] - de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 3]

représenté par Me Clément Dormieu, avocat au barreau d'Avesnes sur Helpe

INTIMÉE

SELARL [L] [V] & [C] [E] en la personne de Me [C] [E] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [T] [P], désigné à cette fonction suivant Jugement du Tribunal de Commerce de Valenciennes en date du 14 juin 2021

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Manuel de Abreu, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué, substitué par Me Louis Guilleminot, avocat au barreau de Valenciennes

DÉBATS à l'audience publique du 14 mai 2025 tenue par Dominique Gilles magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Béatrice Capliez

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Dominique Gilles, président de chambre

Pauline Mimiague, conseiller

Aude Bubbe, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2025 après prorogation du délibéré du 03 juillet 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Béatrice Capliez, adjoint administratif faisant fonction de greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 23 avril 2025

****

EXPOSE DU LITIGE

Par jugement du 14 juin 2021, la société [T] [P] a été placée en liquidation judiciaire. La date de cessation des paiements a été fixée au 1er janvier 2021 et la SELARL [L] [V] & [C] [E] a été désignée en qualité de liquidateur.

Le liquidateur a constaté, sur les derniers comptes annuels établis le 31 octobre 2018 par la société d'expertise comptable Cerfrance, l'existence d'un compte courant d'associé débiteur d'un montant de 42 011,31 euros.

Le liquidateur, par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 juin 2021, a vainement mis en demeure M. [P] [T] de procéder au remboursement de cette somme.

Par acte extrajudiciaire du 17 mars 2022, le liquidateur a assigné M. [P] [T] devant le tribunal de commerce de Valenciennes, aux fins d'obtenir le versement de cette somme avec intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure.

Par jugement du 26 septembre 2023, le tribunal de commerce de Valenciennes a :

- condamné M. [P] [T] à payer à la SELARL [L] [V] & [C] [E], prise en la personne de Me [C] [E], ès qualités de liquidateur judiciaire :

° la somme de 42 011, 31 euros avec intérêt au taux légal à compter du 30 juin 2021, date de la réception de la mise en demeure ;

° la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rappelé que la décision est assortie de l'exécution provisoire de droit ;

- condamné M. [P] [T] aux entiers frais et dépens.

Par déclaration d'appel remise au greffe et notifiée par voie électronique le 7 novembre 2023, M. [P] [T] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses conclusions remises au greffe le 8 janvier 2025, M. [P] [T] demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :

- débouter la SELARL [L] [V] & [C] [E] de ses demandes ;

- condamner la SELARL [L] [V] & [C] [E] à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SELARL [L] [V] & [C] [E] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

M. [P] [T] fait valoir que le bilan comptable au 31 décembre 2018 est erroné et résulte de multiples erreurs de son comptable, la société Cerfrance, et notamment que des factures ont été « placées » sur le compte courant d'associé par erreur. Il soutient que le montant du compte courant est, en réalité, créditeur de 4 092,29 euros au 14 juin 2021, et en veut pour preuve un décompte qu'il a lui-même réalisé. Il indique qu'il a tenté de joindre à plusieurs reprises son comptable pour faire rectifier ces erreurs et qu'il s'est heurté à un refus.

Pour justifier de ce que le compte courant est en réalité créditeur, il verse de nombreuses factures et extraits de compte. Il précise que les sommes ainsi payées par lui l'ont été pour le compte de la société et qu'elles sont des avances en compte courant d'associé qui viennent au crédit de ce compte. Il estime que la juridiction de première instance a été très sévère en retenant une carence de M. [T] dans l'administration de la preuve ainsi qu'un manquement dans la gestion courante de l'entreprise alors qu'il justifie de tous les paiements par des factures et que la mauvaise tenue de la comptabilité résulte de carences de son expert-comptable. Il précise que le montant réclamé est sérieusement contestable et que d'ailleurs le liquidateur avait fait dans ses conclusions une demande subsidiaire pour un montant de 29 839,93 euros. Il fait valoir que l'expert-comptable a refusé de régulariser ses erreurs sur la liasse fiscale, parce qu'il n'était pas réglé, ce qui a fait apparaître un compte courant débiteur, alors qu'en réalité le compte courant d'associé est créditeur. Invoquant le droit à l'erreur en matière fiscale, il considère que cela pouvait très bien faire l'objet d'une régularisation.

Aux termes de ses conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 2 avril 2024, la SELARL [L] [V] & [C] [E], ès qualités de liquidateur judiciaire demande à la cour, au visa des articles L. 225-43 et L.227-1 du code de commerce de :

- à titre principal : confirmer le jugement, sauf en ce qu'il a limité le montant de la condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la somme de 1200 euros;

Et statuant à nouveau : condamner M. [P] [T] à lui verser la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ;

- à titre subsidiaire : condamner M. [P] [T] à lui verser la somme de 29 839,93 euros au titre du remboursement du compte courant d'associé débiteur, avec intérêt au taux légal à compter du 30 juin 2021, date de la mise en demeure ;

- en tout état de cause :

° débouter M. [P] [T] de toutes ses demandes ;

° condamner M. [P] [T] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

° le condamner aux entiers dépens d'appel.

Elle fait valoir qu'en application de l'article L. 225-43 du code de commerce, il est interdit pour une société commerciale à responsabilité limitée d'avoir des comptes courants d'associés débiteurs. Elle soutient que le fait que le compte courant soit allégué créditeur à la date de l'ouverture du jugement de liquidation ne remet pas en cause le fait que le compte courant était débiteur au 31 octobre 2018, date de la clôture des comptes. Elle indique que le fait qu'aucune compte n'ait été déposé après 2018 résulte certainement de l'absence de paiement du comptable mais qu'au demeurant l'obligation de déposer les comptes annuellement pèse sur le chef d'entreprise et non sur l'expert-comptable et qu'en tout état de cause, il est responsable de la situation. Elle soutient que si M. [T] apporte des justificatifs notamment de factures de matériaux de construction payées par lui, il ne prouve pas que c'est bien sa société qui en a bénéficié, ni que ces dépenses entraient dans son objet social, celui-ci consistant principalement en de la 'location de logements'. Il estime d'ailleurs que le chiffre d'affaires de la société n'est pas en corrélation avec les dépenses qu'il prétend avoir engagées pour le compte de la société.

A titre subsidiaire, elle fait valoir que certaines factures produites par M. [T] et déduite de son décompte doivent être écartées soit parce qu'elles ne sont pas clairement identifiables, soit parce qu'elles sont manifestement sans rapport avec l'objet social de la société, soit parce qu'il ne fournit pas le justificatif d'acquittement, soit parce qu'elles lui ont déjà été remboursées par prélèvement sur les comptes d'exploitation, soit encore parce que c'est la société qui a exposé les frais et non M. [T] et estime que la somme sollicitée doit dans cette hypothèse être réduite et qu'elle ne pourrait être inférieure à 29 839,93 euros.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 avril 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 14 mai suivant.

Dans des conclusions de procédure déposées et notifiées par la voie électronique le 13 mai 2025, M. [T] a demandé à la cour la réouverture des débats en vertu de l'article 444 du code de procédure civile, afin de pouvoir produire une comptabilité établie par une autre société d'expertise comptable, afin de réparer les erreurs du cabinet comptable Cerfrance qui, selon l'appelant, avait omis de comptabiliser les paiements effectués par le concluant en faveur de la société et permettant le remboursement de son compte courant d'associé.

MOTIFS DE LA DECISION

M. [T] expose que la société débitrice avait une activité de « revente de biens immobiliers en son nom », ce que le tribunal de commerce a analysé comme une activité de marchand de biens.

Cependant, la fiche infogreffe produite par le liquidateur, qui le souligne, mentionne une activité déclarée de location de logements.

La comptabilité régulièrement publiée de la société [T] [P] établie par le cabinet d'expertise comptable Cerfrance choisi par M. [T] , dirigeant et associé unique de la société [T] [P], mentionne l'existence, au 31 décembre 2018, d'un compte-courant d'associé au nom de M. [T] , d'un montant de 42 011 euros.

Le liquidateur ès-qualités peut opposer cet élément de la comptabilité de la société débitrice au dirigeant et associé de celle-ci, dès lors que cette comptabilité est présumée régulière, ce en vertu des dispositions de l'article L. 123-23 du code de commerce.

Il appartient à M. [T] de renverser cette présomption.

Si M. [T] affirme que son comptable a commis de multiples erreurs, il se fonde sur un décompte établi par ses soins, aux termes duquel le compte courant d'associé rectifié au 14 juin 2021 serait créditeur de 4 092,29 euros.

Il est établi que la société Cerfrance a refusé de procéder à la réactualisation du compte courant demandée par M. [T] .

Aucune comptabilité régulière n'est démontrée après le 31 décembre 2018, en particulier pour les exercices comptables 2019, 2020 et 2021. M. [T] se prévaut néanmoins, à l'appui de son décompte déjà mentionné, de factures, pour les montants de 3 329,26 euros en 2019, 28 095,03 euros en 2020 et 28 095,03 euros en 2020.

Il s'agit, selon lui, de dépenses réglées par ses soins mais qui auraient été exposées dans l'intérêt de la société.

Ces factures et justificatifs de règlement concernent essentiellement des dépenses de téléphone établies notamment à son nom personnel, et d'achat de matériaux de construction et d'articles de bricolage établies à l'adresse de la société [T] [P].

Toutefois, contrairement à ce que soutient M. [T], il ne résulte pas des pièces qu'il invoque (en particulier sa pièce n°28) que le différend avec l'expert-comptable non réglé par la société débitrice ait porté sur l'établissement des comptes sociaux au 31 décembre 2018.

Et en outre, tandis qu'aucune critique précise de nature à renverser la présomption de régularité du bilan au 31 décembre 2018 de la société débitrice n'est formée contre le montant du compte-courant d'associé débiteur y figurant, rien ne prouve l'imputation alléguée par M. [T] des factures dont il dresse la liste.

Si le liquidateur ès qualités souligne, sans que ceci soit établi, que l'activité de l'entreprise n'apparaît pas comprendre la réalisation de travaux, le liquidateur considère cependant à juste titre que M. [T] ne rattache nullement ces factures à un chantier identifié, faisant l'objet d'une opération se rattachant avec certitude à l'activité de la société liquidée.

Le liquidateur ès qualités souligne à juste raison encore que l'analyse du compte d'exploitation de l'entreprise rapproché des charges que M. [T] souhaite voir imputer ne démontre pas de corrélation.

Il est insuffisant, par exemple, que le libellé « Prothon » apparaissent au titre des clients de 2018 et au titre d'un virement de 7 600 euros pour rénovation de toiture en 2020 ou encore pour diverses sommes moindres en 2021.

Dès l'établissement des comptes au 31 décembre 2018, le comptable avait écrit à M. [T] , le 16 avril 2019, pour lui indiquer que si le chiffre d'affaires était constant, le taux de marge s'était effondré depuis l'année précédente et pour regretter que nuls travaux en cours à la date d'arrêté des comptes n'aient été déclarés, ce qui aurait été de nature à faire remonter le taux de marge.

En définitive, même en admettant un possible lien entre l'activité de la société débitrice et la réalisation de travaux de bâtiment, il n'est pas établi que les dépenses invoquées aient été en lien avec l'activité de la société dûment enregistrée dans ses comptes avec les produits correspondants.

Et si, dans des conclusions de procédure postérieures à la clôture de l'instruction, M. [T] demande le renvoi à la mise en état au moyen qu'il a trouvé un autre expert-comptable pour établir une actualisation de son compte-courant, il n'apparaît pas que cet expert-comptable, alors désigné par le seul ancien dirigeant et tiers associé de la société débitrice dessaisie, soit à même d'établir que les dépenses alléguées ont bien été exposées dans l'intérêt de celle-ci, au moyen d'un compte prétendument rectifié qu'il établirait sur la base des seules déclarations de l'ancien dirigeant, sans même que soit respecté le principe de la contradiction à l'égard du liquidateur, au bénéfice duquel le dessaisissement a eu lieu.

Par conséquent, aucune mesure d'instruction ni renvoi à la mise en état pour respect du droit à la preuve de M. [T] ne s'impose en l'espèce, alors même que du temps où il était chef d'entreprise il a méconnu durablement les obligations comptables de la société qu'il dirigeait.

Rien ne prouve que le compte-courant débiteur présumé exact apparaissant dans les comptes sociaux au 31 décembre 2018 ait été remboursé au cours des exercices postérieurs et ce jusqu'à l'ouverture de la liquidation judiciaire.

Le jugement entrepris, qui a exactement statué, doit être confirmé, après rejet de la demande de renvoi à la mise en état.

En équité, M. [T] versera au liquidateur ès qualités en somme au titre de l'article 700 du code de orocédure civile dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt.

M. [T] sera condamné aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

Dit n'y avoir lieu à renvoi à la mise en état,

Confirme le jugement entrepris,

Condamne M. [T] à payer 1 500 euros à la SELARL [L] [V] & [C] [E] en qualité de liquidateur judiciaire de la société De [X] [P], au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

Condamne M. [T] aux dépens d'appel,

Rejette les prétentions plus amples ou contraires.

Le greffier

Béatrice CAPLIEZ

Le président

Dominique GILLES

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site