CA Bordeaux, 1re ch. civ., 10 juillet 2025, n° 24/05290
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 10 JUILLET 2025
N° RG 24/05290 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-OBTZ
S.A.S. MAISONS OMEGA
c/
[M] [D] [I]
[T] [L] épouse [I]
Nature de la décision : APPEL D'UNE ORDONNANCE DE REFERE
MEDIATION
Copie exécutoire délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance rendu le 07 novembre 2024 par le Président du Tribunal Judiciaire de BERGERAC ( RG : 24/00112) suivant déclaration d'appel du 04 décembre 2024
APPELANTE :
S.A.S. MAISONS OMEGA
demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Alexandre JELEZNOV de la SELARL VERBATEAM BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
[M] [D] [I]
né le 29 Juin 1957 à [Localité 9] (75)
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 4]
[T] [L] épouse [I]
née le 29 Juin 1957 à [Localité 9]
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 5]
Représentés par Me Hugues DE LACOSTE LAREYMONDIE, avocat au barreau de BORDEAUX
et assistés de Me Céline MAURY de l'AARPI ROOM AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 juin 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bénédicte LAMARQUE, conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Paule POIREL, présidente,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Bénédicte LAMARQUE, conseiller,
Greffier lors des débats : Vincent BRUGERE
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
1 - Suivant contrat de construction de maison individuelle (CCMI) du 8 juin 2021, M. [E] [I] et Mme [T] [I], née [L], ont con'é à la SAS Maisons Omega la construction d'une maison d'habitation et d'un hangar à avions sur la commune de [Localité 11] au lotissement d'[Adresse 6] pour un coût total de 519.508 euros, dont 442.800 euros de rémunération de tout ce qui est à la charge du constructeur, et 76.708 euros de travaux à la charge du maître de l'ouvrage.
2 - De multiples avenants ont été signés, dont certains modifiaient le montant du prix total.
3 - La société Maisons Omega a émis 6 appels de fonds pour un montant total de 441.812,70 euros.
4 - Par courrier du 20 janvier 2024, les époux [I] ont mentionné un prix total réactualisé à 439.960,70 euros et ont mis la société Maisons Omega en demeure de leur régler 27.863,50 euros au titre d'un décompte provisoire d'indemnités de retard pour la réalisation du chantier.
5 - Les époux [I] ont versé la somme totale de 329.954,03 euros, mais ont refusé de payer les deux derniers appels de fonds :
- celui émis le 21 décembre 2023 pour une somme de 87.996,54 euros, qui mentionnait un avancement cumulé du chantier à 95% ;
- celui émis le 5 avril 2024 pour une somme de 23.829,13 euros, qui mentionnait la réception du chantier.
Par courrier du 7 mars 2024, les époux [I] ont écrit à la société Maisons Omega que le stade de 95% d'avancement du chantier n'était pas atteint, et que tous les appels de fonds étaient par conséquent illégaux.
6 - La réception est intervenue le 28 mars 2024 avec réserves.
Par acte de commissaire de justice du 4 avril 2024, les époux [I] ont fait signifier à la société Maisons Omega leur liste de réserves mise à jour, pour reprise ou indemnisation.
7 - Selon récapitulatif des opérations émis le 23 mai 2024 par la société Maisons Omega, le solde dû à ce jour était de 111.858,67 euros.
8 - Par acte du 7 juin 2024, la société Maisons Omega a fait assigner les époux [I], en référé, devant le tribunal de judiciaire de Bergerac aux fins, notamment, d'obtenir leur condamnation in solidum au paiement d'une provision de 87.996,54 euros à valoir sur son appel de fonds du 21 décembre 2023, à consigner la somme de 23.829,13 euros et aux fins de voir ordonner de laisser les représentants de la société Maisons Omega pénétrer dans leur maison et ses annexes, en compagnie d'un commissaire de justice et de tel expert qu'il plaira, sous astreinte.
9 - Par ordonnance de référé contradictoire du 7 novembre 2024, le tribunal judiciaire de Bergerac a :
- rejeté les demandes de provision ;
- ordonné la consignation par les époux [I] de la somme de 23.829,13 euros entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocats de [Localité 9] au titre de l'article R.231-7 du code de la construction et de l'habitation ;
- dit n'y avoir lieu d'autoriser la société Maisons Omega à pénétrer dans la maison des époux [I] pour constater les éventuelles réserves ;
- ordonner une expertise portant sur l'habitation et le hangar à avion appartenant aux époux [I] sur la commune de [Localité 12] ;
- désigné à cet effet M. [P] [N] ([Adresse 3] - Tél : [XXXXXXXX01] - [Localité 10]. : 06.46.49.83.50 - Mel : [Courriel 7]), expert près la cour d'appel de Bordeaux, avec la mission de :
- se faire remettre tous documents utiles par les parties ;
- entendre au besoin tous sachants ;
- à se rendre sur les lieux, les visiter et les décrire, les parties présentes ou appelées ;
- dire si les travaux réalisés par la société Maisons Omega présentent les désordres, malfaçons, non façons ou non conformités décrits dans le procès-verbal de réception des travaux, notamment le courrier des époux [I] signifié par commissaire de justice le 4 avril 2024 à la société Maisons Omega ;
- dans l'affirmative, les décrire précisément, en rechercher la ou les causes ;
- préciser lesquels étaient apparents à la date de la réception ;
- préciser la date d'apparition des désordres dans toutes leurs composantes, leur ampleur et leurs conséquences ;
- indiquer s'ils portent atteinte à la solidité ou à la destination de l'immeuble, actuellement ou indiscutablement avant l'expiration d'un délai de dix ans après la réception de l'ouvrage ;
- donner tous éléments techniques et de faits permettant à la juridiction éventuellement saisie au fond de déterminer les responsabilités encourues et, le cas échéant, déterminer la part imputable, en précisant les motifs techniques présidant à son appréciation ;
- dire si des travaux urgents sont nécessaires, soit pour empêcher l'aggravation des désordres et du préjudice qui en résulte, soit pour prévenir les dommages aux personnes ou aux biens ;
- indiquer les travaux nécessaires pour remédier aux désordres et en chiffrer le coût, en évaluer la durée d'exécution désordre par désordre, après information des parties et communication à ces dernières, quinze jours au minimum avant la réunion de synthèse ou la rédaction d'une note de synthèse ou d'un pré-rapport, des devis et propositions chiffres concernant les travaux envisagés ;
- donner son avis sur le préjudice subi par les époux [I], notamment au niveau du trouble de jouissance éventuel ;
- proposer un apurement des comptes entre les parties en distinguant le cas échéant les moins-values résultant de travaux entrant dans le devis et non exécutés, le montant des travaux effectues mais non inclus dans le devis ou les avenants au contrat en précisant sur ce point s'ils étaient techniquement nécessaires au regard de l'objet du contrat ;
- faire toute remarque utile à la résolution du litige ;
- fait injonction aux parties de communiquer aux autres parties les documents de toute nature qu'elles adresseront à l'expert pour établir le bien fondé de leurs prétentions ;
- dit que l'expert devra adresser aux parties un document de synthèse, ou pré-rapport ; fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse, lesquelles disposeront d'un délai de 4 à 5 semaines à compter de la transmission du rapport ; rappelant aux parties, au visa de l'article 276 alinéa 2 du code de procédure civile, qu'il n'est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà du terme qu'il fixe ;
- dit que l'expert répondra de manière précise et circonstanciée à ces dernières observations ou réclamations qui devront être annexées au rapport définitif dans lequel devront figurer impérativement :
- la liste exhaustive des pièces par lui consultées ;
- le nom des personnes convoquées aux opérations d'expertise en précisant pour chacune d'elle la date d'envoi de la convocation la concernant et la forme de cette convocation ;
- le nom des personnes présentes à chacune des réunions d'expertise ;
- la date de chacune des réunions tenues ;
- les déclarations des tiers entendus par lui, en mentionnant leur identité complète, leur qualité et leurs liens éventuels avec les parties ;
- le cas échéant, l'identité du technicien dont il s'est adjoint le concours, ainsi que le document qu'il aura établi de ses constatations et avis (lequel devra également être joint à la note de synthèse ou au projet de rapport) ;
- dit que l'original du rapport définitif sera déposé en un seul exemplaire au greffe, tandis que l'expert en adressera un exemplaire aux parties et à leur conseil, dans les huit mois de l'avis de consignation sauf prorogation expresse ;
- dit qu'en cas de difficultés, l'expert en référera immédiatement au juge chargé du service du contrôle des expertises ;
- dit que la société Maisons Omega fera l'avance des frais d'expertise et devra consigner à la régie d'avances et de recettes de ce tribunal une somme de 7 384 euros dans un délai de trois mois en garantie des frais d'expertise ;
- rappelé qu'à défaut de consignation dans le délai et selon les modalités impartis, la désignation de l'expert sera caduque et celui-ci non saisi de sa mission ;
- dit que l'expert commencera ses opérations des qu'il sera averti par le greffe du versement de la consignation ;
- invité l'expert et les parties à recourir à la procédure de l'expertise dématérialisée après avoir au préalable recueilli l'accord des parties ;
- dit que l'expert pourra s'adjoindre tout spécialiste de son choix dans une autre spécialité que la sienne à charge pour lui de joindre l'avis du sapiteur à son rapport ;
- dit que si le sapiteur n'a pas pu réaliser ses opérations de manière contradictoire, son avis devra être immédiatement communiqué aux parties par l'expert ;
- enjoint à la société Maisons Omega de transmettre aux époux [I] les attestations d'assurance décennale et responsabilité civile des entreprises sous-traitantes intervenues sur le chantier ;
- débouté les époux [I] du surplus de leurs demandes ;
- laissé à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles et de ses dépens.
10 - La société Maisons Omega a relevé appel de ce jugement par déclaration du 4 décembre 2024, en ce qu'il a :
- rejeté les demandes provisionnelles de la société Maisons Omega ;
- dit n'y avoir lieu à autoriser la société Maisons Omega à pénétrer dans la maison des époux [I] pour constater les éventuelles réserves ;
- ordonné une expertise et désigné M. [N] avec la mission énoncée au dispositif de l'ordonnance ;
- précisé les modalités du déroulement de cette expertise ;
- dit que la société Maisons Omega fera l'avance des frais d'expertise et consignera une somme de 7 384 euros au greffe à ce titre ;
- laissé à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles et de ses dépens.
11 - Par dernières conclusions déposées le 22 mai 2025, la société Maisons Omega demande à la cour de :
- réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :
- rejeté les demandes provisionnelles de la société Maisons Omega ;
- dit n'y avoir lieu à autoriser la société Maisons Omega à pénétrer dans la maison des époux [I] pour constater les éventuelles réserves ;
- ordonné une expertise et désigné M. [N] avec la mission énoncée au dispositif de l'ordonnance ;
- précisé les modalités du déroulement de cette expertise ;
- dit que la société Maisons Omega fera l'avance des frais d'expertise et consignera une somme de 7 384 euros au greffe à ce titre ;
- laissé à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles et de ses dépens.
Statuant à nouveau de ces chefs :
- condamner in solidum les époux [I] à régler à la société Maisons Omega une provision de 87.996,54 euros à valoir sur son appel de fonds du 21 décembre 2023 ;
- enjoindre aux époux [I] de laisser les représentants de la société Maisons Omega pénétrer dans leur maison et ses annexes, en compagnie d'un commissaire de justice et de tel expert qu'il plaira, à l'effet de constater l'éventuelle réalité des réserves émises lors et après la réception, à la date fixée par le commissaire de justice et sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de cette date si elle n'était pas respectée ;
- dit n'y avoir lieu à expertise judiciaire.
Subsidiairement, en cas de confirmation de la mesure d'expertise, dire et juger que les époux [I] feront l'avance des frais de cette mesure ;
- condamner aux époux [I] à régler à la société Maisons Omega une somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance, ainsi qu'aux entiers de première instance ;
- confirmer la décision déférée pour le surplus.
Y ajoutant, condamner les époux [I] à régler à la société Maisons Omega une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'appel, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel,
- débouter les époux [I] de leur appel incident ainsi que de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.
12 - Par dernières conclusions déposées le 28 mai 2025, les époux [I] demandent à la cour de :
- juger les époux [I] recevables et bien fondés en leurs demandes, fins et conclusions.
Y faisant droit :
Sur l'appel de la société Maisons Omega :
Sur la demande de provision :
- juger que la demande de provision de la société Maisons Omega se heurte à une contestation sérieuse.
En conséquence :
- confirmer l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté la demande de provision de la société Maisons Omega et la débouter de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
Sur la demande d'accès à la propriété des époux [I] en compagnie d'un commissaire de justice et expert à l'effet de constater les réserves :
- juger que la demande d'accès à la propriété des époux [I] en compagnie d'un commissaire de justice et expert à l'effet de constater les réserves se heurte à une contestation sérieuse.
En conséquence :
- confirmer l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté la demande de provision de la société Maisons Omega et la débouter de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- débouter intégralement la société Maisons Omega de cette demande ;
Sur la demande d'expertise :
- confirmer l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a ordonné une expertise et désigné M. [N] en qualité d'expert judiciaire avec la mission énoncée au dispositif de l'ordonnance attaquée et mis les frais à la charge de la société Maisons Omega ;
- la débouter de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
Sur les autres demandes :
Plus généralement et en tout état de cause, débouter la société Maisons Omega de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en tant que dirigées à l'encontre des époux [I].
Sur l'appel des époux [I] :
dans l'hypothèse où la cour infirmerait l'ordonnance attaquée du chef des demandes provisionnelles et des autres demandes objet de l'appel formé par la société Maisons Omega :
- juger les époux [I] recevables et bien fondés en leur appel incident.
Y faisant droit :
- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a débouté les époux [I] de leurs demandes reconventionnelles.
Statuant à nouveau :
- condamner la société Maisons Omega à régler aux époux [I] la provision de 37.933,20 euros au titre des pénalités de retard contractuellement prévues ;
- condamner la société Maisons Omega à lever l'intégralité des réserves lui ayant été notifiées suite à la réception du chantier, suivant liste établie et notifiée le 2 avril 2024 ;
- condamner la société Maisons Omega à verser aux époux [I] la somme provisionnelle de 90.000 euros, restant à parfaire, à titre de dommages et intérêts, aux fins de levée des réserves par toute entreprise de leur choix ;
- condamner la société Maisons Omega à indemniser les époux [I] de leur entier préjudice matériel.
À cette fin :
- condamner la société Maisons Omega à régler à titre provisionnel aux époux [I] :
- la provision de 25.301,11 euros au titre des surcoûts de chantier subis en raison du défaut de conseil et de coordination dans la conception et conduite du projet par la société Maisons Omega ;
- la provision de 150.000 euros au titre de leur préjudice financier ;
- condamner la société Maisons Omega à indemniser les époux [I] de leur entier préjudice moral et la condamner à leur régler une provision de 30.000 euros ;
- condamner la société Maisons Omega à régler aux époux [I] la somme de 4.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner également aux entiers dépens qui comprendront les frais de constats.
En toute hypothèse, en cause d'appel :
- condamner la société Maisons Omega à régler aux époux [I] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'appel.
13 - L'affaire a été fixée à l'audience rapporteur du 12 juin 2025.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 30 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I - Sur la demande de provision
14 - L'ordonnance est contestée en ce qu'elle a débouté la société Maisons Oméga de sa demande de condamnation des époux [I] à lui verser la provision de 87.996,54 euros correspondant à l'appel de fonds du stade 5 du chantier, retenant l'existence d'une contestation sérieuse sur l'éventualité d'une compensation avec le paiement des pénalités de retard et de l'indemnisation des mal façons ou non-façons sollicitées en regard.
15 - Soutenant que la simple éventualité d'une compensation entre deux créances dont elle des intimés n'est ni certaine, ni exigible ne peut constituer une contestation sérieuse, la société Maisons Oméga sollicite la condamnation des époux [I] au paiement de l'appel de fonds, la réalisation des travaux correspondant ayant été constatée.
Elle justifie des retards dans la livraison du chantier du fait des modifications apportées par les clients.
16 - Les intimés sollicitent la confirmation de l'ordonnance, faisant valoir la faute de l'appelante dans les retards de livraison notamment pour ne pas avoir pris en compte les niveaux du terrain pour la construction ayant nécessité le dépôt d'un permis de construire modificatif, puis en livrant le bien avec des malfaçons et des non-façons pointées dans le procès verbal de livraison.
Ils confirment avoir assigné au fond en demande de paiement des indemnités compensant leurs différents préjudices.
Sur ce :
17 - A titre liminaire, il convient de rappeler qu'en application des dispositions de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Selon l'article 835 alinéa 2, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable le juge des contentieux de la protection peut accorder une provision au créancier.
18 - Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
19 - Aux termes de l'article 231-7 du code de la construction et de l'habitation 'I.-Le pourcentage maximum du prix convenu, exigible aux différents stades de la construction d'après l'état d'avancement des travaux, est fixé, par application du troisième alinéa de l'article L. 242-2, de la manière suivante :
15 % à l'ouverture du chantier, pourcentage incluant éventuellement celui du dépôt de garantie ;
25 % à l'achèvement des fondations ;
40 % à l'achèvement des murs ;
60 % à la mise hors d'eau ;
75 % à l'achèvement des cloisons et à la mise hors d'air ;
95 % à l'achèvement des travaux d'équipement, de plomberie, de menuiserie, de chauffage et de revêtements extérieurs.
II.-Le solde du prix est payable dans les conditions suivantes :
1. Lorsque le maître de l'ouvrage se fait assister, lors de la réception, par un professionnel mentionné à l'article L. 231-8, à la levée des réserves qui ont été formulées à la réception ou, si aucune réserve n'a été formulée, à l'issue de la réception;
2. Lorsque le maître de l'ouvrage ne se fait pas assister par un professionnel pour la réception, dans les huit jours qui suivent la remise des clés consécutive à la réception, si aucune réserve n'a été formulée, ou, si des réserves ont été formulées, à la levée de celles-ci.
Dans le cas où des réserves sont formulées, une somme au plus égale à 5 % du prix convenu est, jusqu'à la levée des réserves, consignée entre les mains d'un consignataire accepté par les deux parties ou, à défaut, désigné par le président du tribunal judiciaire.'
20 - En l'espèce, l'appelante a transmis un appel de fonds aux époux [I] le 21 décembre 2023 correspondant au stade 5 de l'avancement du chantier de construction de maison individuelle, relatif à l'installation des équipements pour un montant de 87.996,54 euros.
21 - Les intimés ont justifié leur refus de payer par plusieurs défauts listés quant à l'état de l'installation électrique et de la plomberie, le défaut de fonctionnement des portes en raison de l'humidité, la saleté du chantier rendant inhabitable le bien, l'inversion de la pente des tuyaux d'évacuation des sanitaires et l'enfouissement sauvage des gravats et déchets de chantier sous les terres remblayées.
22 - Toutefois, il ressort du rapport d'expertise amiable du 12 janvier 2024, du procès verbal du commissaire de justice dressé le jour de la réception des travaux le 28 mars 2024 et de la lettre des époux [I] du 2 avril 2024 émettant des réserves ne touchant pas aux éléments d'équipement que le stade 5 était correctement achevé à la date d'appel de fonds et que le paiement des 95% du contrat n'était pas contestable.
23 - L'ordonnance déférée n'est pas contestée en ce qu'elle a condamné les époux [I] à consigner à titre provisionnel le solde du marché correspondant aux 5% restant (23.829,13 euros). De sorte que pour s'opposer au paiement de l'échéance correspondant à 95% du prix du contrat, il appartient aux intimés de démontrer que l'inexécution par le constructeur de maison individuelle des obligations qui lui incombent justifie qu'il soit procédé à une retenue sur le paiement du prix du marché supérieure à celle prévue au dernier alinéa de l'art. R. 231-7 du code de la construction et de l'habitation.
24 - La cour relève que chacune des parties dresse un historique différent de la relation contractuelle sur 11 et 14 pages en début de leurs conclusions respectives, faisant porter à l'autre la responsabilité du retard dans la livraison du bien et contestant la réalité des réserves et des malfaçons listées par les époux [I] lors de la livraison du bien.
25 - Ainsi, pour expliquer les retards, la société fait valoir les nombreuses modifications sollicitées par les époux [I], leur retard à faire réaliser les travaux de raccordement, les relances régulières pour payer les factures, les intimés au contraire mettant en avant la lenteur du dépôt du premier permis de construire modificatif un mois après la signature de l'avenant n° 4 qui en était à l'origine, l'abandon du chantier pendant 7 mois constaté par procès verbal du commissaire de justice du 30 mai 2022, la négligence du constructeur qui a fait les travaux de correction des fondations sous une forte chaleur l'obligeant à des opérations de destruction-reconstruction à ses frais.
26 - En tout état de cause, la livraison qui devait être faite dans le délai de 12 mois à compter de la date d'ouverture du chantier le 15 décembre 2021, portée à 19 mois par accord des parties dans l'avenant n° 4 ne peut à lui seul valoir reconnaissance par la société Maisons Oméga de sa faute dans une erreur technique commise. Il n'est en tout cas pas contesté que la livraison a en réalité été faite avec 157 jours de retard par rapport à ce délai déjà prorogé, soit le 28 mars 2024 au lieu du 15 juillet 2023.
27 - Dans l'avenant n° 5 ne figure aucune prorogation de délais sans qu'il soit établi que la question avait été évoquée et les autres avenants postérieurs ne l'ont pas modifié.
28 - Conformément aux clauses du contrat faisant référence à l'article L. 231-2 et R. 231-14 du code de la construction et de l'habitation, les pénalités prévues ne peuvent être fixées à un montant inférieur à 1/3000 ème du prix convenu par jour de retard, représentant la somme de 37.933,20 euros.
Les pénalités ainsi prévues en cas de retard de livraison ne sont pas exclusives de l'allocation de dommages-intérêts.
29 - Lors de la réception le 28 mars 2024 en présence d'un commissaire de juste, 53 réserves ont été émises par les époux [I], portées à 75 dans le courrier qu'ils ont adressé dès le 2 avril 2024. Ils font ainsi valoir les préjudices de sous-estimation du coût des travaux soutenant que l'appelante s'est basée sur de faux devis, mais également financiers par la perte de chance sur la vente de leur domicile ayant au surplus entraîné des intérêts sur leur prêt immobilier et préjudice moral.
30 - Au vu des conclusions et des pièces produites, le premier juge a parfaitement apprécié que l'opposition au paiement de la somme non contestablement due par les époux [I] au titre du paiement de 95% de la réalisation du chantier dont le respect de la procédure seulement est d'ordre public, excédait le solde du marché dont il a été fait obligation aux époux [I] de provisionner et nécessitait de déterminer le comportement fautif de l'une ou de l'autre des parties au contrat dans les causes du retard cumulé, de vérifier la validité des devis produits pour fixer le coût de la construction ainsi que de la réalité des réserves, dont la compétence appartient au seul juge du fond.
31 - Dès lors, en présence de contestations sérieuses étant de nature à supprimer ou à restreindre l'obligation de paiement des intimés, la demande provisionnelle en paiement de la tranche n°5 sera rejetée et l'ordonnance confirmée de ce chef.
II - Sur la demande de venir constater les réserves du maître d'ouvrage
32 - L'appelante sollicite l'infirmation de l'ordonnance qui a rejeté sa demande d'être autorisée à pénétrer dans les lieux litigieux en compagnie d'un commissaire de justice pour pouvoir exercer son droit à lever les réserves, conformément à l'article 1792-6 du code civil et a contraire ordonné une expertise en mettant les frais à sa charge.
33 - Les intimés sollicitent la confirmation de l'ordonnance.
34 - C'est par une juste appréciation de l'examen des nombreuses réserves listées, des demandes financières qui y sont attachées et de la dégradation des relations entre les parties, les époux [I] s'opposant à faire entrer la société dans les lieux, que le premier juge a estimé opportun la désignation d'un expert chargé de lister l'ensemble des points litigieux, dont les causes du retard de livraison mais également la réalité des réserves.
Sa désignation sera confirmée.
36 - En tout état de la procédure, y compris en référé, lorsqu'il estime qu'une résolution amiable du litige est possible, le juge peut, s'il n'a pas recueilli l'accord des parties, leur enjoindre de rencontrer un médiateur qu'il désigne. Le médiateur informe les parties sur l'objectif et le déroulement d'une mesure de médiation.
En l'espèce, il apparaît qu'une mesure de médiation judiciaire pourrait être de nature à faciliter le règlement du litige en offrant aux parties la possibilité de parvenir à une solution rapide et négociée.
37 - Compte tenu des explications nécessaires à une prise de décision éclairée, et de manière à apaiser le litige, il convient de commettre le médiateur qui sera désigné par l'association U.M.E.D.C.A.B. pour informer gratuitement les parties sur l'objet, le déroulement, l'issue et le coût d'une mesure de médiation et recueillir leur accord éventuel sur une telle mesure.
38 - Dans l'hypothèse où toutes les parties donneraient au médiateur un accord écrit à la médiation, celui-ci pourra commencer ses opérations de médiation dès le versement de la provision directement entre ses mains, après la mise en oeuvre de la mesure d'instruction, selon les modalités décrites au dispositif ci-après.
La désignation du médiateur prendra effet le jour de la réception entre ses mains de la provision, dont il avisera immédiatement le service centralisateur ([Courriel 8]),
38 - les époux [I] qui ont intérêt à voir constater les réserves seront condamnés à avancer les frais d'expertise, l'ordonnance déférée sera infirmée de ce chef.
III - Sur les dépens et les frais irrépétibles
38 - La société Maisons Oméga succombant en appel sera condamnée aux dépens ainsi qu'à verser aux époux [I] la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme l'ordonnance déférée, y compris en ce qu'elle a désigné M. [P] [N] ([Adresse 3] - Tél : [XXXXXXXX01] - [Localité 10]. : 06.46.49.83.50 - Mel : [Courriel 7]), en qualité d'expert, sauf en ce qu'elle a mis les frais de consignation de désignation de l'expert à la charge de la société Maisons Oméga,
Y ajoutant,
Dit que M. et Mme [I] feront l'avance des frais d'expertise et devront consigner à la régie d'avances et de recettes de ce tribunal une somme de 7 384 euros dans un délai de trois mois en garantie des frais d'expertise ;
Rappelle qu'à défaut de consignation dans le délai et selon les modalités impartis, la désignation de l'expert sera caduque et celui-ci non saisi de sa mission ;
Dit que l'expert commencera ses opérations des qu'il sera averti par le greffe du versement de la consignation ;
Vu les articles 22-1 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995, 127-1, 131-1 et suivants et 910-2 du Code de procédure civile,
Donne injonction aux parties de rencontrer un médiateur qui sera désigné par l'association U.M.E.D.C.A.B. qui les informera gratuitement sur l'objet, le déroulement, l'issue et le coût d'une mesure de médiation, ordonnée dans les conditions prévues par les articles 131-1 et suivants du code de procédure civile,
DIT que l'association U.M.E.D.C.A.B. informera le service centralisateur du nom du médiateur désigné, par message électronique à l'adresse structurelle suivante [Courriel 8],
Dit que le médiateur n'interviendra qu'après que l'expert l'aura informé qu'il a été en mesure, par une note adressée aux parties, de leur apporter les premières réponses techniques sur l'existence et les causes des désordres
INVITE les avocats des parties à faire part de cette injonction aux parties,
DIT que les conseils des parties communiquent au médiateur, sans délai et à première demande de sa part, les coordonnées de leurs clients respectifs (adresse, téléphone, adresse mail),
DIT que cette information se déroulera dans les locaux professionnels du médiateur ou en tout autre lieu convenu avec les parties, ou par visioconférence,
DIT que l'association U.M.E.D.C.A.B. ou le médiateur informera le service centralisateur par message électronique à l'adresse structurelle suivante [Courriel 8]:
- de la mise en 'uvre de cette diligence à l'issue de sa mission, et, aux fins de vérification de l'exécution de la présente injonction, précisera l'identité et la qualité des personnes s'étant présentées au rendez-vous d'information,
- de l'accord des parties de recourir à une médiation judiciaire, et transmettra l'accord formalisé par écrit et daté à l'association U.M.E.D.C.A.B. et à la juridiction, à la même adresse électronique au service centralisateur dans les 24 heures,
- ou de l'accord des parties de recourir à une médiation conventionnelle, le médiateur pouvant dans ce cas commencer immédiatement la médiation,
Dit que le médiateur ainsi informé par l'expert aura alors pour mission :
- d'expliquer aux parties le principe, le but et les modalités d'une mesure de médiation
- de recueillir leur consentement ou leur refus de cette mesure
DIT que la mission d'information du médiateur prendra fin à l'expiration d'un délai de 6 semaines à compter de sa désignation par l'UMEDCAB après la transmission de la note de l'expert.
Dit qu'à l'issue de la réunion d'information, dans l'hypothèse où au moins l'une des parties refuserait le principe de la médiation, ou à défaut de réponse d'au moins l'une des parties dans le délai fixé par le médiateur, ce dernier en avisera l'expert et le juge chargé du contrôle des expertises ; le médiateur cessera alors ses opérations, sans défraiement, et l'expert reprendra le cours de sa mission
Dans l'hypothèse où les parties donneraient leur accord à la médiation:
ORDONNE une médiation à compter de cette date en cas d'accord des parties à la médiation ainsi proposée,
Désigne pour y procéder le médiateur ayant réalisé l'information relative à la médiation,
DIT que la mission de médiation débutera, pour une durée de 3 mois renouvelable une fois, à compter du jour où la provision sera versée entre les mains du médiateur, qui en informera le service centralisateur sans délai,
FIXE à 1.500 € le montant total de la provision à valoir sur la rémunération du médiateur qui devra être versé, après répartition à parts égales entre les parties sauf meilleur accord entre elles, par chacune des parties entre les mains du médiateur, dans le délai de un mois à compter de la décision ordonnant la médiation par chèque ou virement, à peine de caducité de la désignation du médiateur, sous réserve du bénéfice de l'aide juridictionnelle,
DIT que la partie éventuellement bénéficiaire de l'aide juridictionnelle sera dispensée de ce règlement par application de l'article 22-2 alinéa 3 de la loi du 8 février 1995, étant rappelé que la rétribution du médiateur relevant de l'aide juridictionnelle est fixée par le magistrat taxateur dans les conditions et plafonds fixés par les articles 99 et 100 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020,
DIT que dans le cas d'une médiation longue ou de frais élevés exposés (déplacement, location de salle ou de matériel par exemple) le médiateur pourra soumettre, aussitôt qu'elle apparaîtra justifiée, à la cour, avec l'accord des parties, une demande tendant à la fixation d'un complément de rémunération,
DIT que le complément de rémunération ainsi fixé sera provisionné entre les mains du médiateur,
Dit qu'après avoir apporté cette information au médiateur, et après réception de l'accord des parties sur la tenue de la médiation et le versement de la provision, l'expert suspendra ses opérations d'expertise,
Aux termes de la médiation :
Dit qu'en cas d'accord sur la médiation, le médiateur en informera l'expert, et le cours de l'expertise demeurera suspendu, sauf si des investigations complémentaires sont nécessaires à la solution du litige
Dit qu'aux termes de la médiation, le médiateur informera l'expert et le juge chargé du contrôle des expertises, soit que les parties sont parvenues à un accord, soit qu'elles n'y sont pas parvenues
Dit que si les parties sont parvenues à un accord, l'expert déposera son rapport en l'état de la dernière note aux parties qu'il aura établie, et pourra solliciter la taxation de ses honoraires correspondants
Dit que si les parties ne sont pas parvenues à un accord, les opérations d'expertise reprendront ,
DIT que le médiateur informera la juridiction par l'intermédiaire du service centralisateur du déroulement et de l'issue de la médiation,
Renvoie le dossier au tribunal judiciaire de Bordeaux en charge du suivi de la mesure d'expertise,
Condamne la société Maisons Oméga à verser à M. et Mme [I] la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en appel,
Condamne la société Maisons Oméga aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Paule POIREL, présidente, et par Vincent BRUGERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 10 JUILLET 2025
N° RG 24/05290 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-OBTZ
S.A.S. MAISONS OMEGA
c/
[M] [D] [I]
[T] [L] épouse [I]
Nature de la décision : APPEL D'UNE ORDONNANCE DE REFERE
MEDIATION
Copie exécutoire délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance rendu le 07 novembre 2024 par le Président du Tribunal Judiciaire de BERGERAC ( RG : 24/00112) suivant déclaration d'appel du 04 décembre 2024
APPELANTE :
S.A.S. MAISONS OMEGA
demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Alexandre JELEZNOV de la SELARL VERBATEAM BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
[M] [D] [I]
né le 29 Juin 1957 à [Localité 9] (75)
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 4]
[T] [L] épouse [I]
née le 29 Juin 1957 à [Localité 9]
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 5]
Représentés par Me Hugues DE LACOSTE LAREYMONDIE, avocat au barreau de BORDEAUX
et assistés de Me Céline MAURY de l'AARPI ROOM AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 juin 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bénédicte LAMARQUE, conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Paule POIREL, présidente,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Bénédicte LAMARQUE, conseiller,
Greffier lors des débats : Vincent BRUGERE
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
1 - Suivant contrat de construction de maison individuelle (CCMI) du 8 juin 2021, M. [E] [I] et Mme [T] [I], née [L], ont con'é à la SAS Maisons Omega la construction d'une maison d'habitation et d'un hangar à avions sur la commune de [Localité 11] au lotissement d'[Adresse 6] pour un coût total de 519.508 euros, dont 442.800 euros de rémunération de tout ce qui est à la charge du constructeur, et 76.708 euros de travaux à la charge du maître de l'ouvrage.
2 - De multiples avenants ont été signés, dont certains modifiaient le montant du prix total.
3 - La société Maisons Omega a émis 6 appels de fonds pour un montant total de 441.812,70 euros.
4 - Par courrier du 20 janvier 2024, les époux [I] ont mentionné un prix total réactualisé à 439.960,70 euros et ont mis la société Maisons Omega en demeure de leur régler 27.863,50 euros au titre d'un décompte provisoire d'indemnités de retard pour la réalisation du chantier.
5 - Les époux [I] ont versé la somme totale de 329.954,03 euros, mais ont refusé de payer les deux derniers appels de fonds :
- celui émis le 21 décembre 2023 pour une somme de 87.996,54 euros, qui mentionnait un avancement cumulé du chantier à 95% ;
- celui émis le 5 avril 2024 pour une somme de 23.829,13 euros, qui mentionnait la réception du chantier.
Par courrier du 7 mars 2024, les époux [I] ont écrit à la société Maisons Omega que le stade de 95% d'avancement du chantier n'était pas atteint, et que tous les appels de fonds étaient par conséquent illégaux.
6 - La réception est intervenue le 28 mars 2024 avec réserves.
Par acte de commissaire de justice du 4 avril 2024, les époux [I] ont fait signifier à la société Maisons Omega leur liste de réserves mise à jour, pour reprise ou indemnisation.
7 - Selon récapitulatif des opérations émis le 23 mai 2024 par la société Maisons Omega, le solde dû à ce jour était de 111.858,67 euros.
8 - Par acte du 7 juin 2024, la société Maisons Omega a fait assigner les époux [I], en référé, devant le tribunal de judiciaire de Bergerac aux fins, notamment, d'obtenir leur condamnation in solidum au paiement d'une provision de 87.996,54 euros à valoir sur son appel de fonds du 21 décembre 2023, à consigner la somme de 23.829,13 euros et aux fins de voir ordonner de laisser les représentants de la société Maisons Omega pénétrer dans leur maison et ses annexes, en compagnie d'un commissaire de justice et de tel expert qu'il plaira, sous astreinte.
9 - Par ordonnance de référé contradictoire du 7 novembre 2024, le tribunal judiciaire de Bergerac a :
- rejeté les demandes de provision ;
- ordonné la consignation par les époux [I] de la somme de 23.829,13 euros entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocats de [Localité 9] au titre de l'article R.231-7 du code de la construction et de l'habitation ;
- dit n'y avoir lieu d'autoriser la société Maisons Omega à pénétrer dans la maison des époux [I] pour constater les éventuelles réserves ;
- ordonner une expertise portant sur l'habitation et le hangar à avion appartenant aux époux [I] sur la commune de [Localité 12] ;
- désigné à cet effet M. [P] [N] ([Adresse 3] - Tél : [XXXXXXXX01] - [Localité 10]. : 06.46.49.83.50 - Mel : [Courriel 7]), expert près la cour d'appel de Bordeaux, avec la mission de :
- se faire remettre tous documents utiles par les parties ;
- entendre au besoin tous sachants ;
- à se rendre sur les lieux, les visiter et les décrire, les parties présentes ou appelées ;
- dire si les travaux réalisés par la société Maisons Omega présentent les désordres, malfaçons, non façons ou non conformités décrits dans le procès-verbal de réception des travaux, notamment le courrier des époux [I] signifié par commissaire de justice le 4 avril 2024 à la société Maisons Omega ;
- dans l'affirmative, les décrire précisément, en rechercher la ou les causes ;
- préciser lesquels étaient apparents à la date de la réception ;
- préciser la date d'apparition des désordres dans toutes leurs composantes, leur ampleur et leurs conséquences ;
- indiquer s'ils portent atteinte à la solidité ou à la destination de l'immeuble, actuellement ou indiscutablement avant l'expiration d'un délai de dix ans après la réception de l'ouvrage ;
- donner tous éléments techniques et de faits permettant à la juridiction éventuellement saisie au fond de déterminer les responsabilités encourues et, le cas échéant, déterminer la part imputable, en précisant les motifs techniques présidant à son appréciation ;
- dire si des travaux urgents sont nécessaires, soit pour empêcher l'aggravation des désordres et du préjudice qui en résulte, soit pour prévenir les dommages aux personnes ou aux biens ;
- indiquer les travaux nécessaires pour remédier aux désordres et en chiffrer le coût, en évaluer la durée d'exécution désordre par désordre, après information des parties et communication à ces dernières, quinze jours au minimum avant la réunion de synthèse ou la rédaction d'une note de synthèse ou d'un pré-rapport, des devis et propositions chiffres concernant les travaux envisagés ;
- donner son avis sur le préjudice subi par les époux [I], notamment au niveau du trouble de jouissance éventuel ;
- proposer un apurement des comptes entre les parties en distinguant le cas échéant les moins-values résultant de travaux entrant dans le devis et non exécutés, le montant des travaux effectues mais non inclus dans le devis ou les avenants au contrat en précisant sur ce point s'ils étaient techniquement nécessaires au regard de l'objet du contrat ;
- faire toute remarque utile à la résolution du litige ;
- fait injonction aux parties de communiquer aux autres parties les documents de toute nature qu'elles adresseront à l'expert pour établir le bien fondé de leurs prétentions ;
- dit que l'expert devra adresser aux parties un document de synthèse, ou pré-rapport ; fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse, lesquelles disposeront d'un délai de 4 à 5 semaines à compter de la transmission du rapport ; rappelant aux parties, au visa de l'article 276 alinéa 2 du code de procédure civile, qu'il n'est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà du terme qu'il fixe ;
- dit que l'expert répondra de manière précise et circonstanciée à ces dernières observations ou réclamations qui devront être annexées au rapport définitif dans lequel devront figurer impérativement :
- la liste exhaustive des pièces par lui consultées ;
- le nom des personnes convoquées aux opérations d'expertise en précisant pour chacune d'elle la date d'envoi de la convocation la concernant et la forme de cette convocation ;
- le nom des personnes présentes à chacune des réunions d'expertise ;
- la date de chacune des réunions tenues ;
- les déclarations des tiers entendus par lui, en mentionnant leur identité complète, leur qualité et leurs liens éventuels avec les parties ;
- le cas échéant, l'identité du technicien dont il s'est adjoint le concours, ainsi que le document qu'il aura établi de ses constatations et avis (lequel devra également être joint à la note de synthèse ou au projet de rapport) ;
- dit que l'original du rapport définitif sera déposé en un seul exemplaire au greffe, tandis que l'expert en adressera un exemplaire aux parties et à leur conseil, dans les huit mois de l'avis de consignation sauf prorogation expresse ;
- dit qu'en cas de difficultés, l'expert en référera immédiatement au juge chargé du service du contrôle des expertises ;
- dit que la société Maisons Omega fera l'avance des frais d'expertise et devra consigner à la régie d'avances et de recettes de ce tribunal une somme de 7 384 euros dans un délai de trois mois en garantie des frais d'expertise ;
- rappelé qu'à défaut de consignation dans le délai et selon les modalités impartis, la désignation de l'expert sera caduque et celui-ci non saisi de sa mission ;
- dit que l'expert commencera ses opérations des qu'il sera averti par le greffe du versement de la consignation ;
- invité l'expert et les parties à recourir à la procédure de l'expertise dématérialisée après avoir au préalable recueilli l'accord des parties ;
- dit que l'expert pourra s'adjoindre tout spécialiste de son choix dans une autre spécialité que la sienne à charge pour lui de joindre l'avis du sapiteur à son rapport ;
- dit que si le sapiteur n'a pas pu réaliser ses opérations de manière contradictoire, son avis devra être immédiatement communiqué aux parties par l'expert ;
- enjoint à la société Maisons Omega de transmettre aux époux [I] les attestations d'assurance décennale et responsabilité civile des entreprises sous-traitantes intervenues sur le chantier ;
- débouté les époux [I] du surplus de leurs demandes ;
- laissé à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles et de ses dépens.
10 - La société Maisons Omega a relevé appel de ce jugement par déclaration du 4 décembre 2024, en ce qu'il a :
- rejeté les demandes provisionnelles de la société Maisons Omega ;
- dit n'y avoir lieu à autoriser la société Maisons Omega à pénétrer dans la maison des époux [I] pour constater les éventuelles réserves ;
- ordonné une expertise et désigné M. [N] avec la mission énoncée au dispositif de l'ordonnance ;
- précisé les modalités du déroulement de cette expertise ;
- dit que la société Maisons Omega fera l'avance des frais d'expertise et consignera une somme de 7 384 euros au greffe à ce titre ;
- laissé à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles et de ses dépens.
11 - Par dernières conclusions déposées le 22 mai 2025, la société Maisons Omega demande à la cour de :
- réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :
- rejeté les demandes provisionnelles de la société Maisons Omega ;
- dit n'y avoir lieu à autoriser la société Maisons Omega à pénétrer dans la maison des époux [I] pour constater les éventuelles réserves ;
- ordonné une expertise et désigné M. [N] avec la mission énoncée au dispositif de l'ordonnance ;
- précisé les modalités du déroulement de cette expertise ;
- dit que la société Maisons Omega fera l'avance des frais d'expertise et consignera une somme de 7 384 euros au greffe à ce titre ;
- laissé à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles et de ses dépens.
Statuant à nouveau de ces chefs :
- condamner in solidum les époux [I] à régler à la société Maisons Omega une provision de 87.996,54 euros à valoir sur son appel de fonds du 21 décembre 2023 ;
- enjoindre aux époux [I] de laisser les représentants de la société Maisons Omega pénétrer dans leur maison et ses annexes, en compagnie d'un commissaire de justice et de tel expert qu'il plaira, à l'effet de constater l'éventuelle réalité des réserves émises lors et après la réception, à la date fixée par le commissaire de justice et sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de cette date si elle n'était pas respectée ;
- dit n'y avoir lieu à expertise judiciaire.
Subsidiairement, en cas de confirmation de la mesure d'expertise, dire et juger que les époux [I] feront l'avance des frais de cette mesure ;
- condamner aux époux [I] à régler à la société Maisons Omega une somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance, ainsi qu'aux entiers de première instance ;
- confirmer la décision déférée pour le surplus.
Y ajoutant, condamner les époux [I] à régler à la société Maisons Omega une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'appel, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel,
- débouter les époux [I] de leur appel incident ainsi que de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.
12 - Par dernières conclusions déposées le 28 mai 2025, les époux [I] demandent à la cour de :
- juger les époux [I] recevables et bien fondés en leurs demandes, fins et conclusions.
Y faisant droit :
Sur l'appel de la société Maisons Omega :
Sur la demande de provision :
- juger que la demande de provision de la société Maisons Omega se heurte à une contestation sérieuse.
En conséquence :
- confirmer l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté la demande de provision de la société Maisons Omega et la débouter de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
Sur la demande d'accès à la propriété des époux [I] en compagnie d'un commissaire de justice et expert à l'effet de constater les réserves :
- juger que la demande d'accès à la propriété des époux [I] en compagnie d'un commissaire de justice et expert à l'effet de constater les réserves se heurte à une contestation sérieuse.
En conséquence :
- confirmer l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté la demande de provision de la société Maisons Omega et la débouter de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- débouter intégralement la société Maisons Omega de cette demande ;
Sur la demande d'expertise :
- confirmer l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a ordonné une expertise et désigné M. [N] en qualité d'expert judiciaire avec la mission énoncée au dispositif de l'ordonnance attaquée et mis les frais à la charge de la société Maisons Omega ;
- la débouter de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
Sur les autres demandes :
Plus généralement et en tout état de cause, débouter la société Maisons Omega de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en tant que dirigées à l'encontre des époux [I].
Sur l'appel des époux [I] :
dans l'hypothèse où la cour infirmerait l'ordonnance attaquée du chef des demandes provisionnelles et des autres demandes objet de l'appel formé par la société Maisons Omega :
- juger les époux [I] recevables et bien fondés en leur appel incident.
Y faisant droit :
- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a débouté les époux [I] de leurs demandes reconventionnelles.
Statuant à nouveau :
- condamner la société Maisons Omega à régler aux époux [I] la provision de 37.933,20 euros au titre des pénalités de retard contractuellement prévues ;
- condamner la société Maisons Omega à lever l'intégralité des réserves lui ayant été notifiées suite à la réception du chantier, suivant liste établie et notifiée le 2 avril 2024 ;
- condamner la société Maisons Omega à verser aux époux [I] la somme provisionnelle de 90.000 euros, restant à parfaire, à titre de dommages et intérêts, aux fins de levée des réserves par toute entreprise de leur choix ;
- condamner la société Maisons Omega à indemniser les époux [I] de leur entier préjudice matériel.
À cette fin :
- condamner la société Maisons Omega à régler à titre provisionnel aux époux [I] :
- la provision de 25.301,11 euros au titre des surcoûts de chantier subis en raison du défaut de conseil et de coordination dans la conception et conduite du projet par la société Maisons Omega ;
- la provision de 150.000 euros au titre de leur préjudice financier ;
- condamner la société Maisons Omega à indemniser les époux [I] de leur entier préjudice moral et la condamner à leur régler une provision de 30.000 euros ;
- condamner la société Maisons Omega à régler aux époux [I] la somme de 4.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner également aux entiers dépens qui comprendront les frais de constats.
En toute hypothèse, en cause d'appel :
- condamner la société Maisons Omega à régler aux époux [I] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'appel.
13 - L'affaire a été fixée à l'audience rapporteur du 12 juin 2025.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 30 mai 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I - Sur la demande de provision
14 - L'ordonnance est contestée en ce qu'elle a débouté la société Maisons Oméga de sa demande de condamnation des époux [I] à lui verser la provision de 87.996,54 euros correspondant à l'appel de fonds du stade 5 du chantier, retenant l'existence d'une contestation sérieuse sur l'éventualité d'une compensation avec le paiement des pénalités de retard et de l'indemnisation des mal façons ou non-façons sollicitées en regard.
15 - Soutenant que la simple éventualité d'une compensation entre deux créances dont elle des intimés n'est ni certaine, ni exigible ne peut constituer une contestation sérieuse, la société Maisons Oméga sollicite la condamnation des époux [I] au paiement de l'appel de fonds, la réalisation des travaux correspondant ayant été constatée.
Elle justifie des retards dans la livraison du chantier du fait des modifications apportées par les clients.
16 - Les intimés sollicitent la confirmation de l'ordonnance, faisant valoir la faute de l'appelante dans les retards de livraison notamment pour ne pas avoir pris en compte les niveaux du terrain pour la construction ayant nécessité le dépôt d'un permis de construire modificatif, puis en livrant le bien avec des malfaçons et des non-façons pointées dans le procès verbal de livraison.
Ils confirment avoir assigné au fond en demande de paiement des indemnités compensant leurs différents préjudices.
Sur ce :
17 - A titre liminaire, il convient de rappeler qu'en application des dispositions de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Selon l'article 835 alinéa 2, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable le juge des contentieux de la protection peut accorder une provision au créancier.
18 - Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
19 - Aux termes de l'article 231-7 du code de la construction et de l'habitation 'I.-Le pourcentage maximum du prix convenu, exigible aux différents stades de la construction d'après l'état d'avancement des travaux, est fixé, par application du troisième alinéa de l'article L. 242-2, de la manière suivante :
15 % à l'ouverture du chantier, pourcentage incluant éventuellement celui du dépôt de garantie ;
25 % à l'achèvement des fondations ;
40 % à l'achèvement des murs ;
60 % à la mise hors d'eau ;
75 % à l'achèvement des cloisons et à la mise hors d'air ;
95 % à l'achèvement des travaux d'équipement, de plomberie, de menuiserie, de chauffage et de revêtements extérieurs.
II.-Le solde du prix est payable dans les conditions suivantes :
1. Lorsque le maître de l'ouvrage se fait assister, lors de la réception, par un professionnel mentionné à l'article L. 231-8, à la levée des réserves qui ont été formulées à la réception ou, si aucune réserve n'a été formulée, à l'issue de la réception;
2. Lorsque le maître de l'ouvrage ne se fait pas assister par un professionnel pour la réception, dans les huit jours qui suivent la remise des clés consécutive à la réception, si aucune réserve n'a été formulée, ou, si des réserves ont été formulées, à la levée de celles-ci.
Dans le cas où des réserves sont formulées, une somme au plus égale à 5 % du prix convenu est, jusqu'à la levée des réserves, consignée entre les mains d'un consignataire accepté par les deux parties ou, à défaut, désigné par le président du tribunal judiciaire.'
20 - En l'espèce, l'appelante a transmis un appel de fonds aux époux [I] le 21 décembre 2023 correspondant au stade 5 de l'avancement du chantier de construction de maison individuelle, relatif à l'installation des équipements pour un montant de 87.996,54 euros.
21 - Les intimés ont justifié leur refus de payer par plusieurs défauts listés quant à l'état de l'installation électrique et de la plomberie, le défaut de fonctionnement des portes en raison de l'humidité, la saleté du chantier rendant inhabitable le bien, l'inversion de la pente des tuyaux d'évacuation des sanitaires et l'enfouissement sauvage des gravats et déchets de chantier sous les terres remblayées.
22 - Toutefois, il ressort du rapport d'expertise amiable du 12 janvier 2024, du procès verbal du commissaire de justice dressé le jour de la réception des travaux le 28 mars 2024 et de la lettre des époux [I] du 2 avril 2024 émettant des réserves ne touchant pas aux éléments d'équipement que le stade 5 était correctement achevé à la date d'appel de fonds et que le paiement des 95% du contrat n'était pas contestable.
23 - L'ordonnance déférée n'est pas contestée en ce qu'elle a condamné les époux [I] à consigner à titre provisionnel le solde du marché correspondant aux 5% restant (23.829,13 euros). De sorte que pour s'opposer au paiement de l'échéance correspondant à 95% du prix du contrat, il appartient aux intimés de démontrer que l'inexécution par le constructeur de maison individuelle des obligations qui lui incombent justifie qu'il soit procédé à une retenue sur le paiement du prix du marché supérieure à celle prévue au dernier alinéa de l'art. R. 231-7 du code de la construction et de l'habitation.
24 - La cour relève que chacune des parties dresse un historique différent de la relation contractuelle sur 11 et 14 pages en début de leurs conclusions respectives, faisant porter à l'autre la responsabilité du retard dans la livraison du bien et contestant la réalité des réserves et des malfaçons listées par les époux [I] lors de la livraison du bien.
25 - Ainsi, pour expliquer les retards, la société fait valoir les nombreuses modifications sollicitées par les époux [I], leur retard à faire réaliser les travaux de raccordement, les relances régulières pour payer les factures, les intimés au contraire mettant en avant la lenteur du dépôt du premier permis de construire modificatif un mois après la signature de l'avenant n° 4 qui en était à l'origine, l'abandon du chantier pendant 7 mois constaté par procès verbal du commissaire de justice du 30 mai 2022, la négligence du constructeur qui a fait les travaux de correction des fondations sous une forte chaleur l'obligeant à des opérations de destruction-reconstruction à ses frais.
26 - En tout état de cause, la livraison qui devait être faite dans le délai de 12 mois à compter de la date d'ouverture du chantier le 15 décembre 2021, portée à 19 mois par accord des parties dans l'avenant n° 4 ne peut à lui seul valoir reconnaissance par la société Maisons Oméga de sa faute dans une erreur technique commise. Il n'est en tout cas pas contesté que la livraison a en réalité été faite avec 157 jours de retard par rapport à ce délai déjà prorogé, soit le 28 mars 2024 au lieu du 15 juillet 2023.
27 - Dans l'avenant n° 5 ne figure aucune prorogation de délais sans qu'il soit établi que la question avait été évoquée et les autres avenants postérieurs ne l'ont pas modifié.
28 - Conformément aux clauses du contrat faisant référence à l'article L. 231-2 et R. 231-14 du code de la construction et de l'habitation, les pénalités prévues ne peuvent être fixées à un montant inférieur à 1/3000 ème du prix convenu par jour de retard, représentant la somme de 37.933,20 euros.
Les pénalités ainsi prévues en cas de retard de livraison ne sont pas exclusives de l'allocation de dommages-intérêts.
29 - Lors de la réception le 28 mars 2024 en présence d'un commissaire de juste, 53 réserves ont été émises par les époux [I], portées à 75 dans le courrier qu'ils ont adressé dès le 2 avril 2024. Ils font ainsi valoir les préjudices de sous-estimation du coût des travaux soutenant que l'appelante s'est basée sur de faux devis, mais également financiers par la perte de chance sur la vente de leur domicile ayant au surplus entraîné des intérêts sur leur prêt immobilier et préjudice moral.
30 - Au vu des conclusions et des pièces produites, le premier juge a parfaitement apprécié que l'opposition au paiement de la somme non contestablement due par les époux [I] au titre du paiement de 95% de la réalisation du chantier dont le respect de la procédure seulement est d'ordre public, excédait le solde du marché dont il a été fait obligation aux époux [I] de provisionner et nécessitait de déterminer le comportement fautif de l'une ou de l'autre des parties au contrat dans les causes du retard cumulé, de vérifier la validité des devis produits pour fixer le coût de la construction ainsi que de la réalité des réserves, dont la compétence appartient au seul juge du fond.
31 - Dès lors, en présence de contestations sérieuses étant de nature à supprimer ou à restreindre l'obligation de paiement des intimés, la demande provisionnelle en paiement de la tranche n°5 sera rejetée et l'ordonnance confirmée de ce chef.
II - Sur la demande de venir constater les réserves du maître d'ouvrage
32 - L'appelante sollicite l'infirmation de l'ordonnance qui a rejeté sa demande d'être autorisée à pénétrer dans les lieux litigieux en compagnie d'un commissaire de justice pour pouvoir exercer son droit à lever les réserves, conformément à l'article 1792-6 du code civil et a contraire ordonné une expertise en mettant les frais à sa charge.
33 - Les intimés sollicitent la confirmation de l'ordonnance.
34 - C'est par une juste appréciation de l'examen des nombreuses réserves listées, des demandes financières qui y sont attachées et de la dégradation des relations entre les parties, les époux [I] s'opposant à faire entrer la société dans les lieux, que le premier juge a estimé opportun la désignation d'un expert chargé de lister l'ensemble des points litigieux, dont les causes du retard de livraison mais également la réalité des réserves.
Sa désignation sera confirmée.
36 - En tout état de la procédure, y compris en référé, lorsqu'il estime qu'une résolution amiable du litige est possible, le juge peut, s'il n'a pas recueilli l'accord des parties, leur enjoindre de rencontrer un médiateur qu'il désigne. Le médiateur informe les parties sur l'objectif et le déroulement d'une mesure de médiation.
En l'espèce, il apparaît qu'une mesure de médiation judiciaire pourrait être de nature à faciliter le règlement du litige en offrant aux parties la possibilité de parvenir à une solution rapide et négociée.
37 - Compte tenu des explications nécessaires à une prise de décision éclairée, et de manière à apaiser le litige, il convient de commettre le médiateur qui sera désigné par l'association U.M.E.D.C.A.B. pour informer gratuitement les parties sur l'objet, le déroulement, l'issue et le coût d'une mesure de médiation et recueillir leur accord éventuel sur une telle mesure.
38 - Dans l'hypothèse où toutes les parties donneraient au médiateur un accord écrit à la médiation, celui-ci pourra commencer ses opérations de médiation dès le versement de la provision directement entre ses mains, après la mise en oeuvre de la mesure d'instruction, selon les modalités décrites au dispositif ci-après.
La désignation du médiateur prendra effet le jour de la réception entre ses mains de la provision, dont il avisera immédiatement le service centralisateur ([Courriel 8]),
38 - les époux [I] qui ont intérêt à voir constater les réserves seront condamnés à avancer les frais d'expertise, l'ordonnance déférée sera infirmée de ce chef.
III - Sur les dépens et les frais irrépétibles
38 - La société Maisons Oméga succombant en appel sera condamnée aux dépens ainsi qu'à verser aux époux [I] la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme l'ordonnance déférée, y compris en ce qu'elle a désigné M. [P] [N] ([Adresse 3] - Tél : [XXXXXXXX01] - [Localité 10]. : 06.46.49.83.50 - Mel : [Courriel 7]), en qualité d'expert, sauf en ce qu'elle a mis les frais de consignation de désignation de l'expert à la charge de la société Maisons Oméga,
Y ajoutant,
Dit que M. et Mme [I] feront l'avance des frais d'expertise et devront consigner à la régie d'avances et de recettes de ce tribunal une somme de 7 384 euros dans un délai de trois mois en garantie des frais d'expertise ;
Rappelle qu'à défaut de consignation dans le délai et selon les modalités impartis, la désignation de l'expert sera caduque et celui-ci non saisi de sa mission ;
Dit que l'expert commencera ses opérations des qu'il sera averti par le greffe du versement de la consignation ;
Vu les articles 22-1 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995, 127-1, 131-1 et suivants et 910-2 du Code de procédure civile,
Donne injonction aux parties de rencontrer un médiateur qui sera désigné par l'association U.M.E.D.C.A.B. qui les informera gratuitement sur l'objet, le déroulement, l'issue et le coût d'une mesure de médiation, ordonnée dans les conditions prévues par les articles 131-1 et suivants du code de procédure civile,
DIT que l'association U.M.E.D.C.A.B. informera le service centralisateur du nom du médiateur désigné, par message électronique à l'adresse structurelle suivante [Courriel 8],
Dit que le médiateur n'interviendra qu'après que l'expert l'aura informé qu'il a été en mesure, par une note adressée aux parties, de leur apporter les premières réponses techniques sur l'existence et les causes des désordres
INVITE les avocats des parties à faire part de cette injonction aux parties,
DIT que les conseils des parties communiquent au médiateur, sans délai et à première demande de sa part, les coordonnées de leurs clients respectifs (adresse, téléphone, adresse mail),
DIT que cette information se déroulera dans les locaux professionnels du médiateur ou en tout autre lieu convenu avec les parties, ou par visioconférence,
DIT que l'association U.M.E.D.C.A.B. ou le médiateur informera le service centralisateur par message électronique à l'adresse structurelle suivante [Courriel 8]:
- de la mise en 'uvre de cette diligence à l'issue de sa mission, et, aux fins de vérification de l'exécution de la présente injonction, précisera l'identité et la qualité des personnes s'étant présentées au rendez-vous d'information,
- de l'accord des parties de recourir à une médiation judiciaire, et transmettra l'accord formalisé par écrit et daté à l'association U.M.E.D.C.A.B. et à la juridiction, à la même adresse électronique au service centralisateur dans les 24 heures,
- ou de l'accord des parties de recourir à une médiation conventionnelle, le médiateur pouvant dans ce cas commencer immédiatement la médiation,
Dit que le médiateur ainsi informé par l'expert aura alors pour mission :
- d'expliquer aux parties le principe, le but et les modalités d'une mesure de médiation
- de recueillir leur consentement ou leur refus de cette mesure
DIT que la mission d'information du médiateur prendra fin à l'expiration d'un délai de 6 semaines à compter de sa désignation par l'UMEDCAB après la transmission de la note de l'expert.
Dit qu'à l'issue de la réunion d'information, dans l'hypothèse où au moins l'une des parties refuserait le principe de la médiation, ou à défaut de réponse d'au moins l'une des parties dans le délai fixé par le médiateur, ce dernier en avisera l'expert et le juge chargé du contrôle des expertises ; le médiateur cessera alors ses opérations, sans défraiement, et l'expert reprendra le cours de sa mission
Dans l'hypothèse où les parties donneraient leur accord à la médiation:
ORDONNE une médiation à compter de cette date en cas d'accord des parties à la médiation ainsi proposée,
Désigne pour y procéder le médiateur ayant réalisé l'information relative à la médiation,
DIT que la mission de médiation débutera, pour une durée de 3 mois renouvelable une fois, à compter du jour où la provision sera versée entre les mains du médiateur, qui en informera le service centralisateur sans délai,
FIXE à 1.500 € le montant total de la provision à valoir sur la rémunération du médiateur qui devra être versé, après répartition à parts égales entre les parties sauf meilleur accord entre elles, par chacune des parties entre les mains du médiateur, dans le délai de un mois à compter de la décision ordonnant la médiation par chèque ou virement, à peine de caducité de la désignation du médiateur, sous réserve du bénéfice de l'aide juridictionnelle,
DIT que la partie éventuellement bénéficiaire de l'aide juridictionnelle sera dispensée de ce règlement par application de l'article 22-2 alinéa 3 de la loi du 8 février 1995, étant rappelé que la rétribution du médiateur relevant de l'aide juridictionnelle est fixée par le magistrat taxateur dans les conditions et plafonds fixés par les articles 99 et 100 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020,
DIT que dans le cas d'une médiation longue ou de frais élevés exposés (déplacement, location de salle ou de matériel par exemple) le médiateur pourra soumettre, aussitôt qu'elle apparaîtra justifiée, à la cour, avec l'accord des parties, une demande tendant à la fixation d'un complément de rémunération,
DIT que le complément de rémunération ainsi fixé sera provisionné entre les mains du médiateur,
Dit qu'après avoir apporté cette information au médiateur, et après réception de l'accord des parties sur la tenue de la médiation et le versement de la provision, l'expert suspendra ses opérations d'expertise,
Aux termes de la médiation :
Dit qu'en cas d'accord sur la médiation, le médiateur en informera l'expert, et le cours de l'expertise demeurera suspendu, sauf si des investigations complémentaires sont nécessaires à la solution du litige
Dit qu'aux termes de la médiation, le médiateur informera l'expert et le juge chargé du contrôle des expertises, soit que les parties sont parvenues à un accord, soit qu'elles n'y sont pas parvenues
Dit que si les parties sont parvenues à un accord, l'expert déposera son rapport en l'état de la dernière note aux parties qu'il aura établie, et pourra solliciter la taxation de ses honoraires correspondants
Dit que si les parties ne sont pas parvenues à un accord, les opérations d'expertise reprendront ,
DIT que le médiateur informera la juridiction par l'intermédiaire du service centralisateur du déroulement et de l'issue de la médiation,
Renvoie le dossier au tribunal judiciaire de Bordeaux en charge du suivi de la mesure d'expertise,
Condamne la société Maisons Oméga à verser à M. et Mme [I] la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en appel,
Condamne la société Maisons Oméga aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Paule POIREL, présidente, et par Vincent BRUGERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,