CA Lyon, 3e ch. a, 10 juillet 2025, n° 24/07309
LYON
Arrêt
Autre
N° RG 24/07309 - N° Portalis DBVX-V-B7I-P44A
Décision du
Tribunal de Commerce de LYON
Au fond
du 09 septembre 2024
RG : 2023f03935
ch n°
[N]
C/
LA PROCUREURE GENERALE
SELARL [13]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRET DU 10 Juillet 2025
APPELANT :
Monsieur [U] [N],
né le [Date naissance 8] 1975 à [Localité 16] (69
de nationalité française,
demeurant [Adresse 4]
([Localité 7]
Représenté par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938, avocat postulant de Me DERRIEN Georges Alexandre, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant.
INTIMEES :
Mme LA PROCUREURE GENERALE
[Adresse 1]
[Localité 6]
Prise en la personne de Monsieur Olivier NAGABBO, avocat général près la Cour d'appel de LYON.
Et
La SELARL [15],
Société immatriculée au RCS de [Localité 11] sous le numéro [N° SIREN/SIRET 5], dont le siège social est [Adresse 2],
représentée par Maître [S] [F] ou Maître [B] [D], mandataires judiciaires, ès qualités de liquidateur judiciaire de la Société [10], SASU immatriculée au RCS de Lyon sous le numéro [N° SIREN/SIRET 9], désignée à cette fonction par Jugement du Tribunal de Commerce de lyon du 18 mai 2021
Sis [Adresse 3]
([Localité 7].
Représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475
******
Date de clôture de l'instruction : 06 Mai 2025
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 15 Mai 2025
Date de mise à disposition : 10 Juillet 2025
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Sophie DUMURGIER, présidente
- Aurore JULLIEN, conseillère
- Viviane LE GALL, conseillère
assistées pendant les débats de Céline DESPLANCHES, greffière
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport,
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Viviane LE GALL, Conseillère, Sophie DUMURGIER, présidente ayant été empêchée, et par Céline DESPLANCHES, greffiere, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
****
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [U] [N], chauffeur routier de formation, dirigeait plusieurs entreprises. Il a constitué la société [10] le 3 juin 2019, qui exploitait son activité dans des locaux loués, situés à [Localité 16].
Par jugement du 18 mai 2021, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société [10]. La SELARL [14] a été nommée en qualité de liquidateur judiciaire.
Le 4 décembre 2023, la SELARL [13] a assigné M. [N] devant le tribunal de commerce de Lyon, aux fins de sanction.
Par jugement contradictoire du 9 septembre 2024, le tribunal de commerce de Lyon a :
- prononcé à l'encontre de M. [N], né le [Date naissance 8] 1975 à [Localité 16] (France), une faillite personnelle de 4 ans,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- rappelé qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, les condamnations prononcées sur le fondement du livre VI du code de commerce doivent faire l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,
- dit qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les dépens sont tirés en frais privilégiés de la procédure.
Par déclaration reçue au greffe le 20 septembre 2024, M. [N] a interjeté appel de ce jugement portant sur l'ensemble des chefs de la décision expressément critiquée.
***
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 24 janvier 2025, M. [N] demande à la cour, au visa des articles L. 653-1 à L. 653-11 du code de commerce, 6 de la CEDH et 455 du code de procédure civile, de :
- juger M. [N] recevable et bien fondé en ses demandes,
In limine litis et à titre principal, sur la nullité du jugement querellé :
- juger que le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 9 septembre 2024 est insuffisamment motivé et ne respecte pas les principes d'opportunité, de proportionnalité et d'individualisation des faits et de la sanction commerciale,
- en conséquence, annuler le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 9 septembre 2024,
A titre subsidiaire et en tout état de cause, sur la réformation :
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 9 septembre 2024 en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a :
* prononcé à l'encontre de M. [N], né le [Date naissance 8] 1975 à [Localité 16] (France), une faillite personnelle de 4 ans,
* ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
* rappelé qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, les condamnations prononcées sur le fondement du livre VI du code de commerce doivent faire l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,
* dit qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
* dit que les dépens sont tirés en frais privilégiés de la procédure.
Et statuant à nouveau :
- juger, en application des principes d'individualisation, d'opportunité, de proportionnalité et de modération, irrecevable ou à tout le moins infondée la SELARL [13] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [10] en l'intégralité de ses demandes à l'encontre de M. [N],
- juger que l'intégralité des fautes reprochées à M. [N] n'est pas établie,
- juger, en application des principes d'individualisation, d'opportunité, de modération et de proportionnalité, n'y avoir lieu à sanction commerciale au regard du contexte de ce dossier marqué par la présence d'un dirigeant de fait et d'une faible insuffisance d'actif alléguée,
- débouter, en toutes hypothèses, la SELARL [13], ès qualités, de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la SELARL [13], ès qualités, à verser à M. [N] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SELARL [13], ès qualités, aux entiers dépens, tirés en frais privilégiés de procédure.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 20 janvier 2025, la SELARL [14] demande à la cour de :
- la dire recevable et fondé en ses conclusions,
Y faisant droit.
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- prononcé à l'encontre de M. [N], né le [Date naissance 8] 1975 à [Localité 16] (France), une faillite personnelle de 4 ans,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
- rappelé qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, les condamnations prononcées sur le fondement du livre VI du code de commerce doivent faire l'objet d'une inscription au Fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,
A défaut,
- débouter M. [N] de sa demande de nullité du jugement et à défaut évoquer,
- débouter M. [N] de ses demandes au titre de principes d'individualisation, d'opportunité, de proportionnalité, de modération et de prétendues irrecevabilités,
- juger que les manquements opposés à M. [N] sont parfaitement établis,
- prononcer une mesure de faillite personnelle à l'encontre de M. [N] d'une durée de 4 ans,
- à défaut, prononcer une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 4 ans à l'encontre de M. [N],
- débouter en conséquence M. [N] de l'intégralité de ses demandes,
Dans tous les cas :
- débouter M. [N] de ses demandes au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civil et des dépens.
- Condamner M. [N] à lui payer, ès qualités, la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Le ministère public, par avis du 17 janvier 2025 communiqué contradictoirement aux parties le 17 janvier 2025, a, au regard de la particulière modicité du passif et de l'absence de faute caractérisée, requis l'infirmation du jugement du 9 septembre 2024 et rejeté la demande de faillite personnelle.
Par ordonnance de référé du 10 février 2025, le délégué du premier président de la cour d'appel de Lyon a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire ordonnée dans le jugement rendu le 9 septembre 2024 par le tribunal de commerce de Lyon ayant prononcé à l'encontre de M. [U] [N] une faillite personnelle d'une durée de quatre ans.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 6 mai 2025, les débats étant fixés au 15 mai 2025.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nullité du jugement pour défaut de motivation
M. [N] fait valoir que :
- la motivation du jugement est insuffisante car trop succincte,
- les griefs retenus ne sont pas nettement caractérisés, aucune mauvaise foi ou caractère volontaire n'étant d'ailleurs établis,
- les juges n'ont pas répondu à l'argument central de la défense sur l'existence d'un dirigeant de fait, violant le principe d'individualisation,
- deux des griefs retenus sur trois ne fondent pas légalement une faillite personnelle ; la remise tardive de la liste des créanciers et l'absence de déclaration de cessation des paiements relèvent d'une interdiction de gérer,
- le troisième grief d'abstention volontaire de coopérer n'est pas étayé par des preuves de mauvaise foi ou d'intention délibérée,
- le jugement ne respecte pas les principes d'opportunité, de modération et de proportionnalité, dès lors qu'il n'a pas tenu compte du contexte spécifique du passif modique, d'absence d'enrichissement personnel, et de gestion réelle par le dirigeant de fait,
- la justification d'une mesure de faillite personnelle, dans son principe ou son quantum, n'est pas précisée.
La SELARL [13], ès qualités, réplique que :
- le jugement a une motivation suffisante ; il a répondu aux arguments de M. [N] en retenant deux griefs fondant légalement la faillite personnelle, à savoir l'absence de remise de la comptabilité et l'abstention volontaire de coopérer avec le liquidateur ; il n'est pas nécessaire de démontrer la mauvaise foi au soutien de ces griefs ; les juges ont explicitement rejeté l'argument du dirigeant de fait, rappelant que le dirigeant de droit M. [N] ne peut s'exonérer de ses obligations,
- le prétendu principe d'opportunité invoqué par M. [N] est inexistant en droit des procédures collectives,
- selon la jurisprudence, les principes de proportionnalité et d'individualisation ne s'appliquent pas à la faillite personnelle, qui sanctionne des manquements objectifs,
- la sanction est justifiée, modérée, et adaptée aux manquements ; la durée est de quatre ans alors que quinze ans étaient possibles ; aucune preuve n'a été fournie par M. [N] pour étayer sa situation personnelle ou son absence de responsabilité,
- les principes d'opportunité, de proportionnalité ou d'individualisation ne sont pas des causes de nullité d'un jugement,
- à titre subsidiaire, en cas de nullité du jugement, l'effet dévolutif a vocation à s'appliquer.
Sur ce,
Selon l'article 455 du code de procédure civile, le jugement doit être motivé.
En l'espèce, même si la motivation est peu développée, le jugement est néanmoins motivé. En effet, les premiers juges ont retenu qu'en s'abstenant de transmettre les documents demandés, le dirigeant avait fait obstacle au bon déroulement de la procédure, et qu'il était établi que le dirigeant n'avait pas remis la comptabilité de l'entreprise au mandataire judiciaire, cette abstention démontrant la carence du dirigeant dans la gestion administrative et comptable de l'entreprise.
Quant au quantum de la sanction prononcée, le défaut de motivation invoqué à ce titre relève de la critique au fond mais ne caractérise pas une absence de motivation.
En conséquence, il convient de rejeter la demande de nullité du jugement pour défaut de motivation.
Sur les fautes invoquées contre M. [N]
M. [N] fait valoir que :
- la liquidation judiciaire fait ressortir un passif particulièrement faible, pour un montant non vérifié de 20.082,81 euros, aucun enrichissement personnel ne lui étant reproché ;
- la sanction prononcée n'est pas conforme aux principes de modération, de proportionnalité et d'opportunité en la matière ;
- il n'était pas le maître de l'affaire et n'a accompli aucun acte de gestion, la boucherie était gérée par M. [G] [H] ; il n'a pas été informé de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire et n'a jamais reçu de courriel du liquidateur judiciaire ;
- il n'a jamais été mis en mesure de participer à la liquidation judiciaire, de sorte qu'il ne peut lui être reproché un défaut de collaboration avec les organes de la procédure, ni l'absence de remise de la comptabilité ou encore une remise tardive de la liste des créanciers, ni même la déclaration tardive de l'état de cessation des paiements ;
- il n'a pas été en mesure de se défendre contradictoirement et loyalement sur les fautes qui lui sont reprochées, de sorte qu'il en résulte du rupture d'égalité devant la loi ;
- la procédure en sanction commerciale est disproportionnée et inappropriée ;
- sur les quatre fautes reprochées : l'absence de collaboration volontaire avec le liquidateur judiciaire n'est pas établie, le défaut de remise de la comptabilité ne lui est pas imputable, la remise tardive de la liste des créanciers n'est pas un cas de faillite personnelle mais d'interdiction de gérer et la liste a été remise avec un mois de retard de sorte que la faute n'est pas caractérisée, enfin l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements ne revêt aucun caractère volontaire mais constitue une simple négligence en période Covid.
Le liquidateur judiciaire réplique que :
- M. [N] a manqué à son obligation de coopération avec la liquidation judiciaire et de communication des documents nécessaires, faute susceptible de justifier une sanction de faillite personnelle ; le dirigeant ne peut déléguer son obligation de coopération ; son intention n'a pas à être établie pour caractériser cette faute ; M. [N] ne peut prétendre n'avoir pas été touché par les lettres recommandées avec accusé de réception du liquidateur judiciaire, dès lors qu'elles ont bien été adressées et qu'il s'est systématiquement abstenu de les retirer ; il a en outre bien reçu les lettres simples ; les mails ont bien été envoyés à l'adresse communiquée par lui,
- il n'y a pas de moyen de réformation sur une prétendue direction de fait qui apparaît douteuse, dont il ne s'est jamais prévalu avant d'être assigné en sanction, et qui serait en toute hypothèse indifférente quant à sa responsabilité ; l'absence de poursuite du prétendu dirigeant de fait n'est pas une atteinte au droit au procès équitable,
- M. [N] a commis une faute en ne remettant pas une comptabilité complète, faute susceptible de justifier une sanction de faillite personnelle ; l'absence de remise vaut présomption de non tenue de comptabilité ; l'absence de paiement de l'expert-comptable, qui n'est au demeurant pas justifiée, est indifférente,
- à titre subsidiaire, M. [N] a commis a commis deux fautes susceptibles de justifier une mesure d'interdiction de gérer dès lors qu'il n'a pas remis dans les délais des documents aux liquidateurs suivant le jugement d'ouverture tel que la liste des créanciers, et qu'il s'est abstenu de déclarer l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours ; la liquidation a été prononcée sur assignation de la société [12] et la date de cessation des paiements a été fixée par le jugement d'ouverture à une date antérieure à 45 jours ; cette abstention a été opérée sciemment par M. [N] qui ne pouvait l'ignorer compte tenu de sa déclaration au commissaire de justice de la perte des locaux, de l'accumulation des créances et voies d'exécution, des cotisations [17] impayées.
Sur ce,
Devant le tribunal, le liquidateur judiciaire reprochait quatre fautes à M. [N] pour solliciter à titre principale une mesure de faillite personnelle et subsidiairement une mesure d'interdiction de gérer. Ces fautes consistaient à :
- en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, avoir fait obstacle à son bon déroulement ;
- ne pas avoir tenu de comptabilité conformément aux textes applicables ;
- ne pas avoir, de mauvaise foi, remis au mandataire judiciaire les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer dans le mois suivant le jugement d'ouverture ;
- avoir sciemment omis de déclarer l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours.
Aux termes de l'article L. 653-5, 5° et 6°, du code de commerce, 'Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :
5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;
6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables'.
Et l'article L. 653-8, alinéas 2 et 3 du même code prévoit que 'L'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L. 622-22.
Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.'
En l'espèce, le tribunal a retenu les deux premières fautes invoquées, pour prononcer contre M. [N] une mesure de faillite personnelle d'une durée de quatre ans. Il convient néanmoins d'examiner les quatre fautes invoquées, compte tenu de la demande subsidiaire de sanction par une mesure d'interdiction de gérer.
1 - Sur la première faute tirée de l'absence volontaire de coopération avec les organes de la procédure
Il est parfaitement constant que la personne, gérant de droit, qui accepte d'être dirigeant de complaisance peut être sanctionnée par la mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer. En effet, la gérance de paille ne saurait exonérer le dirigeant de droit des responsabilités liées à sa fonction.
Il est donc vain pour M. [N] de soutenir qu'il n'était pas le maître de l'affaire et que c'est le dirigeant de fait, M. [H], qui aurait dû être poursuivi.
Toutefois, il résulte des pièces produites aux débats que le liquidateur judiciaire a adressé une lettre recommandée de convocation à M. [N] le 19 mai 2021 et que, si cette lettre lui a été retournée avec la mention 'non réclamé', il s'avère selon l'e-mail du 25 mai suivant, que M. [N] a contacté le liquidateur judiciaire par téléphone ce jour-là. De plus, il ressort de l'e-mail du 10 juin 2021 qu'un entretien a eu lieu avec M. [N] en l'étude du liquidateur judiciaire le 2 juin précédent. Et selon l'e-mail du 17 juin 2021, M. [N] a adressé l'attestation de Mme [R] au liquidateur.
Il n'apparaît donc pas que M. [N] se soit abstenu de coopérer avec les organes de la procédure.
Si des relances ont dû par la suite être adressées à M. [N] afin qu'il transmette au liquidateur judiciaire divers documents, il n'en ressort toutefois pas une abstention volontaire de coopération. De même, si le commissaire priseur a dressé un procès-verbal pour défaut de coopération le 9 juin 2021, il résulte néanmoins de ce document que M. [N] a expliqué par téléphone ne plus avoir accès au local depuis plusieurs mois et a indiqué quel serait le matériel laissé sur place.
Au vu de ces éléments, la faute d'abstention volontaire de coopérer avec les organes de la procédure, visée à l'article L. 653-5, 5°, du code de commerce, n'est pas caractérisée, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal.
2 - Sur la faute tirée de l'absence de comptabilité
Le liquidateur judiciaire indique qu'aucun document comptable ne lui a été remis. Les pièces qu'il produit établissent qu'il a formé des demandes répétées à l'égard de M. [N] aux fins de lui communiquer des éléments dont les documents comptables.
Or, de l'absence de remise de la comptabilité se déduit le défaut de tenue de comptabilité, faute visée à l'article L. 653-5, 6°, précité.
M. [N] ne conteste pas cette absence de remise de la comptabilité mais soutient que ce grief est imputable à M. [H], dirigeant de fait de la société [10].
Cependant, comme il l'a été précédemment rappelé, le dirigeant de droit, même 'gérant de paille', est tenu des obligations attachées à sa fonction. En sa qualité de dirigeant de la SAS [10], M. [N] devait donc tenir une comptabilité conformément aux articles L. 123-12 et suivants du code de commerce.
La faute est ainsi caractérisée.
3 - Sur la remise tardive de la liste des créanciers
Cette faute ne vient qu'au soutien de la demande subsidiaire de sanction par une mesure d'interdiction de gérer.
En l'espèce, il résulte du rapport établi par le liquidateur à l'attention du juge-commissaire, que M. [N] n'a transmis la liste des créanciers que le 2 août 2021, soit dans un délai de 'deux mois et cinq jours' comme le souligne le liquidateur judiciaire.
En conséquence, cette faute est matériellement caractérisée, bien que ce retard d'un mois ne démontre pas, en l'espèce, un refus de coopération ni une attitude qui nuirait aux créanciers.
4 - Sur le défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de quarante-cinq jours
Cette faute est également invoquée au titre de la demande subsidiaire de sanction par une mesure d'interdiction de gérer.
La procédure de liquidation judiciaire de la société [10] a été directement ouverte par jugement du 18 mai 2021, sur l'assignation délivrée par un créancier, la société [12], qui justifiait d'une créance de 4.459,46 euros en principal en vertu d'une ordonnance d'injonction de payer en date du 3 août 2020. L'état de cessation des paiements a été fixé à cette date du 3 août 2020.
Or, l'état des créances produit par le liquidateur judiciaire fait apparaître, outre la société [12], trois autres créanciers dont l'URSSAF qui dispose d'une créance privilégiée de 5.495 euros. Le montant total des créances déclarées s'élève à la somme de 20.082,81 euros.
Au vu des déclarations de créances, il s'avère qu'au 3 août 2020, les dettes de la société [10] étaient récentes et peu importantes dans leur quantum, de surcroît survenues durant la période très particulière liée au covid.
En conséquence, le caractère volontaire du défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de quarante-cinq jours n'est pas établi. Cette faute n'est donc pas retenue.
Sur la sanction
M. [N] fait valoir que :
- une mesure de faillite personnelle est facultative,
- la faillite personnelle et l'interdiction de gérer doivent s'apprécier au regard des principes de modération, proportionnalité et opportunité,
- le passif est faible ; il ne s'est pas enrichi ; il n'a jamais fait l'objet d'une sanction commerciale ; il dirige plusieurs entreprises pour subvenir à sa famille ; une sanction est donc disproportionnée et inappropriée.
la SELARL [13], ès qualités, fait valoir que :
- M. [N] ne verse aucun élément sur sa situation personnelle,
- M. [N] est à la tête d'une multitude de sociétés aux activités diverses de sorte qu'il est expérimenté et avait connaissance de ses obligations légales,
- la sanction de faillite personnelle de 4 ans est justifiée au regard de ses deux premières fautes,
- à titre subsidiaire, quatre fautes justifient une mesure d'interdiction de gérer.
Sur ce,
Au regard de la nature des deux fautes retenues et des circonstances de leur commission, telles que relevées supra, la cour estime qu'il n'y a pas lieu de prononcer une sanction à l'encontre de M. [N], tant au titre de la faillite personnelle qu'au titre de l'interdiction de gérer.
Il convient donc d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et de rejeter les demandes du liquidateur judiciaire.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La société [13] succombant à l'instance, elle sera condamnée ès qualités au dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, l'équité commande que les demandes formées à ce titre soient rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré, en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette les demandes de la société [13], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [10], tendant à la sanction de M. [N] par une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer ;
Condamne la société [13], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [10], aux dépens de première instance et d'appel ;
Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente empêchée,
La Conseillère
Décision du
Tribunal de Commerce de LYON
Au fond
du 09 septembre 2024
RG : 2023f03935
ch n°
[N]
C/
LA PROCUREURE GENERALE
SELARL [13]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRET DU 10 Juillet 2025
APPELANT :
Monsieur [U] [N],
né le [Date naissance 8] 1975 à [Localité 16] (69
de nationalité française,
demeurant [Adresse 4]
([Localité 7]
Représenté par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938, avocat postulant de Me DERRIEN Georges Alexandre, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant.
INTIMEES :
Mme LA PROCUREURE GENERALE
[Adresse 1]
[Localité 6]
Prise en la personne de Monsieur Olivier NAGABBO, avocat général près la Cour d'appel de LYON.
Et
La SELARL [15],
Société immatriculée au RCS de [Localité 11] sous le numéro [N° SIREN/SIRET 5], dont le siège social est [Adresse 2],
représentée par Maître [S] [F] ou Maître [B] [D], mandataires judiciaires, ès qualités de liquidateur judiciaire de la Société [10], SASU immatriculée au RCS de Lyon sous le numéro [N° SIREN/SIRET 9], désignée à cette fonction par Jugement du Tribunal de Commerce de lyon du 18 mai 2021
Sis [Adresse 3]
([Localité 7].
Représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475
******
Date de clôture de l'instruction : 06 Mai 2025
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 15 Mai 2025
Date de mise à disposition : 10 Juillet 2025
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Sophie DUMURGIER, présidente
- Aurore JULLIEN, conseillère
- Viviane LE GALL, conseillère
assistées pendant les débats de Céline DESPLANCHES, greffière
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport,
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Viviane LE GALL, Conseillère, Sophie DUMURGIER, présidente ayant été empêchée, et par Céline DESPLANCHES, greffiere, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
****
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [U] [N], chauffeur routier de formation, dirigeait plusieurs entreprises. Il a constitué la société [10] le 3 juin 2019, qui exploitait son activité dans des locaux loués, situés à [Localité 16].
Par jugement du 18 mai 2021, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société [10]. La SELARL [14] a été nommée en qualité de liquidateur judiciaire.
Le 4 décembre 2023, la SELARL [13] a assigné M. [N] devant le tribunal de commerce de Lyon, aux fins de sanction.
Par jugement contradictoire du 9 septembre 2024, le tribunal de commerce de Lyon a :
- prononcé à l'encontre de M. [N], né le [Date naissance 8] 1975 à [Localité 16] (France), une faillite personnelle de 4 ans,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- rappelé qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, les condamnations prononcées sur le fondement du livre VI du code de commerce doivent faire l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,
- dit qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les dépens sont tirés en frais privilégiés de la procédure.
Par déclaration reçue au greffe le 20 septembre 2024, M. [N] a interjeté appel de ce jugement portant sur l'ensemble des chefs de la décision expressément critiquée.
***
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 24 janvier 2025, M. [N] demande à la cour, au visa des articles L. 653-1 à L. 653-11 du code de commerce, 6 de la CEDH et 455 du code de procédure civile, de :
- juger M. [N] recevable et bien fondé en ses demandes,
In limine litis et à titre principal, sur la nullité du jugement querellé :
- juger que le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 9 septembre 2024 est insuffisamment motivé et ne respecte pas les principes d'opportunité, de proportionnalité et d'individualisation des faits et de la sanction commerciale,
- en conséquence, annuler le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 9 septembre 2024,
A titre subsidiaire et en tout état de cause, sur la réformation :
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 9 septembre 2024 en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a :
* prononcé à l'encontre de M. [N], né le [Date naissance 8] 1975 à [Localité 16] (France), une faillite personnelle de 4 ans,
* ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
* rappelé qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, les condamnations prononcées sur le fondement du livre VI du code de commerce doivent faire l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,
* dit qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
* dit que les dépens sont tirés en frais privilégiés de la procédure.
Et statuant à nouveau :
- juger, en application des principes d'individualisation, d'opportunité, de proportionnalité et de modération, irrecevable ou à tout le moins infondée la SELARL [13] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [10] en l'intégralité de ses demandes à l'encontre de M. [N],
- juger que l'intégralité des fautes reprochées à M. [N] n'est pas établie,
- juger, en application des principes d'individualisation, d'opportunité, de modération et de proportionnalité, n'y avoir lieu à sanction commerciale au regard du contexte de ce dossier marqué par la présence d'un dirigeant de fait et d'une faible insuffisance d'actif alléguée,
- débouter, en toutes hypothèses, la SELARL [13], ès qualités, de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la SELARL [13], ès qualités, à verser à M. [N] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SELARL [13], ès qualités, aux entiers dépens, tirés en frais privilégiés de procédure.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 20 janvier 2025, la SELARL [14] demande à la cour de :
- la dire recevable et fondé en ses conclusions,
Y faisant droit.
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- prononcé à l'encontre de M. [N], né le [Date naissance 8] 1975 à [Localité 16] (France), une faillite personnelle de 4 ans,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
- rappelé qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, les condamnations prononcées sur le fondement du livre VI du code de commerce doivent faire l'objet d'une inscription au Fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,
A défaut,
- débouter M. [N] de sa demande de nullité du jugement et à défaut évoquer,
- débouter M. [N] de ses demandes au titre de principes d'individualisation, d'opportunité, de proportionnalité, de modération et de prétendues irrecevabilités,
- juger que les manquements opposés à M. [N] sont parfaitement établis,
- prononcer une mesure de faillite personnelle à l'encontre de M. [N] d'une durée de 4 ans,
- à défaut, prononcer une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 4 ans à l'encontre de M. [N],
- débouter en conséquence M. [N] de l'intégralité de ses demandes,
Dans tous les cas :
- débouter M. [N] de ses demandes au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civil et des dépens.
- Condamner M. [N] à lui payer, ès qualités, la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Le ministère public, par avis du 17 janvier 2025 communiqué contradictoirement aux parties le 17 janvier 2025, a, au regard de la particulière modicité du passif et de l'absence de faute caractérisée, requis l'infirmation du jugement du 9 septembre 2024 et rejeté la demande de faillite personnelle.
Par ordonnance de référé du 10 février 2025, le délégué du premier président de la cour d'appel de Lyon a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire ordonnée dans le jugement rendu le 9 septembre 2024 par le tribunal de commerce de Lyon ayant prononcé à l'encontre de M. [U] [N] une faillite personnelle d'une durée de quatre ans.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 6 mai 2025, les débats étant fixés au 15 mai 2025.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nullité du jugement pour défaut de motivation
M. [N] fait valoir que :
- la motivation du jugement est insuffisante car trop succincte,
- les griefs retenus ne sont pas nettement caractérisés, aucune mauvaise foi ou caractère volontaire n'étant d'ailleurs établis,
- les juges n'ont pas répondu à l'argument central de la défense sur l'existence d'un dirigeant de fait, violant le principe d'individualisation,
- deux des griefs retenus sur trois ne fondent pas légalement une faillite personnelle ; la remise tardive de la liste des créanciers et l'absence de déclaration de cessation des paiements relèvent d'une interdiction de gérer,
- le troisième grief d'abstention volontaire de coopérer n'est pas étayé par des preuves de mauvaise foi ou d'intention délibérée,
- le jugement ne respecte pas les principes d'opportunité, de modération et de proportionnalité, dès lors qu'il n'a pas tenu compte du contexte spécifique du passif modique, d'absence d'enrichissement personnel, et de gestion réelle par le dirigeant de fait,
- la justification d'une mesure de faillite personnelle, dans son principe ou son quantum, n'est pas précisée.
La SELARL [13], ès qualités, réplique que :
- le jugement a une motivation suffisante ; il a répondu aux arguments de M. [N] en retenant deux griefs fondant légalement la faillite personnelle, à savoir l'absence de remise de la comptabilité et l'abstention volontaire de coopérer avec le liquidateur ; il n'est pas nécessaire de démontrer la mauvaise foi au soutien de ces griefs ; les juges ont explicitement rejeté l'argument du dirigeant de fait, rappelant que le dirigeant de droit M. [N] ne peut s'exonérer de ses obligations,
- le prétendu principe d'opportunité invoqué par M. [N] est inexistant en droit des procédures collectives,
- selon la jurisprudence, les principes de proportionnalité et d'individualisation ne s'appliquent pas à la faillite personnelle, qui sanctionne des manquements objectifs,
- la sanction est justifiée, modérée, et adaptée aux manquements ; la durée est de quatre ans alors que quinze ans étaient possibles ; aucune preuve n'a été fournie par M. [N] pour étayer sa situation personnelle ou son absence de responsabilité,
- les principes d'opportunité, de proportionnalité ou d'individualisation ne sont pas des causes de nullité d'un jugement,
- à titre subsidiaire, en cas de nullité du jugement, l'effet dévolutif a vocation à s'appliquer.
Sur ce,
Selon l'article 455 du code de procédure civile, le jugement doit être motivé.
En l'espèce, même si la motivation est peu développée, le jugement est néanmoins motivé. En effet, les premiers juges ont retenu qu'en s'abstenant de transmettre les documents demandés, le dirigeant avait fait obstacle au bon déroulement de la procédure, et qu'il était établi que le dirigeant n'avait pas remis la comptabilité de l'entreprise au mandataire judiciaire, cette abstention démontrant la carence du dirigeant dans la gestion administrative et comptable de l'entreprise.
Quant au quantum de la sanction prononcée, le défaut de motivation invoqué à ce titre relève de la critique au fond mais ne caractérise pas une absence de motivation.
En conséquence, il convient de rejeter la demande de nullité du jugement pour défaut de motivation.
Sur les fautes invoquées contre M. [N]
M. [N] fait valoir que :
- la liquidation judiciaire fait ressortir un passif particulièrement faible, pour un montant non vérifié de 20.082,81 euros, aucun enrichissement personnel ne lui étant reproché ;
- la sanction prononcée n'est pas conforme aux principes de modération, de proportionnalité et d'opportunité en la matière ;
- il n'était pas le maître de l'affaire et n'a accompli aucun acte de gestion, la boucherie était gérée par M. [G] [H] ; il n'a pas été informé de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire et n'a jamais reçu de courriel du liquidateur judiciaire ;
- il n'a jamais été mis en mesure de participer à la liquidation judiciaire, de sorte qu'il ne peut lui être reproché un défaut de collaboration avec les organes de la procédure, ni l'absence de remise de la comptabilité ou encore une remise tardive de la liste des créanciers, ni même la déclaration tardive de l'état de cessation des paiements ;
- il n'a pas été en mesure de se défendre contradictoirement et loyalement sur les fautes qui lui sont reprochées, de sorte qu'il en résulte du rupture d'égalité devant la loi ;
- la procédure en sanction commerciale est disproportionnée et inappropriée ;
- sur les quatre fautes reprochées : l'absence de collaboration volontaire avec le liquidateur judiciaire n'est pas établie, le défaut de remise de la comptabilité ne lui est pas imputable, la remise tardive de la liste des créanciers n'est pas un cas de faillite personnelle mais d'interdiction de gérer et la liste a été remise avec un mois de retard de sorte que la faute n'est pas caractérisée, enfin l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements ne revêt aucun caractère volontaire mais constitue une simple négligence en période Covid.
Le liquidateur judiciaire réplique que :
- M. [N] a manqué à son obligation de coopération avec la liquidation judiciaire et de communication des documents nécessaires, faute susceptible de justifier une sanction de faillite personnelle ; le dirigeant ne peut déléguer son obligation de coopération ; son intention n'a pas à être établie pour caractériser cette faute ; M. [N] ne peut prétendre n'avoir pas été touché par les lettres recommandées avec accusé de réception du liquidateur judiciaire, dès lors qu'elles ont bien été adressées et qu'il s'est systématiquement abstenu de les retirer ; il a en outre bien reçu les lettres simples ; les mails ont bien été envoyés à l'adresse communiquée par lui,
- il n'y a pas de moyen de réformation sur une prétendue direction de fait qui apparaît douteuse, dont il ne s'est jamais prévalu avant d'être assigné en sanction, et qui serait en toute hypothèse indifférente quant à sa responsabilité ; l'absence de poursuite du prétendu dirigeant de fait n'est pas une atteinte au droit au procès équitable,
- M. [N] a commis une faute en ne remettant pas une comptabilité complète, faute susceptible de justifier une sanction de faillite personnelle ; l'absence de remise vaut présomption de non tenue de comptabilité ; l'absence de paiement de l'expert-comptable, qui n'est au demeurant pas justifiée, est indifférente,
- à titre subsidiaire, M. [N] a commis a commis deux fautes susceptibles de justifier une mesure d'interdiction de gérer dès lors qu'il n'a pas remis dans les délais des documents aux liquidateurs suivant le jugement d'ouverture tel que la liste des créanciers, et qu'il s'est abstenu de déclarer l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours ; la liquidation a été prononcée sur assignation de la société [12] et la date de cessation des paiements a été fixée par le jugement d'ouverture à une date antérieure à 45 jours ; cette abstention a été opérée sciemment par M. [N] qui ne pouvait l'ignorer compte tenu de sa déclaration au commissaire de justice de la perte des locaux, de l'accumulation des créances et voies d'exécution, des cotisations [17] impayées.
Sur ce,
Devant le tribunal, le liquidateur judiciaire reprochait quatre fautes à M. [N] pour solliciter à titre principale une mesure de faillite personnelle et subsidiairement une mesure d'interdiction de gérer. Ces fautes consistaient à :
- en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, avoir fait obstacle à son bon déroulement ;
- ne pas avoir tenu de comptabilité conformément aux textes applicables ;
- ne pas avoir, de mauvaise foi, remis au mandataire judiciaire les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer dans le mois suivant le jugement d'ouverture ;
- avoir sciemment omis de déclarer l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours.
Aux termes de l'article L. 653-5, 5° et 6°, du code de commerce, 'Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :
5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;
6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables'.
Et l'article L. 653-8, alinéas 2 et 3 du même code prévoit que 'L'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L. 622-22.
Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.'
En l'espèce, le tribunal a retenu les deux premières fautes invoquées, pour prononcer contre M. [N] une mesure de faillite personnelle d'une durée de quatre ans. Il convient néanmoins d'examiner les quatre fautes invoquées, compte tenu de la demande subsidiaire de sanction par une mesure d'interdiction de gérer.
1 - Sur la première faute tirée de l'absence volontaire de coopération avec les organes de la procédure
Il est parfaitement constant que la personne, gérant de droit, qui accepte d'être dirigeant de complaisance peut être sanctionnée par la mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer. En effet, la gérance de paille ne saurait exonérer le dirigeant de droit des responsabilités liées à sa fonction.
Il est donc vain pour M. [N] de soutenir qu'il n'était pas le maître de l'affaire et que c'est le dirigeant de fait, M. [H], qui aurait dû être poursuivi.
Toutefois, il résulte des pièces produites aux débats que le liquidateur judiciaire a adressé une lettre recommandée de convocation à M. [N] le 19 mai 2021 et que, si cette lettre lui a été retournée avec la mention 'non réclamé', il s'avère selon l'e-mail du 25 mai suivant, que M. [N] a contacté le liquidateur judiciaire par téléphone ce jour-là. De plus, il ressort de l'e-mail du 10 juin 2021 qu'un entretien a eu lieu avec M. [N] en l'étude du liquidateur judiciaire le 2 juin précédent. Et selon l'e-mail du 17 juin 2021, M. [N] a adressé l'attestation de Mme [R] au liquidateur.
Il n'apparaît donc pas que M. [N] se soit abstenu de coopérer avec les organes de la procédure.
Si des relances ont dû par la suite être adressées à M. [N] afin qu'il transmette au liquidateur judiciaire divers documents, il n'en ressort toutefois pas une abstention volontaire de coopération. De même, si le commissaire priseur a dressé un procès-verbal pour défaut de coopération le 9 juin 2021, il résulte néanmoins de ce document que M. [N] a expliqué par téléphone ne plus avoir accès au local depuis plusieurs mois et a indiqué quel serait le matériel laissé sur place.
Au vu de ces éléments, la faute d'abstention volontaire de coopérer avec les organes de la procédure, visée à l'article L. 653-5, 5°, du code de commerce, n'est pas caractérisée, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal.
2 - Sur la faute tirée de l'absence de comptabilité
Le liquidateur judiciaire indique qu'aucun document comptable ne lui a été remis. Les pièces qu'il produit établissent qu'il a formé des demandes répétées à l'égard de M. [N] aux fins de lui communiquer des éléments dont les documents comptables.
Or, de l'absence de remise de la comptabilité se déduit le défaut de tenue de comptabilité, faute visée à l'article L. 653-5, 6°, précité.
M. [N] ne conteste pas cette absence de remise de la comptabilité mais soutient que ce grief est imputable à M. [H], dirigeant de fait de la société [10].
Cependant, comme il l'a été précédemment rappelé, le dirigeant de droit, même 'gérant de paille', est tenu des obligations attachées à sa fonction. En sa qualité de dirigeant de la SAS [10], M. [N] devait donc tenir une comptabilité conformément aux articles L. 123-12 et suivants du code de commerce.
La faute est ainsi caractérisée.
3 - Sur la remise tardive de la liste des créanciers
Cette faute ne vient qu'au soutien de la demande subsidiaire de sanction par une mesure d'interdiction de gérer.
En l'espèce, il résulte du rapport établi par le liquidateur à l'attention du juge-commissaire, que M. [N] n'a transmis la liste des créanciers que le 2 août 2021, soit dans un délai de 'deux mois et cinq jours' comme le souligne le liquidateur judiciaire.
En conséquence, cette faute est matériellement caractérisée, bien que ce retard d'un mois ne démontre pas, en l'espèce, un refus de coopération ni une attitude qui nuirait aux créanciers.
4 - Sur le défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de quarante-cinq jours
Cette faute est également invoquée au titre de la demande subsidiaire de sanction par une mesure d'interdiction de gérer.
La procédure de liquidation judiciaire de la société [10] a été directement ouverte par jugement du 18 mai 2021, sur l'assignation délivrée par un créancier, la société [12], qui justifiait d'une créance de 4.459,46 euros en principal en vertu d'une ordonnance d'injonction de payer en date du 3 août 2020. L'état de cessation des paiements a été fixé à cette date du 3 août 2020.
Or, l'état des créances produit par le liquidateur judiciaire fait apparaître, outre la société [12], trois autres créanciers dont l'URSSAF qui dispose d'une créance privilégiée de 5.495 euros. Le montant total des créances déclarées s'élève à la somme de 20.082,81 euros.
Au vu des déclarations de créances, il s'avère qu'au 3 août 2020, les dettes de la société [10] étaient récentes et peu importantes dans leur quantum, de surcroît survenues durant la période très particulière liée au covid.
En conséquence, le caractère volontaire du défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de quarante-cinq jours n'est pas établi. Cette faute n'est donc pas retenue.
Sur la sanction
M. [N] fait valoir que :
- une mesure de faillite personnelle est facultative,
- la faillite personnelle et l'interdiction de gérer doivent s'apprécier au regard des principes de modération, proportionnalité et opportunité,
- le passif est faible ; il ne s'est pas enrichi ; il n'a jamais fait l'objet d'une sanction commerciale ; il dirige plusieurs entreprises pour subvenir à sa famille ; une sanction est donc disproportionnée et inappropriée.
la SELARL [13], ès qualités, fait valoir que :
- M. [N] ne verse aucun élément sur sa situation personnelle,
- M. [N] est à la tête d'une multitude de sociétés aux activités diverses de sorte qu'il est expérimenté et avait connaissance de ses obligations légales,
- la sanction de faillite personnelle de 4 ans est justifiée au regard de ses deux premières fautes,
- à titre subsidiaire, quatre fautes justifient une mesure d'interdiction de gérer.
Sur ce,
Au regard de la nature des deux fautes retenues et des circonstances de leur commission, telles que relevées supra, la cour estime qu'il n'y a pas lieu de prononcer une sanction à l'encontre de M. [N], tant au titre de la faillite personnelle qu'au titre de l'interdiction de gérer.
Il convient donc d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et de rejeter les demandes du liquidateur judiciaire.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La société [13] succombant à l'instance, elle sera condamnée ès qualités au dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, l'équité commande que les demandes formées à ce titre soient rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré, en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette les demandes de la société [13], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [10], tendant à la sanction de M. [N] par une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer ;
Condamne la société [13], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [10], aux dépens de première instance et d'appel ;
Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente empêchée,
La Conseillère