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CA Lyon, 3e ch. a, 10 juillet 2025, n° 24/07352

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 24/07352

10 juillet 2025

N° RG 24/07352 - N° Portalis DBVX-V-B7I-P462

Décision du

Tribunal de Commerce de VILLEFRANCHE-TARARE

Au fond

du 10 septembre 2024

RG : 2023f270

ch n°

[V]

C/

LA PROCUREURE GENERALE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 10 Juillet 2025

APPELANT :

Monsieur [V] [L] [H],

né le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 11] (TUNISIE),

de nationalité tunisienne,

Demeurant [Adresse 4]

([Localité 7]

Représenté par Me Aymeric CURIS, avocat au barreau de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE

INTIMEE :

Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Localité 6]

Prise en la personne de Monsieur Olivier NAGABBO, Avocat Général près la Cour d'appel de LYON.

******

Date de clôture de l'instruction : 06 Mai 2025

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 15 Mai 2025

Date de mise à disposition : 10 Juillet 2025

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Sophie DUMURGIER, présidente

- Aurore JULLIEN, conseillère

- Viviane LE GALL, conseillère

assistées pendant les débats de Céline DESPLANCHES, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport,

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Viviane LE GALL, Conseillère, Sophie DUMURGIER, présidente ayant été empêchée, et par Céline DESPLANCHES, greffiere, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La SAS [9] a été immatriculée au RCS de [Localité 13] au cours de l'année 2019.

Elle avait pour activité l'agencement de lieux de vente.

Sur déclaration de cessation des paiements de son dirigeant, M. [L] [H] [V], le tribunal de commerce de Lyon a, par jugement rendu le 22 décembre 2020, ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société [9], en désignant la SELARL [8] en qualité de liquidateur judiciaire.

La date de cessation des paiements a été fixée provisoirement au 1 er janvier 2020.

Par requête reçue au greffe le 4 mai 2023, la procureure de la République du tribunal judiciaire de Villefranche-sur-Saône a saisi le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare aux fins de voir prononcer à l'encontre de M. [L] [H] [V] une mesure de faillite personnelle de 10 ans, en lui reprochant, d'une part, d'avoir fait un usage des biens ou du crédit de la personne morale contraire à l'intérêt de celle-ci et d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif, et, d'autre part, de ne pas avoir respecté l'obligation de tenue d'une comptabilité.

Par jugement contradictoire du 10 septembre 2024, le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare, retenant uniquement pour faute de gestion le non respect de l'obligation de tenue d'une comptabilité, a :

- prononcé à l'encontre de M. [V], anciennement domicilié au [Adresse 3], nouvellement domicilié [Adresse 5], l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci,

- fixé la durée de cette mesure à cinq ans,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel et sans caution,

- ordonné les formalités de publicité prescrites par la loi, en ce compris l'inscription aux registres publics dont la personne poursuivie relève,

- dit que cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,

- dit qu'une copie du présent jugement sera adressée, dans les meilleurs délais, à Mme la procureure de la République près le tribunal judiciaire de Villefranche-sur-Saône, ainsi qu'au mandataire judiciaire à la liquidation,

- dit que les dépens incluant la saisine et les diligences consécutives seront employés en frais privilégiés de la procédure.

'

Par déclaration reçue au greffe le 24 septembre 2024, M. [V] a interjeté appel de ce jugement portant sur l'ensemble des chefs de la décision expressément critiqués, sauf en ce qu'il a dit qu'une copie du présent jugement sera adressée, dans les meilleurs délais, à Mme la procureure de la République près le tribunal judiciaire de Villefranche-sur-Saône ainsi qu'au mandataire judiciaire à la liquidation et que les dépens incluant la saisine et les diligences consécutives seront employés en frais privilégiés de la procédure.

Au terme de conclusions n°2 notifiées par voie dématérialisée le 24 avril 2025, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens au soutien de ses prétentions, l'appelant demande à la cour, au visa des articles L.640-1, L. 653-5 et L.653-11 du code de commerce, de :

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :

' prononcé à l'encontre de M. [V], anciennement domicilié au [Adresse 3], nouvellement domicilié [Adresse 5], l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci,

' fixé la durée de cette mesure à cinq ans,

' ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel et sans caution,

' ordonné les formalités de publicité prescrites par la loi, en ce compris l'inscription aux registres publics dont la personne poursuivie relève,

' dit que cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,

Et, juger à nouveau,

A titre principal :

- relaxer ( sic ) M. [V],

A titre subsidiaire :

- prononcer à son encontre l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci,

- fixer la durée de cette mesure à deux ans à compter du jugement de première instance rendu le 10 septembre 2024, compte tenu du caractère exécutoire du jugement,

En tout état de cause,

- juger que chacune des parties conservera à sa charge ses frais et dépens d'instance.

Le ministère public, par observations notifiées par voie dématérialisées le 13 novembre 2024, a sollicité la confirmation du jugement, en faisant valoir que l'absence de comptabilité sur la période 2020 ainsi que le contexte frauduleux précisé par la requête du liquidateur justifient l'interdiction de gérer pour cinq ans, l'intéressé ayant transféré son activité vers une nouvelle personne morale destinée à voir disparaître le passif de la première.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 6 mai 2025, les débats étant fixés au 15 mai 2025.

'

MOTIFS DE LA DÉCISION

Pour prononcer une interdiction de gérer d'une durée de cinq ans à l'encontre de M. [V], le tribunal a retenu que l'intéressé n'a remis qu'une comptabilité partielle et non définitive de la société [9] au liquidateur judiciaire, à savoir un projet de bilan du 1er février 2019, et qu'aucune comptabilité n'a été tenue à compter de l'exercice 2020.

Il en a déduit, qu'en application de l'article L.653-5 6 ° du code de commerce, le dirigeant a commis une faute en s'abstenant de tenir la comptabilité de son entreprise.

Il a retenu en revanche que l'activité de la nouvelle société créée par M. [V] était totalement différente de celle exercée par la société [9], sans transfert de matériel ou de contrats salariés, écartant en conséquence le grief tenant à l'usage des biens ou du crédit de la personne morale contraire à l'intérêt de celle-ci, et il a enfin considéré que le grief tenant au détournement ou à la dissimulation d'actifs par le dirigeant n'était pas suffisamment étayé.

Sur le respect de l'obligation de tenue d'une comptabilité

L'article L. 653-5 du code de commerce dispose que « Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;

2° Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;

3° Avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale ;

4° Avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers ;

5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;

7° Avoir déclaré sciemment, au nom d'un créancier, une créance supposée.»

L'article L.653-8 du même code précise que « Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L.653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci. »

En l'espèce, M. [V] ne conteste pas sa qualité de dirigeant de la société [9] mais reproche au tribunal d'avoir retenu à tort qu'il n'a pas tenu de comptabilité pour l'exercice 2020 et affirme qu'aucune preuve d'une gestion fautive de l'entreprise ou d'une irrégularité dans la tenue de la comptabilité n'a été démontrée.

Il soutient produire des pièces qui prouvent qu'il a tenu une comptabilité régulière, conforme aux exigences légales en faisant valoir que les factures qu'il présente démontre qu'il a bien tenu une comptabilité pour l'exercice 2020, faisant état de transactions régulières qui justifient que la société s'est conformée aux obligations légales.

Il ajoute que les contrats de sous-traitance établissent qu'il a bien structuré et géré les relations commerciales de sa société, que des engagements formels ont été pris avec des partenaires, ce qui implique une comptabilité rigoureuse pour enregistrer ces transactions, et que les bulletins de salaire, les reçus de solde de tout compte et les certificats de travail fournis attestent qu'il a respecté ses obligations légales en matière de gestion des ressources humaines, ce qui vient renforcer l'idée qu'une comptabilité rigoureuse a été tenue tout au long de l'exercice.

Cependant, les pièces 1 à 10 visées au bordereau de communication de pièces de l'appelant ne sont pas des pièces comptables et, à hauteur d'appel, M. [V] n'est toujours pas en mesure de produire les comptes annuels des exercices 2019 à 2022.

Les bons de commande et factures qu'il verse aux débats, ainsi que la convention de partenariat souscrite auprès de la [14], mais également les contrats de sous-traitance signés avec la société [12] et la société [15] et les bulletins de salaires des employés de la société [9] ne sont pas des pièces justificatives de la tenue d'une comptabilité.

Or, la tenue de comptes annuels est une obligation imposée par l'article L. 123-12 du code de commerce et la jurisprudence considère que le défaut de tenue de comptabilité caractérise une faute de gestion, la non remise de la comptabilité au liquidateur valant présomption de non tenue de comptabilité régulière.

Il est par ailleurs constant en l'espèce que le défaut de tenue de comptabilité reproché au dirigeant social a été commis antérieurement au jugement d'ouverture.

Ce manquement caractérisé de M. [V], au regard de sa durée et de ses conséquences sur l'aggravation du passif s'élevant à 56 930 euros, ne relève pas d'une simple négligence mais d'une volonté délibéré du dirigeant de ne pas assumer les obligations relevant de sa gestion de droit.

Sur l'usage des biens ou du crédit de la personne morale contraire à l'intérêt de celle-ci et sur le détournement ou la dissimulation de tout ou partie de l'actif

Aux termes de l'article L 653-4 du code de commerce, « Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres,

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel,

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement,

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale,

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale ».

L'article L.653-8 du même code précise que « Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L.653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci. »

Le tribunal a considéré que les deux autres fautes reprochées par le ministère public n'étaient pas caractérisées.

Aux termes de sa requête saisissant le tribunal, le ministère public considérait que le comportement de M. [V] caractérisait un détournement d'actif, les relevés bancaires de la société [9] comportant des mouvements posant questions.

M. [V] conteste avoir détourné tout ou partie de l'actif de la société [9] et affirme avoir agi dans les intérêts de celle-ci et s'être conformé aux exigences légales, ayant utilisé les fonds de la société de manière légale et transparente, sans détournement ni dissimulation.

Cependant, les seuls relevés bancaires de la société [9], des mois d'avril à août 2020, sont insuffisants à démontrer le détournement d'actif reproché au dirigeant ou l'usage contraire à l'intérêt de la société qu'il aurait fait de ses biens, à des fins personnelles ou au profit de la société [10] qu'il a créée en 2020 et dont l'objet social est différent, ces pièces ne permettant pas notamment d'établir un transfert des contrats salariés au profit de la nouvelle société.

C'est donc à bon droit que le tribunal a écarté les griefs relevant de l'article L.653-4 du code de commerce.

Sur le quantum de la sanction

A titre subsidiaire, l'appelant sollicite la réduction à deux ans de la sanction prononcée à son encontre.

La nature du manquement reproché au dirigeant et sa répétition démontre les carences de celui-ci dans la gestion d'une société et justifie le prononcé d'une interdiction de gérer pour le tenir éloigné de la vie des affaires.

Au regard de la gravité de la faute commise et de la situation de M. [V], qui avait déjà été placé en liquidation judiciaire dans le cadre d'une activité exercée en nom propre, l'interdiction de gérer pour une durée de cinq années prononcée par les premiers juges est proportionnée et mérite d'être confirmée.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

L'appelant qui succombe en ses prétentions supportera la charge des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement et dans les limites de l'appel,

Confirme en toutes ses dispositions soumises à la cour le jugement rendu le 10 septembre 2024 par le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare,

Y ajoutant,

Condamne M. [L] [H] [V] aux dépens d'appel.

La greffière La présidente empêchée,

La Conseillère

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