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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 10 juillet 2025, n° 24/11346

AIX-EN-PROVENCE

Ordonnance

Autre

CA Aix-en-Provence n° 24/11346

10 juillet 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

[Adresse 2]

[Localité 1]

Chambre 3-1

N° RG 24/11346 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BNV7A

Ordonnance n° 2025/M143

Madame [I] [B]

représentée par Me Laurène ASTRUC-COHEN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant

Appelante

Monsieur [D] [S]

représenté par Me Tiffany DUMAS de la SAS SOCFI MED, avocat au barreau de TOULON, plaidant

S.A.S. LA MANUFACTURE DE LINGE

représentée par Me Tiffany DUMAS de la SAS SOCFI MED, avocat au barreau de TOULON, plaidant

Intimés

ORDONNANCE D'INCIDENT

du 10 juillet 2025

Nous, Marie-Amélie VINCENT, magistrate de la mise en état de la Chambre 3-1 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, assistée de Chantal DESSI, greffière lors des débats et de Nesrine OUHAB gréffière, lors du délibéré ;

Après débats à l'audience du 03 Juin 2025, ayant indiqué à cette occasion aux parties que l'incident était mis en délibéré, avons rendu, après prorogation, le 10 Juillet 2025, l'ordonnance suivante :

EXPOSE DU LITIGE

Par jugement du 6 juin 2024, le tribunal judiciaire de Marseille a :

- constaté que les parties ont déposé la marque Pfff'en copropriété ;

- dit qu'ils sont en conséquence copropriétaires de la dite marque ;

- débouté Mme [I] [B] de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté M. [D] [S] et la Sas La Manufacture de linge de leurs demandes reconventionnelles ;

- condamné Mme [I] [B] à payer à M. [D] [S] et la Sas La Manufacture de linge la somme de 1.500 € chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Mme [I] [B] aux entiers dépens.

Par acte du 16 septembre 2024, Mme [I] [B] a interjeté appel de ce jugement.

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Par conclusions d'incident enregistrées par voie dématérialisée le 3 février 2025, puis reprises par conclusions enregistrées le 19 mai 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [D] [S] et la Sas La Manufacture de Linge ont saisi le conseiller de la mise en état des demandes suivantes :

- déclarer Mme [I] [B] divorcée [T] irrecevable de sa demande d'appel tiré du défaut de qualité, d'intérêt et de droit d'agir ;

- à titre subsidiaire, constater le défaut d'exécution du jugement de première instance ;

- en conséquence, radier l'affaire du rôle ;

- en tout état de cause, condamner Mme [I] [B] divorcée [T] à payer à M. [D] [S] et à la Sas La Manufacture de Linge au titre de l'indemnisation de leur préjudice réputationnel la somme de 1.000 € chacun en raison du caractère abusif de la procédure diligentée ;

- condamner Mme [I] [B] divorcée [T] à payer à M. [D] [S] et à la Sas La Manufacture de Linge au titre de l'indemnisation de son préjudice tiré du défaut de possession paisible de la marque la somme de 1.000 € en raison du caractère abusif de la procédure diligentée ;

- condamner Mme [I] [B] divorcée [T] à payer à M. [D] [S] et à la Sas La Manufacture de Linge au titre de l'indemnisation de son préjudice tiré du défaut de possession paisible de la marque la somme de 1.000 € en raison du caractère abusif de la procédure diligentée ;

- condamner Mme [I] [B] à payer à M. [D] [S] et à la Sas La Manufacture de Linge la somme de 4.000 € chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.

Au visa des articles L211-10 et D211-6-1 du code de l'organisation judiciaire, 31, 32, 32-1, 33, 122, 123 et 914-3 du code de procédure civile, L711-3, L712-4, L712-4-1, L712-6, R712-2 et R712-10 du code de la propriété intellectuelle, elle fait valoir que :

- Mme [I] [B] n'est pas un tiers mais le titulaire de la marque contre laquelle elle agit en action en revendication, de sorte qu'elle ne bénéficie d'aucun droit légal ni conventionnel lui octroyant un droit d'action en revendication, et que l'appel interjeté doit être déclaré irrecevable ;

- aucune exécution de la condamnation n'est intervenue de sorte que la radiation du rôle de l'affaire doit être prononcé.

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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 28 avril 2025, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens, Mme [I] [B] divorcée [T] demande au conseiller de la mise en état de :

- déclarer les conclusions d'intimé de M. [D] [S] et de la Sas La Manufacture de Linge irrecevables ;

- constater la caducité de l'appel incident relevé par M. [D] [S] et la Sas La Manufacture de Linge en date du 21 février 2025 ;

- en tout état de cause, déclarer Mme [I] [B] divorcée [T] recevable en sa demande d'appel en ce qu'elle possède qualité, intérêt et droit d'agir ;

- constater l'impossibilité pour Mme [I] [B] d'exécuter la décision de première instance en raison de ses ressources financières ;

- en conséquence, débouter M. [D] [S] et la Sas La Manufacture de Linge de leur demande de radiation de l'affaire du rôle ;

- débouter M. [D] [S] et la Sas La Manufacture de Linge de leur demande de condamnation à hauteur de 1.000 € en raison de leur prétendu préjudice réputationnel et du caractère abusif de la procédure ;

- débouter M. [D] [S] de sa demande de condamnation à hauteur de 1.000 € tiré du prétendu défaut de possession paisible de la marque en raison du caractère abusif de la procédure ;

- débouter la Sas La Manufacture de Linge de sa demande de condamnation à hauteur de 30.000 € en raison d'un prétendu préjudice tiré du défaut de possession paisible de la marque et de perte d'opportunités commerciale et du caractère abusif de la procédure ;

- débouter M. [D] [S] et la Sas La Manufacture de Linge de leur demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 4.000 € chacun ainsi qu'aux entier dépens ;

- condamner solidairement M. [D] [S] et la Sas La Manufacture de Linge à verser à Mme [I] [B] la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des entiers dépens de l'instance.

Au visa des articles 901, 524, 32-1 et 700 du code de procédure civile, et L712-6, L713-3-1, L335-2, L335-6, L3335-7 du code de la propriété intellectuelle, elle réplique que :

- en ne sollicitant pas avec suffisamment de précision s'ils sollicitent la confirmation partielle ou totale du jugement, ou son infirmation, les intimés entravent le contradictoire ; alors que les intimés sollicitent l'indemnisation de différents préjudices, le dispositif des conclusions ne comporte aucune prétention tendant à l'infirmation ou à la réformation du jugement, de sorte que les conclusions des intimés doivent être déclarées irrecevables, et l'appel incident caduc ;

- elle doit être considérée comme tiers au sens de l'article L712-6 du code de la propriété intellectuelle, et ce, malgré l'apparente cotitularité résultant du dépôt réalisé sans son accord, cette qualification ouvrant droit à l'action en revendication dès lors qu'elle permet d'établir que le dépôt a été effectué en fraude de ses droits ; il ne saurait être soutenu que le litige relève exclusivement du droit commun de l'indivision ;

- l'action qu'elle a introduite repose sur un désaccord sérieux et légitime portant sur la titularité d'une marque dont elle est à l'origine et dont le dépôt a été réalisé en fraude de ses droits, de sorte que l'action ne saurait être qualifiée d'abusive.

MOTIFS

- Sur la fin de non-recevoir

Aux termes de l'article L712-6 du code de la propriété intellectuelle, si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d'un tiers, soit en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice.

A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l'action en revendication se prescrit par cinq ans à compter de la demande.

En l'espèce, les intimés soutiennent que Mme [I] [B] n'est pas un tiers mais le titulaire de la marque contre laquelle elle agit en revendication, de sorte qu'elle est irrecevable à agir, faute de qualité ou d'intérêt.

Toutefois, la recevabilité de l'action en revendication n'est pas subordonnée strictement à la qualité de tiers mais à la démonstration d'un dépôt en fraude des droits du demandeur, soit en violation d'une obligation préexistante entre les parties. La simple cotitularité de droits, à la supposer établie, ne saurait dès lors de facto écarter la possibilité d'une action en revendication par l'un des titulaires.

Alors qu'il n'est pas contesté que le dépôt de la marque litigieuse le 7 septembre 2021 l'a été par Mme [I] [B], et M. [D] [S], conformément à l'acte de dépôt, Mme [I] [B] avance que les parties avaient parfaite connaissance de sa volonté d'être seule titulaire de la marque en cause, et que la demande d'enregistrement a été faite en fraude de ses droits, s'appuyant sur une attestation de M. [N], lequel « atteste avoir l'intégralité des éléments graphiques et visuels du projet de marque Pfff pour [I] [T] durant le mois d'août 2019 ».

Elle justifie dès lors de sa qualité et de son intérêt à agir, étant observé qu'il n'appartient pas au conseiller de la mise en état de se prononcer sur la titularité de droits, dont l'appréciation relève de la cour. M. [D] [S] et la Sas La Manufacture de linge seront déboutés de leur fin de non-recevoir.

- Sur l'irrecevabilité des conclusions d'intimés de M. [D] [S] et de la Sas La Manufacture de Linge

Mme [I] [B] soutient qu'alors que les intimés sollicitent l'indemnisation de différents préjudices, leurs conclusions ne comportent aucune prétention tendant à l'infirmation ou à la réformation du jugement attaqué, de sorte que les conclusions d'intimés doivent être déclarées irrecevables, faute de précision de l'objet de l'appel incident, et partant, l'appel incident caduc.

Il est néanmoins à observer que les conclusions d'intimés notifiées le 21 février 2025 ne comportent aucun appel incident, le premier juge n'ayant pas examiné les demandes d'indemnisation formulées au stade de l'appel, sur le fondement de la procédure abusive, de sorte que le moyen soulevé par Mme [I] [B] est inopérant, et les conclusions d'intimés en date du 21 février 2025 doivent être déclarées recevables.

- Sur la demande de radiation

Aux termes de l'article 524 du code de procédure civile, lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d'appel, décider, à la demande de l'intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l'affaire lorsque l'appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l'article 521, à moins qu'il lui apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision.

L'article 524 a été institué dans un but de célérité, afin de constituer une protection pour le créancier, d'éviter les appels dilatoires et assurer une bonne administration de la justice. Cette disposition ne restreint pas l'accès du justiciable à la cour et n'est pas contraire à la Convention Européenne de droits de l'Homme.

Il sera rappelé qu'il n'appartient pas au conseiller de la mise en état de se prononcer sur une disproportion éventuelle des sommes mises à la charge de la société appelante, s'agissant d'une appréciation de fond, et que celle-ci ne saurait en tout état de cause justifier une absence d'exécution de la condamnation.

L'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation du jugement dont appel ne saurait davantage justifier une absence d'exécution de la décision au regard des dispositions de l'article 524 du code de procédure civile, dont l'appréciation n'appartient en tout état de cause pas au conseiller de la mise en état.

En l'espèce, il n'est pas contesté que Mme [I] [B] n'a pas exécuté la décision déférée. A ce titre, elle se prévaut de l'impossibilité d'exécuter la décision attaquée. Il est constant que les conséquences manifestement excessives ou l'impossibilité d'exécuter la décision doivent s'apprécier non au fond de l'affaire mais eu égard aux facultés de paiement du débiteur ou aux facultés de remboursement du créancier.

Il est à constater que Mme [I] [B] n'a fourni aucune pièce de nature à justifier de sa situation financière, permettant de démontrer qu'elle serait dans l'incapacité d'exécuter la décision et à justifier des motifs selon lesquels elle n'a pas procédé à un paiement au moins partiel des sommes dont elle est redevable. Ainsi, elle produit pour unique justificatif de sa situation une inscription à France Travail, aux termes de laquelle elle perçoit des indemnités au titre de l'aide au retour à l'emploi, à compter du 4 novembre 2024, sans autre précision quant à sa situation personnelle, ses charges et ses ressources antérieures (avis d'imposition des années antérieures), alors que le jugement attaqué est en date du 6 juin 2024, et a été signifié le 14 août 2024.

Dans de telles conditions, il ne saurait être considéré comme démontré que Mme [I] [B] est dans l'impossibilité d'exécuter la décision, ou que l'exécution serait de nature à entraîner pour elle des conséquences manifestement excessives.

En conséquence, il sera fait droit à la demande des intimés tendant à voir prononcer la radiation de l'affaire, et ce sur le fondement des dispositions de l'article 524 précité.

- Sur les demandes au titre de la procédure abusive

Aux termes de l'article 32-1 du code de procédure civile celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés.

Dès lors que la présente ordonnance met fin à l'instance, il appartient au conseiller de la mise en état de statuer sur la demande de dommages et intérêts dont il est saisi sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.

Toutefois, l'exercice d'une action en justice, tout comme l'exercice d'une voie de recours est un droit qui ne peut dégénérer en abus qu'en cas de mauvaise foi. Tel n'est pas le cas en l'espèce où la mauvaise foi n'est pas démontrée, la méprise sur l'étendue de ses droits ne pouvant constituer à elle seule un abus.

L'action en justice introduite par Mme [I] [B], pour hasardeuse qu'elle soit, n'apparaît cependant pas constitutive d'un abus de droit caractérisé de sa part, de nature à justifier l'octroi de dommages et intérêts aux intimés, dès lors que le recours effectué par Mme [I] [B] repose sur un désaccord portant sur la titularité de la marque, et que la prétendue connaissance de la cotitularité ou le grief tiré d'un défaut de plainte pénale ne saurait caractériser l'abus allégué.

M. [D] [S] et la Sas La Manufacture de Linge seront déboutés de leurs demandes à ce titre.

- Sur les demandes accessoires

Mme [I] [B], partie succombante, conservera la charge des dépens de l'incident, et sera tenue de payer à M. [D] [S] et la Sas La Manufacture de Linge la somme de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

Déboutons M. [D] [S] et la Sas La Manufacture de Linge de leur demande d'irrecevabilité de l'appel tiré du défaut de qualité ou d'intérêt à agir ;

Déboutons Mme [I] [B] divorcée [T] de sa demande d'irrecevabilité des conclusions d'intimés en date du 21 février 2025 et de sa demande de caducité de l'appel incident ;

Ordonnons la radiation de l'affaire inscrite au rôle sous le numéro 24-11346 sur le fondement de l'article 524 du code de procédure civile,

Disons que l'affaire ne pourra être rétablie en l'absence de péremption que sur justification de l'exécution de la décision déférée,

Déboutons M. [D] [S] et la Sas La Manufacture de Linge de leurs demandes de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive ;

Rejetons les autres demandes ;

Condamnons Mme [I] [B] divorcée [T] aux dépens de l'incident ;

Condamnons Mme [I] [B] divorcée [T] à payer à M. [D] [S] et la Sas La Manufacture de Linge la somme de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles

Fait à [Localité 3], le 10 Juillet 2025

La greffière, La magistrate de la mise en état,

Copie délivrée aux avocats des parties ce jour.

La greffière

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