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Décisions

CA Orléans, ch. des retentions, 15 juillet 2025, n° 25/02039

ORLÉANS

Ordonnance

Autre

CA Orléans n° 25/02039

15 juillet 2025

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

Rétention Administrative

des Ressortissants Étrangers

ORDONNANCE du 15 JUILLET 2025

Minute N° 675/2025

N° RG 25/02039 - N° Portalis DBVN-V-B7J-HH5A

(1 pages)

Décision déférée : ordonnance du tribunal judiciaire d'Orléans en date du 12 juillet 2025 à 13h18

Nous, Cécile DUGENET, juge placée auprès de la première présidente de la cour d'appel d'Orléans, déléguée à la cour d'appel d'Orléans pour y exercer les fonctions de conseillère affectée à la chambre des urgences par ordonnance n° 439/2024 de Madame la première présidente de la cour d'appel d'Orléans en date du 18 décembre 2024, agissant par délégation de la première présidente de cette cour, assistée de Hermine BILDSTEIN, greffier, aux débats et au prononcé de l'ordonnance,

APPELANTS :

1) Madame la procureure de la République près le tribunal judiciaire d'Orléans

2) Monsieur le préfet de la Charente-Maritime

non comparant, non représenté

INTIMÉ :

Monsieur [Z] [R]

né le 26 octobre 1999 à [Localité 1] (Algérie), de nationalité algérienne,

actuellement en rétention administrative dans les locaux ne dépendant pas de l'administration pénitentiaire du centre de rétention administrative d'[Localité 3],

ayant pour alias :

- [D] [M], né le 26 octobre 2002 à [Localité 2] (Algérie)

- [D] [M], né le 26 octobre 2003 à [Localité 1] (Algérie)

- [O] [G], né le 26 octobre 1999 à [Localité 1] (Algérie)

- [X] [P], né le 26 octobre 2002

comparant par visioconférence,

assisté de Maître Mahamadou KANTE, avocat au barreau d'Orléans,

assisté de Monsieur [V] [K], interprète en langue arabe, expert près la cour d'appel d'Orléans ;

À notre audience publique tenue en visioconférence au Palais de Justice d'Orléans le 15 juillet 2025 à 10h00, conformément à l'article L. 743-7 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), aucune salle d'audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n'étant disponible pour l'audience de ce jour ;

Statuant publiquement et contradictoirement en application des articles L. 743-21 à L. 743-23 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), et des articles R. 743-10 à R. 743-20 du même code,

Vu l'ordonnance rendue le 12 juillet 2025 à 13h18 par le tribunal judiciaire d'Orléans ordonnant la jonction des procédures de demande de prolongation par la préfecture et de recours contre l'arrêté de placement en rétention administrative par le retenu, constatant l'irrégularité du placement en rétention et disant n'y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de Monsieur [Z] [R] ;

Vu l'appel de ladite ordonnance interjeté le 13 juillet 2025 à 10h50 par Monsieur le préfet de la Charente-Maritime ;

Vu l'appel de ladite ordonnance interjeté le 13 juillet 2025 à 11h17 par Madame la procureure de la République près le tribunal judiciaire d'Orléans, avec demande d'effet suspensif ;

Vu l'ordonnance du 13 juillet 2025 conférant un caractère suspensif au recours de Madame la procureure de la République ;

Vu les réquisitions écrites du ministère public reçues au greffe le 15 juillet 2025 à 07h41 ;

Après avoir entendu Maître [B] [N] en sa plaidoirie et Monsieur [Z] [R] en ses observations, ayant eu la parole en dernier ;

AVONS RENDU ce jour l'ordonnance publique et réputée contradictoire suivante :

PROCEDURE

Par une ordonnance du 12 juillet 2025, rendue en audience publique à 13h18, le magistrat du siège du tribunal judiciaire d'Orléans a constaté l'irrégularité de la procédure diligentée à l'égard de M. [Z] [R], et dit n'y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de ce dernier.

Par courriel transmis au greffe de la chambre des rétentions administratives de la cour le 13 juillet 2025 à 10h49, le préfet de la Charente-Maritime a interjeté appel de cette décision.

Par courriel transmis au greffe de la chambre des rétentions administratives de la cour le même jour à 11h17, Madame la procureure de la République près le tribunal judiciaire d'Orléans a interjeté appel de cette décision, en sollicitant l'effet suspensif de son recours.

Cet effet suspensif lui a été accordé par ordonnance de la cour rendue le même jour à 14h50.

MOYENS DES PARTIES

Le préfet de la Charente-Maritime conteste le moyen de nullité accueilli par le premier juge, concernant l'habilitation de l'agent ayant consulté le Fichier Automatisé des Empreintes Digitales (FAED), en produisant les certificats des deux formations suivies par l'agent concerné pour l'utilisation du terminal T41 en tant qu'opérateur et spécialiste identité judiciaire, et un courriel attestant ces documents du commandant de police, adjoint au chef du commissariat de [Localité 4].

Il est ainsi demandé à la cour d'annuler l'ordonnance entreprise et d'ordonner le maintien en rétention administrative de M. [Z] [R].

Le préfet appelle également l'attention de la cour sur la menace grave, constante et actuelle à l'ordre public que représente la présence de M. [Z] [R] sur le territoire français.

Le ministère public rejoint la motivation du préfet de la Charente-Maritime et sollicite, grâce à la production des pièces nouvelles en cause d'appel, la régularisation de la procédure.

M. [Z] [R] n'a pas transmis de conclusions ou d'observations à la suite de l'appel interjeté par le préfet.

La cour sera, par l'effet dévolutif, saisie de la contestation de l'arrêté de placement, de la requête en prolongation de la préfecture et, le cas échéant, des moyens nouveaux recevables en cause d'appel.

REPONSE AUX MOYENS

1. Sur la régularité de la procédure précédant le placement en rétention administrative

L'article R. 40-38-1 du code de procédure pénale dispose que le ministre de l'intérieur est autorisé à mettre en 'uvre un traitement de données à caractère personnel dénommé « fichier automatisé des empreintes digitales » (FAED), qui a notamment pour finalité de faciliter l'identification d'un étranger dans les conditions prévues à l'article L. 142-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Selon les dispositions de l'article R. 40-38-7 du même code, peuvent avoir accès à raison de leurs attributions et dans la limite du besoin d'en connaître, à tout ou partie des données et informations mentionnées aux articles R. 40-38-2 et R. 40-38-3 les personnels de la police nationale et ceux de la gendarmerie nationale individuellement désignés et dûment habilités, affectés dans les services chargés d'une mission de police judiciaire et spécialement chargés de la mise en 'uvre du traitement, aux fins de consultation, d'alimentation et d'identification des personnes.

À ce titre, les dispositions de l'article 15-5 du code de procédure pénale permettent au juge de contrôler à tout moment la réalité de cette habilitation, à son initiative ou sur demande de la personne intéressée.

En outre, il convient de rappeler qu'au regard de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée que constituent la conservation dans un fichier automatisé des empreintes digitales d'un individu identifié ou identifiable et la consultation de ces données, l'habilitation des agents est une garantie institutionnelle édictée pour la protection des libertés individuelles, ainsi que l'a d'ailleurs jugé la Cour de cassation (1ère Civ., 14 octobre 2020, pourvoi n° 19-19.234).

Il s'ensuit que la preuve de l'habilitation à consulter le FAED est une garantie du respect des libertés individuelles et que tout intéressé ayant fait l'objet d'une consultation de ses données est à même d'exiger qu'il lui soit justifié de l'habilitation de l'agent ayant eu accès à ces données.

En matière pénale, il est de jurisprudence constante qu'un supplément d'information peut être ordonné par le juge (Crim., 3 avril 2024, pourvoi n° 23-85.813), et il y a lieu de transposer cette solution au contentieux civil, en permettant la production d'une preuve d'habilitation jusqu'à la clôture des débats.

Ainsi, en matière de rétention administrative d'étrangers, il est possible de produire cette preuve en cause d'appel si cette dernière ne ressort pas des pièces jointes à la requête en prolongation.

À défaut, la procédure se trouve entachée d'une nullité d'ordre public, sans que l'étranger qui l'invoque ait à démontrer l'existence d'un grief (1ère Civ. 14 octobre 2020, déjà citée).

En l'espèce, selon le rapport d'identification dactyloscopique du 6 juillet 2025, le FAED a été consulté ce même jour, pour accéder aux données de M. [Z] [R], par Mme [A] [W].

Les diplômes du 4 mars 2024 produits en cause d'appel établissent que l'intéressée a suivi avec succès la formation idoine pour utiliser ce fichier, auquel elle est habilitée.

Au regard de ces éléments nouveaux, l'exception de nullité doit être écartée et l'ordonnance entreprise infirmée.

2. Sur la contestation de l'arrêté de placement

Il convient d'apprécier le risque de soustraction de l'intéressé à l'exécution de la décision d'éloignement, et la proportionnalité de la décision de placement en rétention administrative au regard des critères fixés par la combinaison des articles L. 741-1 et L. 612-3 du CESEDA. À cet égard, le préfet n'est pas tenu, dans sa décision, de faire état de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, dès lors que les motifs positifs qu'il retient suffisent à justifier le placement en rétention.

L'étranger retenu dispose toutefois du droit indéniable de faire valoir, à bref délai devant le juge judiciaire, les éléments pertinents relatifs à ses garanties de représentation et à sa vie personnelle. Ce droit d'être entendu est garanti par la procédure contradictoire inscrite au CESEDA, qui prévoit la saisine du juge judiciaire dans les quatre jours suivant la notification du placement en rétention administrative (1ère Civ., 15 décembre 2021, pourvoi n° 20-17.628).

En l'espèce, le préfet de la Charente-Maritime a notamment motivé sa décision de placement en rétention administrative du 7 juillet 2025 (PJ 3), qui repose sur l'exécution d'une interdiction définitive du territoire prononcée par arrêt contradictoire de la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 29 août 2024 (PJ 1, p. 14 à 19), en relevant les éléments suivants :

- M. [Z] [R] est entré sur le territoire français en 2018 et a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai notifiée le 2 septembre 2021, qu'il n'a pas exécutée, se maintenant dès lors en situation irrégulière sur le territoire national ;

- Il a déclaré plusieurs identités différentes dans le but de faire obstacle à son identification par les forces de l'ordre et a été placé en garde à vue le 5 juillet 2025 pour des faits d'usurpation d'identité et de maintien en situation irrégulière sur le territoire ;

- La menace qu'il représente pour l'ordre public au regard de ses différentes condamnations, étant précisé qu'il fait l'objet d'une interdiction définitive du territoire prononcée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 20 août 2024 ;

- Le non-respect de la mesure d'assignation à résidence prise à son égard le 5 novembre 2023, en atteste le procès-verbal de carence du 7 novembre 2023 ;

- Il a déclaré être sans profession et sans ressources financières ;

- Il n'est pas en possession d'un document d'identité ou de voyage en cours de validité.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, M. [Z] [R] ne présente pas de garanties de représentation effectives, de sorte que le préfet de la Charente-Maritime a motivé sa décision et n'a commis aucune erreur d'appréciation. Le recours formé à l'encontre de la décision de placement, qui est légalement fondée au visa des articles L. 731-1 et L. 741-1 du CESEDA, sera donc rejeté.

Pour les mêmes motifs, et notamment au regard de l'absence de passeport, aucune demande d'assignation à résidence judiciaire ne peut prospérer.

3. Sur le défaut de base légale de l'arrêté de placement en rétention administrative

Le conseil de l'intéressé soutient que l'arrête de placement en rétention est irrégulier car il ne mentionne pas le pays de renvoi.

Aux termes de l'article L. 721-3 du CESEDA : « L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une décision de mise en 'uvre d'une décision prise par un autre État, d'une interdiction de circulation sur le territoire français, d'une décision d'expulsion, d'une peine d'interdiction du territoire français ou d'une interdiction administrative du territoire français ».

Or, pour prendre une AAR ou un placement en rétention, l'article L. 731-1 7° du CESEDA vise l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans le cas où il doit être éloigné en exécution d'une interdiction judiciaire du territoire prononcée en application du deuxième alinéa de l'article 131-30 du code pénal. Par conséquent, l'absence de décision fixant le pays de renvoi est sans conséquence sur le bien-fondé du placement ou du maintien en rétention. Cela se justifie d'autant plus lorsque la nationalité de l'étranger n'est pas confirmée.

Le moyen est rejeté.

4. Sur la requête en prolongation

Il résulte des dispositions de l'article L. 741-3 du CESEDA et des termes de l'article 15.1 alinéa 4 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 qu'un maintien en rétention administrative doit être aussi bref que possible et ne se justifie qu'aussi longtemps que le dispositif d'éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. L'administration est, à ce titre, tenue au respect d'une obligation de moyens.

Pour accueillir une demande de première prolongation, le juge doit contrôler le caractère suffisant des diligences de l'administration en vue d'organiser le départ de l'étranger. Lorsque l'intéressé est dépourvu de document de voyage, les diligences se traduisent par la saisine rapide des autorités consulaires.

Seules des circonstances imprévisibles, insurmontables et extérieures empêchant l'administration d'agir peuvent justifier qu'elle n'ait accompli la première diligence en vue d'obtenir l'éloignement de la personne que plusieurs jours après son placement en rétention (1ère Civ., 9 novembre 2016, pourvoi n° 15-28.793).

Il n'y a cependant pas lieu d'imposer à l'administration de réaliser des démarches consulaires durant la période d'incarcération ayant précédé le placement en rétention (1ère Civ., 17 octobre 2019, pourvoi n° 19-50.002).

En l'espèce, la cour constate que l'intéressé n'est pas en possession d'un document de voyage, ce qui rend nécessaire la délivrance d'un laissez-passer.

La cour observe cependant qu'il a été identifié, via SCCOPOL, sous l'identité de [Z] [R], né le 26 octobre 1999 à [Localité 1], de nationalité algérienne.

Il a été placé en rétention administrative le 7 juillet 2025 à 8h30 et l'autorité administrative a saisi les autorités consulaires algériennes d'une demande de laissez-passer le même jour à 17h53.

Ainsi, la préfecture a réalisé, sans accuser le moindre retard, des diligences nécessaires et suffisantes à ce stade de la procédure administrative de rétention, s'agissant d'une première demande de prolongation.

Dans la mesure où les perspectives d'éloignement demeurent raisonnables au cas d'espèce, et en l'absence d'irrégularité affectant la légalité de la rétention administrative, il y a lieu d'infirmer l'ordonnance attaquée.

PAR CES MOTIFS,

DÉCLARONS recevables les appels interjetés par le préfet de la Charente-Maritime et Madame la procureure de la République près le tribunal judiciaire d'Orléans ;

INFIRMONS l'ordonnance du tribunal judiciaire d'Orléans du 12 juillet 2025 ayant constaté l'irrégularité de la procédure et mis fin à la rétention administrative de M. [Z] [R] ;

STATUANT À NOUVEAU,

REJETONS les exceptions de nullité soulevées ;

REJETONS le recours formé à l'encontre de l'arrêté de placement en rétention administrative ;

REJETONS la demande d'assignation à résidence judiciaire ;

ORDONNONS la prolongation de la rétention administrative de Monsieur [Z] [R] pour une durée de vingt-six jours ;

LAISSONS les dépens à la charge du Trésor ;

ORDONNONS la remise immédiate d'une expédition de la présente ordonnance à Monsieur le préfet de la Charente-Maritime, à Monsieur [Z] [R] et son conseil, et à Monsieur le procureur général près la cour d'appel d'Orléans ;

Et la présente ordonnance a été signée par Cécile DUGENET, juge placée, et Hermine BILDSTEIN, greffier présent lors du prononcé.

Fait à Orléans le QUINZE JUILLET DEUX MILLE VINGT CINQ, à 10 heures 40

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Hermine BILDSTEIN Cécile DUGENET

Pour information : l'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien la rétention et au ministère public. Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification. Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

NOTIFICATIONS, le 15 juillet 2025 :

Monsieur le préfet de la Charente-Maritime, par courriel

Monsieur [Z] [R], copie remise par transmission au greffe du CRA d'[Localité 3]

Maître Mahamadou KANTE, avocat au barreau d'Orléans, par PLEX

Monsieur le procureur général près la cour d'appel d'Orléans, par courriel

L'interprète

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